Le Second Livre de la jungle/La dernière Chanson

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Traduction par Louis Fabulet et Robert d’Humières.
Société du Mercure de France (p. 373-375).


LA DERNIÈRE CHANSON


Ceci est la chanson que Mowgli entendit derrière lui dans la Jungle avant d’arriver de nouveau à la porte de Messua.


Baloo

À cause des sentiers, jadis,
De moi, sage Grenouille, appris,
Pour ton vieux Baloo garde comme
La loi de Jungle ta Loi d’Homme.
Claire ou trouble, du jour ou d’hier,
Tiens-la du vouloir et du flair,
Comme tu tiens la piste étroite,
Sans regarder de gauche ou droite,
Pour l’amour de qui t’aimait mieux
Que toute chose sous les cieux.
Si ton Clan t’irrite ou te peine,
Dis-toi : Tabaqui chante en plaine.
S’ils t’offensent : Comme autrefois,
Shere Khan erre encor sous bois.
Les couteaux au vent, dans le doute,
Garde la loi, passe ta route.
(Palme, racine, baie ou miel
Gardent petit de sort cruel.)
Par l’Eau, le Bois, l’Arbre et le Vent,
Faveur de Jungle va devant !


Kaa

La Colère est l’œuf de la Peur —
Œil sans paupière est le meilleur.
Venin de Cobra, nul remède,
Parler de Cobra, le sort t’aide.
Courtoisie escorte Vigueur
Et Franc-Parler t’en fait seigneur.
Vise à distance, ne confie
Nul poids à la branche pourrie ;
Jauge à ta faim chèvre ou bélier,
Que l’œil n’étouffe le gosier.
Pour dormir ensuite, secrète
Et sombre choisis ta retraite,
Crainte que des torts oubliés
N’amènent là tes meurtriers.
En tous lieux et sur toute chose
Garde flanc net et bouche close.
(Fente, trou, rive d’étang bleu,
Suis-le donc, Jungle du Milieu !)
Par l’Eau, le Bois, l’Arbre et le Vent,
Faveur de Jungle va devant !

Bagheera

Je fus en cage et me souviens
De l’Homme et des façons des tiens.
Mais, par la Serrure Brisée,
Crains ta race ! Au flair des rosées,
Sous l’étoile pâle, ne prends
Pas leur piste de chats errants.
Clan ou conseil, en chasse, au gîte,
Chacals sans pacte qu’on évite,
Qu’ils mangent ton silence quand
Ils diront : Viens, c’est le bon vent ;
Jette-leur ton silence encore

Si contre le faible on t’honore.
Laisse au singe son vain fracas,
Porte sans bruit ton gibier bas.
Qu’en chasse nul cri, chant ou signe
Puisse t’écarter d’une ligne.
(Brumes de l’aube, couchants clairs,
Servez-le bien, Gardiens des Cerfs !)
Par l’Eau, le Bois, l’Arbre et le Vent,
Faveur de Jungle va devant !

Les Trois

Par ton nouveau sentier, le leur,
Vers le seuil de notre terreur,
Où flambera la Rouge Fleur ;
Dans les nuits où tu rêveras,
Épiant le bruit de nos pas,
Nous, tes amis, restés là-bas ;
Les matins de triste réveil
Aux labeurs d’un nouveau soleil,
Cœur en deuil de matins pareils…
Par l’Eau, le Bois, l’Arbre et le Vent,
Faveur de Jungle va devant !


FIN