Le Romancier national de la Hollande - Jacob van Lennep et ses oeuvres
Le mois d’août 1868 a vu mourir un des représentans les plus distingués de la littérature néerlandaise contemporaine. M. Jacob van Lennep, dont le nom est plus connu en France que les ouvrages, a succombé à la maladie de cœur dont il ressentait depuis quelque temps les atteintes. Il était âgé de soixante-six ans. Sa mort a causé une impression générale et douloureuse d’un bout à l’autre du pays. A des qualités éminentes qui l’eussent fait apprécier partout, il joignait pour le peuple hollandais le mérite d’être depuis longtemps son premier conteur, son romancier favori, et l’âge, on le verra bientôt, n’avait pas refroidi son talent. Des regrets unanimes, sans distinction de parti et malgré la couleur assez tranchée de ses opinions politiques, l’ont suivi dans sa tombe. Une souscription nationale s’est ouverte pour ériger un monument sur cette tombe creusée dans une des plus belles parties de la belle province de Gueldre, dont il a si souvent décrit les ravissans paysages. Il nous semble conforme à l’esprit comme au titre de la Revue de faire connaître à ses lecteurs cet écrivain, dont les ouvrages restent dignes d’un grand intérêt, lors même qu’une critique sévère en a signalé les défauts. Un ou deux de ses récits furent publiés en français il y a quelques années; mais le bon style hollandais est revêche aux traductions françaises, et ces romans, imparfaitement traduits, tombant au milieu d’un public non préparé, ne trouvèrent pas de lecteurs. Il y a donc à son sujet une injustice à réparer. Nous parlerons d’abord de sa famille, chose essentielle à l’explication de l’un des élémens les plus intéressans de son œuvre littéraire, puis de cette œuvre elle-même, dans la- quelle nous nous bornerons à ce qu’il a fait de plus important et de plus populaire, ses romans. Van Lennep n’était pas seulement romancier, il était de plus juriste distingué, érudit, poète et auteur dramatique. Toutefois ses drames, inspirés le plus souvent par les événemens politiques, forment à tous égards la moindre partie de son œuvre. Comme poète, il s’est surtout fait remarquer par la publication, un peu avant 1830, de ses Légendes nationales (Vaderlandsche Legenden); mais, si nous exceptons une grande facilité de versification, héréditaire, semble-t-il, dans sa famille, ces poésies, imitées de celles de Walter Scott, n’offrent guère que le même genre de talent qui s’est déployé d’une manière plus originale dans la longue série de ses romans. Quant à son érudition, qui était sérieuse, c’est elle qui, habilement utilisée, a le plus contribué à lui valoir le titre de romancier national de la Hollande.
Van Lennep appartenait à une famille ancienne et distinguée d’Amsterdam. Lui-même a pris la peine d’en retracer les origines dans un ouvrage en trois volumes consacré à la biographie de son père et de son grand-père. Si, dans la rédaction de cet ouvrage, l’auteur a un peu trop cédé au plaisir qu’on éprouve à parler des siens, les événemens politiques auxquels ces deux hommes de valeur se trouvèrent activement mêlés font de cette double biographie un document des plus instructifs de l’histoire des partis et des idées en Hollande depuis 1750 environ jusqu’à une époque très rapprochée de la nôtre. Cornelis van Lennep, le grand-père, était membre de ce patriciat républicain d’Amsterdam qui avait toujours tenu tête aux prétentions du parti orangiste. Magistrat municipal, il se rangea du côté des patriotes, c’est-à-dire des citoyens qui voulaient introduire des réformes dans la constitution oligarchique des Provinces-Unies, et il fut de ceux que la réaction prusso-orangiste éloigna des affaires en 1788. En 1795, la révolution victorieuse pénétra tout de bon en Hollande, où un parti nombreux, grossi par les abus qui avaient signalé la victoire des stathoudériens, sympathisait chaudement avec elle. Cornelis van Lennep se vit donc amené à prendre de nouveau part aux événemens politiques, dont il fût volontiers resté simple spectateur. Bon citoyen, libéral pour le temps, et bien que l’excellent naturel du peuple hollandais, joint, il faut aussi le dire, à la petitesse relative de ses griefs, eût préservé la révolution dans les Pays-Bas des excès sanglans qui la souillèrent ailleurs, il s’était senti refroidi, comme bien d’autres libéraux de cette époque, par les effroyables démentis que la république française avait infligés à son premier programme. D’ailleurs son patriotisme commençait à s’alarmer des appétits grandissans de la France, qui, dans son désir passionné d’apporter la liberté aux autres peuples, finissait régulièrement par se les asservir. Aussi dès 1803 se renferma-t-il scrupuleusement dans les devoirs de sa charge municipale. En 1808, le roi Louis de Hollande le nomma membre de la municipalité réorganisée d’Amsterdam. En 1811, après l’incorporation de la Hollande à l’empire et malgré ses répugnances profondes à servir le souverain qu’il regardait comme l’oppresseur de son pays, il fut nommé par décret membre du conseil d’arrondissement et forcé d’accepter. Il ne faisait pas bon refuser les honneurs imposés par le maître, et, comme d’autres Hollandais désignés par cette espèce de conscription, C. van Lennep dut ronger son frein en silence. Bientôt les violences du nouveau régime, le blocus continental, plus insupportable en Hollande que partout ailleurs, les mesures fiscales, le tiercement des rentes de l’état, les levées d’hommes continuelles, l’odieuse comédie de l’appel des gardes d’honneur, la suppression des vieilles libertés séculaires, — sans parler de la régie, particulièrement odieuse à un peuple de libres fumeurs, — amassèrent au cœur des populations une haine qui n’attendait pour éclater que le premier échec des aigles impériales. On sait ce qui arriva en 1813, au lendemain de la bataille de Leipzig. Presque sans concert antérieur, le peuple hollandais se souleva comme un seul homme et facilita singulièrement la marche des armées alliées, qui purent de ce côté arriver sans coup férir sur nos frontières. En même temps, d’un bout à l’autre du pays, se réveillait le vieil attachement à la maison d’Orange. L’empire lui avait refait une immense popularité.
Cornelis van Lennep mourut à la veille de cette restauration qui eût comblé ses vœux, puisqu’elle devait sceller l’entière réconciliation des anciens patriotes républicains et de la famille des stathouders par l’établissement d’une monarchie constitutionnelle et libérale. Son fils, D. J. van Lennep, né en 1774, était alors un homme dans la force de l’âge et fort estimé. Professeur de belles-lettres à l’Athénée d’Amsterdam, où il avait l’honneur de succéder au fameux Wyttembach, en relation avec les premiers hellénistes du temps et spécialement avec Boissonade, il n’avait pu, malgré ses efforts, rester toujours loin de la scène politique. Le roi Louis, qui s’étudiait avec une parfaite bonne grâce à rattacher à son trône les anciennes familles municipales, l’avait distingué, et voulait absolument qu’il acceptât une place dans l’Institut des sciences d’Amsterdam, qu’il venait de fonder. D. J. van Lennep se défendit longtemps de cet honneur. Libéral comme son père, comme lui très attaché à la vieille forme républicaine, il répugnait à l’idée de se rallier à une monarchie subie plus que désirée par son pays. Cependant la personne du roi Louis lui inspirait de la sympathie. Ce prince a laissé de bons souvenirs en Hollande. Accepté comme une garantie contre l’annexion totale à l’empire, on lui sut gré de la peine qu’il se donna pour gagner l’affection de ses sujets. Il se fit aussi Hollandais que possible, il s’efforça de parler la langue du pays, il ne craignit pas d’encourir plus d’une fois la colère de son terrible frère en tâchant d’alléger du mieux qu’il pouvait les charges écrasantes que la politique impériale faisait peser sur les peuples entraînés dans son orbite. En un mot, on peut dire qu’il réussit autant que les circonstances le lui permettaient. Il eut le bon goût de ne point se montrer blessé d’une profession respectueuse, mais ferme, de républicanisme que D. J. van Lennep lui envoya par écrit pour expliquer son refus d’entrer au nouvel institut. Bien plus, sous prétexte de recourir aux lumières spéciales du professeur d’Amsterdam, le roi le fit venir près de lui au château du Loo, et lui demanda ses conseils sur la langue hollandaise et la bonne manière de la prononcer. Le fait est que notre républicain fut, sinon séduit, du moins adouci par ces marques de la prévenance royale, et que, sans renier ses convictions, il montra moins d’éloignement qu’auparavant pour la nouvelle monarchie. L’incorporation à l’empire ne tarda point à la lui faire regretter. Il tâcha plus que jamais de se soustraire aux fonctions publiques. Ce qui est curieux et peu connu, c’est qu’aux premières nouvelles de l’insurrection hollandaise, l’ex-roi, retiré à Soleure, écrivit à quelques-uns de ses anciens sujets une lettre confidentielle dans laquelle il se mettait à leur disposition dans le cas où ils croiraient de leur intérêt de le rappeler sur un trône dont l’arbitraire seul l’avait fait descendre. Parmi les quatre ou cinq Hollandais notables auxquels il s’adressa se trouvait D. J. van Lennep, qui, au moment où il reçut cette lettre, prenait une part active au mouvement insurrectionnel et aux mesures préparant le retour de la maison d’Orange. Le roi Louis se trompait de date. La bonne impression personnelle qu’il avait laissée ne pouvait contre-balancer le prestige d’un nom devenu presque un objet de fétichisme pour la masse du peuple hollandais, et qui, par un singulier concours de circonstances, allait, pour la quatrième fois, se trouver associé à la résurrection inespérée de l’indépendance nationale. C’est au vieux cri d’Oranje boven (Orange à notre tête!) que le peuple s’était soulevé, et il eût été impossible de lui faire agréer le meilleur des Bonapartes[1].
