Le Roman d’un enfant/27

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Paris Calmann Lévy (p. 112-114).


XXVII


Je ne sais plus bien à quelle époque je fondai mon musée qui m’occupa si longtemps. Un peu au-dessus de la chambre de ma grand’tante Berthe, était un petit galetas isolé, dont j’avais pris possession complète ; le charme de ce lieu lui venait de sa fenêtre, donnant aussi de très haut sur le couchant, sur les vieux arbres du rempart ; sur les prairies lointaines, où des points roux, semés çà et là au milieu du vert uniforme, indiquaient des bœufs et des vaches, des troupeaux errants. — J’avais obtenu qu’on me fît tapisser ce galetas, — d’un papier chamois rosé qui y est encore ; — qu’on m’y plaçât des étagères, des vitrines. J’y installais mes papillons, qui me semblaient des spécimens très précieux ; j’y rangeais des nids d’oiseaux trouvés dans les bois de la Limoise ; des coquilles ramassées sur les plages de l’ « île » et d’autres, des « colonies », rapportées autrefois par des parents inconnus, et dénichées au grenier au fond de vieux coffres où elles sommeillaient depuis des années sous de la poussière. Dans ce domaine, je passais des heures seul, tranquille, en contemplation devant des nacres exotiques, rêvant aux pays d’où elles étaient venues, imaginant d’étranges rivages.

Un bon vieux grand-oncle, parent éloigné, mais qui m’aimait bien, encourageait ces amusements. Il était médecin et ayant, dans sa jeunesse, longtemps habité la côte d’Afrique, il possédait un cabinet d’histoire naturelle plus remarquable que bien des musées de ville. D’étonnantes choses étaient là, qui me captivaient : des coquilles rares et singulières, des amulettes, des armes encore imprégnées de ces senteurs exotiques dont je me suis saturé plus tard ; d’introuvables papillons sous des vitres.

Il demeurait dans notre voisinage et je le visitais souvent. Pour arriver à son cabinet, il fallait traverser son jardin où fleurissaient des daturas, des cactus, et où se tenait un perroquet gris du Gabon, qui disait des choses en langue nègre.

Et quand le vieil oncle me parlait du Sénégal, de Gorée, de la Guinée, je me grisais de la musique de ces mots, pressentant déjà quelque chose de la lourdeur triste du pays noir. Il avait prédit, mon pauvre oncle, que je deviendrais un savant naturaliste, — et il se trompait bien, comme du reste tant d’autres qui pronostiquèrent de mon avenir ; il y était moins que personne ; il ne comprenait pas que mon penchant pour l’histoire naturelle ne représentait qu’une déviation passagère de mes petites idées encore flottantes ; que les froides vitrines, les classifications arides, la science morte, n’avaient rien qui pût longtemps me retenir. Non, ce qui m’attirait si puissamment était derrière ces choses glacées, derrière et au delà ; — était la nature elle-même, effrayante, et aux mille visages, l’ensemble inconnu des bêtes et des forêts…