Le Saguenay et la vallée du lac St. Jean/Chapitre 12

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Imprimerie de A. Côté et Cie (p. 258-301).


CHAPITRE XII


HYPOTHÈSE DU CATACLYSME


Exposition de la théorie de ce cataclysme auquel remonterait l’existence de la rivière Saguenay


I


La rivière Saguenay est un gouffre subitement taillé en plein granit, blessure effroyable portée d’un seul coup au sein d’énormes entassements de montagnes, et qui a conservé toute son horreur primitive, qui est restée béante depuis des milliers d’années, comme l’attestent l’étonnante physionomie de son sol, l’image de bouleversements répétés, les épaisseurs profondes d’alluvion, de terre végétale, jetées comme au hasard, en énormes amas, soulevées comme le sein de l’océan dans la tempête, puis s’affaissant dans des ravins de deux à trois cents pieds de profondeur, tout cela à la fois, brusquement, sans cause explicable, si ce n’est par un épouvantable choc dans les entrailles de la terre et par le déchaînement des éléments qui en fut la suite.

Comment se rendre compte de l’existence de cette rivière qui coule, non pas sur le flanc des montagnes, ni dans une vallée, comme font toutes les rivières dont le cours est normal, dont le lit s’est creusé lentement, d’après les lois régulières, mais qui se précipite violemment à travers les montagnes entr’ouvertes, et dont la profondeur atteint parfois jusqu’à près de mille pieds ? D’où viendrait d’autre part cet énorme volume d’eau ? Serait-ce des nombreuses rivières qui coulent dans le Saguenay ou dans le lac Saint-Jean ? Mais aucune de ces rivières n’est navigable autrement qu’en canot, si l’on en excepte les plus grandes d’entre elles, comme la Chamouchouane, la Mistassini et la Péribonca qui, elles-mêmes, n’ont jamais plus de huit à dix pieds d’eau, et encore n’est-ce que sur une très-petite partie de leurs cours, à partir de leur embouchure. Serait-ce le lac Saint-Jean qui apporterait ce contingent prodigieux aux eaux du Saguenay ? Mais le pauvre lac, quoiqu’il reçoive des rivières venues de toutes les directions, n’a nulle part plus de cinquante pieds de profondeur, et, du reste, il ne s’écoule que faiblement dans le Saguenay par les deux issues que nous avons mentionnées bien des fois déjà, la grande et la petite Décharge. En outre, le Saguenay lui même n’a aucune profondeur jusqu’à une douzaine de lieues de sa sortie du Lac ; il ne consiste qu’en une succession de rapides et de cascades jusqu’à l’endroit où la marée se fait sentir. Pourquoi ce peu de profondeur dans cette partie de son cours, et puis tout à coup cet abime de vingt-cinq lieues de long où la sonde n’atteint parfois qu’à mille pieds sous la surface ? Pourquoi, dirons-nous encore, ces rapides et leur arrêt subit à Terre Rompue ? Pourquoi, de l’autre côté de la presqu’île de Chicoutimi, trouve-t-on cet étrange lac Kenogami, tout à fait enclavé dans les montagnes, et dont l’épaisseur d’eau égale celle de la rivière elle-même ? Pourquoi, partout où l’on voit des rochers ou des chaînons dans le bassin du Lac, ces rochers ou ces chaînons sont-ils presque partout, presque invariablement arrondis, polis à leur surface, comme par un lèchement persistant, continu de vagues ? Pourquoi ces bizarres méandres, ces gorges innombrables creusées en serpentant au milieu des amas d’alluvion et de terre végétale ? Pourquoi ces rocs, ces nombreux cailloux absolument isolés, entièrement détachés du sol, que l’on aperçoit tout à coup en plein champ ou le long de quelque rivière au rivage apparemment paisible, et dont la formation est étrangère à celle de ces rocs ? Pourquoi partout ce bouleversement, cette nature tourmentée, ces escarpements, puis ces effondrements, ces soulèvements et ces gouffres, cet orage terrible des éléments qui semble avoir été arrêté dans son cours et pétrifié sur place ? Pourquoi ce phénomène en tant d’endroits répété qui proteste contre l’œuvre patiente de la nature, contre son action régulière et naturelle ? Ah ! assez de questions, assez d’interrogations dressées devant le vaste problème que nous avons sous les yeux ; sachons y plonger nos regards sans plus longtemps le redouter, sans une confiance trop grande dans la perspicacité de l’esprit qui distingue les causes dans les effets et se les explique, mais aussi sans aucune crainte puérile, avec la détermination de découvrir les secrets de la nature, et de les révéler en les démontrant victorieusement, dès qu’on est convaincu de les tenir.

Ce que nous voyons aujourd’hui du lac Saint-Jean, cette petite mer intérieure de douze lieues de long sur neuf de large, presque ronde, qui ressemble avec ses rivières à un vaste crabe étendant ses pattes dans toutes les directions, n’est rien qu’une miniature de ce qu’il était jadis. Ah ! jadis… nous voulons dire il y a des milliers et des milliers d’années, c’était pour le Lac les beaux jours. Alors, il était grand, profond, superbe, et les tempêtes devaient le faire mugir avec fracas sur la ceinture de montagnes qui lui servaient de rivage et lui faisaient un cadre de quatre vingt-dix lieues de circonférence. Alors, il avait lui aussi ses abîmes, il couvrait des chaînons élevés ; ses eaux renfermaient l’épais tribut d’alluvion lentement apporté par les âges et uniformément déposé sur son lit que rien ne troublait dans les profondeurs où il était étendu. Les rivières qui accourent à lui de tous côtés, celles du nord beaucoup plus considérables que celles du sud, parce qu’elles partent de plus loin, et qui aujourd’hui tombent dans le Lac après une succession de rapides et de chutes, n’étaient comparativement alors que de petits cours d’eau arrivant tranquillement de la hauteur des terres et plongeant avec modestie dans le vaste corps du Lac, comme des tributaires dociles, depuis longtemps rompus au joug et satisfaits. Soudain la terre s’entr’ouvrit avec fracas depuis l’endroit où est l’embouchure de la rivière Saguenay jusqu’aux rivages actuels du lac Saint-Jean ; les montagnes se fendirent sous l’action de quelque terrible force intérieure, et toute cette mer de 90 lieues de tour se précipita dans la fissure béante. Les montagnes qu’elle tenait ensevelies sous ses eaux découvrirent leur tête baignée de vagues éperdues… et alors, de ces sommets subitement éclos dans l’espace les torrents jaillirent. Ils s’élancèrent affolés, au milieu des précipices ou sur les cimes les plus altières, ne sachant ni où ni comment se frayer un passage, courant dans les ravins, puis tout à coup bondissant sur quelque gigantesque écueil, allant comme une force aveugle, lançant devant eux d’énormes masses d’argile, de sable, de détritus végétaux qui s’attachèrent aux flancs des monts et qui remplirent les gorges béantes. Ils voulurent combler l’abîme étrange, mystérieux, profond, qui s’était entr’ouvert soudainement devant eux ; ils y jetèrent les matières en décomposition que les siècles avaient amassées dans leur sein. Quand ils rencontrèrent des obstacles invincibles, ils rebroussèrent chemin, se cherchant un lit plus facile, pendant qu’au loin les vallées émues et frémissantes retentissaient des échos de leur course furieuse.

Longtemps, pendant des siècles, ils s’épuisèrent sur des chaînons compactes qui leur barraient le passage ; ils les inondèrent de leurs flots irrités, enlevant leurs crêtes qu’ils jetaient ensuite en éclats cent pas plus loin, ou bien les aplanissant, les arrondissant sous le roulis de leurs vagues, les léchant jusqu’à ce qu’elles fussent dépouillées du dernier arbrisseau, de la dernière tige arrêtée dans leurs crevasses ou attachée à leurs flancs ; puis, chargés de tous ces débris, ils allèrent les précipiter dans les vastes anfractuosités des montagnes, dans toutes les profondeurs restées à découvert, semant ainsi partout au hasard les trésors de leur maternité féconde.

