Le Sylphe galant et observateur/Texte entier

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Imprimerie de Tiger (p. 3-177).



ÉPÎTRE

FAISANT INTRODUCTION.




À MESSIEURS
LES
RÉDACTEURS DU MERCURE
ET COMPAGNIE.




Messieurs, Messieurs, et par trois fois Messieurs, grands hommes par excellence, recevez la dédicace de ce petit ouvrage, et daignez ne pas le regarder comme une de ces immondices de l’écurie d’Augias que courageusement, héroïquement, valeureusement, hardiment, et même imprudemment vous nétoyez, déblayez, recurez, pour y placer l’autel des Muses et d’Apollon, au milieu de vos chefs-d’œuvres et de vos inapréciables productions ; peut-être n’aurez-vous aucun égard à ma prière, peut-être, rougissant de voir au rang de vos collègues l’auteur du Sylphe observateur, que vous aurez l’impertinence de rapprocher des R.-Y. et des N...t, vous crierez au scandale, au blasphème. Cependant, point de colère ; songez, graves Auteurs, que vous êtes l’objet de mes sentimens d’estime, de vénération, et que je vous honore presque par un culte. Ces honneurs que je vous rends, cet encens que je suis prêt à échanger contre vos pavots, méritent, convenez-en indulgence et même heureuse prévention. Quelques plaisanteries, quelques tableaux voluptueux, libertins et même lubriques, si vous voulez, pourraient-ils exciter votre colère ! Si vous daignez descendre des hauteurs théocratiques aux modestes degrés qu’occupe la philosophie, je vous dirais : homo sum et nihil humani, à mealienum puto : et des scènes de libertinage, de plaisir et d’amour sont pour moi ou des causes d’émotion, ou des sujets d’expérience et d’observation, auxquels ni vous ni moi ne devons demeurer étrangers. Les mœurs… ! les mœurs ! les mœurs, mes chers maîtres, les bonnes mœurs au moins sont d’heureuses habitudes qui consistent à n’être ni Tartuffe, ni Vindicatif, à aimer sa patrie, à ne voir entr’elle et soi aucun intermédiaire, aucun objet d’affection dominante ; enfin, les mœurs consistent dans le bonheur d’aimer, et de se répandre au dehors par de douces affections, auxquelles votre mauvaise humeur et quelques-uns de vos principes théologiques opposent des obstacles dont ma douce et active phylantropie voudrait triompher, pour le bonheur de l’humanité et pour le vôtre ; car, en vérité, j’ai la bonhomie de m’intéresser à votre félicité présente, qui, vous le savez bien, est toujours un bon à-compte, de pris sur ces siècles de bonheur éternel que vous promettez aux pauvres diables, heureux d’espérer dans l’autre monde des compensations aux tourmens de celui-ci, et à l’inhospitalité de notre terrestre planète. Je vous imite, c’est-à-dire, je suis un peu long et bavard, avec une petite différence pourtant, c’est que j’enfile moins bien mes mots et que mes phrases sont moins agréables ; mais chacun son métier. Le mien n’est pas tout-à-fait l’art d’écrire ; je n’exerce ce dernier que par occasion, et quand le besoin de communiquer quelques faits curieux et plaisans, ou quelques vérités utiles, me forcent d’y recourir. J’écris après avoir pensé et recueilli pendant long-tems : vous êtes plus heureux ; mais n’importe, revenons, non pas à mes moutons, mais à ma dédicace à mes contes et à mes histoires.

Je disais donc que je vous les offrois comme un témoignage des sentimens de la plus haute considération, et que, malgré le libertinage et l’amour qui les animent et leur promettent des lecteurs, vous deviez les agréer, parce qu’un de vos plus respectables patriarches a dit :

Ah malheureux ! dont la mélancolie
Veut que l’amour à mes yeux m’humilie,
N’aimez jamais : c’est assez vous punir.

Marmontel.

Du reste, c’est assez parler de moi et de mes contes ; un mot de vous, mes vénérables, et le tout sans vous fâcher. Pour vous parler votre langue, celle des Dieux ou celle des Poëtes, j’emprunterai à certain auteur, tantôt malin et tantôt érotique, certains petits vers qui furent faits pour certains grands hommes des petites coteries. Vous les faire passer aujourd’hui, c’est encore les envoyer à leur adresse, et donner une preuve bien évidente de l’analogie du présent avec le passé.

Vous êtes vains, doctes héros,
Très-vains : en vérité vous l’êtes
Comme si vous étiez des sots.
Vos intrigues sont malhonnêtes,
Vous protégez des étourneaux,
Vos Sévignés sont des caillettes.
Mais sur-tout votre dignité,
Cette confiance profonde
Dont chacun de vous est doté,
Convenons-en, vaut qu’on la fronde.
Bien loin d’aimer votre prochain,
Vous le menez à la baguette.

À vous croire, le genre humain
(Vous à part) languit et végète.
Dieu même est une idée abstraite
Dont vous savez seuls tout le fin,
Et de son être souverain
La nature sort imparfaite,
Pour s’embellir sous votre main.
Que sommes-nous, dans votre prose ?
De pauvres gens qu’il faut mâter,
Même au besoin persécuter,
Afin d’en faire quelque chose.
Du sommet d’où vous plongez tous
Sur notre obscure taupinière,
Vous nous poursuivez dans nos trous,
Avec des flèches de lumière.
Cela fini, vous rayonnez
Et levez votre tête altière,
En triomphateurs fortunés.
D’un laurier banal couronnés,
À la file vous courez plaire,
Et l’un de l’autre vous prenez
Un bel encensoir circulaire,
Avec lequel vous vous donnez
Le plus doux encens par le nez ;
Puis rentrant dans le sanctuaire,
De l’auréole environnés,
Vous dictez un code à la terre,
Et ses habitans consternés,
Attendent au loin prosternés,

Qu’on les fustige et les éclaire.
À vos pieds le tems est cité,
Les siècles vous servent d’escorte ;
S’il va poindre une vérité,
Fût-ce au bout du monde, n’importe.
À l’affût tout exprès planté,
Un sage est là qui vous l’apporte,
Et si le diable vous emporte,
Ce n’est qu’à l’immortalité.

Allons, allons, grands personnages,
Soyez enfin un peu confus,
Bas les masques, on n’en veut plus ;
On y voit mieux sur les visages.

Grands hommes, vous êtes trop justes pour ne pas apprécier l’exactitude de l’application de ces versiculets ; permettez maintenant que je vous dise en prose :

Messieurs, croyez tant qu’il vous plaira que l’art d’écrire est au-dessus de celui de raisonner et de penser, que l’espèce humaine rétrograde, parce que nous faisons un peu moins bien les tragédies, les comédies et les chansons ; croyez encore, et faites croire, si pouvez, que vous croyez à ces sottises si révoltantes, à cette mythologie chrétienne qui fit souiller de sang et de ridicule toutes les pages de notre histoire moderne ; enfin, refusez à vos pauvres contemporains, qui ne vous ont jamais offensé, le bon sens, l’esprit et la liberté : le Sylphe observateur et moi en riront, parce que, de bonne foi, vous n’êtes pas dangereux, que votre règne a fini avec l’empire ténébreux des hypocrites et des dévôts, et que celui de la raison, de la liberté bien entendue, du bon esprit, de la philosophie et des sciences a commencé, et doit entraîner rapidement dans son cours la perfection de cette pauvre espèce que vous croyez vainement faite pour les fers, les freins et le baillon.

Salut et fraternité,
l’Auteur du Sylphe
observateur.




PRÉFACE.



Par une série non interrompue de travaux, j’étois parvenu à faire un excellent ouvrage de quatre-vingt-dix-sept pages ; alors, je me crus possesseur d’un trésor, et je fus offrir mon chef-d’œuvre à messieurs les libraires. On regarde mon léger manuscrit, on le soulève, on le soulève encore ; et, en souriant d’un air dédaigneux : ah ! monsieur, me dit-on, ce n’est pas là un ouvrage ; c’est un opuscule, une brochure. Quelle place voulez-vous qu’un aussi petit livre occupe dans une bibliothèque… La dernière, répondis-je modestement, la dernière, sous le rapport de la pesanteur spécifique : j’y consens ; mais en vérité, messieurs, je pensois que le règne des gros livres étoit fini… Fini ! y pensez-vous ? voyez l’Encyclopédie, qui se continue et se grossit sans jamais s’achever, le cours de littérature de Laharpe, les œuvres de MM. Buchos et Joly Clerc, les mémoires de l’Institut, les journaux littéraires, etc. ; tout s’y fait à la feuille, monsieur, tout s’y fait à la feuille : remportez votre livret, ou faites imprimer à vos frais.

Je voulois être imprimé et je n’avois point d’argent. Comment faire ? J’étois dans le plus cruel embarras, lorsqu’un libraire, plus honnête, parce qu’il étoit plus jeune et encore étranger aux pirateries de ses collègues, me fit la proposition suivante : J’imprime à mes frais, risques et périls, votre excellent ouvrage ; mais faites-moi, d’ici à quelques jours, et gratis, une de ces bluettes sur laquelle je puisse spéculer, une de ces productions médiocres, à la manière des Nogaret, Rosny, d’Arnaud Baculard ou Mercier. Ces marchandises littéraires vont aussitôt à leurs adresses qui sont nombreuses, et votre grand ouvrage de quatre-vingt-dix-sept pages attendra dans ma boutique les demandes peu multipliées des amateurs capables de l’apprécier. Cette proposition généreuse fut aussitôt acceptée ; et voici, bénévole Lecteur, le motif et la cause de l’ouvrage que j’ai aujourd’hui l’honneur de te présenter.

