Le Roman d’un enfant/52

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Paris Calmann Lévy (p. 213-214).


LII


Le théâtre de Peau d’Ane, très agrandi en profondeur, avec une série prolongée de portants, était maintenant monté à poste fixe chez tante Claire. La petite Jeanne, plus intéressée depuis les nouveaux déploiements de mise en scène, venait plus souvent ; elle peignait des fonds, sous mes ordres, et j’aimais ces moments-là où je reprenais sur elle toute ma supériorité. Nous possédions maintenant, dans nos réserves, de pleines boîtes de personnages ayant chacun leur nom et leur rôle, et, pour les défilés fantastiques, des régiments de monstres, de bêtes, de gnomes, modelés en pâte et peints à l’aquarelle.

Je me souviens de notre satisfaction, de notre enthousiasme, le jour où fut essayé le grand décor circulaire sans portants qui représentait le « vide ». Des petits nuages roses, éclairés par côté au jour frisant, erraient dans une étendue bleue que des voiles de gaze rendaient indécise. Et le char d’une fée aux cheveux de soie, trainé par deux papillons, s’avançait au milieu, soutenu par d’invisibles fils.

Cependant rien n’aboutissait complètement, parce que nous ne savions pas nous borner ; c’étaient chaque fois des conceptions nouvelles, toujours de plus étonnants projets, et la répétition générale était reculée de mois en mois, jusque dans un avenir improbable…

Toutes les entreprises de ma vie auront, ou ont eu déjà, le sort de cette Peau d’Ane…