Le Roman de la Rose (Guillaume de Lorris)
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Le Roman de la Rose
Édition de Clément Marot, 1529
Le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris[modifier]
Table des Matières
• Cy est le rommant de la rose... • Hayne • Félonnie • Villenie • Couvoytise • Avarice • Envie • Tristesse • Vieillesse • Papelardie • Povreté • S'ensuyt l'Acteur • Comment Oyseuse ouvrit la porte a l'Amant. et puis s'en déporte • Comment l'Amant parle a Oyseuse ; Qui luy fut assez gracieuse. • Ci parle l'Acteur sans frivolle... • Comment le dieu d'Amours suyvant... • Comment Narcisus se mira ... • Comment Amour au beau jardin... • Comment Amours sans plus attendre... • Comment apres ce beau langaige... • Amours parle a l'Amant • L'Amant respond a Amours • Amours a l'Amant • Comment Amours tresbien et souef... • L'Amant parle • Amours a l'Amant • L'Amant parle a Amours • Amour respond a l'Amant • L'Amant • Comment le dieu d'Amours enseigne... • L'Amant parle a Amours • Amours parle a l'Amant • Comment l'Amant dit cy qu'Amours... • Comment Bel Acueil humblement... • Bel Acueil parle à l'Amant • L'Amant respond • Bel Acueil a l'Amant • L'Amant • Bel Acueil a l'Amant • L'Acteur • Dangier a Bel Acueil • Comment Dangier villainement... • L'Amant a part soy • Comment Raison de Dieu aymée... • Raison a l'Amant • Cy respond l'Amant par rebours... • Comment par le conseil d'Amours... • Comment Amys moult doulcement... • L'Amant • Comment l'Amant vint a Dangier... • Dangier a l'Amant • L'Amant • Amys a l'Amant • L'Amant • Comment Pitié avec Franchise... • Franchise a Dangier • Pitié a Dangier • Dangier a Franchise et Pitié • L'Acteur • Franchise a Bel Acueil • Bel Acueil aux deux dames • L'Amant • Comment Bel Acueil doulcement... • Bel Acueil escondit l'Amant • L'Amant • Vénus a Bel Acueil • Comme l'ardant brandon Vénus... • Comment par la voix Male Bouche... • L'Amant • Honte parlant a Jalousie • Jalousie parle a Honte • L'Acteur • Paour parle a Honte • Comment Honte et Paour aussi... • Honte a Dangier • Paour a Dangier • L'Acteur • Dangier • L'Amant • Comment par envieux atour... • L'Amant
Cy est le rommant de la rose...[modifier]
Cy est le rommant de la rose Ou tout l'art d'amour est enclose Maintes gens vont disant que songes Ne sont que fables et mensonges Mais on peult tel songe songer Qui pourtant n'est pas mensonger Ains est apres bien apparent Si en puis trouver pour garant Macrobe ung aucteur treaffable Qui ne tient pas songes a fable Aincoys escript la vision Laquelle advint a Scipion Quiconques cuyde ne qui die Que ce soit une musardie De croire qu'aucun songe advienne Qui vouldra pour fol si m'en tienne Car quant a moy j'ay confiance Que songe soit signifiance Des biens aux gens et des ennuytz La raison, on songe par nuytz Moult de choses couvertement Qu'on voit apres appertement. Sur le vingtiesme an de mon eage Au point qu'amours prent le peage Des jeunes gens, coucher m'alloye Une nuyt comme je souloye Et de fait dormir me convint En dormant ung songe m'advint Qui fort beau fut a adviser Comme vous orrez deviser Car en advisant moult me pleut Et oncques riens au songe n'eut Qui du tout advenu ne soit Comme le songe recensoit. Lequel vueil en rime déduire Pour plus a plaisir vous induire Amours m'en prie et le commande Et si d'adventure on demande Comment je vueil que ce rommant Soit appellé, sache l'amant Que c'est le Rommant de la rose Ou l'art d'amour est toute enclose La matiere est belle et louable Dieu doint qu'elle soit aggréable A celle pour qui j'ay empris C'est une dame de hault pris Qui tant est digne d'estre aymée Qu'elle doit rose estre clamée. Advis m'estoit a celle foys Bien y a cinq ans et six moys Que je songeoye au moys de may Au temps amoureux sans esmoy Au temps que tout rit et s'esgaye Qu'on ne voit ny buysson ne haye Qui en may parer ne se vueille Et couvrir de nouvelle fueille Les boys recouvrent leur verdure Qui sont secz tant que l'yver dure Terre mesme fiere se sent Pour la rosée qui descend Et oublie la povreté Ou elle a tout l'yver esté. En effect si gaye se treuve Qu'elle veult avoir robe neufve Et scait si conjoincte robe faire Que de couleurs a mainte paire D'herbes et fleurs rouges et perses Et de maintes couleurs diverses Est la robe que je devise Parquoy la terre mieulx se prise. Les oyseletz qui se sont teuz Durant que les grans froitz ont euz Pour le fort temps d'ivers nuysible Sont si aysés au temps paisible De may qu'ilz monstrent en chantant Qu'en leurs cueurs a de joye tant Qu'il leur convient chanter par force. Le rossignol adonc s'efforce De chanter menant doulce noyse Lors s'esvertue et se degoyse Le papegault et la calendre Si convient jeunes gens entendre A estre gays et amoureux Pour le beau printemps vigoureux. Dur est qui n'ayme d'amour franche Quant il oyt chanter sur la branche Aux oyseaulx les chans gracieulx En celluy temps délicieux Ou toute rien d'aymer s'esjoye. Par une nuyt que je songeoye Me sembla dormant fermement Qu'il estoit matin proprement De mon lict tantost me levay Me vesty et mes mains lavay Tiray une esguille d'argent D'ung aiguillier mignon et gent Et voullant l'esguille enfiller Hors de ville euz désir d'aller Pour ouyr des oyseaulx les sons Qui or chantoyent par les buyssons. En ycelle saison nouvelle Cousant mes manches a videlle M'en allay tout seul esbatant Et les oysillons escoutant Qui de bien chanter s'efforcoient Par les jardins qui fleurissoient Joly et gay plain de lyesse. Vers une riviere m'adresse Que j'ouy pres d'illecques bruyre Car plus beau lieu pour me déduyre Ne vy que sur ceste riviere. D'ung petit mont d'illec derriere Descendoit l'eau courant et royde Fresche bruyant et aussi froide Comme puys ou comme fontaine Si creuse n'estoit pas que Seine Mais elle estoit plus espandue Jamais veue ny entendue Je n'avoye ceste eau qui couloit Parquoy mon oeil ne se sauloit De regarder le lieu plaisant De ceste eau claire et reluysant. J'eu lors mon visaige lavé Si vy bien couvert et pavé Tout le fons de l'eau de gravelle Et la prairie grande et belle Au pied de cestuy mont batoit Claire, serie et belle estoit La matinée, et tempérée Lors m'en allay parmy la prée Tout contre val esbanoyant Ce beau rivaige costoyant Quant fuz ung peu avant allé Je vy ung verger long et lé Enclos d'ung hault mur richement Dehors entaillé vivement A mainctes riches empoinctures Les ymaiges et les painctures Du mur partout je remiray Parquoy voulentiers vous diray D'icelle la forme et semblance Ainsi que j'en ay remembrance.
Hayne[modifier]
Au millieu Haine se remyre Qui par Faulx Rapportz et par Yre Sembloit bien estre mouveresse De noyses aussi tanceresse Et bien ressembloit ceste ymaige Femme de tresmauvais couraige D'habitz n'estoit pas bien aornée Ne d'acoustremens ordonnée Le visaige avoit tout froncé Le nez large, et l'oeil enfoncé Flestrye estoit et enroillée Et par la teste entortillée Hydeusement d'une touaille De tres orde et villaine taille
Félonnie[modifier]
Une autre ymage mal rassise Et fiere a veoir, y eut assise Pres de Haine à senestre d'elle Sur la teste son nom rebelle Vy escript c'estoit Félonnie Et d'icelles pas je ne nye Que bien ne fust a sa droicture Pourtraicte selon sa nature Car félonnement estoit faicte Et sembloit collere et deffaicte
Villenie[modifier]
L'autre ymaige apres Félonnie Estoit nommée Villenie Seant pres de Haine sur destre Et estoit presque de tel estre Que les deux et de tel facture Bien sembla faulce créature Mesdisante et trop courageuse Ainsi que une femme oultrageuse Brief bien scavoit paindre et pourtraire Cil qui tel ymage sceut faire Car bien sembloit chose vilaine De despit et d'ordure plaine Et femme qui bien peut scavoit Honnorer ce qu'elle devoit.
Couvoytise[modifier]
Apres fut paincte Couvoytise C'est celle qui les gens attise De prendre et de riens ne donner Et les grans trésors amener. C'est celle qui fait a usure Prester pour la tresgrant ardure D'avoir, conquerre et assembler C'est celle qui semont d'embler Les larrons plains de meschant vueil C'est grant péché, mais c'est grant dueil A la fin quant il les fault pandre. C'est celle qui fait l'autruy prendre J'entens prendre sans achepter Qui fait tricher et crocheter. C'est celle qui les desvoyeurs Fait tous et les faulx plaidoyeurs Qui maintes fois par leurs cautelles Ostent aux varletz et pucelles Leurs droitz et leurs rentes escheuz Courbes, courtes et moult crocheuz Avoit les mains icelle ymage, Bien est painct ; car tousjours enrage Couvoytise de l'autruy prendre Couvoytise ne scait entendre Fors de l'autruy tout acrocher Couvoytise à l'autruy trop cher.
Avarice[modifier]
Une autre ymage y eut assise Coste à coste de Couvoytise Avarice estoit appellée Orde, salle, laide et pellée De toutes pars maigre et chétive Et aussi verte comme cyve. Tant paressoit alangourée Qu'à la veoir si descoulourée Sembloit chose morte de fain Qui ne vesquist fors que de pain Paistry en lessive et vinaigre Et avec ce qu'elle estoit maigre Elle estoit povrement vestue. Cotte avoit vieille et desrompue Comme si chiens plus de treize L'eussent tinse et si estoit raise Et plaine de vieil maint lambeau. Pres d'elle pendoit ung manteau A une perche moult greslette Et une robbe de brunette. Au manteau esté ou yver N'avoit penne de menu ver Mais d'aigneaulx veluz et pesans Et la robbe avoit bien seize ans Laquelle encore sans mentir Avarice n'osoit vestir Car sachez que moult luy pesoit Quant ceste vieille robbe usoit S'elle fust usée et mauvaise Elle en eust eu trop grant malayse Et de robbe eust eu grant affaire Quant une neufve elle eust fait faire, Avarice en sa main tenoit Une bource qu'elle espergnoit Et la nouoit si fermement Qu'elle eust demouré longuement Avant que d'y mettre le poing Aussi de ce n'avoit besoing Car d'y rien prendre n'eust envye Et fust ce pour sauver sa vie.
Envie[modifier]
Envie aussi je vy adoncques Qui en sa vie ne rit oncques Et qui n'a de joye une goute Si elle ne voit ou escoute Sur quelqu'un dommaige advenir Rien ne la scavoit mieulx tenir En plaisir que mal adventure. Quant elle voit desconfiture Sur quelque bon preud'homme avoir Cela luy est plaisant à veoir, Et s'esjouyt en son courage Quant elle voit aucun lignage Trébucher et aller à honte, Et quant aucun a honneur monte Par son sens et par sa noblesse C'est la chose qui plus la blesse Car sachez que moult luy convient Avoir du dueil, quant bien advient, Envie est de tel cruaulté Qu'elle ne porte loyaulté A compaignon n'amy expres Et n'a parent tant luy soit pres A qui ne soit toute ennemye. Certes elle ne vouldroit mye Qu'a son propre pere vint bien, Mais sachez qu'elle achapte bien Sa grant malice cherement Car elle est en si grant tourment Quant gens de bien bonne oeuvre font Qu'a peu qu'en désespoir ne fond Et souhaite en son cueur immunde Se venger de Dieu et du monde. Jamais ne cesse Envie infame De mettre sus quelque diffame Et croy que s'elle congnoissoit Le plus homme de bien qui soit Ne de ca mer, ne de la mer Si le vouldroit elle blasmer Et s'il estoit si bien apris Qu'elle ne peust son loz et pris Du tout abatre et despriser Si vouldroit elle amenuyser Pour le moins son bruyt et honneur Par son parler faulx blasonneur. A la paincture prins esgard Qu'Envye avoit mauvais regard Car jamais n'alloit riens voyant Fors de travers en bourgnoyant. Elle avoit ce mauvais usage Qu'elle ne povoit au visage Personne regarder a plain Mais clouoit ung oeil par desdain Et toute de despit ardoit Quant aucuns qu'elle regardoit Estoient moult beaulx ou preux ou gentz Ou prisez et aymez des gens.
Tristesse[modifier]
Pres d'Envye estoit paincte aussi Tristesse plaine de soucy Qui bien monstroit par sa couleur Qu'elle avoit au cueur grant douleur Et sembloit avoir la jaunice Bien estoit pres d'elle avarice Quant à palleur et maigreté Car le dueil en elle arresté Et la pesanteur des ennuys Qu'elle portoit et jour et nuytz L'avoient faicte ainsi fort jaunir Et palle et maigre devenir Oncques vivans en tel martire Ne fut, ne porta si grant yre Comme il apparoissoit qu'elle eust. Je croy qu'onq homme ne luy pleust Ne fist chose qui luy peust plaire Et si ne se vouloit retraire Ny a personne conforter Du dueil que luy failloit porter. Trop avoit son cueur courroucé Et son dueil profond commencé Dont bien sembloit estre dolente Car elle n'avoit esté lente D'esgratigner sa face toute. Sa robe aussi ne prisa goute En maintz lieux l'avoir dessirée Comme femme d'angoisse yrée. Ses cheveulx tous destrecez furent Et sur son doz ca et la cheurent Car tous desrompus les avoit Du courroux qu'elle concevoit Et si sachez certainement Qu'elle plouroit moult tendrement. Homme tant soit dur ne la veist A qui grande pitié ne feist Elle se rompoit et batoit Et ses poingz ensemble hurtoit. Brief la dolente et la chétive Moult fut a dueil faire ententive Et ne cherchoit a s'esjouyr A dancer ou chansons ouyr Car qui le cueur a bien dolent N'a pour vray désir ne talent De rire dancer ou baiser Et ne scauroit tant s'appaiser Qu'avecques dueil sceust joye faire Car dueil est a joye contraire.
Vieillesse[modifier]
Apres fut Vieillesse pourtraicte Qui estoit bien ung pied retraicte De la forme dont souloit estre A grant peine se povoit paistre Tant estoit vieille et radotée Sa beaulté fut toute gastée Et si vieille estoit devenue Qu'elle avoit la teste chenue Toute blanche et toute florie, Pas n'eust esté grande mourie Si morte fust ne grant péché Car tout son corps estoit séché Pour longueur de temps et vieil eage. Tout flaistry estoit son visaige Jadis plain et tenu tant cher Et aux mains n'avoit point de chair. Les oreilles avoit moussues Aussi les dentz toutes perdues Parquoy n'eust sceu mascher qu'à peine. De vieillesse estoit si fort pleine Que cheminé n'eust la montance De quatre toyses sans potance Le temps qui s'en va nuyt et jour Sans repos prendre et sans séjour Et qui de nous se part et emble Si secrettement qu'il nous semble Que maintenant soit en ung poinct Et il ne s'i arreste point Ains ne fine d'oultre passer Si tost que ne scauriez penser Quel temps il est présentement Car avant que le pensement Fut finy, si bien y pensez Troys temps seroient desja passez Le temps qui ne peult séjourner Ains va tousjours sans retourner Comme l'eau qui s'avalle toute Et contremont n'en revient goute Le temps contre qui rien ne dure Ne fer ne chose tant soit dure Car le temps tout gaste et tout mange Le temps qui toutes choses change Qui tout fait croistre et tout mourir Et tout user et tout pourrir. Le temps qui envieillist noz peres Qui vieillist povres et prosperes Et par lequel tous vieillirons Ou par mort jeunes périrons Le temps par qui sera faillye Mer, terre, et gens avoir vieillie Celle que je dy de tel sorte Que moins sembloit vive que morte De s'ayder n'avoit plus puissance Mais retournoit en enfance Car foyble avoit corps et cerveau Comme ung enfant né de nouveau. Toutesfoys ainsi que je sens Elle fust saige et de grant sens Quant elle estoit en son droit aage Mais elle n'estoit plus si saige Ains rassotoit, et enserrée Estoit d'une chappe fourrée Dont elle avoit, j'en suis recors Affublé et vestu son corps Affin d 'estre plus chauldement Morte de froit fust autrement Car tousjours subjectz a froidure Sont vieilles gens c'est leur nature.
Papelardie[modifier]
Une autre apres estoit escripte Qui bien sembloit estre ypocrite Papelardie est appellée C'est celle qui en recelée Quant on ne s'en peult prendre garde D'aucun mal faire ne se tarde Et fait dehors la marmyteuse Ayant face palle et piteuse Comme une simple créature Mais il n'y a mal adventure Qu'elle ne pense en son couraige Moult bien luy ressembloit l'ymaige Paincte et pourtraicte a sa semblance Qui fut de simple contenance Elle fust chaussée et vestue Tout ainsi que femme rendue En sa main ung psaultier tenoit Et saichez que moult se penoit De faire a Dieu prieres sainctes Et d'appeler et sainctz et sainctes Gaye n'estoit, mais bien chétive Et par semblant fort ententive Du tout a bonnes oeuvres faire Aussi avoit vestu la haire De peur qu'elle ne devint grasse Et de jeusner estoit si lasse Qu'elle avoit coulleur palle et morte A elle et aux siens est la porte Du ciel fermée sans mercy Car telles gens se font ainsi Amaigrir se dit l'Evangille Pour avoir loz parmy la ville Et pour ung peu de gloire vaine Qui hors d'avecques Dieu les maine.