D. J. van Lennep, qui, comme tous ses compatriotes, s’était franchement rallié à la royauté constitutionnelle de la maison d’Orange, s’occupa avec zèle de la réorganisation de l’enseignement supérieur et des milices nationales; puis il revint à ses cours, à ses études favorites, aux lettres et surtout aux lettres grecques. Plusieurs travaux de haute érudition, surtout sa belle édition des poèmes d’Hésiode, à laquelle il travailla fort longtemps, lui assignent une place d’honneur parmi les philologues. De plus il était poète, bien que peu désireux de faire montre de ses poésies[2]. En 1838, sans renoncer au culte des lettres antiques, il donna sa démission de professeur, et fut nommé membre du collège des états députés de la Nord-Hollande, position hiérarchiquement analogue à celle de nos conseillers de préfecture, mais à laquelle s’attache une bien plus grande influence<ref> Les états députés sont, comme la députation permanente des provinces belges, une délégation du conseil provincial assistant, conseillant et contrôlant l’administration du gouverneur. <ref>. Il mourut en 1859, âgé de soixante-dix-neuf ans, après avoir joui d’une belle et laborieuse vieillesse.
On verra bientôt pourquoi nous nous sommes si longtemps arrêté à parler du grand-père et du père du romancier qui va maintenant nous occuper. Né en 1802, doué d’une intelligence très vive et très précoce, Jacob van Lennep put profiter des conversations de son grand-père et de plusieurs contemporains qui lui communiquèrent toutes vivantes encore les traditions de la vieille Hollande. Son adolescence fut témoin des malheurs et de l’humiliation de sa patrie, mais aussi de son réveil. Son grand-père et son père étaient, à divers titres, des hommes fort instruits, très amateurs des lettres, et le bon sang qui coulait dans ses veines eût menti, si le jeune homme ne se fût pas porté du même côté avec l’ardeur qui ne cessa jusqu’à la fin de caractériser ses entreprises. Je pense toutefois qu’à côté de qualités très hollandaises de pénétration et de persévérance il y avait en lui quelques germes venus d’ailleurs et qui firent bon mélange. Il nous parle beaucoup, dans ses biographies paternelles, et avec un respectueux attachement, d’une demoiselle Wægeli, fille d’un officier suisse au service des états, ancienne gouvernante de ses tantes et qui était déjà d’un certain âge quand il put jouir de sa conversation. A en juger par les lettres qu’il a citées d’elle, ce devait être une personne fort remarquable par l’esprit et le caractère. Elle aussi avait à lui raconter je ne sais combien d’histoires du bon vieux temps, et les racontait, paraît-il, fort bien. C’est elle que, dans l’introduction d’un de ses meilleurs romans, Ferdinand Huyck, van Lennep a décrite sous les aimables traits de la vieille demoiselle Stœuffacher, la spirituelle conteuse avec laquelle il est si bon de venir, dans son petit salon, déguster tout en devisant une tasse d’excellent café. Il est de fait que souvent, par la vivacité de ses saillies, par quelque chose de malicieux et même parfois d’étourdi, van Lennep s’écarte du type hollandais, auquel du reste il demeure ordinairement conforme. Il y a chez lui du XVIIIe siècle et même du Voltaire, auquel il ressemblait de loin dans les dernières années de sa vie. Je me hâte pourtant d’ajouter que la piété héréditaire dans sa famille, l’influence du romantisme de Bilderdyk, dont pendant quelque temps il épousa avec chaleur les idées et les paradoxes, doivent limiter fortement cette appréciation, que sous ces réserves je crois fondée. Ce trait, plus gaulois que germanique, se rencontre souvent dans ses romans et dans plus d’une repartie. Nous tenons de lui-même que, devant être baptisé dans l’église wallonne d’Amsterdam et présenté sous le nom de Jacobus (Jacques) au pasteur officiant, celui-ci, habitué aux prénoms français, pensa que ses parens voulaient lui donner le nom de Jacob, et le baptisa sous ce nom patriarcal. La famille crut devoir lui conserver le nom consacré par la sainte cérémonie. « Après tout, dit-il en racontant cet incident, le brave pasteur prévit sans doute que j’étais plutôt destiné au patriarchat qu’à l’apostolat. » Il fut en effet par la suite père de six enfans, son père à lui-même en avait eu dix, et il ne se piqua jamais de convertir les gens[3].
Pourtant son père s’était flatté quelque temps de l’espoir que son fils étudierait en vue du ministère évangélique; mais les dispositions du jeune homme n’étaient pas d’accord avec les vœux du savant professeur, qui eut le bon sens de le laisser libre, et cette fois, en Hollandais pratique qui sait bien qu’une condition rigoureuse de la culture assidue des lettres est de n’avoir pas besoin d’elles pour vivre, il étudia la jurisprudence, et se distingua dans cette branche au point d’être revêtu en 1829 de la charge d’avocat du trésor public (rycksadvocaat), charge qu’il remplit jusqu’à sa mort. Par un scrupule de conscience qui lui fait honneur, il n’accepta que rarement, et seulement à titre gratuit, des causes étrangères à ses fonctions officielles.
Il s’occupa aussi de politique. Personnellement très libéral quand il avait à juger les institutions et les hommes en dehors des luttes du jour, d’une grande impartialité historique, il devait sans doute à ses expériences de jeunesse d’être d’une défiance extrême à l’endroit des partis libéraux contemporains. Ce n’est pas qu’il eût le moindre goût pour l’autocratie ou pour un système quelconque de compression. Il se fût très volontiers arrangé d’un régime de grande liberté, mais à la condition que le pouvoir restât aux mains d’hommes portant des noms connus et soigneusement choisis dans l’élite de la population. Je définirais volontiers sa tendance en disant qu’il était moins aristocrate et autoritaire qu’oligarque. De 1853 à 1856, il représenta le district électoral de Steenwyk aux états-généraux. Il ne fut pas réélu, mais il n’en resta pas moins membre influent du parti conservateur, qu’il défendit par des articles de journaux et des brochures contre les attaques du libéralisme envahissant. Cette part active prise à la politique intérieure ne faisait aucun tort à sa fécondité littéraire. Auteur de plus de cinquante nouvelles ou romans, il collaborait à divers recueils, il était membre assidu de l’Académie des Sciences et président de la Société des Beaux-Arts; il faisait partie de toute sorte de sociétés savantes, commissions archéologiques, comités littéraires. Enfin il travaillait à une nouvelle édition des œuvres volumineuses du fameux poète hollandais Vondel, son auteur de prédilection. Il est mort peu de temps après avoir préparé la publication du douzième et dernier volume. Ceux qui ont assisté aux congrès des sciences sociales tenu à Amsterdam en 1864 se rappellent certainement la tête richement couronnée de cheveux blancs du président de la section des lettres, avec sa physionomie originale, carrément dessinée, mobile, joyeuse, facilement ironique, mais d’une ironie sans fiel et d’une vivacité toute juvénile encore.
La réputation de van Lennep comme romancier national fut surtout fondée par la publication, commencée en 1838, de Nos Ancêtres (Onze Voorouders), série de nouvelles historiques échelonnées le long des principales périodes de l’histoire des Pays-Bas. Le roman historique avait alors la vogue. Walter Scott en avait fait en quelque sorte le roman proprement dit. Le goût de l’histoire était assez répandu déjà pour assurer des sympathies nombreuses à ce genre de composition, pas encore assez raffiné pour que les inévitables défauts du genre fussent clairement sentis. Le roman historique en effet se débat contre une difficulté insoluble. Il prétend intéresser des lecteurs modernes, non pas seulement comme l’histoire par le récit exact d’événemens et la description de coutumes antiques, mais de plus par la mise en jeu de caractères et de passions. Or, pour que le lecteur s’intéresse à ces caractères et à ces passions, il faut de toute nécessité que la distance entre lui et les personnages du roman soit aussi courte que possible, il faut qu’il se puisse reconnaître dans les sentimens qu’on déroule à ses yeux, il faut en un mot que les personnages soient des modernes habillés à l’antique. Il est presque impossible, même au plus habile romancier du monde, d’intéresser longtemps ses lecteurs en faisant parler et penser conformément à la stricte rigueur historique des hommes et des femmes d’un temps très éloigné du nôtre. En supposant qu’il fût capable, à force de savoir et de soin, de ne commettre aucun anachronisme moral dans une telle œuvre, son récit, ses dialogues, manqueraient tellement de spontanéité, dégénéreraient si bien en marqueterie, dénonceraient si fortement la tension et la gêne de la composition, que, curieux peut-être comme fruit de l’érudition, le roman serait dépourvu de la première vertu de ce genre de livres, qui est de ne pas ennuyer.
