Le Sauvage (Dupont)

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Le Sauvage (Dupont)
Chants et ChansonsAlexandre HoussiauxTome I (p. 101-103).


LE SAUVAGE


1846

 
Un jour, lassé de vivre solitaire,
J’aventurai mes pas ambitieux
Sur les chemins qui sillonnent la terre.
Et dont pas un n’aboutit jusqu’aux cieux ;
Je visitai ce qu’on nomme une ville,
Repaire immense où l’homme, mon pareil,
Vit sans ombrage, à l’égal du reptile,
En des rochers calcinés au soleil.

Quand la nature verra-t-elle
Ses nombreux enfants réunis,
Troupe joyeuse et fraternelle,
Sous res rameaux, dans ses doux nids !

Combien ton sort, ô frère ! me chagrine,
Ta nourriture est vile, un air malsain
Râle brûlant dans ta sourde poitrine,
Où toujours dort quelque sombre dessein ;
Le grand esprit qui me parle sur l’onde
Est moins pour toi qu’un morceau de métal,
Tu reconnais pour souverain du monde
L’or que je pêche en mon ruisseau natal.

Quand la nature verra-t-elle
Ses nombreux enfants réunis,
Troupe joyeuse et fraternelle,
Sous ses rameaux, dans ses doux nids !


L’amour en toi n’est qu’un instinct sauvage,
Errant sans but comme une feuille en l’air ;
Aussi ta vie est un triste veuvage
Où le bonheur ne luit que par éclair.
Sais-tu qu’il faut, passager sur la terre,
Aimer à deux pour revivre après toi.
En outre aimer dans tout homme ton frère ?
L’esprit nous dit : C’est là toute la loi.

Quand la nature verra-t-elle
Ses nombreux enfants réunis,
Troupe joyeuse et fraternelle,
Sous ses rameaux, dans ses doux nids !

La terre est grande et la sève bouillonne
En son flanc vaste au robuste contour,
Comme le vin fermente dans la tonne,
Comme en un cœur d’adolescent, l’amour :
Elle a du lin pour filer une tente
A tous ses fils, et des fruits savoureux
Pour ceux qui, las d’une trop longue attente,
En sont encore à s’égorger entre eux.

Quand la nature verra.t-elle
Ses nombreux enfants réunis,
Troupe joyeuse et fraternelle,
Sous ses rameaux, dans ses doux nids !

Le jour se lève et déchire la brume
Où notre globe était emmaillotté ;
La vieille foi dans les cœurs se rallume,
Tous les esprits tendent à l’unité :
Le matelot sur les vagues hurlantes
Creuse tout droit son sillon vers le port,
Sans s’égarer aux étoiles filantes,
Les yeux fixés sur le pôle du Nord.


Quand la nature verra-t-elle
Ses nombreux enfants réunis,
Troupe Joyeuse et fraternelle,
Sous ses rameaux, dans ses doux nids !

L’onde, la flamme et déjà l’atmosphère,
Coursiers ardents que leur joug fait hennir,
En un seul bond franchissant notre sphère,
Vont rapprocher ce splendide avenir.
Fils des cités, enfants des solitudes,
Ce jour serait demain, si nous voulions
Mettre en commun, vous rêveurs, vos études,
Et nous nos bras teints du sang des lions.

Quand la nature verra-t-elle
Ses nombreux enfants réunis,
Troupe joyeuse et fraternelle,
Sous ses rameaux, dans ses doux nids !

Car le temps vient d’oublier nos querelles,
La faim, la soif, la guerre et tous les maux ;
Il faut entrer en des routes nouvelles,
Clairons en tête et mêlant nos drapeaux.
Couples aimants, couronnez-vous de roses ;
Artistes saints, coupez le vert laurier,
Plus d’envieux et plus de fronts moroses ;
Allons au ciel par l’amoureux sentier.

Quand la nature verra-t-elle
Ses nombreux enfants réunis,
Troupe joyeuse et fraternelle,
Sous ses rameaux, dans ses doux nids !