Povreté[modifier]
Pourtraicte fut tout au dernier Povreté qui ung seul denier N'eust pas si elle se deust pendre Tant sceust elle sa robe vendre Nue estoit quasi comme ung ver Et s'il eust fait ung peu d'iver Je croy qu'el fust morte de froit. Elle avoit vieil sac estroict Tout plain de pieces et de crotes Et pour toutes robes et cottes N'eust autre chose a affubler Si eust bon loysir de trembler Car des gens fut ung peu loignet Et comme un chien a ung coignet Se cachoyt et accropissoyt Aussi Povreté ou que soit Tousjours est honteuse et despite Or puisse estre l'heure mauldicte Qu'oncques povre homme fut conceu Entre gens ne sera receu Ne bien vestu, ne bien chaussé Aymé, chéry, ny exaulcé.
S'ensuyt l'Acteur[modifier]
Les ymaiges qu'ay advisé Comme je vous ay devisé Furent en or et en azur De toutes pars painctes au mur Hault fut le mur et tout carré Si en estoit clos et barré En lieu de haye ung beau verger Si bien assis pour abréger Qu'on ne le pourroit dire a droit Qui dedans mener me vouldroit Ou par eschelle ou par degré Je luy en sceusse moult de gré Car oncq homme ne fut conduict A telle joye et tel déduict Comme a celle de ce verger Ce beau lieu d'oyseaulx héberger N'estoit ne desdaigneulx ne chiche Mais ne fut oncque lieu si riche D'arbres et d'oysillons chantans Car par les buyssons bien sentans Y en eut trois foys plus qu'en France Et tant fut belle l'accordance De leur musicque a escouter Qu'elle povoit tout dueil oster Quant a moy si fort m'esjouy Lors que si bien chanter j'ouy Que je ne prinsse pas cent livres S'il y eust passaiges delivres Pour n'y entrer, et que ne veisse L'assemblée que Dieu bénisse Des oyseaulx qui leans estoient Et de gay couraige chantoient Les dances d'amours et les notes Plaisans courtoyses et mignotes. Quant j'ouy ces oyseaux chanter Je me prins fort a guementer Par quel art et par quel engin Je pourroye entrer au jardin Mais je ne povoys bien scavoir Par ou entrée y peusse avoir Et saichez que je ne scavoye S'il y avoit pertuys ny voye Ne lieu par ou l'on y entrast Et homme qui me le monstrast N'estoit illec, car seul j'estoye Et d'ennuy maint souspir jectoye Tant qu'au dernier il me souvint Que impossible estoit qu il advint Qu'en ung si beau verger n'eust huys Ou eschelle, ou quelque pertuys Lors m'en allay a grant alleure Environnant la compasseure Et le grant tour du mur carré Tant que ung huys bien clos et barré Trouvay fort petit et estroit Et par ailleurs on n'y entroit Si commencay a y férir Sans d'autre entrée m'enquérir.
Comment Oyseuse ouvrit la porte a l'Amant. et puis s'en déporte[modifier]
Assez y frappay et boutay Et par maintes foys escoutay Si j'orroys gens parler ensemble Le guichet qui estoit de tremble Mouvoit, adonc une pucelle Qui estoit assez gente et belle Cheveulx eut bloncz comme ung bassin La chair plus tendre qu'ung poussin Front reluysant, sourcilz voultiz Large entroeil, et les piedz petis Tétin poingnant blanc de nature Et le nez bien fait a droicteure Comme ung faulcon les yeulx eut vers Jectans oeillades de travers La face blanche et coulourée L'alaine doulce et savourée La bouche petite et grossette Et au menton une fossette D'espaules eut belle croysure Et le col de bonne mesure Sans aucune bube ne tache. Brief en ce monde je ne sache Femme qui si beau col portast Polly sembloit et souef au tast Et la gorge avoit aussi blanche Comme la neige sur la branche Quant il a freschement neigé Le corps eut droit, gent et dougé Et ne falloit ja sur la terre Ung plus beau corps de femme querre D'orfaverie eut ung chappeau Proprement fait, mignon, et beau Et plus riche a bien le priser Que le scauroie deviser. Sur ce chappeau d'orfaveries En eut ung de roses fleuries Et en sa main ung mirouer Si eut d'ung riche tressouer. Son chef tressé estroictement D'ung las de soye coinctement Lassoit en deux endroictz ses manches Et pour preserver ses mains blanches Du halle en chascune eut ung gant. Sa cotte fust d'ung vert de gant A broderie tout entour Et bien sembloit a son atour Qu'a besongner peu se mectoit Car quant bien pignée elle estoit Bien parée, et bien attournée Elle avoit faicte sa journée Et avoit si bon temps aussi Qu'elle n'avoit soing ne soucy De rien qui soit, fors seullement De soy acoustrer noblement. Quant la belle ainsi acoustrée Du verger m'eust ouvert l'entrée Je l'en merciay humblement Et si luy demanday comment Avoit nom, et qui estoit elle, Elle ne fut vers moy rebelle Ne de respondre desdaigneuse. Je me fais appeller Oyseuse Dit elle, a chascun qui me hante, Riche femme suis et puissante Et d'une chose ay fort bon temps Car a riens du monde n'entens Qu'à me jouer et soullasser Et mon chef pigner, et tresser, Privée suis, jollye et coincte Et de Déduict tousjours m 'acoincte, C'est cil a qui est ce jardin Qui du pays alexandrin Feit cy les arbres apporter Qu'il feist par le jardin planter. Puis quant chascun arbre fut creu Déduit qui n'est mie recreu Feit tout autour ce hault mur faire Et si feit au dehors pourtraire Les ymaiges qui y sont joinctes Qui ne sont ne belles ny coinctes Mais laydes et traystes a veoir Comme avez peu appercevoir. Maintesfois pour s 'esbanoyer Se vient en ce lieu umbroyer Déduit et les gens qui le suivent Qui en soulas et joye vivent. Encor est il leans sans doubte La ou il entend et escoute Chanter les doulx rossignolletz Mauvis et aultres oyselletz, Illec se joue et se soulace Avec ses gens, car telle place Au monde ne scauroit trouver Pour tout passe temps esprouver Et maintiendray en toute voye Que les plus belles gens qu'on voye Sont les compaignons que Déduit Avecques luy maine et conduict.
Comment l'Amant parle a Oyseuse ; Qui luy fut assez gracieuse.[modifier]
Quant Oyseuse m'eut tout compté Et j'euz bien son compte escouté Je luy dy adoncq, dame Oyseuse Croyez sans en estre doubteuse Puis qu'ores Déduit et ses gens Sont icy tant jolys et gentz Je feray tant que l'assemblée De moy ne sera pas emblée Qui ne la voye ains qu'il soit nuict Si ma personne ne vous nuict. Veoir la me fault, c'est mon vouloir Car mieulx n'en pourray que valloir. Lors entray au jardin tout vert Par l'huys qu'Oyseuse m'a ouvert Et quant par dedans je le vy Je fuz de joye si ravy Que pour tout vray je cuidoye estre Venu en Paradis terrestre. Tant estoit beau ce lieu ramaige Que bien sembloit divin ouvraige Car comme il me sembla de faict En aucun Paradis ne faict Si bon estre comme il faisoit Au verger qui tant me plaisoit. D'oyseaulx chantans y eut assez Par tout le jardin amassez, En ung lieu avoit estourneaulx En l'autre malars et moyneaulx Pinsons, pyvers, merles, mesanges Qui ne sembloient oyseaulx, mais anges Brief homme n'en vit oncques tant, La estoit le geay caquetant Le verdier s'y esjouyssoit La tourterelle y gémissoit Et y desgorgeoit la linote Le chant que nature luy note. En autre lieu vy amassées Force kalandes, qui lassées Furent de chanter aux enuis Car les rossignolz et mauvis Sceurent si haultement chanter Qu'ilz vindrent a les surmonter. Ailleurs aussi sont papegaulx En chantz et plumes non égaulx Qui par ces vertz boys ou ilz hantent Incessamment sifflent et chantent, Mais par sus tous oyseaulx beccus Se firent ouyr les cocus Qui en plus grant nombre se y trouvent Car au jardin d'Amours se couvent. Bien fut leur chappelle fournie Et plaine de grant armonie Car leur chant estoit gracieulx Comme une voix venant des cieulx. Or pensez si de m'esjouyr J'avoys raison d'ainsi ouyr A mon gré la plus grant doulceur Qu'on ouyt oncques, pour tout seur Tant estoit ce chant doulx et beau Qu'il ne sembloit pas chant d'oyseau Mais le povoit l'on estimer Ung chant de seraines de mer Qui prindrent ce nom de seraines De leur voix series et saines Dont en mer endorment souvent Ceulx qui mettent voyles au vent. A chanter furent ententis Les oysillons qui aprentis Ne furent pas, ne non saichans, Et saichez quant j'ouy leurs chantz Et je vy tant beau et pourpris A esmerveiller je me pris Car encor n'avoys esté oncques Si gay, que je devins adoncques Tant pour la grande nouveaulté De ce lieu, que pour sa beaulté. Alors congneuz je bien et vy Qu'Oyseuse m'avoit bien servy De m'avoir en tel Déduit mis Et bien me tins de ses amys Puis qu'elle m'avoit deffermé Le guichet du verger ramé. Or maintenant vous en diray Plus avant, et vous descripvray Premier dequoy Déduit servoit Et quelle compaignie avoit. Sans longue fable vous vueil dire Puis du verger tout d'une tire Réciteray ce qu'il me semble, Je ne puis dire tout ensemble Mais je le compteray par ordre Que l'on n'y saiche que remordre. Beau service doulx et plaisant Chascun oyseau alloit faisant En chant et musique ramaige Rendant au dieu d'Amours hommaige Les cleres voyes diminuerent Les moyennes continuerent Et les grosses bien entonnoient. Brief tant de plaisir me donnoient Que impossible est que mélodie Telle je vous desmesle ou die. Mais quant j'euz escouté ung peu Les oyseaulx, tenir ne me peu Que Déduit je n'allasse veoir, Car moult désiroys de scavoir Sa facon de faire et son estre Si m'en allay tout droit a dextre Par une bien petite sente Bordée de fanoul et mente Et la aupres trouvay Déduit En lieu secret qui bien luy duit. Lors entray ou Déduit estoit Lequel illecques s'esbatoit Avec une si belle bande Que je feuz en merveille grande Comment Dieu en terre assembloit Si belles gens, car il sembloit Que fussent anges empennez De telz n'en sont au monde nez.
Cy parle l'Acteur sans frivolle...[modifier]
Cy parle l'Acteur sans frivolle de Déduit et de sa karolle. Ces gens dancerent aux chansons Qui n'eurent laitz ne meschans sons Car une dame les chantoit Qui lyesse appellée estoit. Chanter scavoit moult doulcement Et a son chant bien proprement Ses motz et resfrains asseoyt A autre si bien ne seoyt, Et s'elle eut voix bien clere et saine Encor moins a dancer fut vaine, Mais scavoit bien s'esvertuer Saulter, virer, et remuer Et tousjours comme coustumiere Dancoit et chantoit la premiere Car chanter, dancer, sont mestiers Ou elle faisoit moult voulentiers. Lors veissiez les dances aller Ung chascun a l'envy baller Et faire gambades et saultz Sus l'herbe drue et soubz les saulx. La eussiez veu pour les balleurs Fleusteurs, harpeurs, et cimballeurs. Les ungz sonnerent millannoyses Les autres notes lorrainnoyses Pour ce qu'on en fait en Lorraine De plus belles qu'en nul dommaine, Apres y eut farces joyeuses Et batelleurs et batelleuses Qui de passe passe jouoyent Et en l'air ung bassin ruoyent Puis le scavoyent bien recueillir Sur ung doy, sans point y faillir. Deux damoiselles bien mignotes Je vy adonc en simples cottes Et tressées en une tresse Lesquelles Déduit sans destresse Faisoit lors devant luy bailler Mais de ce ne fault ja parler Comme elles balloyent coinctement L'une venoit tout bellement Vers l'autre, et quant elles estoient Pres apres si s'entrejectoyent Les bouches, et vous fust advis Qu'elles se baisoyent vis a vis Fort bien sceurent leurs bas briser Si n'en scay plus que deviser Fors que de la jamais ne queisse M'en aller, tant comme je veisse Telles gens ainsi s'advanser De rire, chanter, et danser. La dance qui me plaisoit tant Je regarday jusques a tant Que une dame d'honneur saysie M'entrevit, ce fut Courtoysie La gracieuse et débonnaire Que Dieu gard de chose contraire Courtoysement lors m'appella Bel amy, que faictes vous la Dit elle, icy vous en venez Et a la dame vous prenez Avec entre nous, s'il vous plaist Quant j'ouy ces motz sans faire arrest A m'enhardir je commencay Et avec les danceurs dancay Car saichez que moult m'agréa Dont Courtoysie me pria En me disant que je dansasse Plustost l'eusse fait si j'osasse Mais j'estoys de honte surpris Adoncq a regarder me pris Les corps les facons et maintiens Les cheres et les entretiens De ceulx qui la dancoyent ensemble Si vous diray d'eulx qu'il me semble Déduit fut beau et grant et droit Plaisant en ditz en faitz adroit Plus que jamais on ne vit homme La face avoit comme une pomme Vermeille et blanche tout autour Miste fut et de bel atour Les yeulx eut vers, la bouche gente Le nez bien fait par grant entente Et le poil blanc et crespelé D'espaules estoit large et lé Et gresle parmy la saincture Bref il sembloit une paincture Tant estoit doré et gemmé Et de tous membres bien formé Le corps eut bon, les jambes vistes Plus légier homme oncques ne veistes Et si n'avoit barbe ou menton Fors ung petit poil folleton Comme ses jeunes damoyseaulx D'ung samy pourtraict a oyseaulx Qui estoit tout a or batu Son corps fut richement vestu Et la robbe bien devisée En maintz lieux estoit incisée Et découppée par cointise Puis fut chaussé par mignotise D'ung souliers descouppez a las S'amye aussi par grant soulas Luy avoit fait joly chappeau De roses qui moult estoit beau. Et scavez vous qui fut s'amye Lyesse qu'il ne hayoit mye La mieulx disant des bien disans Qui des son eage de dix ans De son amour luy fit octroy Déduit la tint parmy le doy Et elle luy a ceste dance D'eulx deux c'estoit belle accordance Car il fut beau et elle belle Et bien sembloit rose nouvelle De la couleur et sa chair tendre On luy eust peu trencher et fendre Avecque une petite ronce Le fronc avoit polly sans fronce Les sourcilz bruns le corps faictiz Et les yeulx doulx et actraictiz Car on les voyoit rire avant Que la bouche le plus souvent De son nez ne vous scay que dire Fors que mieulx fait ne fust de cire Bouche doulce et rougeur parmy Avoit pour bayser son amy Et le chef blond et reluysant Que vous en yroys je disant Belle fut et bien atournée Et de fin or par tout ornée Si avoit ung chappellet neuf Si beau que parmy trente neuf En mon vivant veoir ne pensoye Chappeau si bien ouvré de soye D'ung samy vert bien doré Fut son corps vestu et paré De quoy son amy robe avoit Dont bien plus fiere se trouvoit A luy se tint de l'autre part Le dieu d'Amours cil qui départ Amourettes a sa devise C'est cil qui les amans attise Et qui abbat l'orgueil des braves Et fait des grans seigneurs esclaves Qui fait servir royne et princesse Et repentir, nonne et abbesse. Ce dieu d'Amours de sa facon Ne ressembloit point ung garson Ains fut sa beaulté a priser Mais de sa robe deviser Crains grandement qu'enpesché soye Il n'avoit pas robe de soye Mais estoit faicte de fleurettes Tres bien par fines amourettes A losenges et a oyseaux Et a beaulx petis leonceaux A aultres bestes et lyepardz Sa robe estoit de toutes pars Bien faicte et couverte de fleurs Par diversité de couleurs Fleurs la estoient de maintes guises Bien ordonnées par divises Aucune fleur en esté n'est Qui n'y fust ne fleur de genest Ne violette ne parvenche Jaune soit inde, rouge, ou blanche Par lieux estoient entremeslées Fueilles de roses grandz et lées Au chief estoit ung chapellet De roses bel et nettelet Les rossignolz autour chantoient Qui doulcement se délectoient Il estoit tout couvert d'oyseaulx Reluysans tresplaisans et beaulx De mauvis aussi de mésange Si qu'il ressembloit a ung ange Descendant droictement du ciel Amour avoit ung jouvencel Aupres de luy tout a delé Qui Doulx Regard fut appellé. Ce beau bachelier regardoit Les oyseaux et aussi gardoit Au dieu d'Amours deux arcz turquoys Dont l'ung d'iceulx estoit de boys Tout cornu et mal aplané Remply de neudz et mal tourné Et estoit dessoubz et desseuré Comme je vis plus noir que meure. L'autre des arcz fut d'ung planson Longuet et de gente facon Bien faict estoit et bien dolé Et aussi tres bien piolé Les dames y estoient bien painctes Et jeunes damoiselles cointes Ces deux arcz tenoit Doulx Regard Et apres portoit d'aultre part Jusqu'a dix fleches de son maistre Cinq en tenoit en sa main dextre Desquelles cinq a pointes croches Les pannons bien faictz et les coches Furent bien a point a or painctes Trenchantes trop furent les pointes Et agues pour bien percer Mais la n'estoit fer ny acier Qui tres richement d'or ne fust Fors que les pennons et le fust Les pointes estoient appellées Sajettes d'or embarbelées La meilleur et la plus ysnelle De ces fleches et la plus belle Celle qui eut meilleur pennon Eut de Toute Beaulté le nom. L'autre de celles qui moins blesse Eut nom ce m'est advis Simplesse. La tierce si fut appellée Franchise tres bien empanée De valleur et de courtoysie La quarte eut a nom Compaignie Qui menoit trop pesante feste Car point n'estoit d'aller loing preste Mais qui de pres en vouloit traire Bien en povoit assez mal faire. La