Quand le Lac se vit, lui, de grande mer intérieure qu’il était naguère, qu’il était il y avait à peine quelques heures, couvrant d’orgueilleuses cimes, plongeant dans d’insondables abîmes, réduit à n’être plus pour ainsi dire qu’un étang en présence de ces énormes rivières qui, la veille encore, venaient lui demander humblement un asile dans son sein, et qui, maintenant, se précipitaient sur lui comme pour l’accabler de sa déchéance, il essaya une dernière colère de géant, il ramassa ce qu’il lui restait de vagues, se souleva sur son lit mouvant, tremblant encore de tant de chocs formidables, et il voulut s’élancer à son tour à l’encontre de ces torrents improvisés qui ne savaient même pas leur course ni quel lit ils iraient se choisir le lendemain.

Mais, impuissant, vaincu d’avance, ayant à lutter non seulement contre les torrents déchaînés qui tombaient en avalanches de sommets en sommets, remplissant l’espace du tonnerre de mille chutes escaladées et franchies presque à la fois, mais encore contre les chaînes de rochers qui, maintenant libres, se dressaient en maint endroit devant lui, contre les immenses barrières de sable qui s’entassaient les unes sur les autres à l’embouchure des grands cours d’eau sans cesse occupés de grossir et de multiplier les obstacles, il retomba… comme un fauve épuisé sur le lit d’argile où il allait désormais s’ensevelir dans le morne repos des siècles. Longtemps il sommeilla sur cette tombe mouvante que lui firent les vagues de sable et d’alluvion tous les ans renouvelées, jusqu’au jour où des races d’hommes inconnus, hôtes errants des grands bois, vinrent sillonner son dos sur de frêles esquifs et le parcoururent en tous sens, à la poursuite silencieuse du gibier et des animaux à chaude fourrure dont pullulaient alors les forêts avoisinantes… Ah ! qu’on nous pardonne cette indigne esquisse de ce qu’aucune plume humaine ne saurait décrire. Nous avons parcouru les rivages, les coteaux et les vallées formés lentement par les âges à la suite de ce hoquet formidable du globe qui rejeta subitement à sa surface tant de matières entassées dans son sein ; nous avons vu le grand cataclysme écrit d’une main frémissante en caractères qu’aucun œil humain ne saurait méconnaître ; nous l’avons vu comme un grand livre ouvert d’où l’évidence jaillit avec impétuosité, et notre esprit, agité de puissantes émotions, s’est laissé emporter à vouloir peindre cette heure terrible où la nature entière sembla s’abîmer dans le chaos. Qu’on nous pardonne cette audace puérile qui a cependant une excuse ; c’est que nous aimons tant notre sujet que nous ne mesurons pas nos tentatives aux forces qu’il exige ni à la grandeur qu’il renferme, et que nous faisons de notre mieux, content de voir notre faiblesse même servir à le rehausser encore et à le faire valoir davantage.


II


Le lac Saint-Jean s’étendait jadis à l’est jusqu’aux montagnes qui bordent la rivière Sainte-Marguerite et qui sont les plus hautes de toute la région du Saguenay. Au nord il baignait une autre chaîne de montagnes relativement basses qui se trouvent à environ quarante milles au delà du rivage actuel. Il en était de même à l’ouest ; mais néanmoins, l’ancien rivage du sud était beaucoup moins éloigné que les autres, parce que la chaîne de montagnes de ce côté est bien plus rapprochée des bords du lac moderne que celle du nord, et elle est en outre plus élevée, double raison pour que l’ancien lac s’étendît moins loin vers le sud. La crevasse qui a ouvert les montagnes du Saguenay s’est faite à partir de Tadoussac, où la profondeur de la rivière atteint mille pieds, et s’est continuée avec quelques variations jusqu’à la baie Ha ! Ha ! où elle s’est bifurquée et est devenue une double crevasse dans laquelle plonge aujourd’hui le Saguenay, d’un côté, et le lac Kenogami de l’autre.

Quel changement soudain dans la géographie physique de ce pays ! Alors, la rivière Sainte-Marguerite, qui débouche dans le Saguenay et descend de l’ouest, partait au contraire du Lac et se jetait dans le Saint-Laurent. C’est elle qui apportait à Tadoussac et qui y déposait les épais amas de sable qui s’y trouvent. Violemment ramenée en arrière, elle laissa là ses dépôts et prit un autre cours, celui qu’elle a continué de suivre jusqu’à nos jours. La baie Ha ! Ha ! ou Grande Baie, n’existait pas avant le cataclysme, parce que le Lac couvrait alors toute cette région et se terminait au sud et au sud-est par deux larges baies dont on pourrait indiquer à peu près l’emplacement sur la carte, et qui sont aujourd’hui des plateaux couverts d’épaisse alluvion ; on pourrait déterminer approximativement l’existence et l’étendue primitives de ces baies par la nature et la configuration du sol.

À l’heure du cataclysme, toute l’eau, qui baignait cette région maintenant à sec, forma, en s’engouffrant dans la crevasse de mille pieds de profondeur, tout à coup entr’ouverte, un énorme torrent d’environ vingt milles de largeur sur une profondeur de cinq cents pieds, lequel entraîna avec lui une énorme quantité d’alluvion et d’argile qu’il déposa au hasard partout où il ne trouva pas d’obstacles. C’est ainsi qu’il remplit tout l’espace compris entre la baie Ha ! Ha ! et le lac Kenogami, parce qu’il n’y avait là que de la terre ; cependant il y est resté çà et là quelques petits lacs. Ceci explique comment la baie Ha ! Ha ! se trouve soudainement interrompue ; la crevasse en cet endroit a été bouchée par les éboulis, et les matières qui étaient apportées pêle-mêle ont été plus tard nivelées par les grands courants qui venaient de la partie supérieure.

Tout le monde sait que le nom de Ha ! Ha ! donné à cette baie vient de la surprise du voyageur à la vue de ce détour subit du Saguenay se terminant en un bassin profond, par endroits, de huit à neuf cents pieds, et qui n’a aucune issue. Et pourquoi pas d’issue ? C’est que la Grande Baie n’est pas du tout un bras du Saguenay qui s’en détourne brusquement ; c’est, comme nous l’avons dit, le commencement d’une autre crevasse qui s’est faite depuis le cap à l’Ouest jusqu’au lac Saint-Jean. Cette crevasse, remplie par les torrents dans l’espace compris entre le fond de la baie et le lac Kenogami, est restée libre depuis le fonds de la baie jusqu’à la rivière, parce que ses flancs étaient protégés par de hautes montagnes, et surtout par le cap à l’Ouest, énorme rocher qui a divisé les eaux.

Maintenant, regardons cet espace qui s’étend de la Grande Baie à Chicoutimi, sur une largeur variant entre douze et quinze milles. Il est d’une extrême fertilité et la cime des rochers qui l’intersectent en divers endroits y est polie comme l’ivoire. On le comprend bien, les torrents les ont léchés pendant un temps qui se compte par semaines de siècles, tout en déposant d’énormes quantités d’alluvion. Cette alluvion, entassée en désordre, creusée par de petits cours d’eau qui s’échappaient des torrents et qui s’enfonçaient jusqu’à des profondeurs de deux à trois cents pieds pour se frayer un passage, forme le sol le plus onduleux qui se puisse concevoir, et voilà pourquoi il y a tant de côtes abruptes et rapides dans cette partie du Saguenay. Que disons-nous ?… dans cette partie ! Il en est de même partout entre la Grande Baie ou Chicoutimi et le lac Saint-Jean, parce que partout la raison en est la même, partout le sol n’est qu’un amas d’alluvion, de sable et d’argile apporté par les torrents, et dont l’épaisseur seulement varie suivant des circonstances locales.

