Le Sphinx au foyer/Charades

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A. Bennuyer (p. 69-104).

CHARADES


I

Dans les plateaux de la balance,
Il mit un …, il mit un cœur.
Qui l’emporta ? L’amour, je pense.
Non : l’amour ne fut pas vainqueur.
Comme un oiseau dans une ….,
Il enferma sous clef son bien :
Les voleurs en firent ……
Argent, amour, il n’a plus rien !


II

C’était jour de malheur : Paul fut en pénitence
Pour certaine conjonction
Qu’il prit nonchalamment pour préposition.

Pierre fut, au salon, corrigé d’importance
Par la faute d’un encrier
Qui noircit pour toujours un fragment de clavier.

Et Jacques, dérobant dans une cartouchière
Un étroit rouleau de métal,
Etourdiment faillit, dans son ardeur guerrière,
Causer un accident fatal.


III

Alphonse Karr en prit un qui n’est point bémol
Pour titre d’un roman qui fait pleurer et rire.

Ne baissez pas ainsi vos regards vers le sol ;
Faites-nous la riante et parlez-nous, Elvire.

Je ne l’aime pas mieux, mes amis, franchement,
Que la peste ou la guerre.
Ai-je dit autrement ? ……
Ma foi ! « s’il m’en souvient, il ne m’en souvient guère ! »


IV

Qui donc, amis lecteurs, à la tête pointue,
Les jambes d’une pièce et les pieds écartés ?

Qui fait berceau, cercueil, crèche, autel et statue,
Réchauffe les hivers, ombrage les étés ?

Où sont le voyageur devant le train qui file ?
L’emprunteur sans crédit ? la coquette sans fard ?
L’auteur sans éditeur dont le sang tourne en bile ?
Le parasite, enfin, qu’on invite trop tard ?…


V

Madame,
La poudre de riz sur votre visage
Forme comme un …, vous en abusez !
De vos cinquante ans ayez le courage :
La corde se voit ; vos « trucs » sont usés.
Convenez tout haut que vous êtes ….
Ils se tairont, ceux qui l’ont dit souvent.
Que servent d’ailleurs révolte et …… ?
Le temps fait le sourd et marche en avant !


VI

Ils suivent le torrent que l’on appelle Creuse,
Par des talus rocheux fortement endigué ;
Depuis l’aube, à l’air vif, leur estomac se creuse ;
Pour gagner l’autre bord, ils réclament un …
Mais ils n’en trouvent pas et reprennent leur chasse
Parmi la verte lande où l’ajonc refleurit ;
Et parfois dans un … quelque pied s’embarrasse ;
Et parfois contre un roc quelque front se meurtrit.
Enfin le vent s’élève et l’averse les mouille ;
Ils gagnent, pour s’y perdre, une sombre forêt ;
Et transis, affamés, humiliés, « bredouille »,
À minuit seulement ils rentrent à ……


VII

Comme le … du cygne, Irma, le vôtre penche ;
Vos cheveux sont d’or pâle, et vos yeux, de pervenche.
On vante votre taille, et vos mains, et vos bras,
Vos gestes sans raideur dénués d’embarras,
Et cet art d’embellir d’une grâce suprême
Tout ce que vous portez, fût-ce une ….. même !
Mais l’on vous blâme, Irma, de rester chaque soir
En ……… trop long avec votre miroir.


VIII

Les voyages, dit-on, façonnent la jeunesse.
J’en conviens, car j’en suis un exemple vivant.
Il n’est pas un chemin que mon pied ne connaisse ;
Il n’est pas un …. où ne m’ait poussé le vent.
J’ai connu tour à tour abondance et famine ;
De mon pain frotté d’ … je me suis contenté ;
Mais à festin joyeux je n’ai point fait la mine
Quand ma bonne fortune à lui m’a présenté.
Dans les brûlants déserts, j’ai dormi sous la tente ;
Ailleurs, j’ai fréquenté le caravansérail ;
Et j’ai connu parfois les longueurs de l’attente
Devant les noirs verrous de quelque vieux ………


IX

Cherchez dans une gamme un air, une romance,
Cherchez… qu’il y produise ou non la dissonance :
Vous trouverez.