quinte eut a nom Beau Semblant De toutes aultres moins grevant Non pourtant fait elle grant playe A celluy qui son coup essaye Qui de ceste fleche est blessé Il en doit estre moins pressé Et si peult tost santé attendre Et en aura la douleur mendre. Les autres cinq fleches mal traictes Mal rapotées sont et faictes Et les fustz estoient et le fer Plus noirs que les diables d'Enfer Orgueil avoit nom la premiere Des aultres portant la baniere. La seconde fut Villenye Plaine de grande félonnye La tierce estoit Honte nommée Entre gens souvent renommée Et la quarte fut Couvoytise Qui les gens a mal faire attise La quinte estoit Desespérance Prompte a mal faire sans doubtance De toutes aultres la derniere Ces cinq fleches d'une maniere Estoient et toutes ressemblables Et moult leur estoient convenables Les deux boutz de l'arc tresboyteux Bossu tortu et plain de neux. Telles fleches devoient bien traire Qui des aultres sont au contraire. Je ne vous diray pas leur force Car a présent ne m'en efforce Vous orres la signifiance Sans y obmettre diligence Et vous diray que tout ce monte Devant que je fine mon compte. Je reviendrey a ma parolle Des nobles gens de la carolle, Dire me fault leur contenance Et leur facon et leur semblance Le dieu d'Amours or c'estoit pris A une dame de hault pris Pres se tenoit de son costé Celle dame avoit nom Beaulté Qui point n'estoit noire ne brune Mais aussi clere que la lune Estoit vers les aultres estoilles Qui semblent petites chandelles, Tendre chair eut comme rosée Simple fut comme une espousée Et blanche comme fleur de lys. Le vis eut bel doulx et alis Et estoit gresle et alignée Fardée n'estoit ne pignée, Car elle n'avoit pas mestier De soy farder et nettier. Cheveulx avoit bloncz et si longs Qu'ilz luy battoient jusques aux talons, Beaulx yeulx avoit, nez et la bouche Moult grant douleur au cueur me touche Quant de sa beaulté me remembre Pour la facon de chascun membre. Si belle femme n'est au monde Jeune soit et de grand faconde Saige, plaisante, gaye, et cointe Gresle, gente, frisque et acointe. Pres de Beaulté estoit Richesse Une dame de grand haultesse De grand pris et de grand affaire. Qui a elle et aux siens meffaire Osast et par faictz et par dictz Tenu estoit des plus harditz Qui luy peult ou nuyre ou aydier Ce n'est mye d'huy ne d'hier Que riches gens ont grant puissance De faire secours et grevance. Tous les plus grandz et les mineurs A richesse portoient honneurs. Chascun si l'appelloit sa dame Et craignoit comme riche femme Tous se mettoient en son dangier Et la veult chascun calengier Maintz trahystres et maintz envieulx Souventes fois sont bien joyeulx. De despriser ou de blasmer Tous ceulx qui sont mieulx a aymer Par devant comme mocquerie Louant les gens en flaterie, Et par doulces parolles oygnent, Mais apres de leurs flesches poignent Par derriere jusques a l'oz Et abaissent des bons les loz Et deslouent les alouez, Maint preud'homme ont desalouez Les losengeurs par leurs losenges Et fait tenir de court estranges Ceulx qui deussent estre privez Que mal puissent estre arrivez Telz losengeurs ou plains d'envie Car nul preud'hom n'ayme leur vie. De pourpre fut le vestement De Richesse si noblement Qu'en tout le monde n'est plus beau Mieulx faict ny aussi plus nouveau. Pourtraicté si furent d'or frais Hystoires d'empereurs et roys Et d'avantaige y avoit il Ung ouvrage noble et subtil A noyaulx d'or au col fermant Et a bendes d'azur tenant. Noblement eut le chief paré De riches pierres décoré Qui jettoient moult grande clarté La tout estoit bien assorté. Elle avoit moult riche sainture Sainte par dessus sa vesture De laquelle la boucle estoit D'une pierre qui moult luysoit. Celuy qui dessus soy la porte Gardé est des venins en sorte Qu'il n'est point en aucun dangier. Celle sainture ou franc bauldrier De richesses valoit grand somme, Car si beau on n'avoit veu homme, D'autres pierres estoient les mordens Qui guarissoient du mal des dens, Et portoit la pierre bon heur Qui l'avoit povoit estre asseur De sa santé et de sa veue Quant au cueur jeun il l'avoit veue. Les cloux estoient d'or espuré Par dessus le tissu doré Qui moult estoient grans et pesans En chascun avoit deux besans, Et avoit avecq ce richesse Un ceptre d'or mis sur sa tresse Si riche si plaisant et bel Qu'oncques on ne vit le pareil, De pierres estoit fort garoy Précieuses et aplany. Qui bien en vouldroit diviser On ne les pourroit pas priser, La sont rubis, saphirs, jagonces Esmerauldes plus de cent onces Mais devant est par grand maistrise Une escarboucle bien assise. Celle pierre si clere estoit Que cil qui devant la mettoit Tres bien povoit veoir au besoing Se conduyre une lieue loing. Telle grant clarté en yssoit Que richesse en resplendissoit Par tout son corps de par la face Aussi faisoit toute la place. Richesse tenoit par la main Ung jouvencel de beaulté plain C'est son amy Jolyveté Ung homme qui au temps d'esté Joyeusement se délectoit Il se chaussoit bien et vestoit Et avoit les cheveulx de pris Bien eust cuydé estre repris D'aucun meurtre ou larrecin S'en son estable n'eust roucin Pour cela avoit l'acointance De richesse et la bien vueillance Et tousjours avoit en pourpenses De maintenir les grans despences, Il les povoit bien maintenir Puis qu'il y povoit bien fournir Richesse luy livroit deniers A mesures et a septiers. Apres estoit Largesse assise Qui bien fut duite et bien apprise Du faire honneur et tout despendre Du lignaige fut d'Alexandre Qui point n'avoit plaisir de rien Sinon quant il donnoit du sien, Mais Avarice la chétive N'est pas soigneuse et ententive Comme Largesse de donner, Pour ce fit Dieu tant foysonner Tous ses biens qu'elle ne scavoit Tant donner qu'elle plus avoit. Moult eut Largesse pris et lotz Les saiges avoit et les folz Communement a son bandon Tant avoit fait par son beau don. Si aucun fust qui la haist C'estoit son droit qu'elle le fist De ses amys par beau service, Et pour ce luy estoit propice L'amour des povres et des riches Folz sont les avers et les chiches, Mais les riches n'ont aucun vice, Ains sont plains de tout bénéfice Avaricieux sont en paine Et ne dorment jour de sepmaine Nonobstant ilz ne peuvent querre Ne seigneurie ne grand terre Dont ilz facent leur voulenté Car ilz n'ont pas d'amys planté, Mais qui amys vouldra avoir Chier ne doit avoir son avoir Ains par beaulx dons amys doit querre Car c'est la vertu de son erre, Comme la pierre d'ayment Attraict le fer subtilement Ainsi attraict le cueur des gens Qui a donner est diligens. Largesse eut robe bonne et belle D'une couleur toute nouvelle Et visaige tres bien formé Nul membre n'avoit difformé. Largesse la vaillant et saige Tint ung chevalier du lignaige Au bon roy Artus de Bretaigne C'est celluy qui porta l'enseigne De valeur et le goufanon Celluy qui a moult grant renom Duquel l'on tient encor grand compte Devant roy et devant maint conte. Ce chevalier nouvellement Estoit venu en tournoyement Ou il avoit fait pour s'amye Mainte jouste et chevalerie Et prins par force et abatu Maint chevalier et combatu. Apres ceulx la estoit Franchise Qui n'estoit ne brune ne bise Ains estoit comme neige blanche Courtoysie estoit joyeuse et franche. Le nez avoit long et traitis Yeulx vers rians, sourcilz faitis, Les cheveulx tres blans et treslongs Simple estoit comme sont coulons Cueur ayant doulx et débonnaire. Elle n'osoit dire ne faire Nulle rien que faire ne deust, Et si ung homme congneust Qui souffrist pour son amytié Tantost elle en eust eu pitié Car elle avoit cueur pitoyable, Tresfranc, tresdoulx et amyable. Son habit fut de surquenye Treshonneste sans villennye, Mais elle n'estoit de bourras Si belle n'eust jusqu'a Arras. Si bien estoit cueillie et joincte Qu'il n'y eut une seule poincte Qui a son droit ne fust assise. Bien estoit vestue Franchise Car nulle robe n'est si belle De dame ne de damoyselle, Femme est plus cointe et plus mignote En surquenie que en sa cote. La surquenie qui fut blanche Monstroit qu'elle estoit doulce et franche Ung jouvencel qui la estoit Tout joignant d'elle la vestoit Lequel estoit moult renommé Ne scay comme il estoit nommé Gent estoit pour tenir grand compte Et sembloit estre filz de conte. Apres se tenoit Courtoysie Fort prisée comme jolie Orgueilleuse n'estoit ne folle C'est celle qui a la carolle La sienne mercy m'appella. Oncques ne sceust quant je allay la Et n'estoit nice ne vollaige Mais saige et sans aucun oultraige. Les beaulx respons et les beaulx dictz Furent souvent par elle dictz Et a nul ne portoit rancune. Elle estoit clere comme lune Le visaige avoit reluysant Visaige ne scay si plaisant Elle est en toute court bien digne Soit de roy ou conte condigne A l'huys se tint ung jouvencel Accointable tres gent et bel Faisant honneur a toute gent De ce faire estoit diligent En armes estoit bien instruict Tresbien aprins et tres bien duict De s'ayme fut bien aymé Comme tresbel et bien formé Laquelle de pres le suyvoit Et voulentiers le poursuyvoit D'elle je vous ay dit sans faille Toute la facon et la taille Ja plus ne vous en est compté Car c'est celle qui la bonté Me fist en ouvrant le vergier Combien que je fusse estrangier. Apres fut comme bien séant Jeunesse au visaige riant Qui n'avoit pas encor assez Comme je croy douze ans passez Nicette estoit et ne pensoit A nul mal engin quel qu'il soit Ains estoit moult joyeuse et gaie Car nulle chose ne s'esmaye Fors de jeu comme vous scavez Son amy fut de loy privez En maniere qu'il la baisoit Et tout service luy faisoit Devant tous ceulx de la carolle Et memes qui eust tins parolle Il n'eust ja esté d'eux honteux Vous les aperceussies tous deux Baiser comme deux columbeaux Les personnaiges estoient beaux Celluy estoit d'une mesme eage Comme s'amye et de couraige Tout ainsi carolloyent illecques Tous ces gens et d'aultres avecques Lesquelz estoient de leur meslée Comme gent tresbien enseignée Et de tresbon gouvernement Qui la estoient communement.
Comment le dieu d'Amours suyvant...[modifier]
Comment le dieu d'Amours suyvant Va au jardin en espiant L'Amant tant qu'il y soit a point Si que de ses fleches soit point Quant j'euz regardé la semblance De ceulx lesquelz menoient la dance Ainsi comme j'ay dit devant J'euz désir d'aller plus avant Et vouloir de me exerciter Pour ce beau verger visiter Les pins les cedres qui la furent Et les beaulx arbres qui y creurent Les carolles ja deffailloient Et plusieurs des gens s'en alloient Avec leurs dames umbroyer Soubz les arbres sans forvoyer La démenoient joyeuse vie De tout plaisance assouvie Qui telle vie avoir pourroit Aultre meilleure ne vouldroit. Il n'est nul moindre Paradis Qu'avoir amye a son devis D'illecques me party a tant Et m'en allay seul escoutant Parmy le verger, ca et la, Et le dieu d'Amours appella Lors par devant luy Doulx Regart A nul n'avoit il plus regart Son arc doré sans plus attendre Luy a lors commandé a tendre Parquoy Doulx Regart le tendit Et l'arc bien tendu luy rendit Et puis luy bailla cinq sajettes Fortes grandes d'aler loing prestes Le dieu d'Amours tantost de loing Me print a suyvir l'arc au poing Dieu me gard de mortelle playe Car je crains que vers moy n'essaye Il me greveroit mallement Ne vouc en doubtez nullement Par le vergier allay delivre Et celluy pensa a me suyvre Mais en aulcun lieu n'arresté Tant que j'euz par tous lieux esté. Ce bel vergier par compassure Estoit trestout d'une quarrure Par tout autant long comme large De fruict estoit plain le rivaige Au moins excepté ung ou deux Ou quelque mauvais arbre hideux. Les pommiers estoient au vergier Bien m'en souvient pour abréger Qui portoient les pommes grenades Proffitables pour les malades Noyers la estoient a foison Qui bien portoient en la saison Tel fruit comme les noys muscades Qui ne sont ameres ne fades La estoient amendiers plantez Et dedans le verger antez Et maint figuier, et maint datier Y trouvast, qui en eust mestier La estoit mainte bonne espice Cloux de girofle, et regalice Graine de paradis nouvelle Citail, anys, aussi canelle Et mainte espice délectable Moult fut celluy lieu convenable La estoient les arbres non seiches Qui portoyent les bons coing et pesches Les chataingnes, pommes, et poires, Neffles, prunes, blanches et noyres Serises fresches nouvellettes Cormes, alises, et noysettes Les haultz lauriers et les hault pins Estoient la dedans ces jardins Oliviers aussi et cipres Dont il n'en est gueres si pres Les ormes y estoient branchez Et aussi gros chesnes fourchez Que vous yrois je plus comptant Des arbres divers y eut tant Que ce me seroit grant encombre De les vous déclairer par nombre Mais saichez que les arbres furent Si loing a loing ainsi qu'ilz durent. L'ung fut de l'autre loing assis De cinq toyses voyre de six Mais moult furent fueilluz et haultz Pour garder de l'esté les chaulx Si espes par dessus ilz furent Quel challeurs percer ne le peurent Ne ne pouvoient en bas descendre Ne faire mal a l'herbe tendre. Au verger sont dains et chevreulx Et aussi plusieurs escureulx Qui par sur les arbres sailloyent Connis y estoient qui yssoyent Bien souvent hors de leur tanieres En moult de diverses manieres Par lieux estoient cleres fontaines Sans barbelotes et sans raines Qui estoient des arbres ennombrez Par moy ne vous seront nombrez Et petitz ruysseaulx que Déduit La avoit trouvez par conduit L'eau alloit aval en faisant Son, mélodieux et plaisant Aux bortz des ruysseaux et des rives Par belles facons jolives Poingnoit l'herbe drue et plaisant Grant soulas et plaisir faisant L'amy povoit avec sa mye Se déporter n'en doubtez mie Et par les ruysseletz venoit Autant d'eaue qu'il convenoit Fn tresbeau lieu et délectable Joyeulx plaisant et aggréable La estoient toujours a planté Les fleurs fust yver ou esté Violette y estoit moult belle Et aussi parvanche nouvelle Fleurs y estoient rouges et blanches Sur toutes autres les plus franches De toutes diverses couleurs De hault pris et de grans valleurs Qui tresfort estoient souef flairans Tres refragans et odorans Je ne feray pas longue fable Du lieu plaisant et délectable Car il m'en fault en présent taire Aussi a vous dire et retraire Du verger toute la beaulté Et la grant délectableté Ma langue ne pourroit suffire A le vous réciter et dire Tant allay a dextre et senestre Que je vis tout l'affaire et l'estre De ce bel vergier assouvy Mais le dieu d'Amours m'a suivy Qui de loing m'estoit costoiant Me regardant et espiant Comme le veneur fait la beste Pour me férir de sa sajecte. En ung tresbeau lieu arrivay Dernierement ou je trouvay Une fontaine soubz ung pin Mais depuis le temps de Pépin N'avoit esté tel arbre veu Et si estoit si tresbien creu Qu'en ce verger n'avoit tel arbre Dedans une pierre de marbre Nature avoit par grant maistrise Soubz le pin la fontaine mise Et estoit dans la pierre escripte Au bout d'amont lettre petite Qui demonstroit que la dessus Mourut le tresbeau Narcisus. Narcisus fut ung damoyseau Qu'amours tindrent en leur rouseau Lequel amours tant fit destraindre Tant plorer, tant gémir, et plaindre Qu'il luy convint rendre son ame Car Echo une noble dame L'avoit plus aymé que riens n'ay Et son cueur luy avoit donné Qui luy dist qu'il luy donneroit Son amour ou elle mourroit Mais il fut par sa grant beaulté Plain de desdaing et de fierté Et ne luy voulut octroyer Son amour tant le sceust prier. Quant elle se vit esconduyre Ung tel dueil en eut et tel yre Qu'il luy convint par ce despit Souffrir mort sans aucun respit, Mais or devant qu'elle mourust Pria a Dieu que une fois sust Narcisus au félon couraige Qui au cueur luy donnoit la raige Dont el mourut vilainement Eschauffé si cruellement D'amours qu'il en fust affollé Et aussi par sens désolé Surprins sans en avoir plaisir Et que amours tant le peust saisir Que jamais n'en peust joye attendre Affin de scavoir et entendre Quel dueil souffrent les amoureux Par leurs refuz trop rigoreux. La priere fut recepvable De Dieu et par luy acceptable Car Narcisus par adventure A la fontaine nette et pure S'en vint soubz le pin umbroyer Ung jour qu'il venoit de chasser Lequel souffroit moult grant travail D'avoir passé par mont et val Si qu'il eut soif par grant oppresse Du chault aussi par sa foyblesse Quasi du tout perdant l'alaine Alors qu'il trouva la fontaine Que le pin de rame couvroit, Il pensa adonc qu'il beuroit A la fontaine seurement Et se baissa hastivement.