Il faut voir par exemple le cours de la Belle Rivière, entre le lac Kenogami et la paroisse de Saint-Gédéon, sur le bord du Lac, pour se former quelque idée du travail fait par les eaux lors du grand cataclysme. Rien de plus sinueux ni de plus difficile à suivre que le cours de cette rivière serpentant parmi les mamelons de terre alluviale qui se dressent de tous côtés à des hauteurs diverses. La Belle Rivière ne savait pas où aller. Prise à l’improviste au milieu des monceaux de terre balayés et jetés au hasard par les torrents, elle se débattit au milieu d’eux, creusa un jour un lit, le changea le lendemain, revint sur elle-même, aperçut une issue, s’y enfonça, puis fut arrêtée net par quelque amoncellement de rochers, alors elle essaya de passer dessus ; impossible. Elle dut encore rebrousser chemin, recommencer, faire de nouveaux détours, et enfin elle finit par se caser tant bien que mal, comme un serpent exténué qui n’a pas la force de redresser ses membres après une course furieuse.

Mais plus d’un lecteur a dû se demander plusieurs fois déjà en apprenant que la rivière Saguenay n’a pas toujours existé  : « Par où donc se déchargeait autrefois le lac Saint-Jean ? car il fallait bien une issue vers le fleuve Saint-Laurent à cette grande nappe d’eau de 90 lieues de tour qui s’étendait à l’intérieur du pays ; sans cela elle n’eût fait que grandir tous les jours et aurait fini par noyer complètement tout le nord de l’Amérique. Ah ! voilà la grande question. C’est ici qu’il faut élargir son cadre, car nous avons à fouiller à travers plusieurs mille ans d’histoire géologique, de transformations, de dépôts tantôt amenés, tantôt écartés, tantôt transportés d’endroits en endroits différents ; nous nous trouvons en face d’un pays qui, à la suite d’une catastrophe sans exemple, a dû subir de profondes modifications pour trouver une assiette nouvelle.

Eh bien ! parcourons des yeux ce vaste espace et demandons-lui ses secrets.

Croit-on que le Saint-Laurent a toujours été ce qu’il est aujourd’hui, qu’il a toujours eu les mêmes dimensions, la même profondeur, les mêmes rivages ? Ce n’est pas notre avis ; nous croyons au contraire qu’il était autrefois beaucoup plus considérable qu’il ne l’est maintenant, du moins dans certaines parties de son cours ; nous croyons que la marée du fleuve montait plus haut qu’elle ne le fait de nos jours et qu’elle dépassait le lac Saint-Pierre, lui-même plus considérable autrefois qu’il ne l’est de mémoire d’homme. Hasardons sans crainte une hypothèse que les faits ne tarderont pas à justifier, espérons-le, si nous pouvons attirer l’attention du monde savant sur la partie du pays qui nous occupe, et si nous pouvons en déterminer l’étude géologique sérieuse au moyen d’explorations spéciales.

Disons que le lac Saint-Jean, qui se décharge aujourd’hui à l’est par le Saguenay, se déchargeait jadis à l’ouest par la rivière Croche, laquelle communiquait avec le Saint-Maurice qui, à son tour, tombait dans le fleuve Saint-Laurent. Le lecteur aura remarqué sans doute, en passant devant Trois-Rivières, ces hautes et longues dunes de sable qui se trouvent à l’embouchure du Saint-Maurice et se continuent jusqu’à une certaine distance en aval du fleuve. D’où viennent-elles ? Qu’est-ce qui les a apportées là ? Qu’est-ce qui les y a entassées ? Qu’est-ce qui les y retient aujourd’hui, de mobiles, de mouvantes qu’elles étaient jadis ? Autant de questions qui, chacune, ont une portée propre, et que nous ne mettons pas au hasard l’une à la suite de l’autre. Eh bien ! ne craignons pas de le dire en attendant les constatations de la science, parce que les faits concourent à le démontrer, le lac Saint-Jean se déchargeait autrefois vers le Saint-Maurice ; c’est là la cause des dunes qui se trouvent à l’embouchure de cette rivière. C’est là que s’amoncelait le sable que le Saint-Maurice apportait du Lac, grâce à la rivière Croche. Ce même sable remontait le Saint-Maurice avec la marée du Saint-Laurent et redescendait avec le baissant. Mais comme il en descendait beaucoup plus qu’il n’en montait, il arrivait que le sable se rendait ainsi jusqu’à Batiscan, ce qu’on peut voir par la formation du sol entre ce dernier endroit et Trois-Rivières, sol qui formait l’ancien lit du Saint-Laurent, et que ses eaux recouvraient. Si le Saguenay ne s’était pas ouvert, le Lac aurait continué de pousser ses sables vers le grand fleuve ; mais son action ayant été subitement contrariée par le cataclysme, la partie de ses eaux qu’il envoyait à l’ouest ayant été ramenée en arrière pour remplir la crevasse brusquement formée, et le Saint-Laurent s’étant retiré peu à peu de ses anciennes rives, les sables du Saint-Maurice sont restés à découvert.

Qu’on examine encore la vallée de la Chamouchouane, petit plateau formé par le retrait des eaux du Lac, puisqu’autrefois le Lac s’étendait jusqu’à vingt milles et plus peut-être au delà de l’embouchure actuelle de cette rivière. Eh bien ! qu’on suive ce plateau, et l’on arrivera à peu près à l’endroit où devait être jadis l’ancienne embouchure, et l’on verra que le terrain y est absolument semblable à celui qui se trouve le long du lac Saint-Pierre, terrain formé lui aussi de dunes de sable. Le long du rivage de la Chamouchouane, on voit les couches d’argile déposées d’année en année par épaisseurs d’un quart, de deux, de trois-quarts de pouce, très-nettes, très-distinctes, quoique souvent interrompues. Au printemps, lorsque les grandes eaux, déferlant des rivières avec les tempêtes, arrivaient dans l’ancien Lac, l’alluvion qu’elles apportaient tournoyait, se mêlait et restait ainsi en suspens jusqu’à ce que le calme se fût rétabli. Alors, l’alluvion baissait lentement et se déposait au fond du Lac, et cela chaque année successivement, de sorte que si, aujourd’hui, le Lac se vidait complètement, on pourrait calculer combien de temps il a existé au moyen de ces couches d’argile, dont un certain nombre régulièrement alignées, comme nous venons de le dire, le long des bords de la Chamouchouane, forment un rivage variant entre dix et vingt pieds de hauteur. Au-dessus de ces couches d’argile ou de terre glaise, si l’on préfère les appeler ainsi, est venu s’étendre petit à petit un épais dépôt de sable entraîné par la rivière, depuis son ancienne embouchure jusque sur les rives actuelles, et il s’y est tellement accumulé qu’il a fini par former un véritable petit coteau ondulant au-dessus de sa base d’argile et se couvrant en maint endroit d’une riche végétation.

Un mouvement curieux à suivre, c’est celui du sable, disons plutôt la marche du sable dans les rivières qui aboutissent au lac Saint-Jean et dans le lac lui-même. Ces rivières sont généralement basses. Aux grandes eaux du printemps, elles charroient dans le Lac le sable de leurs battures qui coule comme de l’eau, et voilà pourquoi le Lac s’emplit graduellement chaque année. Ce sable vient des hauteurs. S’il y avait du courant dans les rivières, elles charrieraient le sable bien avant dans le Lac au lieu d’en laisser la plus grande partie dans le voisinage de leurs embouchures qui, à cause de cela, se rétrécissent de plus en plus. À l’est du Lac, les rivières Grandmont, Belle-Rivière et Kushpeganiche nous présentent à cet égard un spectacle curieux. Elles changent de chenal tous les ans ; pourquoi ? Parce que les hautes eaux du printemps, inondant le chenal où elles coulent et le vent poussant le sable dedans, il leur faut se frayer un passage à côté, et quelquefois assez loin de lui.

Du sable, toujours du sable. Les battures du Lac grossissent et s’étendent tous les ans au point qu’il n’y a plus que deux à trois pieds d’eau au-dessus d’elles, et même moins de deux pieds, comme entre la Mistassini et la Péribonca où l’eau n’a, sur une étendue de douze milles environ, qu’une profondeur moyenne de dix-huit pouces. C’est-là que le canot hale le sable, suivant l’expression pittoresque des canotiers ; et voilà pourquoi la Mistassini, dont le nom indien veut dire « grosse roche, » a été justement appelée en outre « rivière de sable. » Ce sont ses rives sablonneuses et les bancs qui, de son embouchure, s’étendent au loin dans le lac, qui lui ont valu cette dernière appellation.