Cherchez dans la silique, ou la gousse, ou la cosse,
Qu’elle soit ronde ou plate, ou tardive ou précoce :
Vous trouverez.

Cherchez, enfin, cherchez ce qui m’étreint la tête,
Ce qui me rend maussade, inabordable et … bête :
Vous trouverez.


X

Quand sa gueule est ouverte, on n’y voit pas de dents,
Mais des langues sans nombre aux appétits ardents.

Quand l’on en peut prévoir l’épouvantable étreinte,
Bien vite à Saint-Hubert il faut aller sans crainte.

Pour lui,la sécheresse est toujours un malheur ;
Mais lorsqu’il est par terre, il redoute la pluie ;
Elle affadit son goût et pâlit sa couleur,
À moins que le bon vent aussitôt ne l’essuie.


XI

« Ou souffrir, ou mourir ! »
Je me trouve deux fois dans cette courte phrase.

Affluent de la Creuse au lit exempt de vase,
Je suis prompte à courir.

Tout chasseur connaît bien mon naturel sauvage.
Je dépose mes œufs dans les champs de blé mûr ;
Mes petits, sitôt nés, prennent un élan sûr…
On me nomme d’ailleurs un oiseau de passage.


XII

Je n’ai ni vêtements, ni souliers, ni coiffure !
Personne, toutefois, ne songe à m’habiller.

Je revêts au printemps des feuilles pour parure ;
La rose, grâce à moi, se dresse et peut briller.

Au bord du gouffre ouvert, je mets plus d’un touriste
En péril sérieux ;
Et, pour les égarer, je fonds à l’improviste
Sur les ambitieux.


XIII

J’en connais un tout vert dont la surface lisse,
Au cristal murmurant, doit sa jeune fraîcheur ;
Le baiser du zéphyr discrètement y glisse ;
Et le rayon de lune y jette sa blancheur.

J’en connais une, blême aux reflets de l’orgie,
Jaune lorsque la peur lui souffle des frissons ;
Par la fureur, souvent, boursouflée et rougie ;
Et, sous un masque épais, déroutant les soupçons.

L’auteur bâille sur elle, et lui-même s’assomme ;
L’éditeur en fait cas moins que d’un vieux bonnet ;
Le candide lecteur n’en extrait qu’un long somme ;
Et l’épicier du coin là contourne en cornet.


XIV

La glaneuse courbée a marché dès l’aurore
Et le soir est venu.
La fatigue l’écrase et la faim la dévore.
« Encore un pauvre… dit-elle, un seul encore ! »
Et dans l’étroit sillon persiste son pied nu.
Elle a fini sa tâche et la nuit est obscure,
Mais dans l’ombre là-bas

Elle voit scintiller la lampe de la ….
Et sous ce toit du moins, la pauvre vieille est sûre
De ne pas implorer vainement un repas.
Le maître de céans ne suit pas la doctrine
D’ …… l’heureux :
La souffrance d’autrui l’atteint et le chagrine ;
Il jeûne pour donner ! et le mal qu’il devine
Est, dans l’ombre, guéri par ses soins généreux.


XV

Elle a le pied leste et la jambe fine,
Elle aime à gravir, elle aime à sauter.
Nul en ses sentiers jamais ne chemine,
Car nul aussi haut ne saurait monter.

Elle n’est jamais d’humeur carnivore.
Son régal de choix, on l’a découvert ;
C’est le frais bourgeon quand il vient d’éclore
Le long d’un rameau comme un flocon vert.

Elle aime surtout la légère plante
Qui monte à l’assaut des buissons touffus,
Épanouissant, liane odorante,
Corymbes légers et rameaux confus.