Comment Narcisus se mira ...[modifier]
Comment Narcisus se mira A la fontaine et souspira Par amour tant qu'il fit partir L'ame du corps sans départir Il vit en l'eaue clere et nette Son vis, son nez, et sa bouchette Dont il fut tresfort esbahy Quant par son umbre fut trahy Car il cuydoit veoir la figure D'ung bel enfant a desmesure. Amour qui se vouloit vengier Du grant orgueil et du dangier Que Narcisus luy avoit fait Pugnit Narcisus par son fait, Car tant musa a la fontaine Qu'il ayma trop son umbre vaine Et en mourut a la parfin, De ceste amour telle est la fin Quant il congneut qu'il ne pourroit Acomplir ce qu'il désiroit Et qu'il estoit si prins par sort Qu'il ne povoit avoir confort En nulle heure ny en nul temps, Iré fut, et si mal contens Que par grant dueil apres mourut, Et par cela vengée fut Celle qu'il avoit esconduite Qui bien luy rendit son mérite. Dames ceste exemple aprenez Qui vers voz amys mesprenez Car si vous le laissez mourir Dieu le vous scaura bien merir. Quant l'escript m'eust fait assavoir Que c'estoit en ce lieu pour voir La fontaine au beau Narcisus : Je me tiray ung bien peu sus Quant du damoyseau me souvint A qui tant malement advint, Et commencay a couarder Et dedans n'osay regarder. Et puis or je pensay que a seur Sans point de peur et de malheur Que a la fontaine aller povoye Dont par folie m'eslongnoye. Je m'aprochay de la fontaine Pour l'eaue veoir tresclere et saine Et la gravelle belle et nette Qui au fons estoit tresparfaicte Et plus luysante que argent fin De la fontaine est cy la fin De tout le monde la plus belle Car l'eau était fresche et nouvelle Nuyt et jour saillant a grans undes Par deux fosses creuses et parfondes Dont au tour croist l'herbe menue Qui par l'eaue vient fresche et drue Et en yver ne peult tarir Ne faillir cesser ou mourir. Au fons de la fontaine aval Estoient deux pierres de cristal Que je regarday a merveilles, Jamais n'avoys veu les pareilles De ces pierres je vous vueil dire Quelque chose sans escondire Quant le soleil qui tout aguette Ses rays en la fontaine jecte Et sa clarté du ciel descent Et recoyt coulleurs plus de cent Du cristal qui par le soleil Devient inde, jaune et vermeil. Ces cristaux sont tresmerveilleux Et telle force ont chascun d'eulx Que arbres fleurs et toute verdure Appert, a qui la met sa cure. Et pour faire la chose entendre Une raison vous veulx aprendre Ainsi comme ung mirouer monstre Les choses qui sont alencontre Et qu'on y voit sans couverture Toute la facon et figure Tout ainsi vous dis je pour veoir Que le cristal sans decepvoir Tout estre du verger accuse A celluy qui dedans l'eau muse Car tousjours quelque part qu'il soit L'une moytié du verger voit Et s'il se tourne maintenant Il peult veoir tout le remanant, Et n'y a si petite chose Tant mussée ne tant enclose Dont demonstrance ne soit faicte Comme elle c'est au verger pourtraicte. C'est le mirouer périlleux Ou Narcisus tresorgueilleux Vit sa face et ses deux yeulx vers Dont il cheut puis mort tout envers Qui en tel mirouer se mire Ne peult avoir besoing de mire : Nul n'est qui de ses yeulx le voye Qui d'aymer ne soit mis en voye Maint et vaillant homme a mis gaige Au mirouer, car le plus saige Le plus preux et plus affecté Y a esté prins, et guetté lllec sur tres mauvais oraige, Car trop tost change le couraige. La ne se vont conseiller nulz Car Cupido filz de Vénus Sema illec d'amour la graine Laquelle encombre la fontaine Et fit ses latz environ tendre Et ses engins y mit pour prendre Damoyselles et damoyseaulx Amour ne veult autres oyseaulx, Pour la graine qui fut semée Ceste fontaine fut nommée La fontaine d'amour par droit Dont plusieurs ont en maint endroit Parlé en rommant et en livre Mais jamais n'orrez mieulx descripre La vérité de la matiere Quant dict vous auray la maniere. Maintenant me plaist demeurer A la fontaine et remirer Les cristaux qui la démonstroient Mille choses qui y estoient. En malle heure m'y suis miré J'en ay depuis moult souspiré Ce mirouer m'a fort déceu, Mais si j'eusse par devant sceu De sa force et de sa puissance La pas n'eusse fait résidence Car fort esbahy me trouvay Quant cheu es las je me approuvay. Au mirouer entre mille choses Choysir rosiers chargez de roses Lesquelz estoient en ung destour D'eau environné tout autour. Alors me vint si grant envye Que ne laissasse pour Pavye Ne pour Paris que je ne allasse La ou je vy la plus grant masse Quant celle rose m'eut surpris Dont maint autre a esté espris. Vers le rosier tost me retrays, Et saichez que quant je fuz pres L'odeur de la plus savourée Rose, m'entra en la pensée Et en fuz si fort odoré Qu'a la sentir trop demouré Jamais je n'eusse pensé estre Blasmé de fréquenter cest estre. Tresvolentiers d'elles cueillisse Au moins une que je tenisse En ma main pour l'odeur sentir, Mais je euz or peur du repentir, Car il eust bien peu de léger Peser au seigneur du verger. Roses la estoient a mousseaulx Rosiers ne vis oncques si beaulx Ne boutons petis et bien clos Et aultres qui estoient plus gros. Lay en eut d'autre moyson Lesquelz tendoient a leur saison Et s'aprestoyent d'espanouir Et a perfection venir. Les roses ouvertes et lées Sont en ung jour toutes halées, Mais les boutons durent tous frais A tout le moins deux jours ou trois. Iceulx boutons tresfort me pleurent Car oncques plus beaulx veuz ne furent. Qui en pourroit ung acrocher Il le devroit tenir moult cher. Si ung chapeau j'en peusse avoir Mieulx l'aymasse que nul avoir. Entre tous ces boutons j'en vy Ung si tresbel qu'envers celluy Nul des autres riens ne prisay Quant sa grant beaulté advisay, Car une couleur l'enlumine Qui est vermeille et aussi fine Comme nature le sceust faire. Des feuilles y eut mainte paire Que nature par ses maistrises Y avoit mises et assises. La queue droicte comme ung jon Fut, et dessus est le bouton Qui ne s'encline ne ne pend Son odeur par tout se répend Et la souefveté qui en yst Toute la place replandist. Quant je l'euz senti au flairer Ailleurs ne voulu repairer Se je y osasse la main tendre Et moy approcher pour le prendre Je le feisse, mais les poingnans Chardons, m'en faisoyent eslongnans Espines trenchans et agues Orties et ronces crochues Ne me laissoyent plus avant traire Car je craingnois a me mal faire.
Comment Amour au beau jardin...[modifier]
Comment Amour au beau jardin Traicta l'Amant de cueur fin Ayma le bouton tellement Ou'il en eust grant empeschement Le dieu d'Amours qui l'arc tendu M'avoit tout le jour attendu A me poursuyr et espier Si s'arresta soubz ung figuier Et quant il eut bien apperceu Que j'avoye si bien esleu Le bouton qui plus me plaisoit Et qui si fort mon cueur aisoit Tantost une fleche il a prise Et la dessus la corde mise. Il l'entesa jusqu'a l'oreille L'arc qui estoit fort a merveille Et tyra a moy par tel guise Que par l'ouyr la fleche a mise Jusques au cueur par grant roydeur Et lors me print une froideur Dont j'ay dessoubz chault pelisson Senti au cueur mainte frisson. Quant j'euz esté ainsi bersé A terre fuz tantost versé Cueur me faillit, sueur me vint Pasmer par force me convint Quant je revins de pasmoyson Et j'euz mon sens et ma raison Je fuz moult vain et ay cuidé Beaucoup de sang avoir vuydé. Mais la sajette qui me point De mon sang hors ne tyra point Ains fut la playe toute seiche Je prins lors a deuz mains la fleche Et la commencay a tyrer Et en la tyrant souspirer Et tant tiray que je amenay A moy le fust tout empenné, Mais la sajette barbelée Qui Beaulté estoit appellée Fut dedans mon cueur si fichée Qu'elle n'en peut estre arrachée Ains demeura en mon corps toute Sans en saillir de mon sang goutte Angoisseux fus et moult troublé Pour le péril qui fut doublé Ne sceu que faire ne que dire Ne pour ma playe trouver mire Car par herbe ne par racine Je ne sceu trouver médecine. Vers le bouton se fléchissoit Mon cueur qui ailleurs ne pensoit Si je l'eusse eu a mon plaisir Santé eusse eu a le saisir. Le veoir sans plus et son odeur Tresfort m'alegeoyt ma douleur. Je me commencay a retraire Vers le bouton a mon contraire Amour avoit ja recouvrée Une autre fleche a or ouvrée Simplesse eut nom,c'est la seconde Que maint homme parmy le monde Et mainte femme faict aymer Quant amour me vit opprimer Il tyra vers moy sans menasse La fleche sans fer par audace Si que par l'oeil au corps m'entra La sajette qui n'en ystra Jamais ce croy par homme né Car au tyrer ay amené Le fust avec moy sans contans Et le fer demeura dedans Or saichez bien en vérité Que si j'avoys devant esté Du bouton bien entalenté Plus grande fut ma voulenté Et quant le mal plus m'angoissoit Tant plus ma voulenté croissoit D'aller tousjours a la rosette Qui trop mieulx valoit que violette Je m'en vouluz bien excuser Mais cela ne peuz refuser Car or tousjours mon cueur tendoit A la chose qu'il demandoit Aller m'y convenoit par force Et d'autre part l'archier s'efforce Et a me grever moult se peine Sans me laisser aller sans peine Il m'a faict pour mieulx m'affoler La tierce fleche au corps voler Qui Courtoysie est appellée La playe me fut grande et lée Parquoy je cheuz adonc pasmé Dessoubz ung olivier ramé Par moult long temps sans remuer. Quant je me peuz evertuer J'ay la fleche prins et osté Tantost le fust de mon costé Mais oncques ne sceu le fair traire Pour chose que je peusse faire. En me séant me suis rassis Moult angoisseux et moult pensis Fort me destraint ycelle playe Et me semont que je me traye Vers le bouton qui m'entalente Et l'archier or me représente La quarte fleche au pennon d'or Qui le cueur me blessa encor Telle fleche avoit nom Franchise Laquelle il tira a sa guise Donc bien me dois espouventer Eschauldé doit chaleur doubter Mais je n'y scauroye pourveoir Car si je veisse la plouvoir Carreaux et pierres par meslée Aussi espes comme greslée Si falloit il que je y allasse Amour qui toute chose passe Me donnoit cueur et hardement De faire son commandement Je fuz adonc sur pié dressé Foyble vain et comme blessé Si m'eschauffay moult de marcher Non point différent pour l'archier Vers le rosier ou mon cueur tent Mais d'espines y avoit tant De ronces et chardons agus Non pourtant je ne fuz confus Qu'au rosier ne voulusse attaindre Et les espines tost enfraindre Qui le rosier environnoient Et de toute part me poignoient Mais si bien me vint que j'estoye Si pres du bouton que sentoye La doulce odeur qui en yssoit Si que mon mal se adoulcissoit De ce me venoit tel guerdon Quant le voyois en mon bandon Que tous mes maulx entreobligeoye Pour le délict ou me voyoye Adonc fuz guéry et bien ayse Car rien n'estoit qui tant me plaise Comme d'estre illec a séjour Partir n'en vouloye nul jour. Quant illec je fuz longue piece Le dieu d'Amours qui tout despiece A mon cueur donc il fit bersault Bailla nouvel et fier assault Et me tira pour mon meschief La quinte fleche de rechief Jusques au cueur soubz la mammelle Dont la grant douleur renouvelle De mes playes en ung tenant Trois foys me pasmay maintenant Au revenir pleure et souspire Car ma douleur devenoit pire Si fort que je n'euz espérance De guarison ne d'alégeance Mieulx valloit estre mort que vis Car en la fin par mon advis Amour me fera ung martir Par aultre lieu n'en peult partir La sixiesme fleche il a prise C'est celle que tresfort je prise Et si la tient a moult pesant C'est Beau Semblant qui ne consent A nul amant qu'il se repente D'aymer quelque peine qu'il sente Elle est ague pour percer Trenchant comme rasoir d'acier Mais Amour avoit bien la pointe D'ung précieux oingnement ointe Affin qu'elle ne me peust nuyre Car Amour ne veult que je empire Mais vouloit que j'eusse alégeance Par la force et par la puissance De l'oignement si bon et plain Que j'en eus trestout le corps sain. Il est pour amans conforter Et pour leurs maulx mieulx supporter Celle fleche fut a moy traicte Qui m'a au cueur grant playe faicte Mais l'oingnement si s'espandit Par mes playes et me rendit Le cueur qui m'estoit tout failly La mort m'eust en brief assailly Si le doulx oignement ne fust Je tiray hors a moy le fust Mais le fer dedans demeura Et par chaleur mon cueur n'aura Six fleches y furent crochées Qui ja n'en seront arrachées Mais l'oignement moult ne valut Toutesfois tresfort me dolut La playe si que ma douleur Me faisayt muer la couleur En ceste fleche par coustume Estoit doulceur et amertume. J'ay bien congneu par sa puissance Son ayde, secours et nuysance. Grant trou me fit par sa pointure, Mais fort me soulagea l'oingture D'une part moingt, d'autre me cuist Et ainsi m'ayde, ainsi me nuyst.
Comment Amours sans plus attendre...[modifier]
Comment Amours sans plus attendre Alla tout courant l'Amant prendre En luy disant qu'il se rendist A luy, et que plus n'attendist. Le dieu d'Amours est descendu Et est incontinent venu Vers moy, puis tantost m'escrya Vassal prins estes rien n'y a De l'efforcer ne du deffendre Ne differe point a te rendre Tant plus voulentiers te rendras Et plustost a mercy viendras. Il est fol qui mene Dangier Vers celluy qu'il doit calengier Et qu'il luy convient supplier. Tu ne pourras mieulx employer Ta paine et pour toy advancer Vers moy ne te peulx efforcer Ta force te seroit contraire Et te nuyroit en ton affaire. Et si te veulx,bien enseigner Que tu ne pourras rien gaigner En la folye de ton orgueil, Mais rend toy prins, car je le vueil En paix et débonnairement, Et je respondis simplement. Sire vouluntiers me rendray Ja vers vous ne me deffendray A Dieu ne plaise que je pense Faire vers vous quelque deffense, Car ce n'est pas raison ne droit Aussi mon cueur ne le vouldroit Vous me povez prendre et tuer Bien scay que ne vous peulx muer, Car ma vie est en vostre main. Vivre ne puis jusques a demain Sinon par vostre voulenté. J'attens par vous joye et santé, Car par aultre ne puis avoir Réconfort pour tout mon avoir Voire confort et guarison. Et si de moy vostre prison Voulez faire comme indigne Je ne me tiens pour engigne. Or saichez que je n'ay point dire Tant ay de vous bien ouy dire Que mettre me vueil par office Cueur et corps a vostre service, Car si je fais vostre vouloir Je ne m'en peulx en rien douloir, Et espere qu'en aucun temps Auray la mercy que j'attens. Adonc me suis agenoillé Pour or vouloir baiser son pié, Mais il m'a la dextre main prise Et dit, je t'ayme bien et prise Puis que m'as ainsi respondu. Oncq tel respons n'ay entendu, D'homme vilain mal enseigné, Et par ce point tu as gaigné Que je vueil par ton advantaige Qu'a présent me faces hommaige. Tu me baiseras en la bouche A qui aulcun vilain ne touche, Je n'y laisse mye atoucher Chascun vilain comme ung boucher, Mais estre doit courtoys et frans Celluy duquel l'hommaige prans, Ce néantmoins celluy a paine Qui a moy bien servir se paine Honneur en aura tel doit estre Joyeulx de servir si bon maistre Et si hault seigneur de renom. D'Amour porte le gomphanon De Courtoysie la baniere, Et si est de telle maniere Si doulx, si franc et si gentil Que celluy qui est bien subtil A le servir et honnorer Dedans luy ne peult demeurer Villennye ne mesprison Ne faulceté ne trahyson.
Comment apres ce beau langaige...[modifier]
Comment apres ce beau langaige L'Amant humblement fit hommaige Par jeunesse qui le déceut Au dieu d'Amours qui le receut. Bon homme feuz je les mains jointes Et sachez que moult me fis cointes Quant sa bouche toucha la moye Ce fut ce dont j'euz au cueur joye. Il me demanda lors ostage. Amours parle a l'Amant Amys dist il j'ay maint hommaige Et d'ungs et d'autres gens receu Dont j'ay esté moult tost déceu. Les félons plains de faulceté M'ont par maintesfois baraté, Par eulx ay souffert mainte noyse, Mais bien scauront comme il m'en poise Si je les peulx a mon droit prendre Je leur vouldray cherement vendre. Et pource que je suis ton maistre Je veulx bien de toy certain estre, Et si te vueil a moy lier Si que ne me puisses nier De faire rien doresnavant. Tien moy donc loyal convenant, Péché seroit si tu trichoyes, Car advis m'est que loyal soyes. L'Amant respond a Amours Sire dis je, or m'entendez Ne scay pourquoy vous demandez Plaiges de moy ne seureté. Vous scavez bien la vérité Comment le cueur tolu m'avez Et prins ainsi que le scavez Si que riens ne fera pour moy Si ce n'est par le vostre octroy Le cueur est vostre nompas mien, Car il convient soit mal ou bien Qu'il face tout vostre plaisir Nul ne vous en peult dessaisir. La garnison y avez mise Qui le guerroye a vostre guise, Et si de cela vous doubtez Faictes y clef et l'emportez Et la clef soit en lieu d'oustaige. Amours a l'Amant Par mon chief ce n'est mye oultraige Respond, Amour je m'y acors Il est assez seigneur du corps Qui a le cueur a sa commande, Oultrageux est qui plus demande.