Ainsi en a-t-il été de la Péribonca qui se déchargeait naguère aux environs de la rivière au Cochon, comme l’attestent les bancs de sable qui y sont déposés. Elle était alors beaucoup plus large, mais moins profonde qu’aujourd’hui. Dans les basses eaux, les grands vents d’ouest et de sud-ouest formaient des dunes qui la rétrécissaient ; la rivière fut obligée de laisser son cours et de suivre les flancs de la dune qui venait de lui fermer le passage. À mesure que le lac baissait, à la suite du cataclysme, il se formait une nouvelle dune, ou, si l’on veut, un nouveau rivage qui se trouvait exhaussé par les vents ; en sorte qu’il y a dans la péninsule de la Péribonca bon nombre de dunes parallèles qui se suivent et longent le Lac dans une direction sud-est, en partant de la rivière. Entre la rivière au Cochon et la grande Décharge se trouve la dune la plus élevée du bassin, pour la bonne raison que cette dune a été formée par le sable que charroyait la Péribonca depuis l’origine du « grand » Lac. Les rochers entre la rivière au Cochon et la rivière à la Pipe ont retenu le sable et l’alluvion de l’ancien dépôt, les ont empêchés d’être mangés par le Lac, tandis qu’au contraire l’alluvion de la Chamouchouane et de la Mistassini est librement chassée dans le Lac, parce qu’elle ne rencontre pas de rochers qui fassent obstacle à son cours et la retiennent.


III


La crevasse qui s’est faite tout à coup dans les montagnes en donnant naissance à la rivière Saguenay, n’a pas été, on le pense bien, un coup de ciseau délicat. Œuvre de violence, elle renferme tous les désordres ; elle est pleine d’abîmes inattendus, de chocs, de résistances et de spasmes produits dans les entrailles de ce sol brusquement frappées ; sa profondeur varie infiniment, suivant une foule de circonstances locales ou fugitives, et sa marche a été des plus irrégulières. Cependant, on peut constater et marquer jusqu’à un certain point des degrés dans la violence du cataclysme ; son intensité n’a pas été toujours égale, et elle a diminué assez graduellement, si l’on veut bien ne tenir compte que de l’ensemble de sa marche, et non de quelques écarts profonds qui la troublent et qui dérouteraient toutes les hypothèses. Ainsi l’on peut dire en thèse générale que la crevasse n’a pas cessé de diminuer de profondeur et d’ampleur, depuis l’embouchure du Saguenay, son point de départ, jusqu’au lac Saint-Jean où elle est « arrivée » pour ainsi dire épuisée, à bout d’efforts ; et, pour corroborer cette assertion, on pourrait indiquer comme une preuve très-plausible le rivage de la Pointe-aux-Trembles, à un endroit appelé le « Rocher Percé. » Là se trouve une série de rochers calcaires dont la disposition est absolument anormale. Au lieu d’être disposés horizontalement, suivant les règles de la formation géologique, ces rochers vont en s’inclinant dans le Lac ; ils penchent, ils cantent, comme on dit en langage vulgaire. Pourquoi ? C’est que la secousse n’était plus assez forte pour déterminer l’ouverture des rochers à cette distance du point initial, surtout lorsque la crevasse, en se bifurquant à la Grande Baie et en se continuant intégralement jusqu’au Lac au nord de la presqu’île de Chicoutimi, pouvait avoir perdu de son impulsion et de son allure du côté du sud où se trouve la Pointe-aux-Trembles. La secousse a seulement soulevé les rochers, ébranlé la croûte supérieure ; des fragments de ces rochers brisés sont restés au sommet, où on les retrouve en grand nombre et de toutes dimensions ; d’autres se sont affaissés et se sont penchés, et une très-grande partie d’entre eux, enfin, est tombée dans le Lac.

Quelques milles plus loin, au milieu de cette même formation calcaire, on voit le curieux cours de la rivière Ouiatchouane qui s’y est frayé un chemin, grâce aux fissures de la pierre. Elle s’était d’abord fait un lit au-dessus de cette pierre, ce que prouvent les roches transportées par elle. Tout en faisant son lit, elle a rencontré une ouverture sous la surface du rocher ; elle s’y est jetée et a mangé sans cesse la pierre dont on peut lire les couches successives, et cette fois parfaitement horizontales, parce que, cette fois, rien n’en a troublé la formation.

Un mille plus haut, en suivant la rivière, on arrive à la fameuse chute Ouiatchouane, qui a 236 pieds de hauteur, et que l’on voit toujours, comme si on l’avait exactement en face de soi, à quelque endroit qu’on se trouve au nord du Lac. Avant le cataclysme, il n’y avait pas de chute Ouiatchouane ; le Lac couvrait tout le plateau d’où elle descend et s’étendait même au delà ; la rivière, bien moins longue qu’aujourd’hui, coulait dans une gorge et venait se perdre tranquillement dans le sein du grand récepteur. Tout à coup les eaux du Lac se retirent violemment et d’effroyables profondeurs apparaissent à la lumière d’un jour d’épouvante ; la rivière, ne trouvant plus le lac pour la recevoir et terminer sa course, continue d’aller devant elle à la poursuite de cette mer qui lui échappe et où il faut cependant qu’elle finisse par se jeter. Son cours, de modeste et de tranquille qu’il était, devient rapide, il devient impétueux : inquiète, effrayée de tout ce qui l’entoure, la Ouiatchouane s’élance aveuglément pour trouver un refuge ; elle, si paisible, devient éperdue, échevelée ; elle bondit, jaillit, frappe les rochers stupéfaits, plonge dans les ravines, en sort par des bonds furieux, tourne brusquement, saute des obstacles encore à peine formés et mouvants, et elle arrive enfin au plateau qui domine le bassin où ce qui reste du Lac est étendu. Elle veut se faire un lit sur ce plateau et elle le creuse ; elle lui fait une entaille de vingt-cinq à trente pieds de profondeur, et, le lit creusé, inopinément elle se trouve sur la crête d’un roc jusque là caché par l’épaisse couche d’alluvion qu’elle vient de fendre de ses eaux. Ce roc s’élève droit, à pic, et il a 236 pieds de hauteur. Retourner en arrière est impossible. Alors la Ouiatchouane, comme le guerrier qui se précipite dans la mêlée ténébreuse, mesure le gouffre qui l’attend et s’élance… Ce fut son dernier bond ; quelques pas plus loin, elle retrouva le Lac qui reçut ses ondes fatiguées et qui n’a pas cessé depuis lors de lui donner asile.

Si seulement la Ouiatchouane avait dévié quelque peu de sa course, elle aurait évité de faire cette chute énorme en évitant le rocher. D’ordinaire les rivières suivent les vallées, les gorges, ou courent à la base des montagnes ; et lorsqu’elles font des chutes, ces chutes sont naturelles, ce sont des entailles pratiquées dans leur lit même et elles n’ont qu’à s’y précipiter pour retrouver immédiatement après un cours normal et uniforme. Mais pour que la Ouiatchouane ait sauté ainsi par dessus un rocher de 236 pieds de hauteur qui lui barrait le chemin, au lieu de le contourner et de se frayer tranquillement un lit en le longeant, il faut qu’elle ait été prise à l’improviste, qu’elle n’ait pas eu le temps de creuser son cours et qu’elle ait été emportée par une force irrésistible, aussi subite que violente ; il faut qu’elle ait été précipitée au lieu d’être laissée à elle-même, et que, n’ayant pas eu le choix de son lit ni le pouvoir de le creuser lentement à son gré, suivant une pente naturelle, elle se soit jetée éperdûment, soudainement, en bas d’un rocher de 236 pieds de hauteur, ce qui est contre toutes les lois de la physique du globe.

