Chansons posthumes de Pierre-Jean de Béranger/Le Savant
LE SAVANT
Un bon vieillard consultait une sphère.
À rêver vingt fois il se prend.
Vient un savant qui le regarde faire,
Et dit tout haut : — Pauvre ignorant !
Apprends de nous les secrets que tu sondes,
Si tu n’es le fou qui, dit-on,
Traite de fous ceux qui pèsent les mondes
Dans la balance de Newton.
À ce propos le vieillard de sourire :
— L’attraction m’a peu séduit.
N’en parlons pas ; mais vous, daignez me dire
Comment la chaleur se produit.
Dans tout système, un seul fait qu’on ignore
Doit tenir le doute en éveil.
Or il vous reste à deviner encore
La grande énigme du soleil.
Vos devanciers vous ont dressé l’échelle :
Montez ; ils vous tendent la main.
Faites qu’à tous votre savoir révèle
Un progrès de l’esprit humain.
Qui ne connaît jusqu’au moindre cratère
Ce monde orphelin de ses dieux ?
Nous n’avons plus d’inconnu sur la terre :
Il nous faut l’inconnu des cieux.
Trop longtemps l’homme à la taille du globe
De ses dieux borna la hauteur.
Creusez le ciel ; que rien ne nous dérobe
L’œuvre sans fin du Créateur.
Le mouvement part de sa main féconde :
Suivez-le, mais les yeux ouverts,
Et révélez à notre petit monde
Le Dieu de l’immense univers.
Au sentiment accordez une place…
À ces mots le savant s’enfuit.
— Ce fou, dit-il, aurait besoin de glace.
Le sentiment n’est qu’un produit.
Mais le vieillard lui crie : — À tort, vous dis-je,
La mécanique est votre loi ;
C’est Dieu lui seul, oui, c’est Dieu qui dirige
Tous ces globes où l’homme est roi.