Comment Amours tresbien et souef...[modifier]
Comment Amours tresbien et souef Ferma d'une petite clef Le cueur de l'Amant par tel guise Qu'il n'entama point la chemise Amour a de sa bourse traicte Une petite clef bien faicte Qui fut de fin or esueré. Soubz elle demoura serré Ton cueur qui sera seurement Contrainct ne sera aultrement. Plus est que mon petit doy mendre Laquelle a mes amys veulx rendre. L'Amant parle La clef m'attacha au costé Qui est de grande potesté Et ferma mon cueur si tressouef Qu'a grant paine senty la clef. Ainsi fis sa voulenté toute, Et quant je l'euz mis hors de doubte Luy dis, je suis entalenté De faire vostre voulenté, Mais mon service recepvez En gré et ne me décepvez. Ce ne dis comme récréant, De vous servir suis agréant, Mais celluy en vain se travaille De faire service qui vaille Quant le service n'entalente A cil a qui on le présente. Amours a l'Amant Amours respond ne t'espovente Puis que consens en mon entente Ton service prendray en gré Et te mettray au hault degré Si mauvaystié ne t'en retraict, Mais si tost ne peult estre faict Grand bien ne vient pas en peu d'heure La convient grand paine et demeure. Attens et souffre la destresse Qui maintenant te nuyt et blesse, Car je scay par quelle raison Tu seras mis a guarison. Je te donneray tel beaulté Si tu te tiens a loyaulté Qui tes playes te guarira Quant je scauray et m'aperra Si de bon cueur me serviras Et comment tu exploicteras Nuyt et jour mes commandemens Que je commande aux vrays amans. L'Amant parle a Amours Sire dis je pour Dieu mercy Avant que vous partez d'icy Enchargez moy voz mandemens Et selon voz enseignemens Du tout je les accompliray Et jamais n'y contrediray Pource je les désire apprendre Affin que ne puisse mesprendre. Amour respond a l'Amant Amours respond, tu dis tresbien Si les entens et les retien, Car le maistre pert peine toute Quant le disciple qui escoute Ne met tel soing a retenir Qui luy en puisse souvenir. L'Amant Le dieu d'Amours lors m'enchangea Tout ainsi que vous orrez ja Mot a mot ses commandemens Et comme disent les rommans Qui veult aymer si y entende Ainsi comme Amour le commande, Car il les fait bon escouter Qui son entente y veult bouter Pource que la fin en est belle Et que c'est matiere nouvelle Qui du songe la fin orra Je vous dis bien qu'il y pourra Des jeuz d'Amours assez apprendre Pourveu que bien y vueille entendre Et bien concepvoir la substance Du songe et la signifiance La vérité qui est couverte Vous en sera lors toute aperte Quant déclarer m'orres le songe Ou point n'est fable ne mensonge.
Comment le dieu d'Amours enseigne...[modifier]
Comment le dieu d'Amours enseigne L'Amant et dit qu'il face et tienne Les reigles qu'il baille a l'Amant Escriptes en ce bel rommant Villennye premierement Ce dist Amour vueil et comment Que tu délaisses sans reprendre Si tu ne veulx vers moy mesprendre Si mauldis et excommunie Tous ceulx qui ayment villennie Villennie le villain faict Aymé n'est par dict ne par faict Villain est félon sans pitié Sans service et sans amytié. Apres garde toy de surtraire Chose des gens qui face attraire Proesse n'est pas de mesdire En lieulx le sénéchal te mire Qui fut par mesdire jadis Mal renommé de tous mauldis Autant que Gauvain eut le pris Comme courtoys et bien apris Autant eut Keulx de villennye Par mesdire et par félonnie. Des mocqueurs l'estandart portoit Tant a mocquer se délectoit. Or soye sage et raisonnable En doulx parler et convenable Aux grans personnes et menues Et quant tu yras par les rues Fais que tu soye coustumier A saluer gens le premier Si aucun devant te salue N'ayes pas lors la langue mue Ains garny toy du salut rendre Sans demourer et sans attendre. Apres gardes que tu ne dies Aulcuns motz laitz et ribauldies Ja pour nommer villaine chose Ne doit ta bouche estre desclose Je ne tiens pas a courtoys l'homme Qui orde chose et laide nomme. Toutes femmes sers et honnore A les ayder peine et labore Et si tu oys nul mesdisant Qui les femmes soit desprisant Blasme le et fais qu'il se taise Fais si tu peulx chose qui plaise Aux dames et aux damoyselles Si qu'ilz ayent bonnes nouvelles De ton parler et racompter Par ce pourras en pris monter. Apres cela d'orgueil te garde Et a ce faire bien regarde Orgueil est folie et péché Et qui d'orgueil est entaché Il ne peult son cueur employer A servir ny a s'employer Orgueilleux faict tout le contraire De ce que vray amant doit faire Mais qui d'amour se veult pener Il se doit cointement mener Car qui est coint n'a pas orgueil Mais il est tresplaisant a l'oeil Quant il n'est pas oultrecuidé De ce doit il estre vuidé De vestement et de chaussure Selon ta rente ta mesure Bien te dy que bel vestement A l'homme siet honnestement Et si dois ton habit bailler A tel qui le saiche tailler Et faire bien séant les pointes Et les manches droictes et cointes Soulliers, a las aussi houseaux Ayez souvent frais et nouveaux Lesquelz soient beaulx et faitis Ne trop larges ne trop petis De gans et de bourse de soye Et de sainture te cointoye Et si tu n'as si grand richesse Que faire ne puisses largesse Tout au plus mieulx te doys conduire Que tu pourrois sans toy destruyre Chapeau de fleurs qui moult peu couste Ou des roses de Penthecouste Peulx tu bien sur ton chief avoir La ne convient pas grant avoir. Ne seuffre sur toy nulle ordure Lave tes mains et tes dens pure Et si en tes ongles a du noir Ne le laisse pas remanoir, Tiens toy bien net, tes cheveulx pigne Mais ne te farde ne ne guigne Telles choses ne font sinon Gens folz et de mauvais renom Qui Amour par malle adventure Ont trouvé encontre nature Il te doit apres souvenir De Joyeuseté maintenir A Joye et a Déduit t'atourne Amour n'a cure d'homme morne La mélodie est moult courtoyse Ou est Joyeuseté sans noyse Amans sentent les maulx d'aymer Une foys doulx et l'autre amer Mal d'aymer est moult oultraigeux Et l'Amant est tost en ses jeux Tost se complaint tost se démente A ung coup pleure a l'autre chante Si tu scez nul beau desduit faire Par lequel aux gens puisses plaire Je t'ordonne que tu le faces Chascun doit faire en toutes places Ce qu'il scet que mieulx luy advient Car bon loz pris et grace en vient Si tu te sens juste et légier Ne fais pas de saillir dangier Et si tu es bien a cheval Tu dois poindre amont et aval Et si tu scais lances briser Tu en peulx moult faire priser Si aux armes es assuré De tant plus seras honnoré Si tu as clere et saine voix Tu ne dois pas quérir forvois De chanter si l'on t'en semont Car beau chanter moult plaist adont Aussi d'instrumens de musicque Te fault avoir quelque pratique Et pareillement de dancer Ce te pourra moult avancer. Ne te fais tenir pour aver Car ce te pourroit moult grever Car c'est bien raison que l'Amant Donne du sien plus largement Que les villains plains d'avarice Ausquelz Amour n'est point propice A qui il ne plaist de donner D'estre Amant ne se doit pener. Mais qui en veult avoir la grace D'avarice tost se defface Car cil qui par regard plaisant Ou par doulce chere faisant Ou par aulcun beau ris serin Donne son cueur tout enterin Bien doit apres si riche don Donner nour avoir a bandon. Maintenant te vueil recorder Qu'a mes dis tu dois accorder Car la parolle estant moult griefve A retenir quant elle est briefve Qui d'amours veult faire son estre Bien saige sans orgueil doit estre De cointise soit bien garni Gaillard de largesse fourni Apres t'en joings par pénitence Que jour et nuyt sans repentance A bien aymer soit ton penser Toujours pense la sans cesser Et recorde de la doulce heure Dont la joye tant te demeure Et affin que vray Amant soyes Je te commande que tu ayes En ung seul lieu ton cueur assis Ferme constant et bien rassis Sans barat et sans tricherie Fraude ne nulle tromperie. Qui en maintz lieux son cueur départ Par tout en a petite part Mais de celluy pas ne me doubte Qui tient en ung lieu s'amour toute Pource vueil qu'en ung lieu la mettes Et qu'en autre part ne la prestes Car si tu l'avoyes prestée Elle seroit tost dégastée Mais donne la en don tout quicte Tu en auras plus gran mérite Car bonté de chose prestée Est tost rendue et acquitée Mais de chose donnée en don Doit estre moult grant le guerdon. Or donnes la donc quictement Et le fais débonnairement Car on a la chose plus chiere Qui est donnée a belle chiere Peu doit estre ou rien guerdonnée La chose par regret donnée Quant tu auras ton cueur donné Ainsi que je t'ay sermonné Lors te viendront les adventures Qui aux amans sont tres fort dures, Souvent quant il te souviendra, De tes amours te conviendra Partir des jeux faisant devoir Que nul ne puisse apercevoir Le mal que tu souffres et l'angoisse A une seullement t'adresse. En maintes manieres seras Travaillé, grant mal sentiras, Une heure chault a l'autre froit Passer te fault par ce destroit, Vermeil une heure l'autre palle Tu n'euz oncques fievre si malle Ne quotidianes ne quartes. Tu auras bien ains que tu partes Les douleurs d'Amours essayées : Tes forces y seront ployées Tant qu'en pensant te troubleras Et une grant piece seras Ainsi comme est l'ymaige mue Qui ne se crosle ne ne mue Sans piedz sans mains sans doys crosler Sans yeulx mouvoir et sans baller. Au chief de piece reviendras En ta mémoire et tressauldras, Frayeur auras au revenir De paour ne te pourras tenir. Souspirs auras du cueur parfont, Car saiches bien que ainsi le font Ceux qui tel mal ont essayé Dont tu seras lors esmayé. Apres droit est qu'il te souvienne De t'amye s'elle est loingtaine. Lors malheureux te jugeras Quant d'elle pres tu ne seras, Et conviendra que ton cueur soit En ce que ton oeil n'apercoyt, Disant mes yeulx veulx envoyer Apres pour le cueur convoyer, Doivent ilz icy arrester ? Nenny, mais voisent visiter Ce dont le cueur a tel talent. Je me peuz bien tenir pour lent Quant de mon cueur si loingtain suis Pour fol bien tenir je me puis. Or iray plus ne laisseray Ja a mon aise ne seray Devant qu'aucune enseigne n'aye. Adonc te mettras en la voye Et iras soubz ung tel couvent Qu'à ton vouloir fauldras souvent Et gasteras en vain tes pas, Car ce que quiers ne verras pas. Or conviendra que tu retournes Sans rien faire pensif et mornes, Et si seras en grant meschief Et te viendront tout de rechief Gros souspirs plaintes et frissons Plus poingnantes que hérissons Qui ne le scait si le demande A cil qui d'Amour tient la bande. Ton cueur ne pourras apaiser, Mais vouldras encore viser Si tu verras par adventure Celle dont tu as si grant cure. Et si tu te peulx tant pener Que puisses veoir et assener Tu vouldras tres ententif estre A tes yeulx saouler et repaistre. Grant joye en ton cueur meneras De la beaulté que tu voirras, Et saiches que du regarder Ton cueur feras frire et larder. Et tout adonc en regardant Alumeras le feu ardant. Celluy qui ayme plus regarde, Plus enflame son cueur et l'arde, S'il art alume et fait flamer Le feu qui faict les gens aymer. Chascun amant suit par coustume Le feu qui l'art et qui l'alume Ouant le feu de plus pres il sent Et il s'en va plus oppressant. Le feu art celluy qui regarde S'amye s'il n'y prent bien garde, Car de tant plus qu'il s'en tient A aymer plus fort se maintient. Cela scet le saige musart Que qui est pres du feu plus art. Tant que t'amye ainsi verras Jamais partir ne t'en pourras, Et quant partir te conviendra Par tout le jour te souviendra De celle que tu auras veue Dont tu te tiendras pour grue. Aultre chose vient mallement C'est que couraige et hardement N'auras eu pour l'arraisonner Ains as esté sans mot sonner D'elle pres confus et empris Dont tu cuidras avoir mespris Que tu n'as la belle appellée Devant qu'elle s'en fust allée. Tourner te doit à grant contraire, Car si tu n'en eusses peu traire Fors seullement ung beau salut Plus de cent marcz d'or te valut. Alors prendras a dévaller Quérant occasion d'aller De rechief dehors en la rue Ou tu avoys celle la veue Que tu n'osas mettre a raison Tu iroys bien en sa maison Voulentiers si raison avoyes, Il est droit que toutes tes voyes Et tes alées et ton tour S'en reviennent par la entour. Devers les gens tresbien te celle Quiers autre occasion que celle Qui en ce lieu te fait aller Car c'est grant sens de se celler. Et s'il est chose que tu voyes T'amye apoint et que la doyes Arraisonner et saluer Lors te fauldra couleur muer Car tout le sens te frémira, Parolle et sens tout te fauldra Quant tu cuyderas commencer, Et si tant te veulx avancer Que ta raison commencer oses Lors que devras dire trois choses Tu n'en diras mie les deux Tant seras adonc vergondeux, Aucuns ne sont si appensez Qu'en tel point n'oublient assez. Quant ta raison sera finie Sans ung seul mot de villennie Moult desplaisant au cueur seras Si riens oublié tu auras Qui te estoit advenant a dire. Adonc seras en grant martire, C'est la bataille c'est la dure C'est le contens qui toujours dure, Ja fin ne prendra ceste guerre Jusques qu'en vueilles la paix querre. Quant les nuytz venues seront Mille desplaisirs te verront, Tu te coucheras en ton lict Ou tu prendras peu de délict, Car quant tu cuideras dormir Tu commenceras a frémir A tressaillir a démener D'ung costé sur l'autre tourner, Une heure envers et l'autre a dens Comme cil qui a mal aux dens. Lors te viendra a remembrance Et sa facon et sa semblance A qui nulle ne s'apareille. Je te diray moult grant merveille. Telle fois te sera advis Que tu tiendras celle au cler vis Entre tes bras et toute nue Comme s'elle fust devenue Du tout t'amye et ta compaigne, Lors feras chasteaulx en Espaigne, Et si auras joye de néant Pour le temps qui sera béant En la pensée délectable La ou n'est que mensonge et fable Mais peu y pourras demeurer. Lors commenceras a pleurer Et diras, mais ay je songé Suis je remué ou bougé D'ou peult venir ceste pensée. Pleust or que dix fois la journée Chose semblable revenist Tant el me plaist et replenist De joye et de bonne adventure Mais ceste facon peu me dure. Las verray je point que je soye En tel point comme je songeoye La mort ne me greveroit mye Se je mouroys es bras m'amye. Moult me griefve amour et tourmente Souvent me plains et me démente, Mais si Amour tant fait que j'aye De m'amye l'entiere joye Bien seroit mon mal racheté La chose vueil de grant chierté. Je ne me tiens mye pour saige Quant je demande tel oultraige, Car celluy qui quiert musardie Bien dessert que l'on l'escondie. Ne scay comment je l'ose dire Plus fort que moy et plus grant sire Que ne suis auroit grant honneur En ung loyer assez mineur, Mais si sans plus d'ung doulx baiser La belle me vouloit ayser Moult auroye riche desserte De la paine que j'ay soufferte, Mais forte chose est a venir. Je me peulx bien pour fol tenir D'avoir en tel lieu mon cueur mis Dont a nul point ne suis submis. Ce dis comme fol ennuyeulx Car ung regard d'elle vault mieulx Que d'autres plus de cent entiers, Je la veisse moult voulentiers Si c'estoit le vouloir de Dieu Présentement en cestuy lieu. Dieu quant sera il adjourné Trop ay en ce lieu séjourné, Je n'ayme mye tel désir Quant je n'ay ce dont j'ay désir, Désir est ennuyeuse chose Quant la personne ne repose. Moult m'ennuye certes et griefve Quant l'aube maintenant ne creve Et que la nuyt tost ne trespasse : Car s'il fust jour je m'en allasse. Ha soleil pour Dieu haste toy Ne fais séjour apreste toy, Fais départir la nuyt obscure Et son ennuy qui trop me dure. La nuyt ainsi tu contiendras Et de repos point ne prendras Tant seras de désir garny. Et quant tu ne pourras l'ennuy Souffrir en ton lict de veiller Lors te fauldra appareiller Vestir chausser et atourner Ains que tu voyes adjourner, Tu t'en iras en recellée Par pluye soit ou par gelée, Tout droit vers l'hostel de t'amye Qui sera tres bien endormie Et a toy ne pensera guiere. Une heure iras à l'huis derriere Scavoir s'il sera point ouvert Et guetteras a descouvert Tout seul a la pluye et au vent Et puis iras a l'huis devant Scavoir s'il y a ouverture Et si tu y trouves faulture Escouter doibs parmy la fente Se nul de lever se démente Et si la belle sans plus veille Or te dis bien et te conseille Que si elle te veoit langorer En congnoissant que reposer Ne peulx au lit pour s'amytié Mieulx t'en aymera la moytié. Quant en ce point ouy t'aura En amour se consentira Et aura vers toy amytié Bien doibt dame aucune pitié Avoir de celluy qui endure Tel mal pour luy si trop n'est dure Je te diray que tu dois faire Pour l'amour de la débonnaire De qui tu ne peulx aise avoir Au départir fait ton devoir De baiser l'huis guischet ou porte A cela faire je t'enhorte Et affin que l'on ne te voye Devant la maison ou en voye Fais que tu soyes retourné Ains qu'il soit gueres ajourné Iceulx pas et iceulz allers Iceulx pensers iceulx parlers Font aux amans soubz leurs drapeaulx Rudement amaigrir leurs peaulx Tu le pourras par toy scavoir Si de bien aymer fais devoir Et saiche bien qu'Amours ne laisse Sur fin amant couleur ne gresse De ce ne sont aparoissans Ceulx qui dames vont trahissans Et disent