À cette dernière illustration nous bornons ce que nous avons à dire sur l’hypothèse d’un cataclysme survenu dans la région du Saguenay. Il ne nous appartient pas de faire une démonstration scientifique ; nous avons simplement voulu donner l’éveil aux géologues et attirer l’attention du monde savant sur la justesse d’une théorie qu’il nous a paru indispensable d’exposer, parce qu’elle présuppose l’existence d’un fait qui a été soupçonné il y a longtemps déjà, mais qui n’a jamais été ni étudié ni discuté. Bon nombre de personnes en effet sont d’opinion que la rivière Saguenay est l’œuvre d’un cataclysme survenu dans les temps préhistoriques, mais personne n’a encore formulé cette opinion ni exposé une théorie au sujet de ce cataclysme. Sentant qu’il y avait là une question non-seulement capitale, mais fondamentale, qu’il fallait aborder absolument pour donner une base aux études ultérieures qui seront faites sur la région qui nous occupe, nous avons parcouru les lieux mêmes qui virent la déroute du lac géant, nous avons interrogé le sol qui, pendant des siècles, était resté enseveli sous ses ondes, et qui maintenant, apparaissait dans la lumière du jour comme une manifestation éclatante et irréfutable de sa condition antérieure ; nous avons observé et nous sommes revenu convaincu de l’exactitude de la théorie que nous avons essayé d’exposer, et désireux également d’en convaincre tous ceux qui voudraient bien nous lire.

Si ce résultat est atteint quelque jour, nous aurons assez fait pour notre propre satisfaction, et nous aurons la certitude d’avoir été utile. En attendant, nous devons dire que des efforts ont été tentés récemment pour décider le gouvernement fédéral à faire faire une étude géologique officielle du territoire du Saguenay, et, à ce propos, nous mettons sous les yeux du lecteur la lettre suivante, en date du 5 juin, 1879, écrite à M. Ernest Cimon, représentant du comté de Chicoutimi, par M. J. S. Dennis, chef du cabinet au ministère de l’intérieur.

À M. Ernest Cimon, M. P.,
Chicoutimi.


Monsieur,


Relativement à votre lettre du 14 novembre dernier, adressée à l’honorable ministre de l’agriculture et par lui transmise à ce département le 8 avril, 1879, dans laquelle vous demandez que la commission d’exploration géologique fasse une étude des ressources minérales du pays situé entre Québec et le lac Saint-Jean, j’ai l’honneur de vous annoncer que votre lettre a été remise au directeur du service géologique qui nous fait savoir qu’il y aura deux partis d’explorateurs à l’œuvre cet été même dans la partie occidentale de la région en question, et qu’ils devront pousser leurs recherches vers la partie orientale aussitôt que possible.


J’ai l’honneur d’être,
Monsieur,
Votre obéissant serviteur,
J. S. Dennis,
député-ministre de l’Intérieur.

CHEMIN DE QUÉBEC AU LAC SAINT-JEAN

C’est aux années 1847 et 1848 qu’il faut remonter pour trouver la première mention de ce fameux chemin direct de Québec au lac Saint-Jean qui fut si longtemps regardé comme une chimère et qui n’est devenu une réalité que depuis 1877. À cette époque (1847-48), MM. Blaiklock et Duberger, arpenteurs, furent chargés de faire une exploration qui permît d’établir la ligne que le chemin devait suivre, s’il était praticable, et il résulta de leur rapport « qu’il était inutile de chercher plus longtemps à ouvrir un chemin à travers un pays qui n’était nullement propre à l’agriculture et brisé par des chaînes de montagnes escarpées, tandis que cette exploration entraînerait des dépenses considérables, sans avantage pour le service public » ; et M. J. H. Price, alors commissaire des Terres de la Couronne, disait en manière de conclusion dans son rapport ministériel : « En examinant les opérations faites par MM. Blaiklock et Duberger, telles qu’elles sont indiquées dans les plans de M. Blaiklock, il paraît que, bien que l’on puisse tracer jusqu’à la rivière Jacques-Cartier, et probablement quelque peu au delà, un chemin passable qui serait la continuation du chemin actuellement ouvert jusqu’à Stoneham, cependant la nature escarpée et montagneuse du pays, sur un espace de plusieurs milles à l’est ou à l’ouest de la ligne d’exploration, fait qu’il est impossible de tracer ou même d’ouvrir un chemin d’aucune espèce, pendant que le sol, à cause de sa nature pierreuse, n’est nullement propre à la culture, sauf quelques lisières de terrain isolées dans le voisinage des rivières. »

Toute idée de pratiquer un chemin à travers une pareille région, qui s’offrait dans des conditions si défavorables, fut donc abandonnée, et l’on n’y pensa plus jusqu’en 1863, alors que plusieurs citoyens de Saint-Roch de Québec, parmi lesquels il est juste de mentionner MM. Vallée et Picard, convaincus par des explorations particulières de la possibilité d’ouvrir un chemin entre Stoneham, à quinze milles au nord-ouest de Québec, et le lac Saint-Jean, firent pratiquer dans le bois, à leurs propres frais, une voie d’environ cinq milles de longueur, qu’ils auraient sans aucun doute prolongée si le gouvernement, en présence de cette tentative privée, ne se fût résolu à faire faire une exploration, et, comme conséquence, le chemin lui-même.

On sait ce qu’il advint de cette exploration qui fut pendant un assez long temps l’objet des plaisanteries et des sarcasmes des députés de la Chambre chaque fois qu’un incident quelconque la rappelait. Il en subsiste aujourd’hui deux rapports, celui des arpenteurs Nelson et Hamel, et celui de M. J. Perreault, alors député à l’Assemblée Législative.

Pour qu’une pareille entreprise pût réussir, il eût fallu que les explorateurs l’eussent faite dans une saison favorable qui leur eût permis de se livrer à une investigation minutieuse des lieux. Or, c’est cette première condition indispensable qui fit défaut. Les explorateurs, entrés dans la forêt le 24 octobre, trouvaient de la neige deux jours après leur départ et étaient arrêtés dans leur marche par un mauvais temps presque continuel. Si l’on en croit M. Perreault, le parti engagé dans cette expédition aurait eu à lutter, non-seulement contre les intempéries d’une fin d’automne, mais à subir même toute espèce de privations et à se voir menacé d’une disette complète. Une fois pénétrés dans la forêt, les explorateurs, suivant lui, n’auraient guère pu faire autre chose que chercher à en sortir au plus vite, n’importe comment, pour ne pas périr d’inanition.

Toutefois, malgré les désavantages de la saison et l’impossibilité pour les explorateurs de faire toutes les recherches que nécessitait l’objet de leur expédition, ils n’en conclurent pas moins dans leur rapport qu’il était facile et serait même peu coûteux d’ouvrir un bon chemin de Stoneham au lac Saint-Jean. Aussi, l’année suivante, MM. Vallée et Picard envoyaient-ils, sous leur propre responsabilité, une dizaine de travailleurs pour continuer les travaux commencés l’automne précédent et faire un chemin d’hiver jusqu’au lac Jacques-Cartier, c’est-à-dire jusqu’à la moitié de la distance entre Stoneham et le lac Saint-Jean. D’autres citoyens de Québec, pris d’émulation à la vue de leur courage et de leur persévérance, parfaitement renseignés du reste sur la praticabilité du chemin projeté et convaincus de son importance, avaient voulu se joindre à MM. Vallée et Picard, contribuer de leur bourse au succès de cette entreprise qui se continua alors assez rapidement, et d’autant plus économiquement que chaque travailleur était intéressé au résultat.

Cette activité ne tarda pas à porter ses fruits, et bientôt les ouvriers, à la tête desquels se trouvaient des personnes qui connaissaient la forêt pour l’avoir parcourue en tous sens dans de nombreuses excursions de chasse et de pêche, eurent pratiqué dans le bois environ trente-trois milles d’un chemin bordé de belle et bonne terre, sans côtes et relativement facile. De l’endroit où ils étaient parvenus jusqu’au lac Jacques-Cartier, il y avait tout lieu de croire, d’après l’expérience des travailleurs et leurs assertions, que le chemin serait tout aussi bon, sinon meilleur encore.

