Le Songe de Poliphile/Dédicace

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Souventesfois j’ai pensé, Polia, que les anciens auteurs dédiant leurs œuvres aux princes et hommes magnanimes l’ont fait, qui en vue d’un salaire, qui pour obtenir leur faveur, qui pour en recevoir des louanges. Aucun de ces motifs ne me déterminant, si ce n’est le second, et ne sachant princesse plus digne que je lui dédiasse cette mienne Hypnérotomachie, c’est à toi que je l’offre, ô ma haute Impératrice ! à toi dont la condition illustre, l’incroyable beauté, les vénérables et grandes vertus, les mœurs excellentes, qui te donnent le pas sur toutes les nymphes de notre âge, m’ont enflammé à l’excès pour ta personne d’un amour insigne qui me brûle et me consume. Reçois donc ce mien présent, ô splendeur de beauté qui rayonne, réceptacle de tous les charmes, célèbre par ton aspect brillant ! C’est toi qui l’as fait industrieusement, qui l’as marqué à ton effigie angélique, avec des flèches dorées, dans le cœur amoureux de celui qui s’y trouve dépeint : aussi bien en es-tu singulièrement Maîtresse ! Je soumets donc l’œuvre suivante à ton intelligent et ingénieux jugement, — renonçant au style primitif pour le traduire, à ton instance, en celui-ci. Maintenant s’il s’y trouve quelque défaut, si tu y rencontres quelque partie stérile et sèche, indigne de ton élégante noblesse, toi seule en encourras le reproche, opératrice excellente, unique porte-clef de mon entendement et de mon cœur. Mais j’estime que le los et récompense du plus grand talent, c’est tout particulièrement ton gracieux amour et ta bénigne faveur. Vale.