pour eulx losenger Qu'ilz ont perdu boire et manger Et je les voy comme jengleurs Plus gras que abbez ne que prieurs Encore te commande et charge Que te faces tenir pour large A la servante de l'hostel Quelque beau don donne luy tel Qu'elle die que tu es vaillant T'amye et tous ses biens vueillans Dois honnorer et chier tenir Grant bien t'en peult par eux venir Car cil qui est d'elle privé Luy comptera qu'il t'a trouvé Preux et courtois et libéral Mieulx t'en prisera bon vassal Du pays guere ne t'eslongne Et si tu as si grant besongne Qu'il te faille trop eslongier Garde toy de ton cueur changier En aultre qu'en la créature Ou est ta pensée et ta cure En pensant de tost retourner Tu ne doys gueres séjourner Fais or semblant que veoir te tarde Celle qui a ton cueur en garde Je t'ay dit comme et en quel guise L'Amant doibt faire sa devise Fais donc ainsi sur toute chose Si fruict veulx avoir de la rose. L'Amant parle a Amours Quant Amours m'eut ce commandé Je luy ay adonc demandé Par quel moyen guise et comment Peult endurer le vray Amant Tout le mal que m'avez compté Vous m'avez fort espouventé De ce que vit l'homme et endure En telle peine et telle ardure En dueil en souspirs et en lermes Et en tous poins et en tous termes Et en soucy et en grant dueil Certainement je m'esmerveil Comment l'homme s'il n'est de fer Peult vivre ung moys en tel enfer. Sus ce propos et ma demande Amour respond et sans amende. Amours parle a l'Amant Beaulz amys par l'ame mon pere Nul n'a bien s'il ne le compere On ayme trop mieulx l'achaté Quant on l'a bien chier achaté Et en plus grans gré sont receuz Les biens qu'on a a griefz receuz Que ceulz que l'on a eu pour néant Car trop on les va violant. Homme n'est qui le mal congnoisse Que souffre l'Amant et l'angoisse Nul ne pourroit le mal d'aymer Et deust il espuiser la mer Compter en rommant ou en livre Et toutesfois il convient vivre Les amans, il en est mestier Chascun fuit de mort le sentier Celluy qu'on met en chartre obscure En la vermine et en l'ordure Qui n'a pain d'orge ne d'avaine Ne se meurt mye pour la peine Espérance confort luy livre Qu'il se cuide trouver délivre Encor par quelque chevissance Tout ainsi et en tel balance Celluy qu'amours tient en prison Cuide trop avoir garison, Celle Espérance le conforte Et cueur et talent luy aporte De son corps a martyre offrir Espérance luy faict souffrir Les maux dont on ne scet le compte Pour la joye qui trop hault monte Espérance vainct par souffrir Et faict l'Amant a vivre offrir O bénoiste soit Espérance Qui ainsi les amans avance Moult est celle dame Courtoise Qui ja ne lairra une toise Nul vaillant homme jusques au chief Ne pour péril ne pour meschef Et au larron qu'on mene pendre Luy faict telle mercy attendre Espérance te gardera Et ja de toy ne partira Qu'elle ne garde ta personne Au besoing, et oultre te donne Trois aultres biens qui grant soulas Font a ceulx qui sont en mes las Premierement qui bien soulasse Celluy que mal d'aymer enlasse A qui Espérance s'accorde C'est Doulx Penser que l'on recorde Car quant l'Amant plaint et souspire Et est en dueil et en martire Doulx Penser vient a chief de piece Qui l'ire et le courroux despiece Et a l'Amant en souvenir Faict de la joye souvenir Et Espérance luy promet Et apres au devant luy met Les yeulx rians, le nez traictis, Qui ne sont trop grans ne petis Et la bouchette coulourée L'alaine souefve et odorée Ce luy plaist quant il se remembre De la beaulté de chascun membre. Amour va ses soulas doutant Quant d'ung ris ou d'ung beau semblant Luy souvient ou de belle chiere Que luy a faict s'amye chiere Doulx Penser ainsi assouage Les douleurs d'Amours et la raige C'est cil que je vueil que tu ayes Et si l'autre tu refusoyes Qui n'est mye nom de doulceur Tu ne seras ja bien asseur. Le second bien est Doulx Parler Qui octroit a maint bachelier Et a maintes dames secours Car chascun qui de ses amours Oyt parler moult s'en esbaudit Si me semble que pour ce dit La dame respond a ung mot Et dit par ung parler mignot Moult suis dit elle en bonne escolle Quant de mon amy oy parolle Se m'aist Dieu celluy m'a garie Qu'il m'en parle quoy qui m'en die Celle le Doulx Penser scavoit Et du penser ce qui estoit Congnoissoit toutes le manieres Je te dis et vueil que tu quieres Ung compaignon saige et celant Auquel tu diras ton talent Et descouvreras ton couraige Il te fera grant avantaige Quant tes maulx t'engoisseront fort A luy iras par grant confort Et parlerez vous deux ensemble De la belle qui ton cueur emble De sa beaulté de sa semblance Et de sa simple contenance Comment tu pourras chose faire Qui a t'amye puisse plaire Si ceulx qui seront tes amys Ont a bien aymer leur cueur mys Mieulx en vauldra la compaignie Raison sera or qu'il te die Si s'amye est pucelle ou non Ses amys, ses parens, son nom Par ce n'auras paour qu'il se amuse A ta dame ne qu'il t'acuse. Mais vous entreporterez foy Et toy a luy et luy a toy. Saiche que c'est moult belle chose Quant on a homme a qui on ose Tout son conseil dire et son gré Ce desduyt prendras a bon gré Et t'en tiendras a bien payé Quant tu l'auras lors essayé. Le tiers bien vient de regarder C'est Doulx Regart qui scet tarder A ceulx qui ont amours loingtaines Pour ce te dis que tu tiennes Pres de luy metz toy en sa garde. Son soulas aucunesfois tarde. Mais il est aux fins amoureux Desduysant et fort savoureux. Moult ont au matin bonne encontre Les yeulx ausquelz dame dieu monstre Le sainctuaire précieux Dequoy ilz sont si curieux Car le jour qu'ilz le peuvent veoir Il ne leur doit mye mescheoir, Tel ne doubte pluye ne vent Ne nul aultre chose vivant Et quant les yeulx ont leurs déduitz Ilz sont si apris et si duys Que eulx seulx or veullent avoir joye Parquoy fault que le cueur s'esjoye Car les maulx font assolagier Ilz sont comme vray messaigier Les quelz bien tost au cueur envoyent Nouvelles de tout ce qu'il voyent Et pour la joye qui les lie Le cueur ses douleurs entroublie Et sa destresse malle et fiere, Car tout ainsi que la lumiere Les tenebres devant soy chasse Tout ainsi Doulx Regard efface Les tenebres ou le cueur gist Qui nuyt et jour d'amour languist, Car le cueur de rien ne se deult Quant l'oeil regarde ce qu'il veult. Or t'ay je cy tout déclairé Ce dont je te vis esgaré, Car je t'ay compté sans mentir Les biens qui peuvent guarentir Les amans et garder de mort. Tu scez qu'il te fera confort, Au moins auras tu Espérance Doulx Penser aussi sans doubtance Puis Doulx Parler et Doulx Regard, Je veuil que chascun d'eulx te gard Jusques que mieulx puisses attendre Aultre bien qui ne sera mendre Lequel tu auras en avant, Mais d'avantaige en as autant.
Comment l'Amant dit cy qu'Amours...[modifier]
Comment l'Amant dit cy qu'Amours Le laissa en ses grans clamours Incontinent qu'Amours m'eut dit Son plaisir ne fut contredit. Mais quant il fut esvanouy Adonc fuz je bien esbay Car devers moy je ne vis nulz Dont de mes playes me doluz Scavant que guarir ne pourroye Fors par le bouton ou j'avoye Tout mon cueur mis et ma science Et n'avoie en nully fiance Fors au dieu d'Amours de l'avoir, Car je scavoye bien de voir Que de l'avoir rien ne m'estoit S'Amour ne s'en entremettoit Les rosiers d'une claye furent Cloz a l'environ comme ilz deurent Mais je passasse la cloyson Moult voulentiers pour l'achoyson Du bouton flairant comme basme Si je n'eusse crains yre ou blasme, Mais a aulcuns eust peu sembler Que les roses voulusse embler Ce que jamais ne penseray Ne jamais nul jour ne feray.
Comment Bel Acueil humblement...[modifier]
Comment Bel Acueil humblement Offrit a l'Amant doulcement Le passaige pour veoir les roses Qu'il désiroit sur toutes choses Ainsi que je me pourpensoye Se oultre la voye passeroye Je viz vers moy tout droit venant Ung varlet bel et advenant En qui n'estoit rien a blasmer. Bel Acueil se faisoit nommer Filz de Courtoysie la saige Qui m'abandonna le passaige De la haye moult doulcement Et me dit amyablement. Bel Acueil parle à l'Amant Bel amy chier si bien vous plaist Passer la haye sans arrest Pour l'odeur des roses sentir. Je vous y peulx bien garantir Mal n'y aurez ne villennie, Mais que vous gardez de folie. Si en riens vous y peulx ayder Je ne me quiers faire prier, Car de faire vostre plaisir En tout honneur j'ay le désir. L'Amant respond Sire dis je a Bel Acueil Ceste promesse en gré recueil Et vous rendz graces et mérites De la bonté que vous me dictes, Car moult vous vient de grant franchise, Puis qu'il vous plaist en ceste guise Prest suis de passer voulentiers Par les ronces et esglentiers. Vers le bouton m'en voys errant Les roses tousjours odorant, Et Bel Acueil me convoya De son bien qui moult m'agréa. Si pres allay sans point me faindre Que je l'eusse bien peu attaindre. Bel Acueil moult bien m'a servy Quant le bouton si pres je vy, Mais ung vilain qui rien n'avoit D'illecques pres mussé estoit. Dangier eut nom et fut portier Et garde de chascun rosier. En ung destour fut le pervers D'herbes et de fueilles couvers Pour ceulx espier et deffendre Qui vont aux roses les mains tendre. Il fut de trois acompaigné Le lourt vilain mal engrongné, De deux femmes et ung mauvais homme, L'homme Male Bouche se nomme Le faulx trahystre gengleur qu'il fut Avec luy Honte, et Peur eut Le plus vaillant d'eulx ce fut Honte. Et saiches que qui a droict compte Il trouvera par son lignaige Que Raison fut sa mere saige Son pere avoit a nom mal faict Qui fut si hideux contrefaict Qu'onques avec Raison ne geut, Mais or de voir Honte conceut Qui puis enfanta Chasteté Qui a guerre yver et esté. Quant Dieu eut fait de Honte naistre Chasteté qui dame doit estre De tous les rosiers et boutons Assaillie fut des gloutons Si qu'elle avoit besoing en vie Car Vénus l'avoit assaillie Qui nuyt et jour souvent luy emble Boutons et roses tous ensemble. Lors requist Raison comme fille Chasteté que Vénus exille. Desconseillée moult estoit Et de prier Raison se hastoit. Et luy presta a sa requeste Honte qui est simple et honneste Et qui tousjours veult sainctement Faire tout son commandement. Or sont pour roses garder quatre Qui se laisseroient devant batre Que rose ou bouton on emporte Arrivé fusse a bonne porte Si par eulx ne fusse guetté, Car le franc et bien apointé Bel Acueil se penoit de faire Ce qu'il scavoit qui me deust plaire. Souvent me semont d'approcher Vers le bouton et atoucher Au rosier qui estoit chargié. De ce me donna il congié Pource qu'il cuydoit que j'en vueille Cueillir or une verte fueille Pres du bouton qu'il m'a donné Pour ce que pres de la fut né. De la fueille me fis moult coint Et quant je me senty acoint De Bel Acueil et si privé Je cuiday bien estre arrivé. Lors prins je cueur et hardement De dire a Bel Acueil comment Amours m'avoit prins et navré Sire dis je, jamais n'auré Ayde sinon par une chose Qui est dedans mon cueur enclose, C'est bien pesante maladie Ne scay comment je la vous die, Car je vous crains a courroucier, Mieulx vouldroye a cousteau d'acier Piece a piece estre despiécé Que vous en fussiez courroucé. Bel Acueil a l'Amant Dictes moy donc vostre vouloir Et point ne me verrez douloir De chose que me puissez dire. L'Amant Lors je luy dis saichez beau sire Qu'Amours durement me tourmente Ne cuidez pas que je vous mente. Il m'a au cueur cinq playes faictes Dont les douleurs n'en seront traictes Si le bouton ne m'est baillé Qui est des aultres mieulx taillé. Il est ma mort et est ma vie D'aultre chose plus n'ay envie, Lors Bel Acueil c'est effrayez Et dist Bel Acueil a l'Amant a frere vous bayez A ce qui ne peult advenir. Comment me voulez vous honnir Vous me auriez par trop assotté Si le bouton m'aviez osté Du rosier, car ce n'est droicture Qu'on l'oste de sa nourriture. Vilain estes du demander Laissez le croistre et amender, Point ne veulx qu'il soit deserté Du rosier qui l'a apporté Pour aucun pris tant le tiens cher. L'Acteur Adonc saillit villain Dangier De la ou il estoit mussé, Grand estoit noir et héricé, Yeulx ayans rouges comme feux Le vis froncé, le nez hideux, Qui s'escrya tout forcené. Dangier a Bel Acueil Bel Acueil a quoy amené As tu cy autour ce vassault, Tu fais grand mal si Dieu me fault Il t'en prendra trop mallement Mal ayt il sans vous seullement Qui en ce dangier l'amena Et dedans si droit l'assena.
Comment Dangier villainement...[modifier]
Comment Dangier villainement Bouta hors despiteusement L'Amant d'avecques Bel Acueil Dont il eut en son cueur grant dueil Fuyez vassal fuyez d'icy A peu que je ne vous occy Bel Acueil mal vous congnoissoit Qui a vous servir s'engoissoit, Vous le vouliez cy allier Mauvais se fait en vous fier, Car en présent est esprouvée La trahyson qu'avez trouvée. L'Amant a part soy Je n'osay la plus remanoir Pour le villain hideux et noir Qui me menassoit assaillir La haye m'a faicte saillir A tresgrant peur et tresgrant haste Le villain a parler se haste Et dit que si plus fais retour Qu'il me fera prendre ung mal tour Lors s'en est Bel Acueil fouy Et je demeuray esbay Honteux et mat dont me repens Qu'oncques je luy dis mon pourpens De ma follye ay je recors Et voy que livré est mon corps A dueil a peine et a martyre Mais de ce ay je plus grand yre Que je n'osay passer la haye, Mal n'est aulcun qu'Amour n'essaye Ne cuidez pas que nul congnoisse S'il n'a aymé que c'est qu'engoisse Amours vers moy tres bien s'aquitte De la peine qu'il m'avoit dicte Car cueur ne pourroit pas penser Ne bouche d'homme recenser De ma douleur la quarte part A peu que le cueur ne me part Quant de la rose me souvient Dont tant esloingner me convient
Comment Raison de Dieu aymée...[modifier]
Comment Raison de Dieu aymée Est or de sa tour dévalée Qui l'Amant chastie et reprent De ce que folle amour emprent En ce point grant piece arresté Tant que me vis comme maté La dame de la haulte garde Qui de sa tour aval regarde C'est Raison ainsi appellée Or est de sa tour dévallée Et tout droit vers moy est venue. Et n'estoit vieille ne chenue Ne trop maisgre, maisgre ne grasse Semblablement haulte ne basse Les yeulx qui en son chief estoyent Comme deux estoilles luysoient Au chief avoit une couronne Bien ressemblant haulte personne A son semblant et a son vis Comme formée en Paradis : Car nature ne scavoit pas Oeuvre faire de tel compas Saichez si la lettre ne ment Que Dieu la fit nomméement A sa semblance et son ymaige Et luy donna tel avantaige Qu'elle a povoir et seigneurie De garder l'homme de follye Mais qu'il soit tel que bien la croye Ainsi comme me démentoye Raison a moy parler commence Raison a l'Amant Beau amys Folye et Enfance T'ont mis en peine et en esmoy, Mal visas au beau temps de moy Qui trop fit ton cueur esgayer. Tu allas trop mal umbroyer Au vergier dont Oyseuse porte La clef dont elle ouvrit la porte Fol est qui s'acointe d'Oyseuse Son acointance est trop périlleuse Bien t'a trahy, bien t'a déceu, Car Amours jamais ne t'eust veu Si Oyseuse ne t'eust conduit Au doulx vergier ou est Déduit Oui d'affoler gens a l'usaige Mais foleur n'est pas vasselaige. Si tu as follement ouvré Fais or tant qu'il soit recouvré Car la folie moult empire Celluy qui tost ne s'en retire Garde donc bien que tu ne croyes Le conseil par qui tu souloyes Bien folloye qui se chastie Et quant jeune homme faict folie On ne s'en doit esmerveiller Je te viens dire et conseiller Que l'Amour mettes en oubly Dont je te voy si affoibly Si affligé et tourmenté. Je ne vois mye ta santé Ne ta garison mesmement Car moult désire mallement Dangier le faulx te guerroyer. Tu n'es pas or a l'essayer. Encor Dangier riens ne me monte Envers ma belle fille Honte Qui les roses deffend et garde Comme celle qui n'est musarde Et a pour compaignie peur Dont tu dois avoir grand frayeur Et avec eulx est Malle bouche Qui ne seuffre que nul y touche Avant que la chose soit faicte La a il en cent lieux retraicte Moult as affaire a malle gent Regarde lequel est plus gent Ou de laisser ou de poursuyvre Ce qui te fait en douleur vivre C'est le mal qui Amours a nom Ou n'est que tout mal sans renom Follie si doit chascun croire Car qui ayme ne peult bien faire Ne beau vaisselage comprendre S'il est clerc il perd son apprendre Et puis s'il faict aultre mestier Gueres n'en pourra exploicter Ainsi a celluy plus de peine Qu'aulcun hermite ne blanc moine La peine en est desmesurée Et la joye a courte durée. Qui joye en a bien peu luy dure Et de l'avoir est adventure Car je voy que maintz se travaillent Qui en la fin du tout y faillent Oncques mon conseil n'entendis Quant au dieu d'Amours te rendis Le cueur que tu as trop vollaige Te fit comprende tel oultraige Une folie est tost emprise Mais d'en yssir est la mesprise, Mais est amour a nonchalloir Qui te peult nuyre et non valoir Car folie est trop acourant Quant on ne luy court au devant Prens hardiment aux dens le frain Et d'honte ton cueur a refrain Tu dois mettre forte deffence Encontre ce que ton cueur pense Qui tousjours son couraige croit Ne peult estre que fol ne soit.