XVI

Do, ré, mi, fa, sol, la, si, do.
Rien que des ré, des mi, des si ! combien de notes !
Do, si, la, sol… enfant, faites votre dodo.
Pour guérir vos blanches quenottes,
On vous garde, chéri, des gâteaux, du bonbon,
Si vous dormez dans votre lange ;
Mais sans rémission, mon ange,
Si vous êtes méchant : le fouet, pour tout de bon !

Lettres, syllabes, mot, sous ma plume docile
Sans voile ont accouru. Devinez, c’est facile.


XVII

La jeune fille y porte une fraîche parure
Et vingt illusions ;
Elle en revient parfois avec triste figure
Et cent déceptions.

Sans pleins ni déliés, d’une raideur extrême,
Pas plus large qu’un point,
Il reste dédaigneux et droit comme lui-même
Et ne s’assouplit point.

Entraîné vers la foire, on dirait sur la route
Qu’il devine son sort.
Il regimbe, il recule, il renifle, il écoute.
Et sent venir la mort.

Quand il domine des cépées
Le frissonnant et vert fouillis,
Les merles, faiseurs d’équipées,
Sifflent : « C’est l’honneur du taillis ! »


XVIII

Le corsaire bronzé rapportait de la Chine,
Après vingt-cinq combats, toute une cargaison :
Ivoires, pierres, thés et porcelaine fine,
— Et ce tissu, léger comme une mousseline,
Si propre aux vêtements pour la chaude saison.
C’était, sans hyperbole, un monceau de richesses
— À remuer avec l’outil du terrassier !…
La fille du corsaire, enfant aux blondes tresses,
N’eut, pour ces vains trésors, ni regards, ni caresses,
Et refusa son cœur à cet appât grossier.
Mais, de ses blanches mains, nouant une guirlande
Avec ces mille fleurs de saphir et de feu,
Saintement à genoux, elle en fit une offrande
Pure comme la Foi qui s’abaisse et demande,
— Sous la voûte mystique où l’on va prier Dieu.


XIX

Sur celui d’Avignon,
Par plaisir ou guignon,
Si tout le monde passe,
Nous y trouverons place.

J’aimerais mieux vers Creil,
Au lever du soleil,
Glisser sur l’eau tranquille
Où se mire la ville.

On trouve sur son bord,
Mais un peu moins au nord,
Une cité plus belle.
Allez-y, messieurs, mais…
N’en revenez jamais !
Comment se nomme-t-elle ?


XX

Il a servi jadis aux courses triomphales,
Quand un homme, entre tous, se dressait le premier ;
Il transporte aujourd’hui, sous les coups des rafales,
Les souches de bois mort et les tas de fumier.

Parfois il représente une assez lourde somme ;
Plus d’un, à la toucher, aspire bien souvent
Et vers lui tend les mains. Pourtant ce n’est en somme
Qu’un chiffon de papier plus léger que le vent.

La terre le recèle en ses noires entrailles,
Comme un avare, au jour, dérobe son trésor.
Mais le pic du mineur fait de larges entailles
Et des antres obscurs il se dégage et sort.


XXI

Suis-je article, adjectif, conjonction, adverbe,
Substantif, verbe ? Non. Courte comme un brin d’herbe,
Je passe inaperçue au milieu du discours.

Une fille coupable est cause de ma perte.
Écroulés sont mes murs, les eaux m’ont recouverte,
Nul même n’a tenté de me prêter secours.

Moi, je porte gaiement couronne sur couronne ;
La coupe du plaisir étincelle en ma main ;
On me nomme Capoue et même Babylone,
Et quelques-uns, pour moi, craignent le lendemain…


XXII

Il n’avait plus sa raison, ô torture !
Un fol amour l’éparpillait au vent.
Il cheminait hagard, à l’aventure,
Rêvant….

Il pénétra dans la cité comtoise
Où reste encor plus d’un ancien pignon
Près d’un cours d’eau large au plus d’une toise :
L’Ognon.

Mais là devait finir sa course agreste,
Il s’y tordit le pied très fortement.
Comment nommer cet accident funeste ?
Comment ?