Tempora, ô mores !




LE SYLPHE
OBSERVATEUR.



§ PREMIER.

Avis au Lecteur, exhorde, invocation, discours préliminaire, tout ce qu’on voudra :

Introduction de mon héros, sur la scene et dans mon livre ; sa fuite, sa rencontre du Diable, jadis boiteux, chez Mesmer, rue de la Huchette, au cadran bleu ; alliance avec ce Diable, présent de l’Anneau babillard.




Mes amis, l’hiver dure et ma plus douce étude
Est de vous raconter les faits du tems passé.

Ainsi disoit Voltaire. Faisons mieux, racontons les faits du tems présent, et amusons nous, s’il se peut, aux dépends de nos contemporains et de nos contemporaines.

Ce monde-ci n’est qu’une œuvre comique,
Où chacun fait des rôles différens.

Faisons le rôle de rieurs, de fous ; c’est le meilleur.

Ami lecteur, toi que ce prélude regarde, te souvient-il des Bijoux indiscrets et du Sopha ? Voici un opuscule pour lequel ils ont servi de modèle.

Le Diable que je mets en scène, non moins babillard que cet Amanzei[1], dont l’inépuisable fécondité amusait et faisait bailler tour-à-tour Schah-Baham, son sultan ; mon Diable va vous faire connaître les plus belles choses du monde, et vous offrir une galerie de tableaux auxquels vous devrez, j’espère, des sensations et des plaisirs qui vous engageront à m’offrir, au moins par la pensée, l’expression d’une juste reconnoissance.

Vous sur-tout, prêtresses charmantes de Vénus, instrumens aimables et dociles de nos plus douces jouissances, quelles actions de grace ne me devrez vous point si la lecture de mon livre conduit dans votre asile, dans ce temple de la déesse, objet de mon culte et du vôtre, l’amateur vivement ému, et avide de la réalité d’un bonheur dont je lui rappelai l’image !

Et toi, Priape, dieu de Lucrèce, de l’Arétin, du révérend Girard, de Murtius, de Piron, de Voltaire, de Lafontaine, de Chaulieu, de Parny, de Mirabeau, du Poëte et de Faublas, etc. (1) ; toi qui brûlas de feux, vainement combatus, ce docteur espagnol (2), dont l’imagination active et saintement lubrique opposait toutes les formes, rafinemens et caprices de l’amour, à l’unique manière avouée par une religion qui poursuivait l’homme jusque dans les bras du plaisir : Priape, sois-moi favorable, et daigne m’élever à l’honneur de figurer parmi tes saints apôtres !

J’ai préludé, toussé, mouché, craché… Écoutez.

Une nuit profonde enveloppait tout Paris, et déjà commençait à s’écouler ce tems si rapide de silence et de repos, qu’interrompent par intervalle les sifflets des voleurs, la marche mesurée et tranquille des patrouilles, ou le bruit sourd et lointain de quelques fiacres tardifs et solitaires… Enfin, pour parler comme on parle, il était deux heures du matin : Bel-Rose, aimable et beau conscrit, surpris par un mari dans les bras de sa galante moitié, poursuivi et presque nud, était arrivé dans la rue : forcé de continuer sa fuite, et trouvant par hasard la porte d’une maison voisine entr’ouverte, il en avait profité ; et, de degrés en degrés, d’étages en étages, avait atteint un grenier, vers lequel une foible lumière guida ses pas incertains et tremblans.

Il frappe, la porte s’ouvre ; il entre, regarde, avec inquiétude et crainte, interroge chaque objet et l’observe, appelle d’une voix suppliante et mal assurée ; mais rien, absolument rien. Cependant la décoration du lieu où il se trouve, des bouteilles et des flacons scientifiquement titrés, des caractères magiques, la disposition non luxueuse de l’appartement, tout semble l’avertir qu’il est chez un de ces malheureux que le désir de faire de l’or conduit à l’hôpital ou aux Petites-Maisons. Renseignemens et soupçons illusoires et mensongers.

Bel-Rose n’était ni chez un chimiste, ni chez un alchimiste, mais chez un magnétiseur ; chez Mesmer lui-même, récemment de retour à Paris, pour y relever l’empire oublié de la baguette divinatoire, des illusions, et du sacré baquet.

Notre fugitif fut bientôt instruit de ces détails, et par un événement à peu près semblable à celui dont n’eut pas à se plaindre Cléofas-Léandro-Perez Zambulo (3) ; en effet, tandis que les inquiétudes de Bel-Rose redoublent, il entend un profond soupir, et voit le flacon titré Abracadabra environné d’un nuage qui le fait aisément distinguer. — Qui soupire ici ? dit alors Bel-Rose en se rappellant le diable immortalisé par le sage. — Moi… beau conscrit ; habitant du noir séjour, mis ici en bouteille par un sorcier que je veux fuir ; brisez ma prison en cassant le sixième flacon à droite, et vous aurez des témoignages nombreux de ma reconnaissance. Bel-Rose obéit ; jette avec force le flacon indiqué, et en voit sortir… qui… Asmodée, non sous la forme hideuse que lui donne l’auteur de Gilblas, mais semblable à l’amour grec, lorsqu’il développe toutes les beautés d’une jeunesse divine, aux yeux surpris de la belle Psiché. Vous voyez, dit-il à son libérateur, le génie de Mesmer, qui m’a dû ses guérisons merveilleuses, sa fortune rapidement éclipsée et ses miracles : grace à vous, je suis libre ; mais je n’userai point de ma liberté, sans récompenser le service que vous m’avez rendu ; vous protéger envers et contre tous, et faire de votre vie entière un tissu bien serré de fleurs et de plaisirs.

Bien obligé, reprit Bel-Rose ; mais pour commencer, replacez-moi dans le lit et dans les bras de la belle dame que les transports indiscrets d’un jaloux m’ont fait quitter si brusquement : faites plus ; endormez le cher mari, rendez-moi Hercule pour une nuit, et allez vous coucher dans mon lit, rue de la République, no. 95.

Asmodée était un diable assez bon diable, un peu parent du courtier érotique de l’Olympe, du dieu Mercure : il obéit ; et Bel-Rose se trouva magiquement transporté près de sa maîtresse, l’ennivra, s’ennivra de plaisirs, et, à huit heures du matin, vint rejoindre son officieux ami, qu’il étonna par le récit de ses galans exploits.

Je voudrais passer ma vie avec vous, lui dit alors Asmodée, vous amuser et vous instruire, me conduire enfin à votre égard comme envers cet écolier espagnol, ce don Cléofas, dont bien vous rappelez ; mais alors je n’étais que le diable de la folie et de l’amour ; j’avais du loisir : aujourd’hui, je suis encore le diable des affaires, des tracasseries, de l’ambition ; je puis à peine respirer : dans ce moment, un auteur tombé, deux ministres, et un personnage qui ne l’est plus et qui veut l’être, m’attendent et réclament mes diaboliques inspirations. Cependant, je ne veux point vous quitter sans vous donner des marques de ma reconnaissance ; je vous accorde quelques jours, et avant, de retourner dans l’autre monde ; je veux un peu vous instruire et vous amuser dans celui-ci. Par ma diabolique influence, vous pourrez non-seulement tromper les maris et séduire les femmes, mais encore, savoir les aventures les plus secrètes des dames qu’il vous plaira de distinguer, et sur lesquelles nous dirigerons le talisman que j’ai au doigt (4) : grace à son magique effet, boudoirs, lits, cœurs, bras, tout vous sera ouvert ; vous souleverez tous les voiles, pénétrerez tous les mystères, et, sans être comme certain malheureux témoin, réduit au rôle oisif de sopha (5), vous pourrez former un joli recueil d’anecdotes bien érotiques, et d’histoires bien libertines.

Une femme aura-t-elle piqué votre curiosité, son nom, son début dans la carrière amoureuse, ses charmes (6), procédés et ressources, ses aventures les plus secrètes, le mari qu’elle trompe, l’amant qu’elle rend heureux, tout enfin vous sera connu. Ainsi soit-il, répond Bel-Rose ; j’accepte vos services, et je promets d’en faire un bon usage. Nous avons ce soir un grand bal masqué, et plaçant le carnaval de Venise à l’Opéra, nous devons en faire un lieu de folie et de plaisir : voulez-vous nous y rendre et commencer sur ce grand théâtre le cours d’observations que vous m’avez promis ? Le diable accepta, et, à une heure du matin, fidèle Mentor d’un nouveau Télémaque, il introduisit son ami Bel-Rose sur la grande scène, où Momus regnait avec exclusion.

Des circonstances très-heureuses m’ayant rendu possesseur du journal itinéraire de Bel-Rose, je l’imprime ici, sauf quelques modifications ; et je crois pouvoir lui donner le nom de Sylphe observateur, parce que l’anneau dont la vertu magique faisait tout voir et deviner, avait en même tems le pouvoir de rendre invisible et de transformer en sylphe celui qui en dirigeait le brillant.





§ II.

Le plaisant quiproquo.


Le bal étoit brillant et nombreux. Quelle peine pour entrer ! disait Bel-Rose à son cher diable ; quelle poussière ! et comment distinguer quelque chose dans ces groupes où tout paraît s’unir et se confondre ?… Nous allons choisir un lieu d’observation, et lorsque tout sera un peu mieux disposé, je commencerai à vous instruire… En attendant, voyez ces carricatures diverses, distinguez aussi plusieurs figures non masquées, et qui, au moins, devraient se couvrir d’un voile… Mais vous Voyez à peine, vous n’entendez pas ; pour plus de commodité, entrons dans une loge, et, de cet observatoire, que notre œil choisisse le sujet de quelques anecdotes dignes de vous occuper.