Plus tard, M. Jean Gagnon, chargé par le curé de Beauport, M. G. Tremblay, de faire le tracé du chemin, disait dans son rapport : « Les montagnes où les rivières Malbaie, Chicoutimi, Sainte-Anne et Montmorency prennent leur source, présentent des cimes d’une grande élévation. Sur le 24e mille j’ai traversé une rivière large de cinquante-cinq pieds, tributaire de la Chicoutimi. De cette rivière au lac Jacques-Cartier, le terrain est uni et ne paraît devoir offrir aucune difficulté pour le tracé. Toutes les côtes réunies forment une longueur de pas plus de trois milles et demi, à partir du poste de Métabetchouane, sur une distance d’environ 52 milles que comprend le tracé que j’ai fait entre le lac Saint-Jean et le lac Jacques-Cartier. Il tombe beaucoup moins de neige dans la vallée que j’ai suivie que dans les endroits qui avoisinent le Saint-Laurent ; j’ai constaté, par des observations journalières, que la profondeur de la neige était généralement de trois pieds à trois pieds et demi.

« Dans l’autre moitié du chemin, c’est-à-dire celle qui est comprise entre le lac Jacques-Cartier et Stoneham, le tracé suit la rive ouest du lac Jacques-Cartier dans toute sa longueur, laquelle est d’environ sept milles. Depuis le lac Jacques-Cartier jusqu’au petit lac à l’Épaule, à sept lieues de distance, le terrain est sablonneux. De ce dernier lac à Stoneham, distance d’environ neuf lieues, le terrain est bien boisé et très-propre à la culture. Le poisson abonde dans tous les lacs situés le long du chemin. Cette seconde partie du tracé ne présente pas plus de difficultés pour l’ouverture d’un bon chemin d’été que l’autre. Elle offre moins de côtes que la première partie. À l’exception de la section qui comprend la grande coulée au point de départ de Stoneham, le chemin ouvert suit l’ancien chantier des chasseurs, dont M. Blaiklock ne paraît pas s’être éloigné dans sa dernière exploration. »

Pendant les années qui suivirent l’époque dont nous venons de parler, la question du chemin de Québec ou Lac Saint-Jean ne manqua pas d’occuper les esprits de temps à autre avec plus ou moins d’intensité ; on y revint à plusieurs reprises, les tentatives furent renouvelées, quelques-unes même poussées au point de faire croire à la réalisation de l’entreprise, jusqu’à ce qu’enfin, en 1877, le gouvernement prît la détermination sérieuse et efficace de poursuivre l’œuvre jusqu’à sa complète exécution.

Avant 1878, les colons du Lac Saint-Jean avaient soixante-cinq milles à faire pour atteindre la Grande Baie, puis un trajet de 165 milles de plus par le chemin Bagot pour se rendre à Québec. Par le nouveau chemin, une distance de 140 milles seulement les sépare de la capitale ; voilà donc du coup un chemin qui diminue de 85 milles l’espace compris entre la capitale et le Lac. Il y a des maisons de campement construites sur son parcours, avec de bonnes écuries pour les chevaux et les bestiaux, et les personnes chargées des postes sont obligées de tenir le chemin en bon ordre. Ce chemin, qui a pour point de départ Stoneham, aboutit à Métabetchouane. Il a 21 pieds de largeur pour le présent, mais on ne tardera pas à l’élargir sans doute davantage pour le mettre mieux en état de répondre aux besoins de la colonisation et de donner passage aux troupeaux de bestiaux, de moutons et de porcs. Dans son état actuel, le chemin est simplement passable ; l’hiver, on met entre trois et quatre jours à le parcourir d’une extrémité à l’autre ; mais il se passera encore quelque temps avant qu’on puisse l’utiliser commodément pendant la belle saison.


INSTRUCTION PUBLIQUE


Les municipalités scolaires du comté de Chicoutimi sont parmi les mieux organisées de la province de Québec, et sont de celles dont l’inspection est la mieux suivie, la plus intelligente : tous les ans on constate que les écoles font des progrès réels, et qu’à peu d’exceptions près, elles sont tenues sur un bon pied et fonctionnent bien. Certains obstacles cependant nuisent au développement plus rapide et plus considérable de l’éducation dans ce comté, et ces obstacles sont d’autant plus difficiles à vaincre qu’ils naissent de l’aveuglement et de l’ignorance des pères de famille qui se refusent à se laisser convaincre des choses les plus évidentes. Le plus sérieux peut-être de ces obstacles est le manque de livres, de papier et d’autres fournitures d’école indispensables que les parents refusent d’acheter :

« À ce sujet, dit M. Savard, inspecteur de ce district scolaire, je dois dire que l’institution du Dépôt de livres a produit de bons effets ; mais les commissaires, dans un grand nombre de municipalités, sous prétexte que les parents ne veulent pas acheter les livres nécessaires à leurs enfants, négligent de se les procurer ; et en conséquence, on trouve cette année bien des écoles où manquent les livres etc. De plus, plusieurs commissions scolaires m’ont répondu qu’elles aimaient mieux laisser leurs écoles sans livres plutôt que de voir une partie de leur subvention retenue par le gouvernement pour payer les livres qu’elles achètent. Dans ces cas-là, les commissaires devraient être, selon moi, forcés d’acheter les livres, pour les distribuer ensuite gratuitement. Ce mode serait beaucoup plus avantageux pour l’éducation. En imposant une cotisation additionnelle chaque année, la plupart des intéressés paieraient sans rien dire, tandis qu’autrement, le plus grand nombre d’entre eux laissent leurs enfants sans livres etc… et ne s’en occupent plus.

« Un autre obstacle, qui nuit aussi le plus au bon fonctionnement des écoles, et déjà signalé bien des fois par mes collègues, est le manque d’assiduité des enfants aux classes. Le besoin qu’un certain nombre de parents ont de leurs enfants pour les travaux agricoles, et l’indifférence chez un grand nombre d’entre eux, jointe au manque de moyens, font que les absences des élèves sont trop fréquentes. Cette année (1879,) une cause importante des absences a été la rougeole qui a sévi d’une manière alarmante sur les enfants dans mon district d’inspection.

« J’ai eu la satisfaction de constater, cette année, des progrès marquants dans la lecture courante et surtout raisonnée. Ce bon résultat est dû à l’introduction des livres de M. Montpetit, qui sont en usage dans toutes les écoles de mon district, à l’exception de la municipalité scolaire de la paroisse de Saint-Alphonse, qui n’en a pas encore pourvu ses écoles. Rien de surprenant à cela ; les commissaires de cette municipalité sont toujours lents et les derniers à se soumettre aux instructions du département.

« L’écriture est généralement soignée ; la grammaire, l’arithmétique, le calcul mental ont continué de progresser, et même sont cultivés avec plus de soin que les années dernières. Le dessin est aussi enseigné et appris par le plus grand nombre des élèves, dans presque toutes les écoles.

« J’ai été obligé de laisser diriger, pendant le dernier semestre, plusieurs écoles par des institutrices non diplômées, en remplacement d’institutrices qui ont quitté l’enseignement pour cause de mauvaise santé, ou parcequ’elles se sont mariées. Comme les commissaires se trouvaient dans l’impossibilité d’en trouver d’autres dans le comté, j’ai cru devoir en agir ainsi plutôt que de laisser fermer les écoles. Les institutrices non brevetées qui ont dirigé des écoles sont capables, et elles ont bien réussi dans l’enseignement.