XXIII

On y respire un air plus pur,
On y voit de plus près l’azur ;
Et si les bruits du val y montent par bouffées,
Ce n’est plus qu’à l’état de clameurs étouffées.

Pourquoi l’aimer ? Son faux bonheur
Ne suffit pas à notre cœur ;
Son horizon s’enferme en d’étroites limites
Et les nobles ardeurs y semblent hypocrites !

Il brille comme un fauve éclair ;
Il trace une courbe dans l’air ;
Il s’abat !… sur le sol roule une tête pâle
Avec un rouge flot, sans un cri, sans un râle !
L’exemple a produit son effet ;
Allah doit être satisfait !


XXIV

Horreur ! il est privé de toute poésie,
Ce gourmet, ce viveur !
Dans une coupe d’or, versez-lui l’ambroisie ;
Il trouve, dira-t-il, au vin plus de saveur.
Que le grand bœuf mugisse en traversant la plaine,
Que le veau dans les prés se livre à ses ébats,
Que l’agneau blanc bondisse habillé de sa laine :
Il songe que leur … n’est qu’un manger de chats !
Quand sur le champ de …. passent les douces brises,
Effleurant d’un baiser les corolles d’azur,
Il calcule tout bas le nombre de chemises
Qu’un habile travail en tirera pour sûr.
S’il entend le remous de l’écluse voisine
Et s’il voit le ……, poétique réduit :
« Quel impôt, dira-t-il, doit payer cette usine ?
Quel en est le produit ? »


XXV

Nous avions parcouru l’Aube, la Seine, l’Oise ;
Et, changeant de pays, nous visitions Amboise
Avec son antique château.
Jusqu’au fleuve d’en bas il projette son ombre ;
Et, sur les pans noircis de sa muraille sombre,
Le lierre a jeté son manteau.
J’aspirai pleinement l’historique poussière,
Et des vieux souvenirs incrustés dans la pierre
Je ris et pleurai tour à tour.
Sur de croulants degrés me frayant un passage,
Ce qui n’était parfois ni facile ni sage,
Je gravis la plus haute ….!
La roche Tarpéienne est près du Capitole :
En descendant, je butte, et tombe, et dégringole
De marche en marche jusqu’en bas !
Je perdis de ce coup la voix, le pouls, l’haleine,
Je me tordis le col, je m’endommageai l’ ….
Et je me fracturai le bras !
J’eus, vous le pensez bien, la fièvre, le délire ;
La diète s’ensuivit ; enfin tout un martyre !
J’en passe, et du meilleur.
Aussi, quand mes amis partent l’âme sereine
Pour quelque bord lointain : D’un voyage en ………
Dis-je, préservez-les, Seigneur !


XXVI

Vous l’employez deux fois quand vous dites : « Madame ! »
Si je réponds : « Monsieur ! » je me passe de lui.
Il est dans toute annonce et dans toute réclame ;
Hier dut s’en passer, mais non pas aujourd’hui.

Quelle effroyable peine et quel sombre supplice !…
Y pensez-vous parfois, ô pécheur obstiné ?…
Puissiez-vous, repentant, détester votre vice
Avant l’heure terrible où rien n’est pardonné !

Il céda !… Nous payons sa coupable faiblesse.
Six mille ans ont passé sur sa faute, pourtant !…
Mais si nous lui dévons le joug qui nous oppresse,
Chacun de nous, sans doute… en aurait fait autant.


XXVII

Dans les mines de fer, de cuivre, de platine,
D’étain, de plomb, d’argent, d’or, de charbon noirci,
Je marche au premier rang ; sans peine on m’y devine.
Cherchez-moi dans la gamme, on m’y rencontre aussi.

Je suis partout : au nord, où gronde la rafale ;
Au sud, où le soleil embrase le désert ;
Au levant, d’où surgit l’aurore triomphale ;
Au couchant, où le ciel d’un voile s’est couvert.