Cy respond l'Amant par rebours...[modifier]
Cy respond l'Amant par rebours A Raison qui luy blasme Amours Quant j'euz ouy ce chastiment Respondy furieusement Dame je vous vueil moult prier Que me laissez de chastier Vous me dictes que je refraine Mon cueur qu'Amours ne le retienne Cuydez vous qu'Amours se consente Que je refrainne et que démente Le cueur qui est a soy tout quictes Estre ne peult ce que vous dictes Amour a mon cueur tant dompté Qui n'est plus en ma voulenté. Il a ung mestier si forment Qu'il luy a faicte clef fermant Pource laissez moy du tout faire Vous pourriez gaster tout l'affaire Et useriez vostre francoys. Mieulx vouldroye mourir aincoys Qu'Amours or m'eust de Faulceté Ne de Raison la arresté. Il me veult louer ou blasmer Au dernier de mes maulx d'aymer Dont m'ennuye qui ne chastie. Adonc s'est raison départie Qui bien voit que pour sermonner De ce ne me pourroit tourner. Je demeure seul d'ire plains Souvent pleure et souvent me plains Car de moy n'euz point chevissance Tant qu'il me vint en remembrance Qu'Amours me dist lors que je quisse Ung compaignon a qui je deisse Mon conseil tout entierement Pour moy oster de grant tourment Adonc pourpensay que j'avoye Ong compaignon que je scavoye. Bon et loyal, Amys eut nom Oncques n'euz si bon compaignon.
Comment par le conseil d'Amours...[modifier]
Comment par le conseil d'Amours L'Amant vint faire ses clamours A Amys qui tout lay compta Lequel moult le réconforta A Amys vins par grant allure Et luy dis tout l'encloueure Dont je me sentoye encloué Si comme Amours m'avoit loué A luy me plaingny de Dangier Qui tant me vouloit ledangier Et Bel Acueil fit en aller Quant il me vit a luy parler Du bouton a qui je tendoye Et me dist que le comperroye Si jamais par nulle achoison Me voyoit passer la cloison Quant Amys sceut la vérité Il ne m'a pas espoventé.
Comment Amys moult doulcement...[modifier]
Comment Amys moult doulcement Donne réconfort a l'Amant Il me dist compaignon or soyez Seur et point ne vous esmayez, Je congnois de pieca Dangier Pres a mal dire et ledangier A menasser et a mesdire Ceulx qui luy veullent contredire, Je l'ay de pieca esprouvé. Si vous l'avez félon trouvé Tout aultre sera au dernier Je le congnois comme ung denier. Amollir vous le pourrez bien Par prieres et beau maintien. Je vous diray que vous ferez, Je vueil que vous le requerez Vous pardonner sa malveillance Par amour et par accordance : Et luy mettez bien en couvant Que jamais de lors en avant Rien ne ferez qui luy desplaise Mais toute chose qui luy plaise Car il veult bien qu'on le blandist. L'Amant Tant parla Amys et tant dist Qu'il m'a presque réconforté Et le hardement apporté En mon cueur d'aller assayer Si Dangier pourray allyer.
Comment l'Amant vint a Dangier...[modifier]
Comment l'Amant vint a Dangier Luy prier que plus laidangier Ne le voulsist, et par ainsi Humblement luy crioit mercy A Dangier suis venu honteux De ma paix faire convoiteux, Mais la haye ne passay pas Pource qu'il m'eust nyé le pas. Je le trouvay sur piedz dressé Par félon semblant courroussé En sa main ung baston d'espine. Je me tins vers luy la teste encline Et luy diz sire je suis icy Venu pour vous crier mercy Moult me desplaist amerement Que vous courroucay nullement, Mais je suis prest de l'amender Comme le vouldrez commander. Certes Amour le me fit faire Dont je ne puis mon cueur retraire, Mais je n'auray jamais plaisance De chose dont ayez nuysance. J'ayme mieulx souffrir ma malaise Que faire riens qui vous desplaise, Si vous requiers que vous ayez Pitié de moy et appaisez Vostre ire qui fort m'espovente, Et je vous jure mon entente Que vers vous je me contiendray Et plus en riens ne m'esprendray. Pource vueillez moy octroyer Ce que ne me debvez nyer, Vueillez que j'ayme sans escande Aultre chose ne vous demande, Toutes voz aultres volentez Feray si ce me consentez. Vous ne me povez destourber Je ne vous quiers de ce lober, Car j'aymeray puis qu'il me plaist Quoy qu'il en soit bel ou desplaist, Mais je ne vouldroys pour finance Qu'il fut a vostre desplaisance. Moult trouvay Dangier lait et lent A pardonner son maltalent Toutesfois il m'a pardonné En la fin tant l'ay sermonné, Et me dit par sentence briefve. Dangier a l'Amant Ta parolle riens ne me griefve Si ne te vueil pas esconduyre Certes je n'ay vers toy point d'yre. Si tu aymes il ne m'en chault Se ne me faict ne froit ne chault, Or aymes donc, mais que tu soyes Loing de mes roses, toutesvoyes Tu n'en auras mal, paour n'en ayes Si tu passes jamais les hayes. L'Amant Ainsi m'octroya ma requeste Et je l'alay compter en feste A Amys qui s'en jouyt Comme courant quant il me ouyt. Amys a l'Amant Or va bien dit il vostre affaire, Encor vous sera débonnaire Dangier qui fait a maintz tourment Ouant vers eulx est marry forment. S'il estoit pris en bonne vaine Pitié auroit de vostre paine. Vous debvez souffrir et attendre Tant qu'en bon point le puissez prendre Car maint félon cueur est vaincu Pour souffrir souvent et menu, Car je l'ay maintesfois trouvé Tres félon et bien esprouvé. L'Amant Moult me conforta doulcement Amys qui mon avancement Vouloit aussi bien comme moy. De luy prins congié sans esmoy A la haye que Dangier garde Puis retournay, car moult me tarde Que le bouton encor revoye Puis qu'avoir ne puis aultre joye. Dangier se prent garde souvent Si je luy tiens bien mon couvent, Mais garde n'a que luy mesface, Car trop redoubte sa menace. Je me suis pené longuement A faire son commandement Pour l'acointer et pour l'atraire, Mais ce me tourne a grant contraire Que sa mercy trop me demeure. Si voit il souvent que je pleure Et que je me plains par soupir Pource qu'il me fait trop croupir Delez la haye que je n'ose Passer pour aller a la rose. Tant feis qu'il a certainement Congneu a mon contenement Qu'amours mallement me maistrise Et qu'il n'y a point de faintise En mon cueur ne deslayaulté, Mais il est de tel cruaulté Qu'il ne se daigne encor refraindre Tant me voye pleurer et plaindre.
Comment Pitié avec Franchise...[modifier]
Comment Pitié avec Franchise Allerent par tresbelle guise Parler a Dangier pour l'Amant Qui estoit d'aymer en tourment Comme j'estoys en ceste paine Devers moy vint que Dieu amaine Franchise avec elle Pitié. Oncques riens n'y eut despité : A Dangier allerent tout droit, Car l'une et l'autre me vouldroit Bien aider et tresvoulentier Attendu qu'il en fut mestier. La parolle a premiere prise Par sa mercy dame Franchise Et dist a Dangier fermement. Franchise a Dangier Vous avez tort de cest amant Qui par vous est si mal mené Dont trop estes avillenné : Car il n'a pas encor apris Qu'il ait vers vous de rien mespris. S'Amour le faict par force aymer Le debvez vous pour ce blasmer, Trop plus pert il que vous ne faictes Qu'il en a maintes paines traictes, Mais amour ne veult consentir Qu'il s'en vueille en rien repentir, Et qui vif le debvroit larder Il ne s'en pourroit pas garder. Mais beau sire qui vous avance De luy faire paine et grevance, Avez vous guerre a luy emprise Puis que tant il vous ayme et prise Aussi qu'il est de voz subjectz. S'Amours le tient pris en ses rethz Et le faict a luy obéyr Le debvez vous pourtant hayr Non, mais le deussiez espargnier Plus que l'orgueilleux pautonnier. Courtoysie veult qu'on sequeure Celluy dont on est au dessure, Moult a dur cueur qui n'amollie Quant il treuve qui le supplie. Pitié a Dangier Pitié dist, c'est bien vérité Que Fureur vaincq Humilité Et quant trop dure l'aygreté C'est follie et grant mauvaisetié. Dangier pour ce vous vueil requerre Que vous ne maintenez plus guerre Vers cest Amant qui languist la Lequel onc Amour n'avilla. Advis m'est que vous le grevez Assez plus que vous ne devez, Il eut trop malle pénitance Des lors enca que l'acointance Bel Acueil luy avoit fortraicte C'est la chose qu'il plus couvoite. Il fut assez devant troublé Mais ores en son mal doublé Comme de mort est assailli Quant Bel Acueil luy est failli. Pourquoy luy estes vous contraire Trop grant mal luy fait Amour traire, Car tant de mal soustient qu'el n'eust Besoing d'avoir pis s'il vous pleust. Or ne l'allez contrariant, Car en fin n'en serez riant, Souffrez que Bel Acueil luy face Désormais quelque bien et grace Aux pécheurs fault miséricorde Puis que Franchise si accorde, Je vous en prie et admonneste Ne refusez pas sa requeste, Car trop est fol et despitaire Qui pour nous deux ne veult rien faire. Lors ne peult plus Dangier durer Ains le fallut amesurer. Dangier a Franchise et Pitié Dames dit il je ne vous ose Esconduire de ceste chose, Car trop seroit grant villennie. Je vueil qu'il ayt la compaignie De Bel Acueil puis qu'il vous plaist Je n'y mettray jamais arrest. L'Acteur Lors est a Bel Acueil allée Franchise la bien emparée Et luy a dit courtoysement Franchise a Bel Acueil Trop vous estes de cest Amant Bel Acueil grant piece eslongné Regarder ne l'avez daigné Dont ses pensers sont durs et tristes Depuis le temps que ne le vistes Or pensez de le resjouyr Si de m'amour voulez jouyr Et de faire sa voulenté. Saichez que nous avons dompté Moy et Pitié tresbien Dangier Qui vous en faisoit estrangier. Bel Acueil aux deux dames Je feray tout vostre plaisir Dames ainsi le vueil choisir Puis que Dangier l'a octroyé. L'Amant Lors le m'a Franchise envoyé Bel Acueil au commencement Me salua moult doulcement. S'il eust esté de moy tyré Arriere n'en fut empiré Mais il monstra plus beau semblant Qu'il n'avoit fait oncques devant Luy adonc par la main m'a pris Pour mener dedans le pourpris Quet Dangier m'avoit calengié Et eu d'aller par tout congié.
Comment Bel Acueil doulcement...[modifier]
Comment Bel Acueil doulcement Mene l'Amant joyeusement Au vergier pour veoir la rose Qui luy fut délectable chose Je fuz venu ce m'est advis D'ung bas Enfer en Paradis Car Bel Acueil par tout me mene Qui a faire mon gré se peine Comme j'euz la rose approchée Ung peu la trouvay engrossée Et congneuz qu'elle estoit plus creue Que quant au premier je l'euz veue Et avec ce s'eslargissoit Par dessus si m'embellissoit De ce qu'el n'estoit si ouverte Que la graine fust descouverte, Aincois estoit encore close Entre les fueilles de la rose Qui amont droictes se levoyent Et la place dedans employent Or ne povoit paroir la graine Pour la place qui estoit pleine Elle fut lors Dieu la bénye Trop plus belle que espanouye Plus gracieuse et plus vermeille Moult m'esbahys de la merveille Comment elle estoit embellye Pource qu'Amour plus fort me lye Et de tant plus estraint ses las Comme je y prens plus de soulas Grant piece ay illec demeuré De Bel Acueil enamouré Que je trouvay grant compaignie Et quant j'ay veu qu'il ne me nye Ne son soulas ne sa devise Une chose luy ay requise Qui bien est a ramentevoir. Sire dis je, saichez de veoir Que je suis moult fort envieux D'avoir ung baiser savoureux De la rose qui si fort flaire Et s'il ne vous debvoit desplaire Je vous requerroye ce don Pour Dieu sire dictes le don Et j'auray du baiser l'octroy. Tresdoulx amy or dictes moy Tost s'il vous plaist que je la baise La chose ne vous doit desplaire. Bel Acueil escondit l'Amant Amy dit il si Dieu me gard Si Chasteté n'avoit regard Ja ne vous fust par moy nyé Mais je n'ose pour Chasteté Vers laquelle ne veulx mesprendre Et m'a voulu tousjours deffendre Que du baiser congié ne donne A nul amant qui m'en sermonne Car qui a baiser peult attaindre A peine peult a tant remaindre Et saichez qui l'on octroye Le baiser il a de sa proye Le mieulx et le plus advenant Et avec ce le remanant. L'Amant Quant je l'ouys ainsi respondre Plus ne le veulx de ce semondre Tant le doubtoye a courroucer. L'on ne doit pas aulcun presser Oultre son gré ne prier trop. Vous scavez bien qu'au premier cop On ne couppe pas bien ung chesne Et n'a on pas les vins de Lesne Tant qu'ilz soyent estrains et pressez L'octroy si me tarda assez Du baiser que je désiroye, Mais Vénus qui tousjours guerroye Chasteté me vint au secours C'est la mere au grant dieu d'Amours Qui a secouru maint amant. El tenoit ung brandon flammant En sa main destre dont la flamme A eschauffée mainte dame. Elle fut cointe et bien coiffée Déesse sembloit ou fée Par le grant atour qu'elle avoit. Bien peult congnoistre qui la veoit Que point n'est de religion. Je en feray cy mention De son habit tant décoré Ne de son beau tissu doré Du fermail ne de sa courroye Car a cela trop demeurroye Mais bien saichez certainement Que vestue estoit coinctement Et point n'estoit en elle Orgueil Vénus se trait vers Bel Acueil Et luy a commencé a dire Vénus a Bel Acueil Pourquoy vous faictes vous beau sire Vers cest Amant si dangereux D'avoir ung baiser amoureuz Vous ne luy deussiez refuser Car vous scavez bien et voyez Qu'il sert et ayme en loyaulté Et en luy est assez beaulté Cy qu'il est digne d'estre aymé Voyez comme il est bien formé Comme il est beau, comme il est gent Franc et courtoys a toute gent Et avec ce il n'est pas vieulx Mais est jeune, dont il vault mieulx Il n'est dame ne chastelaine Que je ne tienne pour villaine S'elle faisoit de luy Dangier En luy octroyant ce loyer Donc le baiser luy octroyez Mieulx ne vous scauriez employer. Je cuide que la doulce alaine Et sa bouche n'est pas villaine Ne faicte pour a nulluy nuyre Mais pour soulacer et desduyre Car ces levres sont vermeillettes Et a les dens blanches et nettes Et n'y a tache ny ordure Bien est ce m'est advis droicture Qu'ung baiser luy soit octroyé Il luy sera bien employé Car tant plus que vous attendrez Autant de temps saichez perdrez .
Comme l'ardant brandon Vénus...[modifier]
Comme l'ardant brandon Vénus Ayda a l'Amant plus que nulz Tant que la rose alla baiser Pour mieulx son amour appaiser Bel Acueil qui sentit l'odeur Du brandon du feu et l'ardeur Ung baiser m'octroya en don Au moyen d'icelluy brandon Je ne fuz guere demeuré Qu'ung baiser doulx et savouré. J'euz de la belle rose pris Dont de joye fut moult surpris Car telle odeur m'entra au corps Qu'il en tyra la douleur hors Et adoulcit le mal d'aymer Qui long temps m'eust semblé amer Je ne fuz oncques si tres aise Bien est gary qui tel fleur baise Qui tant est doulce et redolent Je ne seray ja si dolent S'il m'en souvient que je ne soye Tout plain de soulas et de joye Mais non pourtant j'ay maintz ennuitz Souffers, et maintes malles nuitz Depuis qu'euz la rose baisée La mer n'est point si appaisée Qu'el ne se trouble a peu de vent Amours si se changent souvent. Or est il temps que je vous compte Comment je fuz mené a honte Par qui je fuz puis moult grevé Et comment le mur fut levé Et le chasteau puissant et fort Qu'Amours print puis par son effort Toute l'histoire vueil poursuivre Et la declarer a délivre Affin qu'elle revienne et plaise A la belle que Dieu tienne aise Qui bon guerdon or m'en vendra Mieulx que quant nulle luy plaira Malle Bouche plain de ruine De maint amant pense et divine Et tout le mal qu'il scet retrait. Garde se print du doulx atrait Que Bel Acueil me daigna faire Et tant qu'il ne s'en peult plus faire Il fut filz d'une vieille ireuse Et langue avoit moult périlleuse Tresfort puante et moult amere Mieulx en resembloit a sa mere. Malle Bouche des lors en ca A nous accuser commenca. Et si dist qu'il mettroit son oeil Pour veoir si moy et Bel Acueil Avions mauvais acointement. Tant parla le faulx follement De moy et filz de Courtoisie Qu'il fit esveiller Jalousie Qui se leva par grant frayeur Quant elle eut ouy le jengleur Incontinent elle s'est levée Courant comme toute insensée Vers Bel Acueil qui aymast mieulx Estre ravy jusques aux cieulx.