J’appelle votre attention sur ces deux masques ; l’un est femelle, l’autre est mâle. Le femelle est fort agréable ; il a cru reconnaître son amant dans le masque qui le poursuit. L’entretien s’engage… il devient chaud : on va au foyer. Votre regard, moins perçant que le mien, ne peut pénétrer jusque-là ; mais écoutez : la conversation se continue ; le masque mâle, qui s’apperçoit de la méprise et qui veut en profiter, use d’adresse : il sait le nom, la demeure de son Sosie, propose une absence momentanée… On part, mais toujours masqué. — Une voiture. — On y monte. — Aux Petits-Ponts, et six francs pour boire… Le cocher entend… La voiture est doucement conduite, et l’homme en bonne fortune a bientôt fait tomber le masque et renversé tous les remparts qui lui dérobaient des charmes qu’il croit être divins et ravissans. L’impromptu, le prélude du bal, les doux balancemens de la voiture, tout se réunit pour rendre cette scène délicieuse, et la belle dame ne fut jamais plus contente de son amant, qu’elle nomme avec ivresse et transport. — Retournons au bal, dit l’heureux inconnu, après deux actes bien terminés ; il est deux heures, et c’est dans ce moment que les folies les plus piquantes vont commencer. — Des ordres sont donnés au cocher, on rentre à l’Opéra ; mais en arrivant, une vive lumière venant à éclairer les héros de mon histoire, qui n’avaient pas encore repris leur masque, il se fait une reconnaissance théâtrale, que vous êtes loin de soupçonner. Et quelle peut être cette reconnaissance ! Vous connaissez Figaro, vous vous rappelez cette prétendue Suzane, dont les charmes valaient mieux, dont la peau était plus douce et plus fine que celle de la comtesse ; même trait, même quiproquo. L’homme à bonne fortune est un mari, la princesse est son épouse : jugez de la surprise. Cependant, comme les deux personnages savent vivre, tout s’arrangera ; mais le mari n’oubliera jamais… certaine exclamation, certain rapprochement, et la dame, non moins offensée, gardera un éternel souvenir de certaine comparaison. — À d’autres… Vous distinguez ce joli masque, ici, à droite, c’est un jeune homme habillé en femme ; on est généralement dupe de sa méprise, et sa fesse, pincée plus d’une fois par maint amateur, lui répond de la fidélité de son déguisement.

Plus loin, cette figure non masquée, comme elle est grotesque ; c’est celle d’un vénérable tabellion, d’un notaire auquel l’histoire suivante est arrivée, il y a quelques jours.




§ III.

L’acte auquel il n’a rien manqué.


Monsieur Griffon (Griffon c’est un notaire)
Eut à la fois dans sa maison
Aimable Clerc et femme peu sévère.
Bientôt advint ce dont avez soupçon ;
Griffon le sut : un ami charitable
Lui dit comment sa perfide moitié,
Et le grand clerc pour les fronts sans pitié.
Savaient orner sa tête vénérable.
Griffon eût pu se livrer au courroux ;
Point ne voulut, mais jure sur son ame
De bien prouver que s’il n’est pas jaloux,
Ce n’était pas la faute de madame.
Pour réussir, et sans perdre de tems,
Il trouve un vieux, mais un bon stratagême,
Je vais, dit-il, à ma maison des champs ;
Pour quatre jours ; vous un autre moi-même,

Mon clerc, remplacez-moi jusques à mon retour ?
Il dit et part ; quel moment pour l’amour ;
Comme on prouva son amoureuse flamme ;
Le clerc fait à la fois le notaire et l’époux ;
Lors Griffon reparaît ; un bienfaisant véroux
Ne fermant pas le boudoir de madame ;
Il entre et voit ; et sans être surpris,
Nos deux amants, l’un sur l’autre endormis :
En pareil cas, quelque mari vulgaire,
Par son courroux, sa fureur et ses cris
De son affront découvrait le mystère :
Ne craignez rien, Griffon est de Paris ;
Il part, et près du lit, trace en gros caractère :
L’acte est bon, car il fut passé devant notaire.



§ IV.

Voluptueux et lubrique pour faire
pardonner sa longueur.


Mon cher Bel-Rose, vous voyez que les sujets plaisans ne manquent pas ici, et que je sais choisir. Mais pour reposer un peu vos yeux fatigués de l’exercice qu’ils ont à faire pour se porter sur tous ces personnages, cherchons le héros ou l’héroïne d’une longue et intéressante histoire : en m’écoutant, vous ne regarderez pas, et vous serez au moins un peu reposé. Appercevez-vous, à quelques pas de nous, cette femme non masquée ? c’est une charmante courtisane, et ses aventures figureraient aussi bien dans un roman anglais que sur un théâtre de libertinage et d’amour : elle se nomme Sophie ; force d’ame, esprit cultivé, talens enchanteurs, extase érotique inéfable, elle réunit tout : tirée, dès son enfance, des dernières classes de la société, où elle devait languir, elle se trouva tout-à-coup transportée dans un monde qu’elle devait embellir. Une nouvelle Merteuil, la comtesse de Sénange, vit Sophie, en fut enchantée, l’accueillit, la nomma sa fille, s’enorgueillit d’abord du développement rapide des charmes de l’enfant, et finit par craindre la beauté et la fraîcheur de la jeune fille, touchant à l’âge heureux où des émotions nouvelles et des charmes inconnus annoncent et préparent la plus belle époque de la vie. Senneval, amant de la comtesse, aussi exact observateur des pertes vainement dissimulées de la coquette, qu’admirateur des attraits récemment acquis de la belle Sophie, laissa tomber sur elle des regards pleins de feu et d’amour. La comtesse le vit : perdre un amant… ce n’était rien ; mais être prévenue, souffrir la concurrence d’une… Vengeance ! ce fut le cri de l’orgueil outragé et du dépit arrivé à son comble : chasser Sophie, la confondre avec des valets, la précipiter d’un excès de faveur dans l’humiliation et l’opprobre, c’était trop peu : Senneval était coupable ; il devait être puni, et cruellement puni. Pour y parvenir, madame de Sénange s’arrêta à un projet vraiment infernal ; d’abord elle eut un entretien avec Sophie, exactement exprimé dans cette scène d’une comédie, dont l’auteur, suivant les dévots, brûle et pleure dans l’autre monde, pour les avoir fait rire dans celui-ci. Voici cette scène de madame de Sénange et de Sophie ; les noms seuls sont changés ; Sophie, c’est Nanine ; la comtesse, c’est la baronne :

Nanine.

Madame ?

La Baronne.

Madame ?Mais est-elle donc si belle,
Ces grands yeux noirs ne disent rien du tout,
Mais, s’ils ont dit, j’aime… ah je suis à bout ;
Possédons-nous, venez.

Nanine.

Possédons-nous, venezJe viens me rendre
À mon devoir,

La Baronne.

À mon devoirVous vous faites attendre

Un peu de temps, avancez vous, comment !
Comme elle est mise et quel ajustement !
Il n’est pas fait pour une créature
De votre espèce.

Nanine.

De votre espèceIl est vrai, je vous jure,
Par mon respect, qu’en secret j’ai rougi,
Plus d’une fois, d’être vétue ainsi ;
Mais c’est l’effet de vos bontés premières,
De ces bontés qui me sont toujours chères,
De tant de soins vous daignez m’honorer !
Vous vous plaisiez vous-même à me parer.
Songez combien vous m’aviez protégée,
Sous cet habit je ne suis point changée ;
Voudriez-vous, madame, humilier
Un cœur soumis qui ne peut s’oublier,

La Baronne.

Approchez-moi ce fauteuil, ah j’enrage…
D’où venez vous ?

Nanine.

D’où venez vousJe lisais.

La Baronne.

D’où venez vousJe lisaisQuel ouvrage ?

Nanine.

Un livre Anglais dont on m’a fait présent.

La Baronne.

Sur quel sujet ?

Nanine.

Sur quel sujet ?Il est intéressant ;
L’auteur prétend que les hommes sont frères,
Nés tous égaux, mais ce sont des chimères ;
Je ne puis croire à cette égalité.

La Baronne.

Elle y croira. Quel fond de vanité !
Que l’on m’apporte ici mon écritoire.

Nanine.

J’y vais.

La Baronne.

J’y vais.Restez. Que l’on me donne à boire.

Nanine.

Quoi ?

La Baronne.

Quoi ?Rien. Prenez mon éventail, sortez,
Allez chercher mes gants, laissez, restez,
Avancez-vous… gardez-vous, je vous prie
D’imaginer que vous soyez jolie.

Après une scène entièrement semblable, Sophie laissa la comtesse, et fut remplacée par Senneval ; alors une nouvelle scène de commencer :

La comtesse.

Eh bonjour, mon cher Senneval ; je t’attendais avec impatience : places-toi là, près de moi, sur ce canapé, et causons.

Senneval.

Pour causer seulement ?…

La comtesse.

Oui, et tu m’en sauras gré ; je vais te prouver jusqu’à quel point vont ma confiance et mon desir de ton bonheur : tout fuit, et sur-tout le plaisir et l’amour. Tu sais comme je t’ai aimé… je crains d’avoir changé : toujours, ah ! pour toujours ta meilleure amie ; mais j’observe, avec regret, que mes yeux s’arrêtent avec moins d’ivresse sur les tiens ; ici, près de toi, mon corps, que serre ton bras, ne frissonne plus de volupté ; ce feu, qui circulait dans tout mon être, serait-il éteint, et toi-même ?