Il y a donc une contradiction interne dans l’idée même du roman historique, sauf un cas particulier qui sera envisagé plus loin et qui ne fait au surplus que confirmer cette règle. Toutefois, nous le répétons, le moment n’était pas encore venu où cette réflexion frapperait tous les esprits. De plus l’ambition de van Lennep n’était pas purement littéraire. Il se flattait de populariser l’histoire nationale en en rattachant à d’ingénieuses fictions les périodes successives. Je sais bien qu’on peut toujours déplorer les blessures inévitablement portées par cette méthode à la véritable histoire; mais enfin ne vaut-il pas mieux que la masse de la population, qui ne lit pas les livres savans, connaisse en gros l’histoire de son pays, sache à peu près comment ses ancêtres vivaient, les vicissitudes qu’ils ont traversées, les leçons que le passé contient, plutôt qu’elle ignore entièrement tout cela? Contentons-nous des à peu près quand la perfection est inaccessible, permettons au roman de se faire histoire quand il a ses raisons pour cela; seulement ne laissons jamais l’histoire devenir roman,
La première de ces nouvelles historiques réunies sous le titre commun de Nos Ancêtres remonte jusqu’aux temps obscurs où les Bataves commencent à nouer des relations plus ou moins volontaires avec le monde romain, et acceptent l’alliance que leur offre Jules César. De même que dix-huit siècles plus tard, et en face d’un autre empire, cette alliance ne tarde point à dégénérer en sujétion du peuple plus faible, et Brinio, c’est ainsi que s’intitule la seconde et la plus remarquable de ces compositions érudites, raconte le conflit qui éclate dès la seconde moitié du Ier siècle entre les populations opprimées et leurs oppresseurs. Le contraste entre l’honnête simplicité des Bataves encore à demi barbares et le raffinement des Romains du temps de Vitellius et de Vespasien jette un grand charme sur ce récit. C’est un genre d’intérêt analogue, bien qu’en sens inverse, à celui qui relevait si bien ce fantastique et joli roman de Callirhoé que M. Maurice Sand a publié ici même il y a quelques années. Le romancier français, tout en racontant une histoire de nos jours, montrait dans une perspective lointaine le mystérieux parallèle de son histoire au fond des forêts de la vieille Gaule. L’auteur hollandais, sous le revêtement antique, laisse entrevoir des formes, des mouvemens, des caractères, qui n’auraient qu’à paraître au grand jour pour être tout à fait modernes. Il y a dans Brinio des personnages d’officier, de cantinière, de vieux troupier, qui ressemblent singulièrement et pourtant très naturellement aux types de même genre que les guerres de l’empire ont engendrés. — Viennent ensuite des récits du temps de la résidence à Lutèce de Julien et de l’invasion des Quades dans le pays batave, puis de l’invasion saxonne et des premières semailles de la foi chrétienne, ensuite le récit quelque peu légendaire de la fondation du podestat de Frise par Charlemagne, un autre, fort intéressant, intitulé l’Enfant de choeur, dont la scène se passe au temps de la domination des Normands, un autre fondé sur les traditions qui parlent de l’établissement d’une colonie de Huns dans l’Over-Yssel, un autre encore développant la légende des origines de l’illustre maison des Bréderode. Nous sommes déjà au temps des comtes de Hollande, ces puissans vassaux de l’empire, de leurs luttes continuelles avec les évêques d’Utrecht et leurs turbulens voisins les Frisons, nous franchissons l’époque des croisades, et nous arrivons aux confins de la période où l’histoire de la Néerlande se mêle à l’histoire générale, d’abord par une connexion étroite avec l’histoire de la maison de Bourgogne, puis par l’introduction de la réforme et la lutte gigantesque avec l’Espagne.
Tous ces récits ne sont pas, tant s’en faut, de la même valeur. On voit clairement que l’auteur est dominé par son admiration pour Walter Scott et les romanciers anglais. Il a, comme l’illustre Écossais, une certaine tendance à la description du détail inutile, qui émousse les impressions que la marche dramatique de la composition ferait naître aisément. Il y a même, surtout dans les derniers récits de cette longue revue historique, des parties où l’auteur est décidément resté au-dessous de lui-même. En revanche, le romancier vigoureux, plein d’imagination et de nerf, n’ayant d’autre tort à se reprocher que celui du genre lui-même qu’il avait choisi, se révèle dans deux romans historiques qui ont assis sa réputation en Hollande sur une base inébranlable, la Rose de Décama et le Fils adoptif, le premier nous reportant au temps de Guillaume IV, comte de Hollande, le second au temps des guerres contre l’Espagne et des conjurations semi-politiques, semi-catholiques du parti vaincu. Des scènes charmantes de fraîcheur et d’entrain, des caractères d’un dessin ferme, une judicieuse fusion des données de l’histoire et des fictions du roman, beaucoup de verve et d’esprit dans les dialogues, justifient la popularité acquise à ces deux ouvrages. La Rose de Décama est une ravissante jeune Frisonne digne de sa race par son courage et sa fierté native, digne de son surnom par sa grâce virginale, et cette suave figure fait un ravissant contraste avec les scènes terribles auxquelles sa destinée la mêle. Dans le Fils adoptif, le pasteur calviniste du type primitif, le vieil écuyer Bouke, mélange on ne peut plus amusant de Caleb pour la fidélité et de Sancho pour les proverbes, copié, paraît-il, d’après nature sur un ancien serviteur des van Lennep, les deux prêtres, l’un représentant le catholicisme ardent, fanatique, implacable, l’autre, non moins attaché à son église, mais se rapprochant plutôt du mysticisme placide et doucement résigné qui vient d’A-Kempis et fera plus tard le jansénisme des Pays-Bas, les figures historiques de Maurice d’Orange et de son frère Frédéric, bien d’autres personnages encore, donnent à tout ce récit une couleur, une vie, qui font oublier les défauts du genre. On peut déjà signaler un des grands mérites de van Lennep. Les personnages sont nombreux dans ses romans, et cela en complique naturellement la marche; mais ils sont toujours si nettement dessinés, chacun se détache si fortement de l’ensemble, qu’on n’éprouve pas la moindre peine à les distinguer les uns des autres, et leurs agissemens s’entre-croisent sans jamais se confondre. Cependant, si l’œuvre de van Lennep en fût restée là, son originalité eût été médiocre. Nous devrions le classer parmi les romanciers historiques de talent, émules plus ou moins heureux de Walter Scott et par conséquent destinés à baisser dans l’estime littéraire avec le genre nécessairement défectueux qu’ils ont adopté. C’est en arrivant aux romans qui nous peignent les époques plus voisines de la nôtre que nous allons le voir sur son terrain, avec la saveur et le bouquet du cru.
Il est clair que le péché originel du roman historique se fait sentir de moins en moins à mesure que l’auteur place ses récits dans un temps plus rapproché du sien. Il se réduira même presque à rien dans le cas où le romancier doit à des circonstances particulières d’être parfaitement au courant et personnellement imbu des traditions et des idées qui avaient cours deux ou trois générations avant lui : ce fut précisément le cas pour van Lennep, et c’est pourquoi nous avons insisté sur ses origines de famille. Dans un pays connu par la ténacité de ses coutumes et de ses mœurs, van Lennep, appartenant à une classe sociale restée fort longtemps identique à elle-même, grandit au milieu de vieillards quelque peu déconcertés par les événemens qui leur avaient enlevé le pouvoir, mais conservant d’autant mieux le langage, les idées, les souvenirs d’autrefois. De même que notre vieille noblesse française se perpétua quelque temps encore après la révolution, avec ses manières et son esprit du XVIIIe siècle, — au point que ceux-là seulement comprennent bien le siècle dernier qui ont encore pu entendre les derniers survivans de cette société à jamais disparue, — de même l’ancien patriciat municipal de Hollande, bien qu’ayant perdu sa raison d’être, se conserva en esprit longtemps encore après sa chute politique, et même je ne voudrais pas jurer qu’en étudiant attentivement le jeu et la composition des partis actuels dans l’état néerlandais, on ne le retrouverait pas subsistant à l’état latent, sous d’autres noms, très modifié sans doute, mais au fond dominé toujours par sa tendance originelle, le libéralisme oligarchique. Quelques explications sur le rôle et l’importance de ce patriciat municipal de l’ancienne république hollandaise nous paraissent ici nécessaires.
La révolution du XVIe siècle trouva dans les Pays-Bas deux genres d’appui dont l’union fit la force : une famille d’hommes de génie, la famille d’Orange, eu qui s’incarnèrent les grandes passions populaires de l’indépendance nationale et de la réforme religieuse, et la bourgeoisie commerçante et fière des vieilles communes, très attachée à ses franchises, habituée à un état de choses qui ressemblait fort à la république. Tant que dura la lutte acharnée contre l’Espagne, l’intérêt commun étouffa aisément les germes de discorde qui devaient s’élever plus tard entre une famille illustre, à laquelle le peuple était foncièrement attaché, et ce républicanisme municipal qui avait servi à ses risques et périls la cause nationale et protestante, souffert, triomphé avec elle. Les princes d’Orange, bien que simples stathouders ou protecteurs de l’union des provinces, étaient poussés, non-seulement par l’ambition naturelle au cœur de l’homme, mais aussi par le vœu populaire et par l’intérêt des grandes causes confiées à leur garde, à s’arroger une autorité voisine du pouvoir royal. Or la haute bourgeoisie des villes tenait fort à ses privilèges et redoutait tout ce qui ressemblait à l’autocratie. Les deux partis étaient l’un et l’autre assez forts pour se faire mutuellement échec, pas assez pour que l’un des deux fondât sa prédominance sur l’écrasement total de l’autre. Les luttes passionnées du temps de Barnevelt, des De Witt, celles de la seconde moitié du siècle dernier, forment les points culminans de ce conflit, qui n’a cessé que de nos jours, ou plutôt qui s’est trouvé régularisé par l’établissement de la monarchie constitutionnelle. A l’origine, c’est au nom des états, représentans légitimes des provinces, que la guerre avait été déclarée à l’Espagne violatrice des pactes jurés. Les bourgeois notables qui composaient ces états se considérèrent comme souverains de fait et, après que la rupture fut devenue définitive, comme souverains de droit. Par une raison facile à comprendre, pendant cette lutte de quatre-vingts ans, on vit presque toujours les mêmes noms figurer dans les conseils des villes et dans les états-généraux, composés des délégués de ces conseils. Le peuple, satisfait de voir un prince d’Orange à sa tête et la réforme maintenue, laissa volontiers l’administration et les finances à des hommes rompus aux affaires et dont le caractère éprouvé lui inspirait toute confiance. De plus, on n’avait pas autrefois des susceptibilités aussi vives que de nos jours en matière d’élection. La nomination directe des conseillers par le prince n’eût pas été supportée dans ce pays d’états électifs, mais on trouvait tout simple que les conseillers en exercice désignassent eux-mêmes ceux qui devaient remplir les vides formés dans leurs rangs par la mort ou les sorties de charge périodiques. Ceux-ci à leur tour regardaient comme tout à fait légitime de porter leurs suffrages de préférence sur des parens, sur des amis, sur les fils de ceux dont le nom avait déjà figuré au tableau des bourgmestres et des échevins. Les mariages fréquens entre des familles que rapprochaient les fonctions politiques de leurs chefs accrurent encore cette propension. Les « familles gouvernantes » (regeering familien) s’allièrent de même d’une ville à l’autre. De là l’occasion offerte à tel bourgmestre ou échevin d’Amsterdam ou de La Haye, par exemple, qui ne voyait pas de place disponible pour son fils dans sa ville natale, de le caser, à charge de revanche éventuelle, à Gouda, à Dordrecht ou à Rotterdam. De là enfin la constitution finale d’un patriciat bourgeois et républicain, répandu sur toute la surface du pays, ayant conscience de sa solidarité, bientôt exclusif vis-à-vis des autres classes, et dont le rôle historique est plus grand qu’on ne pense. Cet état de choses tenait si intimement à l’esprit des institutions et aux mœurs qu’en 1748, le stathouder Guillaume IV ayant, dans un moment de réaction orangiste, fait entrer d’autorité un nombre assez considérable de noms nouveaux parmi les familles gouvernantes, les favorisés de ce petit coup d’état, dès le lendemain de leur arrivée au pouvoir, épousèrent au moins aussi chaudement que leurs devanciers les intérêts, les idées et les préjugés du patriciat.