On ne me trouve pas à la circonférence ;
Le bord, l’angle et le bout me restent étrangers :
J’évite également l’extrême indifférence,
L’extrême passion et leurs divers dangers.


XXVIII

Malade et médecin la poursuivent ensemble,
L’atteignent quelquefois mais la manquent souvent.

Lorsque dans l’alvéole elle chancelle et tremble,
Prenez garde, surtout, au noyau décevant !

En faisceau je l’ai vu figurer sur la table
Parmi les fins cristaux et les gerbes de fleurs ;
Eh bien, tout franchement, c’est d’un goût détestable.
Cet objet, selon moi, se doit placer ailleurs.


XXIX

J’assiste sans frémir aux fureurs du Vésuve ;
J’ai les flots pour ceinture et mon ciel reste bleu ;
J’exhale dans les airs une odorante effluve
Et je verse aux buveurs un breuvage de feu.

Des cailloux du chemin je défends les cavales.
Je suis une arme aiguë en de certains combats.
J’épanche l’abondance. Et des forces navales
Je suis l’utile agent, car j’embrasse les mâts.

Arago me contemple aux cercles de la sphère ;
Buffon, pour me chercher, fouille l’herbe au hasard ;
Nemrod, au fond des bois, les pieds dans la fougère.
Suit ma piste, m’ajuste et m’atteint de son dard.


XXX

Sert-il à désigner les personnes, les choses,
Ou plutôt serait-il un qualificatif ?
Je ne le dirai point. Devine, si tu l’oses.
Mais j’avoue entre nous que c’est un adjectif.

A-t-elle en grand honneur industrie et science ?
Est-elle hospitalière aux peuples d’Occident ?…
Je puis bien convenir, en bonne conscience,
Qu’ils y trouvent parfois plus d’un rude incident.

Elle prête aujourd’hui son secours et son aide
À la guerre, à la paix, à mille et un travaux ;
Mais sa cause n’est pas de celles que je plaide :
La matière m’effraye en ses progrès nouveaux.


XXXI

La vieille médecine en a fait long usage ;
Et Molière lui-même. Oh ! n’allez pas trop loin,
Convenable est ce mot. Le plus prude langage,
Sans hésitation, s’en empare au besoin.

Molière, encore lui ! les traçait tous en maître
Et lui-même daignait en tenir à son tour.
Dans le monde, chacun a le sien, et peut-être
Plus d’un, tout en riant, le trouve-t-il bien lourd.

Pour certains odorats, l’odeur qui s’en échappe
A cent fois plus d’attraits que l’arôme des fleurs.
On blâme parmi nous les instincts du satrape,
Mais sommes-nous vraiment plus sobres et meilleurs ?


XXXII

Ce n’est pas Épinal, Bar-le-Duc ou Nancy ;
Ce n’est pas Neufchâteau, Verdun ou Commercy ;
Elle ne singe point des airs de cité reine ;
Mais elle porte en elle un vrai cœur de Lorraine.

Ce n’est pas Tarbes, Pau, Bordeaux, Mont-de-Marsan :
Ce n’est pas un grand centre actif et commerçant,
Ni même un rendez-vous de plaisir et de fête :
Une meilleure part lui fut par le ciel faite.

Ce n’est pas le prélat au prestige assuré ;
Ce n’est pas l’archiprêtre ou le simple curé ;
Mais il le deviendra, je vous le certifie,
Car il bénit, console, assiste et purifie.


XXXIII

J’aime à faire la mienne. Elle n’est point profonde ;
Je ne l’encombre pas d’inutiles chiffons.
Que faut-il, en effet, pour parcourir le monde ?
Du linge, des souliers, de l’audace et… des fonds.

Je suis fidèle au mien, qu’il flatte ma superbe
Et m’attire à la fois l’honneur et le profit,
Ou qu’il me laisse en bas comme un grillon dans l’herbe ;
Le devoir m’y confine et cela me suffit.

On n’entend plus rouler ce bruyant équipage
Aux claquements du fouet, aux sons clairs du grelot.
Rentrer sous la remise après gloire et tapage,
Des choses et des gens, c’est ici-bas le lot.