Senneval.

Je t’aime toujours, eh…

— Alors la main libertine de Senneval de vouloir interrompre le dialogue pour la pantomime ; mais la comtesse, à laquelle ce geste et quelques symptômes physiques d’un amour éphémère n’en pouvaient imposer, revint à l’entretien ;

— Finissons, Senneval, ces jeux d’enfans, et comme moi, soyez sincère : je crois ne plus vous aimer ; je vous en avertis, et j’ai quelques raisons de penser que vous avez même confidence à me faire, La petite Sophie…

Senneval.

A quinze ans ? et…

La comtesse.

Vous l’aimez… j’en suis enchantée !… Tenez, mon ami, la véritable amitié n’attache point l’idée du mépris ni de l’infamie au service qu’elle peut rendre ; vous brûlez pour Sophie : vous ne voulez, pas expirer victime d’un amoureux tourment.

Senneval.

Du persiflage, ah madame !…

La comtesse.

Ah mon amie, voilà comme il fallait dire : écoutez ; je disais donc que vous ne vouliez, que Vous ne deviez pas mourir victime d’un amoureux tourment, et je m’offre à vous servir.

Senneval.

Que de bontés ! mais comment ?

La comtesse.

D’une manière certaine, si vous avez du courage et de la philosophie : le tems presse ; vous devez avoir les prémices de Sophie : ce soir je la mets dans vos bras, et vous précipite ainsi, d’une manière brusque et rapide, vers un dénouement auquel vous pourriez bien ne jamais parvenir. Écoutez : cette pièce voisine, comme savez, fait ma salle de bain ; Sophie, à huit heures, doit s’y rendre ; à la même heure, soyez dans mon cabinet ; cette porte fait communiquer les deux pièces : vous observerez votre amante, et lorsque, par le dégagement successif de tous les voiles qui la dérobent à vos regards, vous la verrez prête à se plonger dans l’onde, si vos sens sont émus, si… vous entrerez, et…

Senneval.

Que de graces à vous rendre ! et comment…

La comtesse.

Trêve de complimens, à ce soir.

— Senneval baisa la main de la comtesse, et partit.

J’en suis donc convaincue, dit alors madame de Sénange, le perfide me préfère un enfant, et j’ai l’aveu cruel de son inconstance ; un instant de plus, je suffoquais de dépit et de honte : mais comme je vais être vengée, et demain peut-être ! Mais non, Senneval, le trait est là, je t’aime encore, malgré ton crime ; ô quelle douce illusion s’est dissipée ! jamais, non jamais, les hommes n’auront le droit de m’intéresser ; instrumens de mes plaisirs, ils n’iront plus jusqu’à mon cœur, et le bonheur de les tromper me consolera peut-être de l’injustice de celui que j’aurais voulu aimer et adorer pour la vie.

Huit heures sonnèrent, et Senneval ne manqua pas de se trouver dans le cabinet de toilette de la comtesse ; l’odeur suave et voluptueuse de ce séjour, les témoins nombreux des plaisirs dont il fut le temple, les vêtemens épars d’une femme encore belle et séduisante, tout ce prestige, qui plongea le pauvre St.-Preux dans une délicieuse extase (7), ne produisit rien sur Senneval ; son ame et son cœur étaient entièrement à l’espoir, à l’impatience : un bruit se fait entendre… c’est Sophie ; dieux qu’elle est belle ! Volez, momens trop longs, disparaissez barrières insupportables, tombez voiles importuns ! Une partie de ces vœux est bientôt satisfaite, et Sophie se dispose à entrer dans le bain qui lui est préparé. Du haut en bas elle se déshabille, et ne fait pas un geste sans redoubler l’agitation de l’amoureux et discret spectateur ; d’abord un léger réseau détaché laisse flotter une chevelure dont l’ébène fait le plus heureux contraste avec l’albâtre d’une gorge et d’un cou qui n’ont encore rien perdu de leur blancheur ; ces beaux cheveux sont ensuite relevés, et laissent à découvert des épaules dont la plus belle grecque eût envié la forme et le poli ; une jambe et un pied de forme divine et du plus heureux augure, sont ensuite dégagés de leur prison ; l’exercice continue avec vitesse : un fichu est à moitié détaché, il s’entrouve, il se soulève, il est enlevé ; un corset, une jupe incommode, font encore rampart entre les charmes de Sophie et l’œil avide de Senneval ; le corset se délasse, la juppe tombe, et le lin le plus transparent, la baptiste mobile et légère, voilent, sans les cacher entièrement, des charmes entrevus, devinés et pressentis, par l’imagination la plus active. Ce dernier vêtement, Sophie, ah Sophie, ne l’enlevez pas ! Sophie l’enlève… Quel moment ! Mais bonheur éphémère ; une enveloppe moins diaphane est reprise aussitôt… Il faut l’arracher, et alors Senneval, arrivé au plus haut degré du désir amoureux, veut entrer ; efforts inutiles, on l’a trompé ; cette clé, si généreusement accordée, ne peut ouvrir ; et lorsqu’il essaie de nouvelles tentatives, il voit une autre issue livrer passage à un homme masqué, dont la vue inopinée plonge la pauvre Sophie dans les plus cruelles allarmes. Le personnage qui l’effraie, et dont l’aspect l’engage à saisir ses vêtemens, l’arrête aussitôt : vous êtes à moi, lui dit-il, par la plus impérieuse des loix, par celle de la force ; ne me résistez pas : et alors il la saisit, écarte et soulève le voile qu’elle cherche en vain à retenir, et prélude à ses fureurs et à ses plaisirs. Un lit est non loin du bain ; le satyre y veut traîner Sophie ; Sophie échappe, et croyant pouvoir lutter avec plus d’avantage, et défendre mieux ceux de ses charmes déjà attaqués et profanés, se précipite elle-même sur le lit, l’embrasse, s’y tient fortement attachée, et pense échapper ainsi au sort cruel qui lui est destiné. Le masque sourit, s’approche, et, lubriquement excité par l’attitude de sa victime, soulève son dernier voile, celui, comme l’a dit Dorat, que l’hymen seul lève d’une main pure, et met alors à découvert ces charmes que la chûte d’Hébé offrit à l’œil charmé de tous les Dieux. Leur vue, ces formes divines et enchanteresses embrasent ses sens ; le couteau sacré qui doit immoler la victime, instrument terrible, dont les dimensions font trembler Senneval, paraît alors ; mais avant d’en faire usage, le monstre veut prolonger ses préludes ; des caresses lascives, des morsures, sont ses premiers témoignages d’amour : brûlant de desirs, change de position, crie-t-il à Sophie, et livre-toi à mes embrassemens. Sophie n’obéit pas ; les charmes qu’elle livre aux regards du masque sont aussitôt flagellés avec force ; leur albâtre se colore du rouge le plus vermeil. Courageuse comme la Cadière (8), Sophie demeure inébranlable : alors son persécuteur, décidé à jouir au moins des charmes qui lui sont abandonnés, pousse le dernier vêtement de Sophie jusque sur ses épaules, et, panché sur elle, va chercher son sein, en embrasse le contour, irrite et caresse le bouton ; tandis qu’esseyant de traverser le sentier le plus étroit, il l’entr’ouvre d’abord, en ressort ensuite, et fait jaillir, sans s’affaiblir, une rosée brûlante qui innonde le frontispice du sanctuaire où il n’a pu pénétrer. Il revient bientôt à des attaques nouvelles ; tout le corps de Sophie frisonne et palpitte ; le satyre, érotiquement barbare, se rit de ses douleurs, employé toutes les forces de ses lombes, la déchire, rougit ses charmes d’un sang virginal, et, par un dernier effort digne d’Hercule, pénètre enfin, oui, pénètre… Un cri de Sophie annonce sa victoire ; il plonge, plonge encore, avance, revient, s’agitte d’une manière convulsive, et est assez heureux pour ne pas arriver seul au comble du bonheur.

Cette scène, comme il est inutile de le dire, était le moyen de la vengeance infernale de Me. de Sénange : pour la rendre complète, une vieille, bien hideuse, vint ouvrir la prison de Senneval, et s’offrit pour profiter de ses transports et de sa combustion. Senneval, dans sa fureur précipita la vieille sur le parquet, et faillit lui casser la dernière dent qui lui restait. Le lendemain, il enleva Sophie, et écrivit le billet suivant à la comtesse :

» Dans une certaine contrée de l’orient, un moine, un carme de ce pays là, est payé pour dévirginer la femme de son empéreur. Vous m’avez fait rendre ce service gratis, belle Dame, et par vos soins bienveillans et généreux, j’ai cueilli la rose sans rencontrer d’épines. Graces vous soient rendues : Sophie se joint à moi pour vous offrir le tribut de sa gratitude : malgré les énormes dimensions de l’instrument que vous avez choisi elle n’a rien perdu ; comme elle partage avec moi l’insigne honneur de vous connaître avec détail, elle vous conseille en certain cas désespérés, et où vos beautés d’emprunt n’auraient pas l’effet attendu, d’user de l’attitude vraiment toute puissante et magique dont votre salarié dévirgineur a si bien profité : les charmes qui l’ont alors si violemment enflammé, sont ordinairement les moins périssables comme les moins frelatés, et je me rappelle que les vôtres ne peuvent se comparer qu’à ceux de Sophie, dont ils n’ont pourtant ni la fermeté, ni le poli, ni la blancheur.

Soyez heureuse, belle Dame, et croyez à mon profond respect. »

Senneval.