Tout bourgeois qu’il était, ce patriciat avait une très haute idée de lui-même. Il avait imposé à l’Espagne la reconnaissance de l’indépendance nationale. Il s’était vu courtisé à l’envi par les plus puissans monarques de l’Europe, Louis XIV par deux fois, au temps des De Witt et dans les années qui précédèrent la révolution d’Angleterre, l’avait circonvenu de prévenances et de promesses. Il avait envoyé ses flottes victorieuses déployer les trois couleurs nationales dans toutes les mers et jusque sous les murs de Londres. Quand la révocation de l’édit de Nantes vint dessiller les yeux les plus prévenus en faveur du roi-soleil, ce fut le concours longtemps indécis des villes qui permit à Guillaume III de renverser Jacques II et d’organiser la coalition contre la France. Les Hollandais, excellant dans la guerre maritime, défendant leurs villes avec acharnement, n’ont jamais eu beaucoup de goût pour la guerre continentale, et leurs armées pendant les derniers siècles se composaient presque entièrement de Suisses, de Wallons et d’Allemands; mais on tenait à honneur dans les maisons princières d’y exercer le métier des armes, et plus d’une fois des fils de familles régnantes vinrent humblement, chapeau bas, solliciter des bourgeois hollandais l’insigne faveur d’un commandement. Quiconque a vu dans les musées et les hôtels de ville des Pays-Bas ces bourgmestres, ces pensionnaires[4], ces membres des vroedschrapen[5], tout de noir habillés, avec leurs rabats, leurs fraises à tuyaux, leurs souliers à larges rosettes constellées de pierreries, leur physionomie grave, leur regard d’une assurance calme, leur pose un peu raide, mais solide, se représenteront facilement cette espèce d’aristocratie qui put longtemps se croire perpétuelle.
A côté d’une étroitesse inévitable et d’un certain pédantisme, il y avait beaucoup de dignité dans ces vieilles familles bourgeoises qui présentent assez d’analogie avec nos familles parlementaires d’autrefois. Les femmes étaient ou puritaines ou bonnes commères réjouies, mais toujours épouses fidèles, mères excellentes, et, toutes fières qu’elles fussent de leur rang social, elles ne craignaient pas de mettre elles-mêmes la main à la bonne direction de l’office, du fruitier, de l’armoire aux conserves et surtout de l’armoire au linge. Ce monde bourgeois était lettré. Les fils recevaient ordinairement l’éducation universitaire et se mariaient jeunes. Les mariages d’inclination étaient la règle; les filles, comme encore aujourd’hui en Hollande, étaient peu ou point dotées. Une belle bibliothèque faisait partie indispensable de l’ameublement d’une maison comme il faut. Ce n’est pas seulement parce que la presse y était plus libre qu’ailleurs que nos écrivains du dernier siècle se faisaient si souvent imprimer en Hollande : la moitié des éditions se plaçait souvent dans la seule ville d’Amsterdam. En fait de tableaux, ou bien on avait dans ses salons des œuvres de maîtres, ou bien on s’en passait. Du reste une grande simplicité régnait dans les ameublemens, la nourriture et les plaisirs : de bons forts meubles de chêne ou d’acajou, des fauteuils droits en velours d’Utrecht, des armoires pleines de superbe linge, les énormes rôtis et les gros légumes du pays, le poisson abondant, mais peu varié, des rivières et des côtes, le feu bleuâtre des excellentes tourbes de l’Over-Yssel échafaudées symétriquement dans les grandes cheminées, mais pas de feu dans les chambres à coucher ni au bureau du père, sauf en cas de maladie, la partie d’hombre le soir avec la longue pipe blanche où brûle un tabac superfin, et le flacon de vin de France ou de vin du Rhin, en été un séjour à la campagne dans les environs de Harlem ou de La Haye, rarement le spectacle ou la danse, mais de très fréquentes réunions autour de la table à thé, et des soupers copieusement arrosés, — voilà, rapidement esquissée, la vie matérielle de cette société particulière. Notre goût français eût trouvé ce genre de vie aisé, très comfortable même pour le temps, mais un peu lourd, trop uniforme. Ce n’en était pas moins un monde remarquable, digne d’être connu et profondément estimable.
C’est de ce monde à part que Jacob van Lennep a recueilli de première main les souvenirs, et, sans se laisser aveugler par l’esprit de caste, tout en reconnaissant les défauts inhérens au système dont ce patriciat bourgeois était sorti, il l’a décrit avec un respect filial qui ajoute au mérite de ses scrupuleuses peintures. Le premier dans l’ordre chronologique des romans où van Lennep arrive à parler des hommes et des luttes politiques engendrées par le conflit dont nous venons de retracer les causes est peut-être le moins populaire de ses ouvrages, peut-être aussi l’un de ceux qu’un connaisseur délicat lit avec le plus de plaisir. Elisabeth Musch nous transporte au moment où l’astre de Jean De Witt, l’antagoniste le plus capable de la maison d’Orange, touche à son apogée. Le prince d’Orange, qui sera plus tard Guillaume III d’Angleterre, est encore un adolescent chétif et pâle. Le grand-pensionnaire de Hollande, tout-puissant dans les conseils des principales villes et dans les états-généraux, a pris ses mesures pour l’exclure de tout emploi et même pour imposer au jeune prince une éducation républicaine qui ne mordra guère sur cet esprit précoce, déjà mûri par la souffrance, qui sait se taire et attendre. Cependant les orangistes mécontens s’agitent déjà sourdement, et des explosions intermittentes de la mauvaise humeur populaire préludent à la sanglante tragédie de 1672. C’est entre ces deux lourdes masses d’intérêts et de passions en lutte que vient imprudemment se fourvoyer un jeune et charmant couple, à qui tout souriait dans la vie, qui venait de voir naître son premier enfant, et qui, sans intention mauvaise, sans autre tort que de vouloir trop promptement parvenir, se jette étourdiment dans une intrigue politique dont le mari paiera de sa tête l’échec final. De Buat, officier d’origine française attaché à la maison du prince, encouragé par sa jeune et jolie Elisabeth, qui prévoit moins encore que son mari les dangers auxquels il s’expose, se trouve amené à servir d’instrument tout à la fois au parti orangiste, qui est le sien, et au parti des états. De Witt voudrait entamer avec l’Angleterre une négociation extra-officielle à laquelle il serait censé n’avoir lui-même aucune part, afin d’arriver à conclure la paix avec Charles II. Le pauvre de Buat, qui ne voudrait trahir personne, entre en relations confidentielles avec les meneurs des deux partis, finit par ne révéler aux uns et aux autres qu’une partie des lettres qu’il reçoit d’Angleterre, s’imagine un moment qu’il pourra sans faire autre chose que le bien de son pays diriger lui-même la négociation délicate dont il tient les fils, rêve déjà honneurs, gloire, richesse, — et tout d’un coup, à la suite d’une distraction, se trouve impliqué dans une affaire de haute trahison. Tel est le canevas sur lequel l’auteur a brodé des scènes infiniment curieuses où paraissent les principaux personnages du temps, à commencer par De Witt et le jeune prince. L’amour tient moins de place dans ce roman que dans les autres; mais, outre la variété des incidens, les aperçus historiques d’une grande portée sur la politique du temps, en particulier sur les menées des envoyés de Louis XIV auprès de » leurs hautes puissances les états, » rien de plus émouvant, rien de plus tragique que d’assister à la chute graduelle du malheureux et naïf de Buat, qui ne sait pas dans quel abîme il s’enfonce. C’est en vain que le pauvre papillon doré se débat contre les fils dans lesquels l’enlace la monstrueuse araignée dont il a cru pouvoir traverser impunément la toile. En vain fait-il appel aux amitiés influentes qui pourraient le sauver, en vain sa jeune femme et sa belle-mère vont-elles se jeter aux pieds du grand-pensionnaire. Il n’était qu’un instrument, cet instrument est brisé, et ceux qui s’en servaient ont tout intérêt à ce qu’il disparaisse. Le portrait de Jean De Witt, magistrat austère, politique de génie, dont la seule grande faute fut de se fier à Louis XIV, dévoué à son pays, mais aussi et tout autant à son parti, plus juste que clément et plus estimable qu’aimable, est admirablement peint. Ce livre offre un genre d’intérêt qui rappelle celui de Cinq-Mars, d’Alfred de Vigny.
