Le Rythme dans la poésie française/I

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Perrin et Cie, libraires-éditeurs (p. 1-3).
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LE RYTHME DANS LA POÉSIE FRANÇAISE


I

De tous temps, l’humanité a considéré la poésie comme un don surnaturel et le poète comme une sorte de messager des dieux. Cette croyance légendaire est certes fort légitime. Bon gré mal gré, quand on cherche à déterminer les facteurs du génie, on aboutit à « l’influence secrète ». Il n’en faut pas moins faire la part de nos sens dans la procréation du Beau. Sans doute, la poésie dépouillée d’expression garde virtuellement dans le cerveau du poète un semblant d’existence. Mais qu’importe au public ? Entre l’âme du poète et la mienne, il faut un médiateur. Ce trait d’union, c’est le vers.

Qu’est-ce donc qu’un vers ?…

Si je consulte les traités, je vois qu’un vers est « une suite de mots reliés entre eux par un rythme[1] ».

Le rythme, à son tour, se définit « une mesure en vertu de laquelle certains sons, revenant à de certains intervalles réguliers ou même irréguliers, font plaisir à l’oreille[2] ».

Le rythme se trouve, par suite, le facteur mécanique fondamental du vers.

Mais il y a des rythmes de diverses natures et d’inégale puissance.

Au milieu des tentatives contemporaines, le public dérouté commence à se demander en quoi vraiment consiste notre rythme national, et si les poésies de nos décadents et symbolistes doivent être tenues pour vers ou pour prose ? Existe-t-il des règles qui puissent nous permettre de distinguer a priori, dans une phrase quelconque, les éléments qui la rendent digne des Muses ?

Si les douze syllabes que voici composent un vers :

Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur,

que dire des douze suivantes :

J’aime les pois verts surtout avec le canard.

Pour répondre à cette question, il n’est meilleure méthode que de remettre sous les yeux du lecteur les principales pièces du procès. Le problème, en effet, est surtout historique.

Passons donc brièvement en revue les différentes formes rythmiques revêtues jusqu’ici par le vers français.

  1. Clair Tisseur, Modestes Observations sur l’Art de versifier.
  2. Id.