XXXIV

Il en suffit d’un seul pour causer grands dommages,
Pour exciter le rire ou provoquer les pleurs ;
Et pour faire monter jusqu’à certains visages
Les rougeurs de la honte ou d’étranges pâleurs.

Les morsures du froid, les fureurs de la bise
Ne lui ravissent pas son feuillage élégant.
Sa baie est rouge vif, et son écorce grise ;
Et son port, quoique fier, n’est jamais arrogant.

S’il n’est pas toujours bon, toutefois il explique
Les moyens employés sous son impulsion.
Il prend un autre sens en peinture, en musique,
Et l’artiste y répand son inspiration.


XXX

Ils sont quatre, mais tous de formes différentes.
Deux ont entre eux, du moins, une même couleur.
Le joueur acharné s’en veut faire des rentes ;
Ils gardent en ses mains une égale valeur.

L’un, sourcilleux et fier, se perd dans les nuages ;
L’autre, de bonne trempe, entame le roc nu ;
Celui-ci, de son bec, lisse un brillant plumage ;
Celui-là des savants est justement connu.

Plus d’un, pour le chercher, remonte à cette reine
Qui… sans aller si loin, prenez garde, on le voit
Sous les fleurs d’aujourd’hui, rose, lis ou verveine,
Et même, au figuré, même, hélas ! sous son toit !


XXXVI

Nul n’est plus méprisé : rebut de la nature,
Il cause du dégoût et jamais de pitié ;
Pourtant, quelle est sa proie et quelle est sa pâture ?
L’homme, ce roi d’un jour, qui l’écartait du pied !

Tantôt elle est bruyante, et, les pieds dans la boue,
On y croise, en passant, tous les rangs confondus ;
Tantôt c’est un désert où, seul, un enfant joue,
Au plaintif jappement de quelques chiens perdus.

Le vilain appendice ! on le coupe, on le taille ;
Il importe à chacun de se le voir ôté.
Quelques-uns, toutefois, sans lui livrer bataille,
L’ont pris naïvement… pour un grain de beauté.


XXXVII

Ne le refusez pas à qui vous le demande,
Pauvresse au ton farouche, enfant pâle ou vieillard !
N’y joignez pas un blâme ou quelque réprimande,
Mais un mot consolant avec un bon regard.

Il en est au soleil dans sa splendeur suprême.
Il en est à notre âme en son plus vif éclat.
J’en vois une… à ma robe ! et c’est un pot de crème
Qui fut le criminel. À bas le chocolat !

Le dolman des hussards, la robe baptismale,
Le bonnet du grand-père, à la sombre couleur,
La nappe d’autel même, et l’étroite sandale
Lui doivent, très souvent, leur lustre et leur valeur.


XXXVIII

Si l’on me coupe en deux pour m’arracher la vie,
Que m’importe après tout ! ce n’est pas un grief :
Je reprendrai bientôt la route poursuivie,
Avec un double corps pourvu d’un nouveau chef.

Je suis l’étroit canal où circule agitée
Une rouge liqueur qui ne doit pas tarir.
Qu’un instant elle soit dans son cours arrêtée,
Il n’en faudra pas plus à l’homme pour mourir.

Quand la faucille d’or aux mains des druidesses,
Dans l’ombre des grands bois brillait comme un éclair,
Je parais de mes fleurs le front de ces prêtresses
Et le vent secouait mon arôme dans l’air.


XXXIX

On discute, on dispute et même on s’injurie
De l’un à l’autre bout en y haussant le ton.
Ce qu’on y vient chercher est multiple et varie
De la truffe au homard et de l’oseille au thon.

Dressant, comme un héros, sa tête échevelée,
Pour les siècles futurs il élevait la voix ;
Et retraçant l’horreur de l’ardente mêlée,
Des preux et de leurs fils il chantait les exploits.