Un autre roman de van Lennep, Ferdinand Huyck[6], touche moins que le précédent à la grande politique, mais nous fait entrer plus avant dans la vie intime du patriciat municipal. C’est l’histoire d’un jeune homme, fils du magistrat chargé de la police d’Amsterdam, qui se trouve involontairement mêlé à la mystérieuse destinée d’un baron de Linz, émigré en Espagne, où il a été créé duc de Talavera, qui s’est fait forban, et qui, redevenu honnête homme, doit passer sans être reconnu à travers la Hollande, où il est activement recherché par ordre des états, et où il doit rentrer en possession de papiers qui lui sont nécessaires afin d’aller en Russie utiliser ses connaissances nautiques sur la flotte du tsar Pierre. La compromission forcée de l’honnête jeune homme avec le hardi coureur d’aventures, le secret qu’il est tenu de garder, les démarches étranges qu’il est entraîné à faire, tout rend bientôt sa position insoutenable auprès du grave et scrupuleux magistrat, son père, auprès de toute sa famille et de la jeune fille dont il est amoureux. C’est ici surtout que nous pouvons saisir le secret du charme propre aux meilleures compositions de van Lennep. Il consiste à dérouler une histoire très romanesque dans les limites d’un cadre très réaliste. Qu’on se figure l’agitation que ne peuvent manquer de produire dans la paisible maison du hoofdschout d’Amsterdam les rapports prolongés du fils aîné avec l’ancien écumeur de la mer des Antilles! Quel contraste entre cette sombre figure et ce placide intérieur, où tout reluit, meubles et consciences! Là encore de nombreux originaux se meuvent autour du héros principal. Il y a un vieux loup de mer hollandais, le capitaine Pulver, jadis victime de l’ancien pirate, et qui est parfaitement amusant avec ses tics et ses citations, tombant régulièrement à faux, des paroles qu’il a entendu dire à d’autres; il y a la tante Létie, vieille fille orthodoxe du vieux style, bonne femme qui n’a d’autre tort que de fourrer partout son patois de Chanaan, et la tante van Bempden, sa sœur et son antipode, grosse matrone enjouée qui a de la vie pour quatre, toujours en train, toujours en action. Il y a la charmante sœur Suzanne, la plus spirituelle taquine qui se puisse imaginer, et la mélancolique figure d’Amélia, fille de l’ex-forban, belle méridionale à qui la destinée est dure, et qui passe, résignée et fière, à travers ce monde fermé pour elle, non peut-être sans y laisser son cœur. Les scènes d’amour entre Ferdinand et sa fiancée, leurs brouilles et leurs raccommodemens sont touchés d’un pinceau délicat et sûr, car van Lennep excelle dans la peinture de l’amour jeune et honnête. Le magistrat Huyck est aussi un curieux caractère, un spécimen d’ancien patricien, grave, compassé, passablement pédant, mêlant les classiques latins à toutes ses conversations, mais avec tout cela magistrat intègre, plein d’honneur et de probité, et qui, s’il comprend ses devoirs d’une manière un peu étroite, se ferait hacher plutôt que d’en trahir un seul. N’oublions pas enfin le poète famélique Helding, échantillon d’une classe qui parait avoir été assez nombreuse de littérateurs et de poètes vivotant aux dépens de la bourgeoisie, dont ils mettaient en vers pompeux les moindres anniversaires.
Van Lennep ne se borne pas à faire du roman historique dans les meilleures conditions. Il sait rendre sa composition vivante. Causeur très spirituel lui-même, il fait causer ses personnages admirablement et avec un naturel parfait. Il s’identifie avec eux. Surtout van Lennep est peintre, et il existe un rapport incontestable entre ses tableaux écrits et les toiles des maîtres qui ont illustré sa patrie. Je ne sache pas qu’il s’en soit jamais douté lui-même, ni qu’on le lui ait jamais dit. C’est peut-être un de ces rapprochemens qu’un étranger saisit plus vite qu’un homme du pays. J’avoue, pour ma part, en être très frappé. Tantôt c’est une scène d’intérieur fortement éclairée sur un point, un Schalken, un G. Dow, tantôt c’est une exubérance de mouvement et de vie qui rappelle les kermesses de Teniers ou les batailles de Wouwerman. Les paysages font rêver de Ruysdaël et de van de Velde; certaines figures vulgaires, mais puissamment crayonnées, des incidens de chaumière ou de cabaret, évoquent devant les yeux de l’esprit des Jean Steen et des van Ostade. Les portraits l’appellent la touche vigoureuse et réaliste de van der Elst et de Guyp. De beaux reflets viennent chatoyer sur les cheveux blonds de ses héroïnes et sur leurs robes moirées; elles versent aux cavaliers le vin d’honneur et lisent seules dans les jardins pleins d’ombre. Van Lennep aime la lumière et les jeux de lumière, et les varie beaucoup. En cela encore, il est de son pays; il n’est pas de contrée plus riche que les Pays-Bas en effets de lumière bizarres ou intenses.
À ces éminentes qualités d’écrivain, auxquelles nous devons joindre un style varié, toujours aisé, naturel et clair, s’associent toutefois des défauts qu’il nous faut signaler à leur tour. Le premier de tous, un défaut auquel nous sommes peut-être plus sensibles en France qu’on ne l’est en Hollande, c’est une prolixité qui prend sa source dans un certain besoin consciencieux d’être complet et de tout dire, mais qui alourdit souvent la marche du récit, et que tout l’esprit de l’auteur, qui en a beaucoup, quelquefois même trop, ne parvient pas toujours à rendre supportable. Se rappelle-t-on ces Breughel où sur des toiles de trois décimètres carrés sont peintes des maisons d’un pouce de haut dont on peut compter les briques? C’est admirablement fait, ce n’est ni beau ni vrai. On croit être exact, reproduire la réalité, et l’on se trompe. La réalité en peinture n’est pas ce qui est, c’est ce que nous voyons, et nous ne voyons pas les choses de cette manière. De plus on peut reprocher à van Lennep une trop grande confiance dans quelques moyens surannés de piquer l’intérêt des lecteurs. Par exemple, le nombre de ses enfans d’origine inconnue, dont la famille se découvre à la fin du roman pour qu’ils puissent se marier, ce nombre est décidément excessif. Parfois aussi, comme dans le roman d’ailleurs si intéressant de Ferdinand Huyck, le dénoûment est amené d’une manière violente et forcée. Enfin nous aurions souvent lieu de lui reprocher de ne pas savoir s’effacer assez complètement comme auteur. La bonne dose d’humorisme dont il était pourvu peut lui servir d’excuse. Il n’en est pas moins vrai que trop souvent, au moment même où la fiction vous captive le plus par son cachet de réalité, la figure très expressive, mais dont on n’avait que faire en cet endroit, du spirituel écrivain se montre derrière le texte comme pour vous rappeler qu’il n’y a pas un mot de vrai dans tout ce qu’il vous raconte là. « Mais taisez-vous donc avec vos traits d’esprit, serait-on tenté de lui dire comme Mme Pury à l’époux dont nous parlerons bientôt; qui diantre vous forçait à vous montrer ainsi? »
Ces défauts n’empêchaient pas les romans de van Lennep d’être les plus lus et les plus goûtés de la population hollandaise, qui lit beaucoup. Des traductions avaient répandu les principaux en Angleterre et en Allemagne. Pendant quelques années, sa plume, auparavant si féconde, sembla inactive. On pensait qu’essentiellement auteur de romans historiques il avait peu de goût pour le roman contemporain, et qu’il avait épuisé son cycle. Cependant ceux qui pouvaient l’approcher avaient lieu de croire que cette inactivité n’était qu’apparente, et en effet, âgé de plus de soixante ans, il reparut sur la scène en 1866 avec un nouveau roman en cinq volumes, De Lotgevallen van Klaasie Zecenster (les Aventures de Nicolette Pléiade), qui fit une sensation profonde, et prouva qu’en vieillissant van Lennep savait se transformer.
Ce n’est pas qu’il eût absolument rompu avec son ancien genre. L’histoire qu’il raconte se passe dans notre siècle, mais dans la première moitié, et les souvenirs du passé y tiennent encore une grande place; puis, s’il ne fait que très peu d’allusions aux événemens politiques, ce roman n’en est pas moins fondé sur des faits réels. L’auteur a lui-même rencontré l’héroïne encore enfant dans un de ces sous-sols qu’habite la classe inférieure d’Amsterdam. L’étrange histoire de Nicolette, jetée sans s’en douter dans un repaire infâme, y passant malgré elle des semaines entières et en ressortant aussi pure qu’elle y est entrée, est aussi une réalité. L’auteur a même dû attendre que la mort eût éclairci les rangs de ceux qui s’étaient trouvés mêlés à cette aventure, il a dû dénaturer des dates, des noms, des circonstances, pour ne faire tort à personne. Par conséquent, même dans cette œuvre où la part de la fiction est très grande, il reste jusqu’à un certain point historien; mais de plus il se fait moraliste et moraliste social. Lui, ce conservateur émérite, il lance des vérités vigoureuses, presque brutales, à une société qui prend trop complaisamment la régularité des dehors pour une preuve d’excellence. Enfin il reste peintre, d’une exactitude photographique. Les étudians, le petit peuple, l’aristocratie, le commerce, la ville et la campagne posent tour à tour devant son chevalet. C’est l’œuvre que nous avons réservée pour une analyse plus détaillée que celle que nous avons consacrée aux romans antérieurs. Elle est la plus forte et la plus variée. C’est celle aussi qui a fait le plus de bruit, qu’on a le plus vivement discutée, et, bien que nous ne puissions la présenter que sous cette forme étriquée et desséchée qui est à l’œuvre elle-même ce que la fleur de l’herbier est à la même fleur en plein épanouissement sur sa tige, nous espérons que ce résumé permettra de se faire une idée de l’intérêt puissant qu’elle excita et qu’elle mérite.