Comment par la voix Male Bouche...[modifier]
Comment par la voix Male Bouche Qui des bons souvent dit reprouche Jalousie moult doulcement Tensa Bel Acueil pour l'Amant Par parolles fut assailly Pourquoy as tu le cueur failly Dit elle tres mauvais garson Dont j'ay mauvaise souspeson. Bien pert que tu crois losengiers Trop tost telz garsons estrangiers. En toy plus ne me veulx fier, Mais estroict te feray lier Et enferrer en une tour, Car je ne voy aultre retour. Trop s'est de toy honte eslongnée Et si ne s'est pas bien songnée De toy pour te tenir de court. Il m'est advis qu'elle secourt Moult mauvaisement Chasteté Puis qu'ung garson mal arresté Laisse a nostre pourpris venir Pour elle et moy avillenir. L'Amant Bel Acueil ne sceut que respondre Aincois lors s'en alla escondre Si qu'il ne fust illec trouvé Et prins avec moy reprouvé Mais quant je vis venir la grive Qui contre moy tanse et estrive Je fuz tantost tourné en fuyte Pour la riotte qui me incite. Honte c'est dehors avant traicte Qui moult se cuyde estre forfaicte En se monstrant humble et tres simple. Ung voile avoit en lieu de gimple Ainsi comme nonnain d'abbaye, Et pource qu'el fut esbaye Commenca a parler tout bas. Honte parlant a Jalousie Pour Dieu dame ne croyez pas Malle Bouche le losengier Veu qu'il est pour nous laidangier, Car maint preud'homme a amusé. Il a Bel Acueil accusé, Mais ce n'est mie le premier. Malle Bouche est bien coustumier De racompter faulces nouvelles De damoyseaulx et damoyselles, Sans faulte ce n'est pas mensonge Bel Acueil en son faict ne songe. On luy a souffert a attraire Telz gens dont il n'avoit que faire, Mais certes je n'ay pas créance Qu'il eust oncques nulle science De mauvaistié ne de follye, Mais il est vray que Courtoysie Qui est sa mere luy enseigne Que d'acointer gens ne se faigne. Oncques n'ayma qu'en bonne guise Par courtoysie et sans faintise, En son amour n'est aultre chose Sinon joyeuseté enclose Et qu'il se esbat et dit parolle Sans faillir j'ay esté trop molle De le garder et chastier Dont je vous veulx mercy crier. Si j'ay esté ung peu trop lente De bien faire j'en suis dolente, De ma folie me repens, Mais je mettray tout mon pourpens Adonc pour Bel Acueil garder, Jamais ne m'en quiers retarder. Jalousie parle a Honte Adonc respondit Jalousie Honte, j'ay paour d'estre trahie Car Lecherie est tant montée Que trop pourroit estre ahontée Merveille n'est si je m'en deulx, Car Luxure regne en tous lieux Son pouvoir ne fine de croistre Soit en abbaye ou en cloistre Et n'est point Chasteté assur, Pource feray de nouvel mur Clorre les rosiers et les roses. Si que plus ne seront descloses En vostre garde peu me fie, Car je congnois je vous affie Que l'on pert trop en telle garde. On me tiendroit bien pour musarde Si garde je ne m'en prenoye. Certes je clorray fort la haye A ceulx qui pour me varier Viennent les roses espier. Il ne me sera ja paresse Que ne face une forteresse Qui les roses clorra autour. Au meillieu sera une tour Pour Acueil mettre en la prison Car j'ay trop grant paour de Raison Je croy si bien garder son corps Qu'il n'aura povoir d'issir hors Aussi compaignie tenir Aux garsons qui pour le honnir De parolles le vont huant. Trop l'ont trouvé nice et truant Fol et légier a recepvoir, Mais si je vis saichez de voir Que trop mal leur fit Faulx Semblant. L'Acteur A ce mot survint Paour tremblant Mais elle fut si esbaye Quant elle eut ouy Jalousie Qu'oncques ne luy osa mot dire Pource qu'el la sentoit en yre. El se tira en aultre part Et Jalousie a tant se part. Paour et Honte laissa ensemble Ausquelz le cueur du corps leur tremble, Mais Paour qui tint la teste encline Parla a Honte sa cousine. Paour parle a Honte Honte dist elle moult me poise Dont il nous convient ouyr noyse Car jamais nous n'eusmes diffamé Aulcun reproche ne aulcun blasme. Or nous ledange Jalousie Qui nous mescroit de villennie, Allons a Dangier hardiment Et luy démonstrons clerement Qu'il a faicte lasche entreprise Car il n'a pas grant paine mise A bien garder cestuy vergier. Nous luy dirons pour abrégier Que trop a Bel Acueil souffert A faire son gré en appert Et qu'il se gouverne aultrement Ou qu'il saiche certainement Que fuir fault de ceste terre, Car porter ne pourrois la guerre De Jalousie ne l'attaine S'il la recueilloit en sa haine.
Comment Honte et Paour aussi...[modifier]
Comment Honte et Paour aussi Vindrent a Dangier par soussi De la rose le ledangier Que bien ne gardoit son vergier A ce conseil se sont tenues Puis s'en sont a Dangier venues Et l'ont trouvé tres mal plaisant Dessoubz ung aubespin gisant. En lieu avoit de chevecel Soubz son chief d'herbe ung grant moncel Qui commencoit a sommeillier. Mais Honte l'a fait esveillier Qui le blasma et courut seure. Honte a Dangier Comment dormez vous a ceste heure Dangier par tres malle adventure Fol est cil qui en vous s'assure Pour garder rose ne bouton Nemplus que queue de mouton. Vous estes lasche comme mouche Qui deussiez estre fort farouche Et toutes les gens débouter. Folie vous a fait bouter En ce vergier par grand meffait Bel Acueil dont blasmer nous fait. Quant vous dormez nous en avons La noyse, et mes nous n'en povons. Vous estes vous ores couché, Or vous levez et soit bouché Chascun pertuys de ceste haye Faictes tant que chascun vous haye Car il n'affiert a vostre nom Que vous faciez se ennuy non. Si franc et doulx est Bel Acueil Fier devez estre et plain d'orgueil Et de mocquerie et d'oultraige, Car ung vilain courtois est raige. J'ay ouy ce n'est d'huy ne d'hier Dire qu'on ne peult espervier En nul temps faire d'ung buysart Tous ceulx vous tiennent pour musart Qui vous ont trouvé débonnaire. Voulez vous doncques aux gens plaire Et faire service et bonté Ce vous vient de grant lacheté. Vous avez bruyt de toute gent D'estre trop lasche et négligent Et que vous croyez jenglerie, Puis Paour luy dist sans mocquerie. Paour a Dangier Certes Dangier moult m'esmerveil Que n'estes en plus grant esveil De garder ce que vous devez, Trop en pourriez estre grevez Si Jalousie lors en groingne. Elle est moult fiere et moult griffoingne Qui de tencer scet l'industrie. Elle en a fort Honte assaillie Et chassé par sa grand menace Bel Acueil hors de ceste place Et juré qu'el ne quiert durer Si vif ne la fait emmurer. C'est tout par vostre mauvaistié, Car vous n'avez pas bien guetté, Et croy que cueur vous est failly, Mais mal en serez acueilly Et l'heure cens fois mauldirez Que Jalousie congneue aurez. L'Acteur Le villain leva son aumusse Fronca les yeulx ses dens ne musse Et fut plain d'ire et enroueillé Le nez froncé le vis roueillé Quant il se vid si malmener. Dangier Je puis dist il bien forcener Quant vous me tenez pour vaincu Or ay je certes trop vescu Si ce pourpris ne peulx garder Tout vif me puisse on larder Si jamais homs vivans y entre Trop yré suis au cueur du ventre Puis qu'aulcun y a mis le pié Mieulx aymasse d'ung espié Estre féru parmy le corps Je fis que fol bien me recors. Si m'amenderay par vous deux Jamais ne seray paresseuz De ceste closture deffendre Si je y peulx aulcun entreprendre Mieux luy vauldroit estre a Pavie Jamais en nul jour de ma vie Ne me tiendray pour recréant Nul n'y viendra tant soit bruyant L'Amant Lors s'est Dangier sur pied dressé Semblant faict estre courroucé En sa main ung baston a pris Et va cherchant par le pourpris S'il trouvera pertuys ne trace Ne sente affin qu'elle la face Estouper diligentement. Dangier est changé aultrement Car il m'est beaucoup plus divers Qu'il ne souloit et plus pervers Et plus fier qu'il ne souloit estre Il est trop périlleux estre Car je n'auray jamais loysir De veoir ce que j'ay en désir Moult ay le cueur du ventre yré D'avoir Bel Acueil conjuré Et bien saiches que chascun membre Me frémist quant je me remembre De la rose que je souloye Veoir de bien pres quant je vouloye Et quant du baiser suis recors Qui me mit une odeur au corps Assez plus doulce que de basme A bien peu que je ne me pasme Car encor ay au cueur enclose La doulce saveur de la rose Et saiches quant il me souvient Que ainsi eslongner me convient Et qu'avoir ne peulx mon devis Mieulx vouldroys estre mort que vis, Mal toucha la rose a ma bouche S'amour ne seuffre que j'atouche Une aultre fois encor a elle J'en ay trouvé la saveur telle Que trop grande est sa couvoitise Qui esprent mon cueur et attise Moult me viendront pleurs et souspirs Longues pensées cours dormirs Frissons et plaintes et complaintes Telles douleurs auray je maintes Or suis je cheu en telle peine Par Malle Bouche la haultaine Sa langue desloyalle et faulse M'a pourchassée ceste faulse
Comment par envieux atour...[modifier]
Comment par envieux atour Jalousie fit une tour Pour enfermer et tenir prins Bel Acueil qui avoit surprins Maintenant droit est que vous die La maniere de Jalousie Qui est malle suspection. Il n'y eut au pays macon Ne pionnier qu'elle ne mande Et leur fit faire par commande Entre les rosiers grans fossez Qui cousteront deniers assez Car ilz sont larges et profons Dessus les bors font les macons Ung mur de quarreaux bien taillez Bien apointez et habillez Dont le fondement par mesure Est assis sur roche tresdure Jusque au pied du fossé décent Vient amont en estrécissant Car l'oeuvre en est plus forte assez Les murs furent si compassez Qu'ilz sont d'une mesme quarrure Chascun cent toyses de pas dure Et sont autant longs comme lez. Les tournelles sont les alez Qui richement sont entaillées Et faictes de pierres taillées. Aux quatre coings en y a quatre Qui seroient fortes a abatre. Et si y a quatre portaulx Dont les murs sont espes et haulx, Il en y a ung au devant Bien deffensable et ensuyvant Deux de costé et ung derriere Qui ne doubte coup qu'on luy fiere. Bonnes portes sont la coulans Pour faire ceulx dehors doulans Et pour eulx prendre et retenir S'ilz osassent avant venir Et au meillieu de la pourprise Est une tour de grant devise Bien faicte d'ouvrier et de maistre Nulle plus belle ne peult estre. Elle fut forte, large, et haulte Dont le mur n'en doit faire faulte Pour engin, qu'on saiche getter Car on destrampa le mortier De fort vin aigre et de chaux vive La pierre est de roche nayve Dont on a fait le fondement Qui est dure comme ayment Celle tour la fut toute ronde Plus belle n'est en tout le monde Ne par dedans mieulx ordonnée. Elle est dehors environnée D'unes Iyesses qui sont entour Entre les Iysses et la tour Sont les rosiers espes plantez Ou roses sont a grand plantez Dedans ceste tour a pierrieres Et engins de maintes manieres Vous pourriez bien les mangonneaux Veoir par dessus les haulx carreaux, Et aux archieres de la tour Sont arbalestres tout entour Pour mieulx la deffence tenir. Qui pres des murs vouldroit venir Il pourroit bien estre trop nices Dehors des murs sont unes Iysses De bon fort mur a carneaulz bas Si que chevaulx ne pevent pas Venir aux fossez d'une allée Qu'il n'y eust avant grant meslée Jalousie a garnison mise Au chasteau que je vous devise Et m'est advis que Dangier porte La clef de la premiere porte Qui ouvre devers orient Avec elle a mon escient Trente sergens la sont par conte Et l'autre porte garde Honte Qui ouvre par devers midy Elle fut moult saige, et vous dy Qu'elle eut sergens a grant plante Pres a faire sa voulente. Peur eut grant connestablerie Et fut a garder establie L'autre porte qui fust assise A main senestre contre byse. Paour si ne sera ja asseure S'elle n'est enclose a serreure Et si ne l'ouvre pas souvent Car quant elle oyt bruyre le vent Ou petites souris saillir Elle commence a tressaillir Malle Bouche que Dieu maudie Eut souldoyers de Normandie Qui gardent la porte destroictz. Et si saichez bien qu'aultres troys Vont et viennent quant il eschet Qu'il fault faire par nuyt le guet Il monte le soir aux craneaulx Et attrempe ses chalemeaulx Et ses buccines et ses cors. Une heure dit chans de discors Et nouveaulx sons de contretailles Aux chalemeaulx de Cornouailles Et aultresfois dit a la fluste Qu'onque femme ne treuva juste Aulcune n'est qui ne s'en rie S'elle oyt parler de lécherie Ceste est putte, ceste se farde Et l'autre follement regarde Ceste est vilaine, et ceste est fole Et ceste trop a de parolle Male Bouche qui riens n'espargne Sur chascun trouve sa flacargne. Jalousie que Dieu confonde Bien a garnie la tour ronde Et saches bien qu'elle y a mis Des plus privez de ses amys Tant qu'il y a grant guarnison Et Bel Acueil est en prison Amont en la tour enserré Dont l'huys est si tres fort barré Que puissance n'a qu'il en ysse. Une vieille que Dieu honnisse A mis a l'huys pour le guetter Qui ne faict nul autre mestier Qu'a espier tant seullement Qu'il ne se meuve follement Nul ne la pourroit enginer Ne pour seigner ne pour guiner. Elle eut du bien et de l'angoisse Qu'amours a ses sergens départ En jeunesse moult bien sa part. Bel Acueil se taist et escoute Pour la vieille que trop redoubte Et n'est si hardy qui se meuve Que la vieille sur luy ne treuve Car le vieille scait toute dance. Incontinent que Jalousie Se fut de Bel Acueil saisie Et qu'elle l'eut faict emmurer, Elle se print a assurer Son chastel qu'elle vit si fort Et luy donna grant réconfort. Elle n'a gardé que gloutons Luy emblent roses ne boutons, Trop sont les rosiers cloz forment Dont en veillant et en dormant Peult elle trop bien estre asseur. L'Amant Mais je qui fuz dehors le mur Fuz livré a mort et a paine Qui scauroit quel vie je maine Bien en debvroit grant pitié prendre. Amour me scait ores bien vendre Les grans biens qu'il m'avoit prestez Que cuydois avoir achetez. Il me les vend trop de rechief, Car je suis en plus grant meschief Pour la joye que j'ay perdue Que si je ne l'eusse oncques veue. Que vous yrois je devisant Je ressemble bien le paisant Qui gette en terre sa semence Et a joye quant il commence Qu'elle proffite moult en herbe, Mais devant qu'il en cueille gerbe La nyele tres fort la greve Qui a travers le blé se leve Et fait les grains dedans mourir Quant les espitz doivent florir L'espérance luy est tollue Laquelle trop tost avoit eue. Ainsi crains je que ne vous mente Perdre l'espérance et l'attente Qu'Amours m'avoit tant avancé Et que j'avoye commencé A dire ma grand privaulté A Bel Acueil qui appresté Estoit de recepvoir mes jeux. Mais Amours est si couraigeux Qu'il me tollist tout en une heure Quant je cuide estre bien asseure. C'est ainsi comme de fortune Qui met au cueur des gens rancune Aultre fois les flate et les hue En trop petit de temps se mue. Une heure rit et l'aultre est morne Ayant une roe qui tourne Celluy qu'elle veult elle met Du plus bas amont au sommet, Et celluy qui est sur la roe Reverse a un tour en la boe. Je suis celluy qui est versé Mal veis le mur et le fossé Que passer n'ose ne ne puis. Je n'euz bien ne joye oncques puis Que Bel Acueil fut en prison, Car ma joye et ma guarison Qui est dedans le mur enclose Est toute en luy et en la rose. De la conviendra il qu'il ysse Si Amour veult que je guarisse, Car ja d'ailleurs ne quiers que j'aye Honneur, santé ne bien ne joye. Ha Bel Acueil beau doulx amys Si vous estes en prison mis Gardez moy au moins vostre cueur Et ne souffrez pas pour fureur Que Jalousie la sauvaige Mette vostre cueur en servaige Ainsi comme elle a fait le corps. S'elle vous chastie dehors Ayez dedans cueur gayement Encontre tout son chastiement. Si le corps en prison est mis Que le cueur ne soit point soubzmis. Car franc cueur ne laisse a aymer Pour battre ne pour diffamer. Si Jalousie est vers vous dure Et vous fait ennuy et laidure Faictes luy du grief a l'encontre, Et du Dangier qu'elle vous monstre Vous vengez au moins en pensant Puis que ne povez aultrement. Si en ce point vous le faisez Je me tiendrois bien pour aysez, Mais je suis en moult grant soucy Que faire ne veuillez ainsi Car espoir a comme scavez Malgré de ce que vous avez Esté pour moy mis en prison. Si n'esse pas pour mesprison Que j'aye encor vers vous faicte, Oncques par moy ne fut retraicte La chose qui est a celer, Mais il me poise pour parler Plus que a vous de celle meschance, Car j'en seuffre la pénitence Plus grand que nul ne pourroit dire. A peu que je ne confons dire Quant il me souvient de ma perte Qui est si grande et si aperte. Je ne scay pourquoy desconfort Ne me donne tantost la mort Quant je congnois et scay de voir Ainsi qu'il est bon a scavoir Que les losengeurs envieux Sont a me nuyre curieux. Ilz tendent a vous decepvoir Vous le povez appercevoir Et faire tant par leur flavelle Qu'ilz vous tirent a leur cordelle. Mais mallement suis esmayé Que par vous ne suis oublié, Si je pers vostre bienvueillance Jamais ailleurs n'auray fiance, Et si j'avoys perdu Espoir J'en entrerois en desespoir. Si apres trespassa Guillaume De Lorris et n'en fit plus pseaulme.