Elle frappe à grands coups sur la dalle sonore,
Tandis que le bourdon s’ébranle dans la tour.
C’est dimanche ! et le suisse a songé, dès l’aurore,
Qu’il doit être en éveil tout le long du saint jour.


XL

Pour le conserver pur, généreux et limpide,
Levez-vous de bonne heure et ne mangez pas trop ;
Gardez-vous du calcul bas, étroit et cupide ;
Surtout ne menez point votre existence au trot.

Il écrivait beaucoup et son nom fut célèbre,
Mais la mère, à sa fille, interdit ses romans ;
Je ne ferai donc pas son éloge funèbre
Et j’ignore s’il fut de Lille ou de Romans.

Tout au fond du marais, dans la vase gluante,
On la trouve grouillant : elle est hideuse à voir ;
Parfois même elle pique, agile et remuante,
Le nageur dans son bain, le bœuf à l’abreuvoir.


XLI

C’est l’idole du jour. Son pied d’argile plonge
Trop souvent, on le sait, dans la honte et le sang…
Le bonheur qu’il amène est frère du mensonge
Et repose toujours sur un terrain glissant.

Il ne demande pas un sol riche et fertile ;
D’air plus que d’autre chose, il aime à se nourrir ;
Il prête son ombrage aux massifs de myrtille,
Et, dans ses rameaux verts, l’écureuil vient courir.

Comme ces cœurs blessés qui, sous d’âpres tortures,
Laissent couler un flot d’amour et de pardon,
C’est quand il est broyé, qu’il guérit les .. coupures !
Souvent au charpentier maladroit j’en fais don.


XLII

Celui de Pierre est long, maigre, jaune, difforme ;
Pierre a plus d’un ami qui l’appelle héron !
Celui de Paul est court, apoplectique, énorme :
Paul a, de ses tonneaux, l’aspect solide et rond.

Il repose les yeux, et la bonne Nature
En tous lieux l’a placé sous les regards humains :
Au flanc des monts altiers de rocheuse structure
Et dans les vals ombreux sur le bord des chemins.

L’épais taillis l’étend sur la mousse touffue
Dont le tapis moelleux éteint le bruit des pas.
Le grand dîner l’étale ; il plaît à notre vue,
Qu’il soit à la française, ou bien qu’il n’y soit pas.


XLIII

Quelques fous, m’a-t-on dit, et vraiment c’est possible,
En ont fait dans la lune ! eh bien, tant pis pour eux !
Je me contente, moi, d’en faire dans la cible.
Celui-ci n’est qu’adroit ; mais l’autre est dangereux.

Tel a la sienne lisse et blanche et satinée ;
Tel autre, à rudes grains et couleur de corbeau.
Cependant, qu’elle soit glabre, fraîche ou tannée,
Chacun se trouve bien, chacun se trouve beau.

J’aime, à travers la lande, en sa fantasque marche,
Ou ses folâtres bonds ou sa lourde lenteur…
Je vois en rêve alors Laban, le patriarche,
Et Jacob endormi dans un espoir menteur.


XLIV

Il est fermé, vous dis-je, et la chose est bien sûre ;
De la nier vraiment, nul ne s’avisera !
Mais, changez-lui ce rien qui forme sa serrure,
Et, sans vous résister, alors il s’ouvrira.

Elle est blanche, elle est grasse ! ah ! la pauvre mignonne,
Une affreuse maigreur lui vaudrait cent fois mieux ;
Une maigreur, enfin, que n’ignorât personne ;
Qui passât en proverbe et choquât tous les yeux !

D’aucuns l’ont sur la vue ; alors elle est tenace !
Ne vous y trompez point ; je parle au figuré.
D’autres l’ont sur le dos, comme une carapace,
Au reflet tour à tour métallique, azuré.


XLV

C’est un travail, oui-da ! n’importe qui le fasse,
Un travail qui demande étude, attention.
Il veut que tour à tour l’on choisisse, l’on classe
Et qu’aussi l’on rejette avec réflexion.