Qu’on se représente un soir pluvieux de Saint-Nicolas dans la bonne ville de Leyde. Six étudians sont réunis chez leur camarade le théologien Bol pour fêter dans sa petite chambre cet anniversaire toujours célébré dans les familles hollandaises, et où l’on envoie à ses amis et amies une foule de cadeaux sous forme de surprises. Au moment où les sept jeunes gens s’attendaient à recevoir les gâteaux commandés par l’amphitryon et à leur faire honneur avec leur appétit de vingt ans, une corbeille fermée est déposée entre leurs mains, et il se trouve qu’elle renferme une petite fille de quelques jours à peine. Le premier volume est tout rempli par des scènes de la vie d’étudiant et par le récit des mesures prises pour assurer à l’enfant d’abord une nourrice, puis une éducation convenable. Un lecteur qui examine de près ce qu’il lit remarquera aisément l’art avec lequel, dans les caractères, le langage et les idées de ses personnages, le romancier a indiqué des nuances encore fondues dans l’uniformité de la jeunesse, et qui deviendront plus tard autant de couleurs bien tranchées.
Le second volume nous transporte en pleine villégiature hollandaise. Le beau village de Hardestein, avec ses riches villas, ses chemins ombreux et ses jardins parfumés, sert de cadre aux amours de notre héroïne Nicolette Pléiade. Elle a été ainsi baptisée du nom du saint qui avait présidé à son adoption, joint au titre peu modeste que s’était adjugé le club d’étudians réunis dix-huit ans auparavant chez Bol, à présent pasteur de ce village et recevant dans son presbytère Nicolette, devenue une charmante jeune fille. Son ancien camarade, le comte d’Eylar, premier personnage de l’endroit, l’a prise aussi en affection, mais ne tarde pas à trembler quand il voit son frère, le jeune vicomte Maurice, s’éprendre d’elle avec une vivacité qui lui inspire l’idée de l’envoyer aussi vite que possible chez un autre de ses pères adoptifs, le riche van Zirik, de La Haye, où elle entre comme gouvernante des petites filles.
De nouveau la scène change, et nous voici transportés au sein d’une société moins distinguée à tous égards que celle de Hardestein. La pauvre enfant a le malheur de tomber sous la direction d’un parvenu vaniteux et imbécile, entièrement gouverné par une femme vindicative et passionnée, qui pousse l’inconduite jusqu’à l’adultère éhonté, et qui, furieuse de voir adresser à Nicolette des hommages qui ne lui semblent dus qu’à elle-même, se prend pour l’innocente jeune fille d’une haine implacable, et trame avec un agent de la police un horrible complot dont le résultat est que Nicolette est jetée sans s’en apercevoir dans un mauvais lieu, y tombe malade, y reste plus d’un mois forcément et avec toutes les apparences de s’y être rendue de propos délibéré. Tous ses anciens amis et protecteurs la regardent comme une fille perdue et ne veulent même plus l’écouter lorsque, sortie pure à force de courage et d’énergie de cet abominable repaire, elle réclame de nouveau leur appui.
Les volumes suivans racontent sa lente réhabilitation, retardée par son propre découragement. Insensiblement, le mystère qui recouvrait sa naissance s’éclaircit. Elle trouve un asile chez une bonne dame qui l’avait connue enfant, et qui n’était autre que sa mère. Apparentée aux meilleurs noms d’Amsterdam, mais élevée en Angleterre et victime de son ignorance des lois matrimoniales du continent, elle s’était vue repoussée par la famille de son mari, qui l’avait laissée veuve, et elle avait donné le jour dix-huit ans auparavant à une petite fille qu’elle croyait morte peu après sa naissance. En effet, la femme de Leyde chez qui s’était opérée sa délivrance, à l’issue d’une maladie qui l’avait privée plusieurs jours de sa connaissance, lui avait annoncé cette mort. En réalité, cette femme, — plus tard la directrice de l’établissement infâme où Nicolette avait été envoyée par Mme van Zirik, — l’avait fait porter le soir de la Saint-Nicolas, en guise de surprise, chez le vieux Flinck, riche nabab, reparti le jour même pour les Indes, le beau-père de l’accouchée et dont elle avait à se plaindre. L’enfant chargé de la commission, ne sachant ce qu’il portait, se trompa de porte, et cet étrange cadeau de Saint-Nicolas arriva chez Bol au lieu de tomber chez Flinck. C’est seulement peu à peu que le jour se fait sur cette mystérieuse histoire. Longtemps la mère et la fille vivent ensemble sans se connaître. Nicolette doit même quitter ce doux asile parce que la médisance s’attaque à son séjour sous ce toit hospitalier en compagnie d’un jeune homme, fils de sa protectrice, en réalité son frère, et qu’on avait fait passer pour son amant. C’est chez les époux Pury, grands marchands de nouveautés à Amsterdam, que Nicolette retrouve son grand-père Flinck, qui s’enthousiasme pour elle longtemps avant de savoir qui elle est, son ancien amoureux Maurice d’Eylar, demeuré fidèle, et enfin l’estime de ses pères adoptifs, qu’une longue série de circonstances achève d’éclairer sur l’odieuse histoire qui s’est passée à La Haye. Toutefois, si elle est justifiée dans l’esprit de tous ceux qui connaissent les choses de près, elle ne l’est pas, elle ne peut pas l’être devant l’opinion. Les apparences plaident trop fortement contre elle, son mariage avec Maurice est moralement impossible : elle-même le sent et le dit avec une douleur navrante. Sa santé, minée par les terribles épreuves qu’elle a dû subir, ne résiste pas à une dernière expérience qu’elle fait de la manière dont on la juge en dehors du cercle restreint de ses amis, et elle meurt lentement, entourée de ses pères adoptifs, de sa famille retrouvée et de son jeune amant, qui reçoit son premier baiser dans son dernier soupir. Tel est le canevas, extrêmement simplifié, de ce long drame, qui souffre plus que nous ne saurions le dire de cette réduction infinitésimale. Que l’on se représente une trentaine au moins de personnages se mouvant autour de l’héroïne principale et tous avec une étonnante vivacité de langage et une variété non moins remarquable de physionomie physique et morale ! Dès les premières pages, nous sommes en présence de huit caractères parfaitement dessinés; c’est d’abord l’étudiant en théologie Bol, brave garçon de très petite naissance, laid, gauche et raide, mais bon, laborieux, aussi paradoxal dans ses théories que judicieux dans sa pratique; puis son ami le jeune comte d’Eylar, plein de distinction et de bon goût, mais de volonté indécise et facilement mené par ses camarades, comme il le sera plus tard par sa femme; puis le Frison Donia, au cœur ouvert, à l’esprit sensé, qui à vingt ans s’adonne à la poésie byronienne et plus tard sera un administrateur de premier ordre; Gaillard, le va-de-bon-cœur de la bande, le moins moral aussi, et que par la suite Nicolette seule saura ramener à la vie décente et régulière; van Zirik, le plus riche et le moins spirituel de la pléiade; l’avocat en herbe Hoogenberg et l’étudiant en médecine Zevenaar, destinés à briller aux premiers rangs de leur carrière respective; enfin le jeune négociant Bleek, introduit accidentellement dans la pléiade avec le titre de Comète, et qui, d’abord insignifiant, ne tarde pas à se révéler sous les traits de l’hypocrite le plus fieffé qu’il soit possible de concevoir. Ce sont les pères adoptifs de l’enfant de la Saint-Nicolas. Plus tard, nous voyons passer et repasser autour d’elle bien d’autres types fort curieux, par exemple sa nourrice Mîtie Lammertsz, dont le lait vaut beaucoup mieux que les principes, la douairière d’Eylar, mère de Maurice, dite Madame Mère, pour la distinguer de la jeune comtesse, descendant d’une famille de réfugiés français et formant un parfait contraste avec sa voisine de campagne, la douairière de Dourtoghe, qui représente l’ancien patriciat, la charmante Bettemie, sa nièce, qu’épouse par la suite le frère de Nicolette, non sans avoir dû la disputer longtemps à Drenkelaar, un de ces intrigans de la pire espèce, qui cachent leurs ruses infernales sous les dehors les plus réguliers, les plus irréprochables; Flinck, le vieux négociant retour des Indes, encore un type à part; le baron Tilbury, l’un des poursuivans de Nicolette à La Haye, vieux roué qui, par ses ridicules prétentions, précipite la sombre catastrophe dont l’infortunée jeune fille est la victime. Nous en pourrions citer bien d’autres; mais n’oublions pas M. et Mme Pury, ou plutôt Mme et M. Pury, les marchands de nouveautés en renom d’Amsterdam, car c’est madame qui commande et non monsieur, ex-coiffeur français, qui a fait en l’épousant une excellente affaire, et que sa femme fait toujours taire, même quand il ne dit rien, ce qui ne l’empêche pas de dire son avis sur toute chose et d’être le plus heureux des mortels.