« Ces institutrices non diplômées sont assez instruites pour obtenir un brevet ; mais elles sont obligées, pour cela, d’attendre qu’elles aient atteint l’âge de dix-huit ans ; il en résulte un inconvénient bien grave. Pour y obvier, je sollicite auprès du département comme une faveur spéciale pour mon district d’inspection, vu la position exceptionnelle où il se trouve placé et le manque d’institutrices y résident, que le bureau des examinateurs puisse accorder des brevets élémentaires aux personnes de dix-sept ans qui seraient capables. D’un autre côté, je crois qu’il serait à désirer que les connaissances exigées pour les institutrices fussent étendues, surtout pour l’arithmétique et la grammaire. Les candidats, pour obtenir un brevet élémentaire, subiraient un examen sur l’arithmétique jusqu’aux règles de profits et pertes, et résoudraient lors de leur examen un problème sur les fractions, la règle d’intérêt simple, et sur les règles d’escompte, de profits et pertes. En grammaire, les candidats devraient être tenus de répondre, non-seulement sur les éléments, mais aussi sur les principales règles de la syntaxe. Les raisons qui m’engagent à exiger que les candidats possèdent une instruction plus développée qu’autrefois, sont que l’on rencontre aujourd’hui, dans une foule d’écoles élémentaires, des jeunes enfants de 14 et 15 ans, qui ont appris toute l’arithmétique et la grammaire, et si leur maître ou maîtresse ne connaît que ce qui est exigé aujourd’hui, lors de leur examen devant le bureau des examinateurs, il arrive souvent que les enfants perdent leur temps. De plus, comme la tenue des livres en partie simple, l’art épistolaire, le calcul mental et l’agriculture sont obligatoires, il serait bon que les candidats fussent aussi examinés sur ces matières. »

Ce n’est ni la bonne volonté ni le zèle qui manquent aux commissaires ou aux secrétaires des municipalités ; mais la crise commerciale qui a été si longtemps prolongée, l’état de gêne et la pauvreté relative du comté de Chicoutimi, font que certaines municipalités sont presque dans l’impossibilité de remplir leurs obligations comme elles le voudraient. Pour pouvoir maintenir les écoles sous leur contrôle, à l’exception de la ville de Chicoutimi, les commissaires sont obligés de faire payer leurs cotisations en grains, qu’ils revendent au printemps. « Les institutrices qui consentent à accepter de ces produits, en requièrent à compte sur leur salaire en janvier, continue M. Savard, ce qui explique pourquoi les municipalités ne peuvent payer tout le montant dû à la fin du premier semestre. » Pour compléter ce paiement, les commissaires reçoivent du département de l’instruction publique une subvention qu’ils partagent également entre les institutrices. À la fin du deuxième semestre, les institutrices sont généralement bien payées ; car les commissaires trouvent facilement à cette époque les moyens d’échanger leurs produits pour de l’argent. Si les commissaires ne voulaient pas se soumettre à ces nécessités de situation particulières au comté de Chicoutimi, ils seraient obligés de fermer les écoles. Le seul moyen praticable pour eux de les maintenir sera encore peut-être pendant plusieurs années d’accepter des paiements en nature, l’argent étant une chose extrêmement rare dans le Saguenay, et la plupart des transactions n’y étant guère que des échanges de produits.

Malgré les défauts, ou plutôt les inconvénients et les misères que nous venons de signaler, il faut reconnaître que les municipalités du comté de Chicoutimi ont à cœur l’avancement de l’éducation, comme du reste en fait foi le dénombrement successif des écoles que nous allons mettre sous les yeux du lecteur.

1o CHICOUTIMI (ville)

On trouve dans cette petite ville quatre écoles élémentaires fréquentées par 288 élèves : c’est une école de plus que l’année précédente et une augmentation de 29 dans le nombre des élèves. Quatre-vingt-quatre de ces élèves apprennent depuis l’A. B. C. jusqu’à la lecture courante, 108 lisent couramment, 96 lisent bien, 201 étudient l’arithmétique et le calcul mental, 22 la tenue des livres, 79 la grammaire, l’orthographe et l’analyse, 26 l’art épistolaire, 25 la géographie, 56 l’histoire, 166 le dessin, 47 l’agriculture et 98 la musique vocale.

On enseigne dans ces écoles toutes les matières exigées par le programme officiel. La série complète des livres de M. Montpetit y est adoptée. Les commissaires d’école de l’endroit, présidés par M. le shérif Bossé, sont des hommes remarquablement intelligents et désireux de faire faire tous les progrès possibles, comme le démontrent les résultats obtenus. De même, les parents montrent du zèle pour l’instruction de leurs enfants et les envoient régulièrement aux classes.

2o CHICOUTIMI (paroisse)

La paroisse de Chicoutimi contient douze écoles élémentaires, fréquentées par 532 élèves, 14 de plus qu’en 1878. Cent vingt-deux de ces élèves apprennent depuis l’abécé jusqu’à la lecture courante, 181 lisent couramment, 229 lisent bien, 388 écrivent, 380 étudient l’arithmétique et le calcul mental, 82 la tenue des livres, 199 la grammaire, 101 l’orthographe et l’analyse, 56 l’art épistolaire, 99 la géographie, 131 l’histoire, 281 le dessin linéaire, 97 l’agriculture et 200 la musique vocale.

Toutes ces écoles, surtout les écoles Nos. 1 et 8 sont bien tenues et font des progrès remarquables, à l’exception des écoles Nos. 6, 7 et 9 qui sont en arrière des autres. Les commissaires visitent régulièrement deux fois par année les écoles avec l’inspecteur, ils font preuve de zèle et de dévouement pour l’éducation.

LATERRIÈRE

La municipalité scolaire de Laterrière soutient une école modèle et quatre écoles élémentaires fréquentées par 245 élèves, dont 57 ne font encore que commencer ; 97 lisent couramment, 91 lisent bien, 201 écrivent, 65 étudient la tenue des livres, 10 le mesurage, 49 l’art épistolaire, 10 l’anglais, 113 la grammaire, 105 l’orthographe et l’analyse, 63 la géographie, 202 l’arithmétique et le calcul mental, 84 l’histoire, 74 l’agriculture, 198 le dessin et 122 la musique vocale.

L’école modèle, parfaitement dirigée, n’est inférieure à aucune autre école du district. Il n’y a aucune observation spéciale à faire sur les autres écoles de la municipalité.

SAINT-DOMINIQUE DE JONQUIÈRE

On compte dans cette municipalité cinq écoles élémentaires fréquentées par 224 élèves ; 49 d’entre eux sont encore aux éléments, 81 lisent couramment, 94 lisent bien, 168 écrivent, 40 étudient la tenue des livres, 37 l’art épistolaire, 101 la grammaire, 97 l’orthographe et l’analyse, 35 la géographie, 77 l’arithmétique et le calcul mental, 46 l’histoire, 21 l’agriculture, 157 le dessin et 92 la musique vocale.

Les résultats sont satisfaisants ; on constate le manque de livres dans une école, et dans toutes, excepté à l’école No 1, le manque de cartes géographiques. Les comptes sont bien tenus par le trésorier.

SAINT-CYRIAC

Les deux petites écoles de cette localité n’ont pas été ouvertes en 1879 ; les colons qui y demeurent sont très-pauvres.

SAINTE-ANNE

Quatre écoles, dont une est modèle et les trois autres élémentaires, réunissent 161 élèves ; 52 apprennent depuis l’abécé jusqu’à la lecture courante, 55 lisent couramment, 59 lisent bien, 133 écrivent, 32 étudient la tenue des livres, 15 le mesurage, 26 l’art épistolaire, 13 l’anglais, 67 la grammaire, 66 l’ortographe et l’analyse, 34 la géographie, 147 l’arithmétique et le calcul mental, 50 l’histoire, 49 l’agriculture, 99 le dessin et 75 la musique vocale.

L’école modèle laisse beaucoup à désirer. Les écoles Nos. 3 et 4 vont remarquablement bien.

SAINT-FULGENCE

Il n’y a qu’une école dans cette localité. L’institutrice s’acquitte bien de ses fonctions, et les commissaires sont pleins de bonnes intentions, mais les enfants sont peu assidus.

L’ANSE SAINT-JEAN

Cette paroisse compte deux écoles élémentaires fréquentées par 123 élèves, dont 18 apprennent leurs lettres ; 48 lisent couramment, 57 lisent bien, 80 écrivent, 87 étudient l’arithmétique, 77 le calcul mental, 16 la tenue des livres, 30 la grammaire, 26 l’ortographe et l’analyse, 12 l’art épistolaire, 25 la géographie, 26 l’histoire, 55 le dessin, 20 l’agriculture et 42 la musique vocale.

Ces deux écoles vont bien et les habitants de l’endroit font des sacrifices généreux pour les soutenir. Les commissaires sont actifs et les institutrices bien payées. La municipalité de l’Anse Saint-Jean est pauvre, mais elle se fait honneur par son zèle pour l’éducation.