Depuis cette aventure, Sophie tendrement aimée et rendue heureuse par tous les moyens, a perfectionné son éducation, formé son caractère, développé ses talens et son esprit philosophe et aimable comme Aspasie ou Ninon elle n’a point fait une vertu de la fidélité ; devenue aujourd’hui prêtresse de Vénus par un enchaînement de circonstances extraordinaires, elle n’a pas oublié l’effet puissant de sa première position, sur l’amoureux Senneval. Cette scène, vraiment voluptueuse et érotique, elle la renouvelle ou la fait renouveller par ses compagnes dont elle dirige les galans efforts : résister, faire naître ou accroître l’amour par les obstacles, telle est la tactique de Sophie, elle en fait usage avec l’homme assez heureux pour lui plaire et lui donner l’espoir d’un bonheur qu’elle vend si souvent sans le posséder.

Alors, successivement coquette, prude, sentimentale ou enjouée, elle remplit tous les rôles, et fait de ses faveurs le prix d’un combat et le gage d’une victoire ; vous allez en juger : Un jeune homme très-aimable, M. Derville, voit Sophie à Frascati, il la distingue et en est distingué ; ses yeux s’arrêtent, se fixent sur les siens, et dans cette rencontre une commotion sympathique fait palpiter son cœur et celui de la femme charmante dont il emporte l’image ; des informations sont prises, et, le lendemain, Mr. Derville se déclare avec une chaleur qui se communique et qui pénètre tout l’être de la belle Sophie : cependant, elle résiste, se défend par excès d’amour, et, par rafinement, se couvre d’un voile de pudeur, dont les modernes négligent trop l’important usage.

Derville, qui ne connaît pas, qui ne devine pas l’excès du bonheur qui lui est réservé, se désole et emploie en vain tous les moyens de séduction.

Plusieurs jours se passent dans une lutte et des combats dont Sophie sort toujours victorieuse et triomphante.

Un jour, plus décidé que jamais à terminer sa romanesque aventure, Derville vole chez Sophie.

Joséphine, la suivante la plus adroite, le reçoit et l’engage à attendre le réveil de sa maîtresse, qu’une cruelle migraine a retenue prisonnière dans son boudoir.

Derville obéit ; mais à peine a-t-il attendu pendant quelques instans dans une pièce voisine de l’asile de paix et d’amour où repose Sophie, qu’il entend prononcer son nom avec l’extâse du délire et de la volupté ; il écoute, et, se précipitant vers une porte vitrée de laquelle on oublia de tirer le rideau, il voit, entre deux glaces qui multiplient l’image de la beauté, Sophie mollement étendue sur un lit de repos, et couverte à peine d’une baptiste transparente et légère ; ses yeux brillent de tous les feux d’amour, son sein palpite de volupté, sa bouche de rose semble chercher et appeler le baiser, et sa voix entrecoupée articule quelques sons sans suite, mais dont l’interruption, la rapidité et le désordre en font, pour Derville, le discours le plus éloquent.

Derville, l’heureux Derville, suit tous les mouvemens de sa maîtresse, et ne tarde point à être convaincu que la scène dont il est témoin est un rêve, un rêve du bonheur qu’on refuse si cruellement de partager avec lui, et que le dieu bienfaisant des songes vient offrir à Sophie. Son nom, prononcé de nouveau avec un redoublement d’extâse, des transports qui n’ont plus de bornes et dont l’expression écarte les voiles importuns qui lui dérobaient mille charmes, achèvent de l’éclairer ; dès lors rien ne l’arrête : à l’aide d’un diamant, une partie de la cloison vitrée est enlevée ; la main se fait route par cette issue, tire sans bruit le verrou, fait doucement ouvrir la porte, et Derville, ivre d’amour et de désirs, se précipite entre les bras de Sophie, où se réalise le rêve enchanteur dont elle lui présenta l’image.

Plusieurs de ces nymphes que vous voyez se disputer de luxe et de beauté, n’ont pas la même adresse, et souvent leurs charmes, trop promptement, trop facilement et trop bien vus, n’ont pas tout l’effet qu’elles ont droit d’en attendre.

Vous êtes vêtue comme si vous attendiez un amant, disait une vieille femme de la cour à sa fille qui se montrait avec un fichu non transparent et bien attaché dans un cercle où les autres femmes avaient la gorge presqu’entièrement découverte ; la vieille avait raison, et Diderot fit un jour une réponse qui vallait bien cette question.

Aimes-tu les tetons, demandait une courtisane à ce philosophe ? oui, répond Diderot qui s’y connaissait, mais je ne veux pas qu’on me les montre. Le diable allait continuer ses réflexions morales ou immorales, comme le décideront les savans auxquels cet opuscule est dédié, lorsqu’une autre femme, autrement, mais non moins belle que Sophie, fixa l’attention des observateurs ; l’anneau enchanté fut aussitôt dirigé sur elle, et le Sylphe observateur conta cette nouvelle histoire.





§ V.

Elisca, ou le nouveau Gabriel.


L’enchanteresse que vous voyez, et qui tournerait la tête à tous les pairs d’Angleterre, se nomme Elisca. Son début dans la carrière amoureuse est neuf et plaisant : elle avoit à peine quatorze ans, que, grace à l’influence du tempérament le plus amoureux, elle rêvait déjà confusément un bonheur dont elle devait avoir la réalité à la première occasion ; une mère sévère et dévote, faisant force oraisons à monsieur Saint-André, l’éloignait par les moyens les mieux combinés. Cependant Verteuil, voisin d’Elisca, la vit et en devint éperduement amoureux ; mais comment déclarer son amour, comment s’approcher de celle qui l’a inspiré, et franchir toutes les barrières qu’une dame honnête a élevées entre sa fille et le plaisir ; l’amour est un grand maître, a dit Lafontaine ; il servit Verteuil, qui, sous des habits de femme, s’introduisit dans la maison de son amante, où il fut découvert avant le dénouement. Elisca, d’abord grondée, prêchée, menacée de tous les habitans de l’infernal séjour, fut ensuite conduite dans un couvent, et bien invitée à y oublier Satan, ses pompes et ses œuvres. Verteuil, dont l’amour croissait avec les obstacles, ne perdit point l’espérance, et, après de longues et pénibles recherches, fut assez heureux pour découvrir la prison d’Elisca. — Ah ! je respire, dit alors Bel-Rose Mais attendez, répondit le diable, nous ne sommes pas au dénouement : découvrir le couvent, ce n’était rien ; y pénétrer était le point important et principal. Imaginez un de ces vilains châteaux décrits par la lugubre R**. ; des tours bien antiques dans une espèce de désert, un pont-levis, des souterrains consacrés aux plus affreux mystères, des grilles, une tourrière bien vieille, point bavarde, point sensible, point gourmande et buvant de l’eau ; enfin, deux chiens cent fois plus terribles que les gardiens de la toison fameuse livrée par Médée à l’infidèle Jason (9). Tels étaient les obstacles dont il fallait triompher : Verteuil n’en fut pas effrayé. Secondé par le plus coquin comme le plus ingénieux des Frontins, il se trace un plan, et s’écrie, avec cet enthousiasme qui donne le pressentiment du succès : la place est à moi ! Cerbères, religieuses, tourrières, vous serez tous vaincus ; et toi, mon Elisca, tu verras enfin ta couche solitaire et si long-tems mouillée de larmes, devenir le théâtre et le témoin des plaisirs qu’appelle sans doute, que devine ton instinct virginal, et pour lesquels la bienfaisante nature paraît avoir formé tes charmes et ton cœur. — Il dit et part. — Mais quels étaient ses moyens et son appareil de siège ? — Patience : ni canons, ni tambours, ni trompettes ; mais un léger esquif, une échelle de cordes, deux gigots de mouton et un costume de diable, complété par une lanterne qui servait de coëfure, et contenant elle-même plusieurs lampions renfermés dans des verres diversement colorés et taillés à facettes. Ce que Verteuil avait prévu, ce que vous devinez arriva : avec l’esquif, il suppléa au pont-levis et parvint dans la cour du couvent ; les gigots de mouton, livrés en entrant aux deux cerbères, les occupèrent trop, pour leur laisser le tems de mordre ou d’aboyer, et cette première séduction fut complette ; à l’aide de l’échelle de soie, fixée avec un crochet au sommet du rampart d’un second bâtiment, le mur fut franchi ; et après avoir disposé convenablement toute son illumination, Verteuil, en habit couleur de feu, muni d’aîles diaboliques et de sa coëfure en lampions, se présente à la tourrière, lui ordonne, au nom du Ciel, d’ouvrir à son ministre Gabriel, tout illuminé des feux de la vérité, pour éclairer sœur Saint-Agathe : (c’était le nouveau nom d’Elisca) la vieille tourrière, transie de peur, stupéfaite d’admiration, fléchit le genou devant le ministre du très-haut, et le conduit elle-même à la cellule de la sœur que le Dieu tout-puissant veut mettre dans la grande route du salut et de la vie éternelle.Au nom du Ciel, ouvrez à son ministre Gabriel, tout illuminé des feux de la vérité, pour éclairer Sœur Ste. Agathe.
Au nom du Ciel, ouvrez à son ministre Gabriel,
tout illuminé des feux de la vérité, pour éclairer
Sœur Ste. Agathe
.
— Qui fut surpris de la visite de l’ange ? ce fut la charmante Elisca. Au moment de son entrée, elle se disposait à placer entre deux draps des charmes que préliminairement elle cherchait à défendre contre les puces, et qu’en même tems elle admirait en songeant au plaisir que leur possession donnerait à son amant. Verteuil, heureux Verteuil, il surprend Elisca occupée de cet exercice enchanteur : Elisca, effrayée, éperdue, ne le reconnaît pas au premier aspect ; mais bientôt sa crainte et ses inquiétudes se dissipent, l’amant est reconnu et applaudi ; cependant sa victoire n’est pas obtenue sans combats : Elisca, abusée par de vains préjugés, veut lutter contre son amant et contre ses désirs ; une robe envieuse, rapidement saisie, cache ses charmes au regard indiscret, et une prière fervente est adressée à Verteuil, pour l’engager à des respects et à une retenue que la violence de son amour lui rend impossibles. Non, s’écrie-t-il avec force ; ce bonheur qu’appellent tes veux et les miens, ne peut être un crime : ne résiste pas à mes tendres efforts, rends-moi caresses pour caresses, et loin de placer entre nous ce rampart de vêtemens que je déteste, sois sans voile comme sans crainte, et ne connais plus d’autre pouvoir que celui de l’amour. Elisca ne répond pas, mais veut encore résister : cette robe, qu’elle a reprise, est entr’ouverte malgré ses efforts ; sa bouche, qu’elle ne peut plus dérober à celle de Verteuil, reçoit le premier baiser de l’amour. Alors plus de résistance, tout son être a changé : son ame s’est confondue avec celle de l’amant le plus tendre ; moins timide, sa langue voluptueuse cherche le trait enflammé qui l’a touchée, l’irrite, l’irrite encore, et conduit, par les plus douces agitations, à une première convulsion de volupté. Dès ce moment, plus de retenue ; Elisca elle-même laisse tomber sa tunique, s’affranchit des voiles qui la couvrent ; et Verteuil, fortement armé par la nature, met dans la main de sa maîtresse l’instrument de leurs nouveaux plaisirs ; Elisca détourne les yeux ; mais au même instant elle est précipitée sur sa couche : sa chemise, le seul voile qui lui reste, est entièrement soulevé ; placé entre ses cuisses, qu’il écarte et soutient, son amant se présente à l’entrée d’un azyle dont le contour se couvrait à peine d’un léger duvet, et dont l’ouverture virginale fut pourtant déjà disposée au plaisir, par les essais d’un bonheur solitaire. Aucun moment, aucun effort n’est perdu : Elisca répond aux transports de son amant ; ses tétons, sa bouche, ses jolies fesses, excitées par des carresses stimulantes, tout est de la partie : l’intrépide Verteuil fait des progrès ; il avance, Elisca souffre ; mais, courageuse, son sang qu’elle voit couler redouble son ardeur, et, au même instant, un coup nerveux fait entrer le couteau sacré qui la déchire. La douleur et le plaisir se succèdent alors ; mais le dernier demeure, la douleur est oubliée, et, après des secousses plus vives et plus faciles, Verteuil et Elisca, confondus, pamés, sentent les approches du bonheur, les proclament par leurs accens entrecoupés, répandent la liqueur enchanteresse, et terminent enfin avec cette plénitude de volupté qui caractérise les premières jouissances de l’amour. Grace à l’heureux stratagême de Verteuil, la cellule de sœur Sainte-Agathe fut, pendant plusieurs mois, un temple d’amour et de plaisirs. Cependant, toutes les sœurs, quoiqu’honorées de la visite fréquente d’un ange, parurent avoir quelques soupçons, et, pour ne pas s’exposer aux suites fâcheuses qu’ils pouvaient avoir, Elisca fut enlevée et conduite à Paris, où elle a vécu pendant deux ans avec son amant. Plusieurs lui ont succédé, et la belle Elisca, presqu’aussi aventureuse que cette Aline dont Bouflers a crayonné l’histoire, est arrivée, après avoir dépensé plusieurs millions, au point de se trouver placée parmi les très-publiques prêtresses de Vénus, dont elle exerce la profession avec autant de gaîté que de philosophie.