On se demande peut-être comment l’auteur s’y est pris pour donner de l’air et de l’espace à ses nombreux personnages et aux non moins nombreuses créations de son récit. Le fait est qu’il y a parfaitement réussi, et que sans la moindre peine on suit d’un bout à l’autre les enchevêtremens d’intrigues et de passions qui se rattachent à la trame principale. Son talent descriptif, la manière dont il s’y prend pour buriner ses caractères, l’extrême variété des cadres et des situations, enfin le cachet extrêmement vivant d’un réalisme, si je puis m’exprimer ainsi, constellé d’idéal, lui ont permis de marcher jusqu’à la fin sans le moindre encombrement. Les principales scènes se dessinent dans la mémoire avec une aisance merveilleuse. La soirée d’étudians chez Bol, le sous-sol habité à Amsterdam par Mitie Lammertsz et Nicolette, le village de Hardestein, la tombola de Madame Mère, le dîner de la douairière de Dourtoghe, la maison van Zirik, le magasin de nouveautés des Pury, la chambre où Nicolette prodigue ses soins à Gaillard malade, sa chambre mortuaire à elle-même, forment autant de tableaux si parfaitement distincts, de couleurs si tranchées, relevés par des détails si finement caractérisés, qu’on aurait envie d’être peintre pour les fixer sur la toile. Aussi quelle popularité enthousiaste accueillit les volumes successifs à mesure qu’ils paraissaient! On se les arrachait, et de Groningue à Maëstricht il n’était question que de Klaasie Zerenster.
Cependant avec le troisième volume, qui contenait le séjour de l’héroïne à La Haye, il y eut un brusque temps d’arrêt dans ce concert de louanges. Des voix nombreuses se mirent à crier à l’indécence, à l’immoralité, et se gendarmèrent contre l’auteur au nom de la pudeur publique outragée. Il y avait de cette grande colère deux motifs, l’un avoué, l’autre que je crois très réel, mais dont peut-être on ne se rendait pas clairement compte. Le motif déclaré, c’était le récit détaillé du séjour de la jeune fille dans un lieu infâme. Comment! s’écriait-on, voilà ce qu’on ose mettre sous les yeux de nos femmes et de nos filles ! Et cela, dans notre propre langue, et lorsque nous nous emportons tous les jours contre ces romanciers français que nous ne pouvons lire en famille, quoiqu’ils soient fort amusans, parce qu’ils sont trop licencieux!... Un moment, il fut presque de bon ton dans les familles distinguées ou aspirant à passer pour telles de n’avoir pas lu Nicolette, ce qui fit mentir bien des jolies lèvres. Il faut reconnaître que l’auteur a été hardi. Je dirai plus. Son défaut habituel de prolixité, sensible dans ce dernier roman comme dans les autres, l’a entraîné à pécher contre le bon goût en ce sens qu’il nous fait rester trop longtemps en compagnie nauséabonde. Il est des choses sur lesquelles il faut glisser sans appuyer, et la plume de van Lennep appuie fortement, toujours et partout ; cependant il n’est pas échappé à cette plume un seul mot indécent, et il n’est pas possible de mieux faire ressortir la nature hideuse du mal social que son sujet l’amenait à envisager en face. Il pouvait au surplus citer des romans de haute réputation dont les auteurs n’ont pas reculé devant cette extrémité ; mais je m’imagine que, sous les grandes colères déchaînées par le troisième volume, il y avait une mauvaise humeur engendrée par l’ouvrage tout entier, et qui n’avait pas encore trouvé de motif à explosion. Je vais m’expliquer.
Prise dans son ensemble, la société hollandaise est une des plus respectables qu’il y ait. Des principes d’une grande moralité la dominent ; l’esprit de famille, la régularité des habitudes, le goût du travail, le très grand nombre des mariages d’inclination, un vif sentiment de la dignité personnelle, entretiennent dans son sein le culte de ces principes, et en bannissent ces compromis sur lesquels, dans d’autres pays où les mœurs sont moins fortes, la morale admise jette un voile complaisant et transparent. La société hollandaise, qui lit et qui voyage, se compare aux autres avec une satisfaction réelle, et je suis bien loin de dire qu’elle ait tort ; mais enfin la perfection n’est point de ce monde, et l’on a toujours plus ou moins les défauts de ses qualités. Je ne reproche pas à cette société d’être un peu collet monté ; je remarque seulement que la satisfaction de soi-même engendre toujours une certaine ignorance naïve de ses défauts, et prépare les désillusions cruelles. De là à s’irriter contre les révélateurs importuns qui vous forcent à contempler les plaies existantes, la distance est minime. Pourtant cela ne prouve rien contre eux. Il n’y a pas de demi-monde en Hollande, pas de vice élégant et s’insinuant sous des formes décentes jusqu’au milieu du monde comme il faut, et c’est un très grand mérite ; mais le vice de bas étage, brutal, y existe comme ailleurs. Tout à côté d’une grande régularité de mœurs, on peut constater dans les villes des foyers d’infection qui n’ont rien à envier à ceux des autres pays. Ces paysans, ces ouvriers, d’ordinaire si paisibles, si laborieux, n’en fournissent pas moins le personnel de ces kermesses où une pesante gaîté s’associe à des débordemens d’une impudeur sauvage. En un mot, tout en constatant le bien, tout en reconnaissant même la supériorité morale de l’ensemble, l’équité comme la prudence conseillent de ne pas s’endormir dans une admiration béate. Autrement le réveil est désagréable, et M. van Lennep l’apprit à ses dépens. Il y eut entre autres une catégorie de personnes qui ne lui pardonnèrent pas plus son Bleek, le négociant méthodiste et voleur, que les bigots du temps de Louis XIV ne pardonnèrent son Tartufe à Molière.
D’autres encore crièrent à l’invraisemblance, ne voulant pas admettre qu’avec les règlemens de police en vigueur, sous l’égide d’une administration toujours vigilante et paternelle, une infortune comme celle de Nicolette fût possible. L’auteur n’avait qu’à répondre que, là où la police n’est pas contrôlée, les abus sont toujours possibles. Du reste, un scandaleux procès qui s’ouvrit à Bruxelles peu de temps après la publication de son roman vint forcer ce genre de critiques à se taire. Ajoutons que dès le principe l’auteur trouva aussi des défenseurs chez les esprits impartiaux qui pensent que cette espèce de cant qui défend de parler dans un roman de choses que nul n’ignore est tout le contraire d’une garantie de moralité. Il se fit même en plusieurs localités une révision des règlemens de police destinée à prévenir tout abus du genre de celui dont Nicolette avait été la victime. Ce roman est éminemment utile aux jeunes filles des classes laborieuses, trop souvent entraînées vers un gouffre dont elles ne voient que les bords, et je sais des pasteurs qui se sont servis avec succès des Aventures de Nicolette pour éclairer à temps des infortunées qui allaient s’y précipiter.
Il y eut des critiques d’un autre genre, quelques-unes même fort acerbes. On reprochait à l’auteur d’avoir fait de Nicolette une sainte immaculée, sans faiblesse, sans défaut, comme il n’y en a pas sur la terre. Tout romancier est amoureux de son héroïne, et un amoureux ignore les défauts de celle qu’il aime. Ailleurs on releva malicieusement que Nicolette n’eût pas été aussi parfaite, s’il ne s’était pas trouvé qu’elle se rattachait par sa naissance aux familles patriciennes d’Amsterdam, et que tout l’ouvrage tendait à la glorification de l’aristocratie déchue : reproche des plus injustes, car l’écrivain, malgré ses prédilections connues, ne cache aucune des faiblesses, aucun des torts de la douairière de Dourtoghe, torts et faiblesses qui tiennent à sa caste, et nous offre, dans son frère, l’oncle van Bassem, un type fort amusant du patriciat dégénéré, n’ayant conservé que ses préjugés et son orgueil de race. On prétendait aussi que les caractères ne restaient pas toujours fidèles à eux-mêmes, et cela n’est pas exact, excepté pourtant — et l’auteur l’a reconnu lui-même, — pour le pasteur Bol, qui est trop judicieux, trop bon, trop actif dans les deux premiers tiers de l’ouvrage pour être si effacé dans le dernier.
Le nombre et la vivacité de ces critiques prouvaient combien l’ouvrage était lu et commenté. Les brochures pleuvaient; il y eut presque des livres pour, contre et sur ce roman. Quelques-uns prétendirent connaître de près l’histoire réelle qui servait de base au récit fictif, et, comme pour consoler le public attristé par la mort de l’héroïne, il parut une quasi-rectification : Nicolette Pléiade n’est pas morte. On y trouvait que, guérie de sa maladie et de son amour, elle s’était mariée obscurément et vivait heureuse dans une petite ville du nord; mais une contre-rectification ne tarda point à suivre, intitulée Nicolette Pléiade est bien morte ! Des dramaturges la firent monter sur les planches dans cinq ou six drames différens, du reste sans grand succès. Encore aujourd’hui le roman est souvent discuté. M. Pury est devenu proverbial, et Bleek a laissé un nom.
Le fait est que rarement, en bien comme en mal, la société hollandaise avait vu se dresser devant elle un miroir plus exact. Une génération entière séparait, il est vrai, les personnages du roman de ses lecteurs; mais les mœurs, les habitudes sont tenaces dans ce pays, et sauf quelques différences superficielles de modes, de monnaies, presque toutes les classes de la population pouvaient se reconnaître. Avec quelle verve imitative le romancier-peintre faisait parler à chacun son langage particulier, depuis la phrase solennelle des douairières jusqu’au babil gazouillant des jeunes filles, depuis l’horrible, mais expressif jargon de Mitie Lammertsz jusqu’au hollandais à la française de M. Pury! Et puis, sur ce fond réaliste, humoristique, se détachent des scènes émues, des sentimens d’une délicatesse, d’une pureté idéale. On fait comme la bonne Madame Mère, on rit et on pleure dans le même quart d’heure. La dernière lettre de Nicolette à Maurice est un des morceaux les plus tristes et les plus touchans que je connaisse, et je veux la citer comme exprimant l’idée même qui fait le fond de l’ouvrage. Elle est écrite au moment où la jeune fille, justifiée dans l’opinion de tous ses amis, vient d’être redemandée en mariage par le vicomte d’Eylar, dont jadis et quand elle n’était encore qu’une enfant trouvée, élevée par charité, elle avait eu l’héroïsme de repousser la demande.