GRANDE BAIE

Cette municipalité renferme deux écoles modèles et trois écoles élémentaires qui comptent 250 élèves, dont 66 n’ont pas dépassé l’abécé ; 89 lisent couramment, 95 lisent bien, 239 écrivent, 47 apprennent la tenue des livres, 4 le mesurage, 25 l’art épistolaire, 10 l’anglais, 108 la grammaire, 106 l’ortographe et l’analyse, 47 la géographie, 217 l’arithmétique et le calcul mental, 112 l’histoire, 36 l’agriculture, 150 le dessin et 118 la musique vocale.

L’école modèle des filles est très-bien dirigée et les élèves se distinguent. L’école modèle des garçons rend de grands services à cette municipalité dont les contribuables et les commissaires rivalisent de zèle pour les progrès de l’éducation. Les écoles Nos. 3 et 4 avancent peu. Les élèves de l’école No. 5 apprennent bien l’écriture et sont très-forts sur l’arithmétique et la grammaire.

VILLAGE DE BAGOTVILLE

Cette municipalité possède deux écoles, dont une modèle, fréquentée par 88 élèves ; de ce nombre, 14 apprennent à lire, 27 lisent couramment, 47 lisent bien, 57 écrivent, 7 étudient la tenue des livres et l’art épistolaire, 38 la grammaire, 37 l’orthographe et l’analyse, 15 la géographie, 72 l’arithmétique et le calcul mental, 34 l’histoire, 15 l’agriculture, 57 le dessin et 29 la musique vocale.

L’école modèle ne donne pas de résultats bien remarquables. L’école élémentaire ne compte que des commençants.

PAROISSE DE SAINT-ALPHONSE

Cette municipalité est divisée en six arrondissements dont les écoles, toutes élémentaires, sont fréquentées par 166 élèves. Sur ce nombre, il y en a 34 qui apprennent depuis l’abécé jusqu’à la lecture courante ; 57 lisent couramment, 75 lisent bien, 131 écrivent, 27 étudient la tenue des livres, 18 l’art épistolaire, 64 la grammaire, 58 l’orthographe et l’analyse, 20 la géographie, 126 l’arithmétique et le calcul mental, 60 l’histoire, 28 l’agriculture, 69 le dessin et 66 la musique vocale.

L’école No. 1 est une des plus avancées de tout le district ; les élèves de la première classe étudient toutes les branches que nous venons d’énumérer, et les matières enseignées sont bien raisonnées par eux.

Les progrès sont faibles dans l’école No. 2. À l’école No. 3 les résultats sont satisfaisants.

Les enfants de l’école No. 4 suivent à peine les classes, parce qu’ils ont beaucoup de difficulté à s’y rendre, vu leur éloignement. L’apathie des parents y est aussi pour beaucoup. De même à l’école No. 5, qui n’est fréquentée régulièrement que par cinq élèves.

Les commissaires remplissent bien leurs devoirs, mais ils cherchent trop le bon marché et négligent de fournir à leurs écoles les livres dont elles ont besoin.

HÉBERTVILLE

Cette municipalité possède une école modèle et neuf écoles élémentaires qui reçoivent 355 élèves ; 103 sont encore à l’abécé, 110 lisent couramment, 142 lisent bien, 242 écrivent, 47 apprennent la tenue des livres, 38 l’art épistolaire, 26 l’anglais, 106 la grammaire, 101 l’orthographe et l’analyse, 48 la géographie, 182 l’arithmétique et le calcul mental, 77 l’histoire, 63 l’agriculture, 174 le dessin et 134 la musique vocale.

L’école modèle compte 27 élèves : Les écoles Nos. 2 et 4 sont au dessous du médiocre ; l’école No. 5 est pitoyable ; les écoles Nos. 3 et 8 sont bien tenues ; l’école No. 6 est la meilleure de toutes ; à l’école No. 10 l’assistance des élèves laisse beaucoup à désirer.

Les commissaires sont zélés et les contribuables font de grands efforts pour soutenir leurs écoles ; mais ils ne pourront les maintenir toutes s’ils ne reçoivent pas un octroi plus élevé.

SAINT-JÉRÔME

On trouve ici cinq écoles élémentaires suivies par 253 élèves, sur lesquels 52 sont des commençants ; 72 lisent couramment, 129 lisent bien, 184 écrivent, 24 apprennent la tenue des livres, 27 l’art épistolaire, 60 la grammaire, 50 l’orthographe et l’analyse, 20 la géographie, 165 l’arithmétique, 173 le calcul mental, 50 l’histoire, 23 l’agriculture, 134 le dessin et 106 la musique vocale.

À l’école No. 1 on enseigne tout ce qui s’enseigne dans une école modèle, moins les leçons de choses et le toisé. Les élèves y font de grands progrès. Une des meilleures du comté. Les parents des arrondissements 3 et 5 montrent peu de zèle pour l’instruction de leurs enfants ; ceux-ci sont mal pourvus de livres.

La perception des cotisations se fait lentement.

SAINT-LOUIS DE MÉTABETCHOUANE

Il y a dans cette paroisse 4 écoles élémentaires et 150 élèves, dont 34 commençants ; 52 lisent couramment, 64 lisent bien, 100 écrivent, 16 étudient la tenue des livres et l’art épistolaire, 67 la grammaire, 54 l’orthographe et l’analyse, 44 la géographie, 87 l’arithmétique, 84 le calcul mental, 53 l’histoire, 75 le dessin, 47 l’agriculture et 53 la musique vocale.

L’école No. 1 n’a peut-être pas d’égale dans le district. Il est à désirer qu’elle soit transformée en école modèle. Les écoles Nos. 3 et 4 ne comptent que des commençants ; elles sont conduites par des institutrices non diplômées qui ne reçoivent que $40.00 de salaire.

Les commissaires sont bien disposés, mais manquent d’instruction.

ROBERVAL.

Dans cette municipalité 126 élèves fréquentent trois écoles élémentaires ; 25 commencent, 45 lisent couramment, 56 lisent bien, 99 écrivent, 20 étudient la tenue des livres, 22 l’art épistolaire, 25 la grammaire, 24 l’ortographe et l’analyse, 18 la géographie, 98 l’arithmétique et le calcul mental, 19 l’histoire, 10 l’agriculture, 46 le dessin et 34 la musique vocale.

Ces trois écoles sont bien tenues, surtout l’école No. 2 qui est à l’égal des meilleures. Les commissaires s’acquittent bien de leurs fonctions et les comptes sont en ordre.

SAINT-PRIME

L’unique école de cette paroisse compte 49 élèves, dont 18 sont des commençants ; 19 lisent couramment, 12 lisent bien, 16 écrivent, 6 étudient la tenue des livres, l’art épistolaire, la grammaire, l’orthographe et l’analyse, 1 la géographie, 18 l’arithmétique et le calcul mental, 3 l’histoire, 16 le dessin et 12 la musique vocale.

Cette école est au-dessous du médiocre. Les enfants sont peu assidus et manquent des fournitures nécessaires. On n’y enseigne pas l’agriculture.

SAINT-FÉLICIEN

Cette municipalité possède une école élémentaire assez bien tenue, mais peu fréquentée ; l’arrondissement est trop étendu, les parents trop pauvres, et les enfants manquent des vêtements convenables. Les élèves sont au nombre de 39 et ils apprennent à peu près ce qu’on enseigne dans les autres écoles du district.

SAINT-GÉDÉON DE GRANDMONT

On trouve ici trois écoles fréquentées par 79 élèves ; 32 apprennent à lire, 33 lisent couramment, 14 lisent bien, 44 écrivent, 16 étudient la grammaire, 9 l’orthographe et l’analyse, 33 l’arithmétique et le calcul mental, 8 l’histoire, 3 l’agriculture, 27 le dessin et 16 la musique vocale.

Les contribuables de l’arrondissement No. 1 sont très-indifférents et peu soucieux de l’instruction de leurs enfants ; aussi n’y a t’il que cinq de ceux-ci qui fréquentent l’école.

Les écoles Nos. 2 et 3 ne reçoivent encore que des commençants.

ALMA

Alma renferme deux écoles fréquentées par 57 élèves. Elles sont bien tenues et les commissaires sont animés du meilleur esprit. Les matières enseignées sont les mêmes que dans les autres écoles.