Après avoir terminé ces deux intéressantes histoires, non moins dignes de la plume éloquente et sacrée de Laharpe, que le cantique des cantiques, le diable voulut quitter Bel-Rose ; mais pressé par ses vives sollicitations, il consentit à continuer ses voyages, dont voici quelques nouveaux résultats.







§ VI.

Jeunes demoiselles, craignez la
musique.


Le lendemain, dit Bel-Rose, dans le journal itinéraire dont j’ai parlé, nous nous rendîmes, comme nous en étions convenus, à ce nouvel Olympe, à ce Frascati, qu’embellissent et divinisent tous les moyens de séduction et de plaisir.

Il était neuf heures, et déjà la lumière des lustres, réfléchie par des murs de glaces, avait remplacé le soleil. Quel spectacle enchanteur… ! Les femmes les plus belles, les plus galamment vêtues, montrant ou voilant leurs charmes avec le même art, se disputaient le double prix des graces et de la beauté.

Après avoir joui du plus magnifique coup-d’œil, et lorsque la foule se fut un peu écoulée, nous trouvâmes un sopha, une table, et, en prenant des glaces, nous cherchâmes l’aimable objet qui, le premier, serait soumis à l’influence magique de notre anneau.

Dans cette circonstance, comme dans les suivantes, mon active curiosité décida mon compagnon de voyage.

Une jeune personne de seize ans, au plus, frappa tout-à-coup mes yeux, qui ne virent plus qu’elle.

Comme elle est belle, regardez… Quels yeux ! ils brillent déjà des feux du sentiment ; ont-ils exprimé celui de l’amour et de la volupté ? cette bouche, si vermeille, s’est-elle rougie, s’est-elle déjà enflammée par le baiser d’un téméraire amant ? Ô que de charmes ! Ce cou d’albâtre, qu’une coëfure grecque ne dérobe pas à l’œil charmé de le voir ; cette gorge, à moitié voilée, mais dont l’avide regard et l’imagination, plus avide encore, découvrent tout l’aimable contour ; ces formes de calipige, dignes rivales de celles dont l’aspect imprévu fit le bonheur des Dieux ; que d’attraits, que de trésors sous ces voiles importuns, que je voudrais arracher.

Mais n’appercevez-vous pas un certain air de lendemain, un regard plus observateur, une douce mélancolie, une démarche décélatrice et ce tendre embarras, signe certain d’un cœur encore virginal, même après l’essai des plaisirs de l’amour.

Vîte, dirigeons l’anneau sur cette nouvelle Hébé, et qu’elle soit le sujet de notre premier entretien.

L’anneau fut alors dirigé au gré de mes vœux ; le diable, rendu sylphe observateur et conteur, me dit :

Cette jeune personne, qui vous inspire un si vif intérêt, se nomme Sophie. Comme vous voyez, elle entre à peine dans la carrière de la vie et du plaisir.

Son début, qui se fit hier, dans le boudoir de sa chère mère, n’est qu’une aventure très-commune, et je serais presque tenté de ne pas vous la raconter.

Racontez, je veux savoir tout ce qui regarde la belle Sophie. Si ses aventures ou son aventure n’offrent rien de neuf, elles offriront du moins quelque chose de bien tendre ; et j’aime le tendre, entendez-vous ? Le diable, aussi complaisant que possible, reprit en ces termes :

Sophie aime la musique avec passion : elle a pour maître un jeune Italien, M. Zorani, qui se félicite de l’avoir pour écolière, et qui, sans avoir fait le sacrifice de sa virilité au dieu du chant[2], a une voix délicieuse et presque divine.

Mille routes diverses conduisent au même but. Zorani fut au cœur de Sophie par ses accens passionnés ; il s’apperçut de sa conquête ; il la vit dans les yeux de sa belle écolière, dans ses progrès rapides et dans une agitation, dans un tendre frémissement qu’elle dissimulait en vain : lorsqu’arrivée à certains passages plus animés, le feu de l’amour circulait dans ses veines et pénétrait tout son être.

Zorani, trop occupé et trop mauvais calculateur en fait de jouissances, pour se donner le plaisir d’un roman et d’une passion, voulut arriver d’une manière brusque et rapide vers un dénouement auquel des scènes si ravissantes, des détails si aimables, conduisent le mortel assez heureux pour devoir plus d’une sorte de plaisirs et de jouissances à l’amour et à la beauté.

Mais ne jouit pas qui veut du bonheur, des détails et des préliminaires ! Zorani, brûlant du désir de prendre, comme on dit, le roman par la queue, vole chez Sophie ; elle était seule. — Si vous le désirez, nous chanterons ce morceau, que je viens de terminer. — C’était le premier baiser de l’amour, extrait de la nouvelle Héloïse, arrangé en romance italienne, et rendu plus brûlant par le charme d’une musique céleste.

Sophie savait l’Italien et le prononçait à ravir : elle commence la romance ; mais à cet endroit : « Que devins-je quand je sentis… la main me tremble, ta bouche de rose, la bouche de Julie, et mon corps serré dans tes bras… À cet endroit, Sophie, non moins émue que St.-Preux, se trouble, ses sens sont bouleversés, ses yeux s’animent, et tout son corps frissonne et chancèle.

N’achevons pas cette romance, dit-elle ingénuement à son maître ; votre musique est d’une expression… Ah !… elle est allée jusqu’à mon cœur, elle me fait mal.

Zorani sourit, conduit son écolière sur un lit de repos, où il se place près d’elle, et très-près d’elle. — Cette romance vous a donc profondément touchée, belle Sophie ! ce que vous venez d’éprouver est l’annonce d’un besoin, d’un sentiment, auxquels des préjugés tyranniques vous ordonnent de résister, auxquels la nature, plus puissante, vous presse de ne pas opposer une cruelle résistance.