« Mon ami,
« Si quelque chose pouvait compenser ce que j’ai souffert pendant les six derniers mois, ce serait la pensée que je n’ai pas perdu votre estime. Déjà j’avais cm voir, quand je vous rencontrai chez Mme Pury, que vous du moins ne me croyiez pas coupable, et ce fut un rayon de lumière qui vint éclairer une nuit douloureuse, un doux rayon qui m’a réchauffé le cœur. Oui, Maurice, votre amour est le plus précieux trésor que je possède sur la terre. Et pourtant je ne puis, je ne dois pas être votre femme.
« Maurice, ce n’est pas cette fois parce que vous portez sur vos armes une couronne de comte que je vous refuse. Dût votre famille désapprouver ce qui resterait à ses yeux une mésalliance, je ne m’arrêterais point à cela du moment que votre excellente mère voudrait bien me recevoir comme sa fille et que votre digne frère continuerait de m’accorder son affection paternelle; mais lors même que vous seriez un simple bourgeois, lors même que vous ne seriez qu’un journalier, je ne pourrais vous épouser. Celle qui dans sa vie a passé un mois entier dans un gouffre d’infamie, lors même qu’elle en est sortie pure et innocente, emporte sur elle une tache que rien ne peut effacer.
« Sans doute M. Hoogenberg a tâché de me justifier, et je ne lui serai jamais trop reconnaissante des peines qu’il s’est données pour cela. Il a réussi auprès de ceux qui étaient chez lui, qui me connaissent et qui m’aiment; mais que peut faire cette justification devant le nombre bien autrement grand de ceux qui ne me connaissent pas? Pour eux, mon innocence restera toujours quelque chose d’incroyable, s’ils sont soupçonneux, et, s’ils sont charitables, quelque chose au moins de douteux. Les efforts mêmes tentés pour ma réhabilitation deviendront pour le grand nombre autant de preuves contre moi. On dira que l’on fait pour la riche petite-fille de M. Flinck ce qu’on n’eût jamais fait pour la pauvre Nicolette Pléiade. Vous me répondrez que de pareils commérages sont indignes qu’on s’en occupe, et que vous-même, convaincu de mon innocence, vous saurez vous élever au-dessus des jugemens du public. Non, mon ami, on ne défie pas ainsi l’opinion, surtout quand elle repose sur un principe bon en lui-même et qu’il faut maintenir. C’est un hommage légitime rendu aux honnêtes femmes que le mépris avec lequel on traite l’homme qui donne son nom à une femme dont la conduite a été scandaleuse, et qui semble accorder ainsi une prime à l’immoralité... Dites-moi, ne souffririez-vous pas quand, vous promenant avec moi, vous verriez les personnes de votre connaissance affecter de prendre un autre chemin pour être dispensées de me saluer? quand au bal, ou au concert, ou dans tel autre lieu de réunion, les chaises resteraient vides autour de moi? ou bien encore, si vous aviez des enfans et que les parens des autres enfans leur défendissent de jouer avec eux?
« Et dussiez-vous vous figurer que vous tiendriez ferme contre de tels affronts, pensez-vous qu’à moi cela serait possible, que j’aurais un instant de repos en voyant le mépris qui nous envelopperait, et qu’à chaque instant je ne me dirais pas : a Si Maurice ne m’avait pas épousée, il n’aurait pas eu de pareils tourmens à endurer? » Et que serait-ce si en effet vous alliez un jour vous en repentir? ou bien, chose pire encore, si le serpent du doute venait un jour vous mordre vous-même au cœur?
« Voilà pourquoi, Maurice, je vous prie de ne pas chercher à me faire revenir sur ma résolution. Croyez-moi, le sacrifice que je fais me coûte beaucoup; mais je sais qu’en le faisant je remplis mon devoir, et que, si j’en suis malheureuse, je le serais bien plus encore en me rendant à vos désirs. Dieu, je l’espère, vous fera trouver une femme digne de vous et dont la tendresse m’effacera de votre souvenir. Il est probable que je ne verrai pas cela. J’ai le pressentiment que je ne resterai pas longtemps sur la terre; mais une de mes dernières prières sera certainement celle que j’adresserai au ciel pour votre bonheur.
« Votre sincère amie. »
Il faut que la critique littéraire soit aussi passionnée dans ses jugemens que la controverse politique pour qu’on ait pu songer à blâmer la tendance morale d’un roman où des sentimens aussi délicats et aussi purs forment la note prédominante. La vraie moralité d’une œuvre d’imagination consiste non pas à récompenser la vertu et à punir le vice, mais à faire voir le mal dans sa laideur et le bien dans sa beauté souveraine. C’est là incontestablement le mérite de l’œuvre que nous venons d’analyser. La fin mélancolique de l’héroïne, bien loin d’affaiblir cette impression salutaire, lui donne un relief d’une rare vigueur.
En somme, les œuvres romantiques de van Lennep resteront comme un des monumens remarquables de ce genre littéraire pour lequel notre siècle s’est passionné, et elles devront ce privilège à ce que, plus tôt que beaucoup de ses émules dans son pays et à l’étranger, l’auteur hollandais a su faire luire les rayons d’un idéal élevé au milieu des réalités qu’il s’est attaché à peindre avec une fidélité scrupuleuse. On ne m’ôtera pas de l’esprit que c’est de ce côté que le roman contemporain doit s’efforcer de marcher, s’il veut se renouveler et vivre. Sous ce rapport, van Lennep laisse un exemple à méditer et à suivre. Depuis que nous sommes revenus du roman historique, socialiste, ou purement idéaliste, nous sommes retombés sur le roman réaliste qui ne craint pas de décrire, quand l’occasion s’en présente, le fumier ou l’égout aussi bien que le lac bleu. Je n’y vois aucun mal a priori, seulement que nos romanciers se disent bien qu’on ne lit des romans que pour varier la monotonie vulgaire de la vie quotidienne, qu’on aime mieux avoir sous les yeux un lac bleu qu’un égout, et que celui-ci n’est supportable que si quelques rayons de soleil habilement dirigés à la surface font miroiter quelques perles annonçant que plus loin se trouve une région lumineuse où il fait bien meilleur respirer et vivre. Sachons peindre tout ce qui est réel; mais parmi les réalités n’oublions jamais celle-ci, que l’homme ne sait se passer d’idéal ni en lui-même, ni autour de lui.
ALBERT REVILLE.
- ↑ Dans cette lettre, écrite en français, mais signée avec une petite coquetterie de prétendant Lodewyk, le roi détrôné déclare que « depuis 1806 la Hollande est devenue son pays, qu’il n’en a plus, si elle lui manque. » Il insiste auprès de ses correspondans pour « qu’on ne rétablisse pas l’ancienne constitution, mais qu’on en adopte une libre et monarchique, à peu près comme en Angleterre et en Suède. » S’il doit remonter sur le trône de Hollande, ce ne sera que légalement et légitimement. » Du reste, et l’illusion qui la dictait mise à part, cette lettre fait preuve d’un grand bon sens politique. Le comte de Saint-Leu resta toujours très attaché à la Hollande. On possède la lettre énergique par laquelle il protesta en termes d’une grande violence contre le décret qui le privait du trône, et ce qu’on a dit de sa « soumission résignée » est de pure invention. Il publia sans nom d’auteur un roman intitulé Marie ou les peines de l’amour, dont il parut une seconde édition sous le titre plus significatif de Marie ou les Hollandaises. Nous trouvons dans cette biographie des deux van Lennep une lettre des plus affectueuses adressée en 1831 à celui dont nous parlons et dans laquelle l’ex-roi l’invitait à venir le voir en Italie. J’ai encore pu recueillir les témoignages de Hollandais de distinction qui l’avaient visité dans sa retraite près de Florence, et avaient été reçus par lui avec beaucoup de cordialité.
- ↑ Il ne les fit imprimer qu’en 1844, à la demande de la reine-mère, et encore cette édition ne fut-elle pas livrée au commerce. C’est son fils qui, en 1861, en fit paraître une édition publique en y joignant les poésies de Cornelis van Lennep, qui n’étaient pas non plus sans mérite.
- ↑ Je possède une lettre de lui, écrite en 1866, au moment où à Berlin, à Dresde, à Florence, à Munich, à Vienne, ailleurs encore, on invoquait à l’envi le Dieu des armées en faveur de toutes les prétentions et à l’appui de toutes les causes. « En vérité, mon cher monsieur, m’écrivait-il, je n’ai jamais vu faire un pareil abus de la Divinité, et le bon Dieu ne doit plus savoir à quel saint se vouer. »
- ↑ Le pensionnaire d’une ville ou d’une province était un magistrat chargé de veiller au maintien des franchises et privilèges, fonction qui lui assurait un grand pouvoir effectif.
- ↑ Littéralement des prud’hommes. C’étaient les conseils des villes.
- ↑ Prononcez Heuilk en mouillant l’l, ui et uy se disant en hollandais comme œil en français. La même remarque est applicable à des noms qui reviennent souvent, et que nous estropions affreusement en les prononçant à la française, tels que Rayter, Ruysdaël, Cuyp, Zuiderzee.