Le Roman d’un enfant/15

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Paris Calmann Lévy (p. 64-65).


XV


Je vais dire le jeu qui nous amusa le plus, Antoinette et moi, pendant ces deux mêmes délicieux étés.

Voici : au début, on était des chenilles ; on se traînait par terre, péniblement, sur le ventre et sur les genoux, cherchant des feuilles pour manger. Puis bientôt on se figurait qu’un invincible sommeil vous engourdissait les sens et on allait se coucher dans quelque recoin sous des branches, la tête recouverte de son tablier blanc : on était devenu des cocons, des chrysalides.

Cet état durait plus ou moins longtemps et nous entrions si bien dans notre rôle d’insecte en métamorphose, qu’une oreille indiscrète eût pu saisir des phrases de ce genre, échangées entre nous sur un ton de conviction complète :

— Penses-tu que tu t’envoleras bientôt ?

— Oh ! je sens que ça ne sera pas long cette fois ; dans mes épaules, déjà… ça se déplie… (Ça, naturellement, c’étaient les ailes.)

Enfin on se réveillait ; on s’étirait, en prenant des poses et sans plus rien se dire, comme pénétré du grand phénomène de la transformation finale…

Puis, tout à coup, on commençait des courses folles, — très légères, en petits souliers minces toujours ; à deux mains on tenait les coins de son tablier de bébé, qu’on agitait tout le temps en manière d’ailes ; on courait, on courait, se poursuivant, se fuyant, se croisant en courbes brusques et fantasques ; on allait sentir de près toutes les fleurs, imitant le continuel empressement des phalènes ; et on imitait leur bourdonnement aussi, en faisant : « Hou ou ou !… à la bouche à demi fermée et les joues bien gonflées d’air…