Ce que vous venez de chanter, je l’ai composé en me plaçant, par imagination, dans la position de Saint-Preux. Vous étiez mon Héloïse. On peut être téméraire dans ses songes, et, dans le mien, je l’étais ; ma bouche a cherché la vôtre, l’a rencontrée, et l’état dans lequel m’a plongé ma voluptueuse ivresse, m’a inspiré cette musique, à laquelle vous venez, d’accorder votre suffrage d’une manière si expressive. — L’embarras, le trouble de Sophie augmentent : son sein, dont l’aimable contour est à peine achevé, soulève la gaze légère avec plus de vitesse, et, d’une voix altérée, elle répond à peine à l’amant qui la presse. Pour vous intéresser davantage, et varier le récit de cette scène, dont le tableau est une véritable idile, je vais en former un mélange de vers et de prose, aussi digne du sujet qu’il me sera possible. Écoutez.

L’écolière timide
Rougit, baisse les yeux ;
Dit : l’amour est perfide,
Ses traits sont dangereux ;
Ils blessent les amantes,
Ils effleurent l’amant :
Nos flammes sont constantes ;
Vous n’aimez qu’un instant.


Papillon de la Rose
A-t-il pris les faveurs,
Dans son sein il repose
Puis vole aimer ailleurs :
Mais la rose flétrie
Sur sa tige languit ;
Ainsi femme trahie
Loin d’un ingrat gémit.

Brusquement téméraire,
Le chanteur éloquent
Répond : soyez sincère,
Il vous faut un amant.
Ma bouche est sur ta bouche,
Mon cœur est sur ton cœur ;
Mon transport t’effarouche ;
Ah ! craint-on le bonheur !

La surprise, un attendrissement involontaire, une résistance qui attire et provoque plus qu’elle ne repousse, sont la réponse de Sophie. Zorani sent croître son audace. Mon langage vous étonne peut-être, dit-il à son aimable écolière ; mais l’amour est mon excuse. Il me pénètre, m’enflamme ; du moment où mes yeux rencontrèrent les vôtres, votre première vue, votre premier accent, décidèrent de mon sort… Mais vous, belle Sophie, l’heure du plaisir a déjà sonné, votre ame l’a entendue : le voile impénétrable du mystère nous enveloppe ; soyons heureux ; mais préludons au dernier degré du bonheur : l’épine est sur la route qui nous y conduit, et pour en supporter courageusement la piqûre, fais d’avance un essai de la jouissance qui la suit.

Tu viens de chanter le premier baiser de l’amour, reçois le second. En prononçant ces mots, Zorani est aux genoux de Sophie : sa main téméraire, et faiblement arrêtée, soulève un voile importun, et sa bouche se porte avec ivresse sur l’entrée virginale d’un sanctuaire où les libations d’un brûlant nectar vont bientôt couler en l’honneur de Vénus. Sophie, émue et surprise, ne résiste plus. Son amant, plus passionné, interroge, sollicite en elle tous les organes du plaisir ; sa langue, transformée en trait brûlant, se tourmente, s’agite, et ne tarde point à donner, à sa charmante écolière, la première extâse de volupté. La scène et la position change : alors, Zorani est dans les bras de Sophie ; tout son corps touche, presse le sien ; le nouvel instrument d’une jouissance moins superficielle, remplace la bouche, que pressent les lèvres d’une amante adorée ; et après de longs, de douloureux efforts, la dévirgination s’achève ; une ivresse inéfable, des transports de voluptés, font oublier la blessure qui les précéda, et dont la démarche que vous venez de remarquer est une suite nécessaire.

Ah ! mon cher diable, si votre maître à chanter, qui paraît bien aimable, n’est pas constant, si, après avoir été bien heureux et bien infidèle avec des dames très-peu novices, il trahit l’innocence, cette charmante Sophie, il sera bien coupable. — Soyez sans crainte, me répondit le diable ; Zorani, qui voulait jouir sans être amoureux, a perdu sa liberté où les autres la retrouvent. Les bras caressans de son écolière, sa franchise, ce développement si touchant de charmes, d’esprit et de sentiment, cet heureux abandon de l’amour et de la candeur, tout le retient, l’enchaîne, et je réponds de sa fidélité : vous en pourrez juger vous-même, par les couplets qu’il est venu offrir ce matin à sa douce amie. Fredonnons-les ; et, en attendant la musique de Zorani, qui sera incessament gravée, essayons sa romance sur l’air de celle du Jockei. L’auteur l’a appelée le Lendemain.

Le lendemain de notre ivresse,
Conservant l’amoureux transport,
Ah ! de volupté, de tendresse,
Je jouis et palpite encor.
Long souvenir de mon amie,
Immortalise mon bonheur,
Et de son image chérie
Je remplis et charme mon cœur.

L’insensible ou l’amant vulgaire
Ne jouit, n’aime qu’un instant ;
Mon amour et ton art de plaire
Rendent notre bonheur constant.
Loin de toi, vers toi je m’élance,
Je te demande avec ardeur,
Et du lendemain l’espérance
Sait me faire un jour de bonheur.

À merveille ! monsieur Zorani, je l’estime ; qu’il soit heureux avec sa belle Sophie, et passons maintenant à une autre histoire.






§ VII.

Mélanges érotiques et aberrations
de l’amour.


Voyez-vous, dans ce fauteuil, cet homme qui paraît profondément occupé ? Je ne sais quels traits je démêle dans sa physionomie ; mais je voudrais le connoître. Bel-Rose regarde, regarde encore ; j’ai vu cet homme quelque part… et oui, c’est lui ; je puis vous en parler sans le secours de l’anneau. C’est M. de B**., ancien conseiller au parlement ; j’ignore une partie de ses aventures ; mais je vais vous faire connaître une scène que j’ai vue, et dont ce personnage fut, et est encore, sans doute, à des époques plus éloignées, le principal acteur.

Je n’ai pas, comme bien savez, l’honneur d’être parisien. Quelque tems après mon arrivée de province, je rencontre, en sortant de l’Opéra, une de ces femmes complaisantes, qui vous offrent beaucoup de plaisir pour un peu d’argent. Je suis la belle, et plus par curiosité que par désir d’une jouissance dont je n’avais alors ni le besoin ni le désir ! J’arrive jusqu’au modeste asile dont elle faisait de son mieux une aimable chapelle : j’offre mon tribut à la prêtresse, et je l’interroge sur toutes les circonstances d’un culte duquel je voulais connaître certains détails auxquels un homme instruit ne doit pas demeurer étranger. Je fus instruit comme je le désirais ; mais tout-à-coup mon professeur femelle me prie de me retirer : il est neuf heures, dit-elle, voici l’instant où il doit arriver ; partez, je vous en conjure : c’est un de mes plus fidèles abonnés, et si je parviens laborieusement à le satisfaire, il est généreux, et… — Mais de qui parlez-vous ? — D’un homme que vous ne connaissez pas, et que votre présence éloignerait pour jamais. Mais je l’entends ; cachez-vous dans ce cabinet, et de grace, restez-y jusqu’à la fin d’une scène qui pourra vous amuser. J’obéis ; et, de mon poste d’observateur, je vois entrer le cher conseiller, qui ouvre la porte en tremblant, et annonce son arrivée en balbutiant une excuse. Vous avez tort, répond d’un air couroucé la courtisanne transformée en actrice ; depuis une heure je vous attends ; je serai sans pitié ; et alors elle tire d’un armoire un instrument de plaisir et de supplice, un énorme paquet de verges, dont elle frappe les mains et la figure du personnage, qui reçoit cette grêle de coups sans se plaindre. À genoux, malheureux, livrez toutes les parties de votre corps à ma juste vengeance. Le conseiller obéit. Ma belle alors devient une furie ; elle frappe à coup redoublés, et l’effet qu’elle veut produire arrive enfin ; grace à tout cet appareil, le fustigé sent qu’il est homme : il devient furieux et barbare à son tour ; et se précipitant sur la prêtresse, changée en victime, il la jette sur un lit, et lui ordonne, d’une voix formidable, de livrer toute la partie postérieure de son corps à ses coups. La courtisanne obéit : des charmes, qui firent sur moi une très-vive impression, restent nuds, et leur albâtre se rougit par la flagellation la plus terrible. Alors, le très-érotique personnage fait succéder les caresses aux coups, accable de baisers ces deux globes qu’il vient de frapper si cruellement, et, finissant ces scènes de fureur et de volupté, va, entre deux monticules charmans, atteindre la route sinueuse, où il arrive enfin au comble du bonheur. À peine le trouble de ses sens a-t-il cessé, qu’aussitôt il prend un air grave et sévère, et s’adressant à la courtisanne, je suis contant, dit-il, voilà un louis, je reviendrai dans huit jours, à la même heure ; adieu.

Votre conseiller il me fait faire des réflexions, dit le diable ; mille histoires que j’ai apprises dans mes voyages, sont plus bizarres que la sienne. Un docteur d’Edimbourg, qui est très-philosophe, m’a dit souvent que les maisons publiques étaient lieux où le cœur humain pouvait s’étudier et se connaître. Ce personnage, si difficilement conduit à un résultat agréable, aura, comme votre Jean-Jacques Rousseau, dû la première sensation amoureuse à la verge, ou à la main d’une jolie maîtresse d’école, et à l’aspect et à la flagellation de ces parties enchanteresses, rivales du sein pour le contour et la blancheur.