On en pétrit d’argile ou pesante ou légère ;
On en coule de fonte à la sombre couleur.
Quel qu’il soit, cependant, la bonne ménagère
En use et l’apprécie à sa juste valeur.

L’incurable joueur y persiste en sa voie ;
Le néophyte ému s’y corrompt à son tour ;
La fortune s’y perd ; la conscience y noie
Son épave suprême… et sombre sans retour !


XLVI

De son éclat trompeur à la teinte irisée,
Se pare plus d’un front ; mais c’est faute de mieux.
Je lui préfère, moi, la goutte de rosée,
Qui tremble scintillante au bord du nid soyeux.

Indécise et complexe est vraiment sa figure !
À demi campagnard, à moitié citadin,
Il mêle en son costume et la soie et la bure ;
Le chaume est sur ses toits, la fleur dans son jardin.

Saluez-la bien bas : c’est la noble martyre,
Plus grande que jamais sous le joug du vainqueur…
La douleur a brisé les cordes de sa lyre ;
Mais elle est nôtre encore et française de cœur.


XLVII

Sa blancheur sans égale est passée en proverbe ;
Sur sa tige souvent, la coccinelle dort.
Parfois, il resplendit parmi les touffes d’herbe ;
Parfois, sur champ d’azur, il jette un reflet d’or.

Il est rare qu’elle ait assez de vigilance
Pour les multiples soins qui lui sont dévolus.
Avec elle, jamais l’active surveillance
Et le coup d’œil constant ne seront superflus.

Si vous la poursuivez sur la carte d’Europe,
Ne cherchez pas au nord : elle aime le soleil.
Je la nommerais bien sans ambage ni trope,
Mais… je laisse à plaisir votre esprit en éveil.


XLVIII

En tout temps, il a fait commettre bien des crimes ;
Quelques-uns, pour l’atteindre, ont marché dans le sang !
C’est le dieu tyrannique ; à travers les abîmes,
Il dresse, dans la nuit, son trône éblouissant.

Aucune de ses sœurs n’est, certes, aussi mince.
Il marche sur un pied ; mais comme il marche droit !
Cherchez-le dans Paris ; on le trouve en province,
Et même en tous les lieux est son profil étroit.

Elle éblouit les yeux qui se fixent sur elle.
Elle brûle à la fois les cœurs et les cerveaux.
Elle flotte à tous vents comme un bout de dentelle.
Elle saigne à l’envi cavales et chevaux.

Jadis, elle a servi d’étoile à notre armée,
Et sous des cieux lointains, elle a conduit les Francs.
Mais leurs fils, aujourd’hui, cherchent la renommée
Dans une foi contraire et des soins différents.


XLIX

Laissez-lui ce plumet qui le coiffe à la crâne,
Penché gaillardement d’un air leste et coquet.
Qu’on l’en dépouille, alors il prend figure d’âne,
S’efface tristement et redevient muet.

Sous l’ombre des grands monts aux silhouettes fières,
Ils dorment sillonnés de cristallines eaux.
Le pâtre y garde en paix les vaches familières,
Et la brise y fredonne à travers les roseaux.

Ce n’est qu’un point modeste en la modeste Creuse ;
Pourtant, digne d’envie est son humble horizon,
Puisqu’il offre à la fois naïade généreuse,
Intéressants baigneurs et surtout… guérison.


L

Quand je vous aurai dit le nom de cette lettre,
Vous n’aurez point pour ça deviné tout le mot !
À votre esprit chercheur, j’aime mieux m’en remettre ;
Trouvez ! Je vais attendre en croquant le marmot,

Quand je vous aurai dit où se trouve cette île,
Qu’elle n’est pas française et qu’on y parle anglais ;
De la nommer vous-même, il vous sera facile,
Car les renseignements seront assez complets !

Quand je vous aurai dit : « Il connut Mardochée,
Pour l’écraser un jour de toute sa hauteur ;
Mais quel dur châtiment et quelle chevauchée !… »
Vous saurez comme moi désigner l’insulteur.