Lors, de répondre Bel-Rose : vous êtes profond, et si je vous en croyais, nous ferions un traité de morale, ou, au moins, un recueil d’observations et de faits dignes de figurer dans les petits ouvrages des grands hommes, auxquels cet ouvrage est dédié. Comment, par exemple, penseriez-vous qu’ils expliquassent mille caprices divers qu’ils devraient, comme moi, aller chercher à l’école de Vénus ? Il vous souvient de ce Juif, qui, sans émotion à la vue de tous les charmes féminins, arrivait au plus haut degré du plaisir amoureux, lorsque son corps, décoré à la partie postérieure d’une plume de paon qui faisait queue, étoit doucement caressé, et que la courtisanne, chargée de cet emploi, s’en acquitait en disant : ah ! le beau paon ! le beau paon !

Il vous souvient aussi de ce voluptueux, non moins blasé et bizarre, qui ne pouvait plus connaître les plaisirs de Vénus qu’enharnaché d’un maillot, au milieu des hochets et de tous les attributs de l’enfance ; ou de cet autre, que la femme la plus belle n’émeut point, si elle ne se présente à lui la robe retroussée sur les côtés, et munie d’une discipline bien plus puissante sur lui que l’écharpe ou la ceinture de Vénus ; que d’autres aberrations ne pourrais-je pas ajouter ; des désirs amoureux et une faculté reproductive, exclusivement rappelés par des souffrances et même une espèce de suffocation, ou la vue des scènes les plus révoltantes, le goût des plaisirs anti-physiques, des plaisirs cruels, dont nous avons un tableau si révoltant, une prédilection pour certaines parties de la femme, ou pour certains modes de l’acte reproducteur, nous n’aurions jamais fini : l’histoire d’une seule partie des écarts et des sottises humaines serait inépuisables ; abandonnons-là, et, en nous persuadant que toutes les routes qui ne sont pas celles de la nature, ne conduisent ni au bien ni au beau, et encore moins au bonheur, cherchons quelque nouveau sujet d’un entretien un peu plus agréable. Oui, reprit le diable : je veux vous dire un mot sur la flagellation ; mais arrêtons un instant.

Parmi toutes les bisareries érotiques, son usage est une des plus anciennes. J’ai vu dans un livre très-savant, que de grands docteurs et de saints personnages, tels que Cœlius Aurélianus, Senèque, Galien, Th. Campanella, Saint-Augustin, Saint-Jérome, Isidore, Lactance, Origène, etc., ont vanté le bienfait érotique de la discipline des verges. On a étendu cette pratique jusques aux femmes ; les dames romaines s’offraient nues aux prêtres qui célébraient les Lupercales, et leur demandaient les faveurs de la flagellation. Des femmes d’une autre contrée se faisaient rendre le même service par leurs époux ou par leurs amans. Dans une des éditions de l’ouvrage de Meibomius, sur l’utilité de la flagellation dans les plaisirs du mariage, j’ai vu une gravure qui représentait un docteur tenant sous le bras une femme dont il a soulevé les vêtemens, et sur les charmes de laquelle il fait pleuvoir une grêle de coups, en présence du mari, qui attend l’effet de cette préparation érotique. Dans un ouvrage de Jean Barclay, on lit l’anecdote suivante : Un monsieur Jourdain épousa une femme russe, dont il était éperduement amoureux. Après avoir employé vainement tous les moyens pour la rendre heureuse, il la pressa de s’expliquer sur les chagrins cruels auxquels elle paraissait secrettement en proie. La dame se défendit long-tems, et ne voulait répondre que par son embarras et sa rougeur. Vivement pressée, et ne pouvant plus résister, tu le veux, dit-elle, je vais parler :

Pourquoi feins-tu un amour que tu n’as jamais éprouvé ? tu cherches en vain à me dissimuler tes mépris et mon malheur : tu m’aimes, cruel, et pourtant je n’ai reçu de toi que des caresses, des tendres baisers, des attouchemens délicats ! Est-ce ainsi qu’une flamme véritable se manifeste ! Tu m’aimes, et tu ne m’as jamais frappée ! tu m’aimes, et tu n’offris jamais à ma vue les verges bienfaisantes qui doivent m’engager à répondre à tes transports : ignorerais-tu que, dans le pays qui m’a vu naître, ce moyen, doit être employé par les hommes qui veulent prouver leur amour. Le monsieur Jourdain se défendit d’abord de cette manière de prouver, mais fut enfin obligé de l’adopter.

Vous n’y pensez pas, dit alors Bel-Rose, vous êtes trop savant ; et que diable avons-nous à faire en Russie, où les maris fouettent leurs femmes pour prouver qu’ils les aiment ; à Rome, où le beau sexe va briguer la faveur d’être fustigé par un prêtre. Nous sommes à Frascati, mon cher diable, oublions toutes les sottises humaines, les écarts du sentimens, les aberrations de l’amour ; et, comme je disais tout-à-l’heure, en nous persuadant que toutes les routes qui ne sont pas celles de la nature ne conduisent ni au bon ni au beau, et encore moins au bonheur, cherchons quelque sujet d’un entretien plus agréable. — Voyez-vous, à côté de ce merveilleux au sexe équivoque, cette grande et belle femme ? Si vous y consentez, visons-là, et notre anneau va se tourner vers elle. Le diable répondit : je le veux ; l’anneau fit son effet, et nous fûmes instruits de l’anecdote suivante.





§ VIII.

Le mari philosophe, rusé, cocu,
contant et moraliste.


Poëtes, romanciers, gens du monde, etc., hommes et femmes de toutes les classes, s’amusent depuis long-tems aux dépens des maris : avec quelle profusion n’a-t-on pas rassemblé leurs infortunes, les ruses diverses, les joyeuses perfidies et les stratagèmes de leurs épouses. L’anecdote que vous allez savoir va vous mettre, malgré toute la partialité que je vous connais, dans les intérêts d’un mari.

Cette dame, qui vient de fixer notre attention, et qui se trouve en ce moment soumise à l’influence de notre anneau babillard, se nomme madame de B***. Elle a pour époux un homme de cinquante-cinq ans, un philosophe pratique, au-dessus de tous les ennemis du bonheur et de ces préjugés sans cesse opposés aux loix impérieuses de la nature. Des circonstances particulières, et sur-tout une amitié vraiment paternelle, l’ont engagé à un mariage dont il n’a pas eu le dessein de faire un supplice pour la femme qui l’a contracté : il sait qu’il lui faut un amant ; il eût voulu la diriger dans son choix, mais elle l’a prévenu ; il en a été instruit, et, sans couroux ni dépit, a surpris l’infidelle, non en mari vulgaire, mais d’une manière vraiment neuve et plaisante. La coupable logeait au premier et lui au second. Il a fait communiquer son appartement et le lit de la belle, au moyen d’une sonnette disposée de manière à ne sonner que lorsque la couche nuptiale, à laquelle elle était attachée, se trouverait ébranlée par des secousses plus fortes et tellement redoublées, qu’il fût impossible de douter qu’alors madame pressait dans ses bras un amant fortuné, et répondait à ses transports.

Ce moyen, mille fois préférable au réseau merveilleux et à l’éclat scandaleux de Vulcain eut bientôt le succès le plus complet. Monsieur paraît un instant chez madame, feint une légère indisposition, se retire, le mari est bientôt remplacé par un amant.

Ah ! mon cher Valsain, que tu arrives ici dans un moment favorable ; monsieur de B***, est retiré et ne reviendra point, le mystère nous enveloppe, toutes mes mesures sont prises, et tu passeras la nuit dans cet asile. Quelle aimable prévoyance ! quel empressement enchanteur ! Oui, mon Eucharis (c’étoit le nom de guerre de madame de B***.), je demeure avec toi, et cette nuit sera la plus fortunée.

La divine Eucharis, un mouchoir à la main,
Dans l’alcove, en riant, poursuit Valsain, l’arrête,

Et, du bandeau nocturne environnant sa tête,
Le sort en est jeté, lui dit-elle, et demain
Nous verrons quels détours, Vénus que je reclame,
Saura nous inspirer pour sortir d’embarras ;
Aujourd’hui, cher amant, je te tiens dans mes bras.
Je n’examine rien, je suis toute à ma flamme.
Je brave et mes tyrans et leur affreux pouvoir ;
J’ai trop long-tems languit dans mon lit solitaire ;
Le ciel, après trois mois, me permet de te voir ;
Que l’on découvre ou non ce fortuné mystère,
Tu resteras..........
Elle vole à la porte, et ferme les verroux ;
À se deshabiller l’enhardit la première,
Laisse tomber sa juppe et souffle la lumière.

Ces vers, de Bertin, Vous font exactement connaître la conduite et les discours de madame de B***. Le lit qui vient de la recevoir avec son amant demeure tranquille pendant quelque tems. Les douces caresses, des préludes paisibles, font à peine gémir l’édredon, et aucun ébranlement délateur n’est encore arrivé jusqu’à monsieur ; mais les fureurs et les emportemens de l’amour succèdent bientôt au ravissement de la tendresse ; Valsain presse plus fortement son Eucharis, Eucharis, non moins emportée, répond à Valsain, et la couche nuptiale commence à tressaillir : déjà la sonnette perfide s’est ébranlée ; les secousses redoublent, redoublent encore, et l’airain, frappant alors à coups redoublés, avertit l’époux de l’excès de bonheur auquel arrive sa jeune épouse.

Le lendemain, M. de B***. se rend de bonne heure à l’appartement de sa femme ; elle dormait encore : ne troublez pas son sommeil, dit-il à sa femme-de-chambre, elle en a besoin ; mais quand elle sera éveillée, qu’elle monte aussitôt dans mon cabinet, et alors vous ferez ce que je vais exiger de vous. Lafleur, que vous aimez et dont j’ai su reconnaître les soins en vous le donnant pour mari, se rendra ici en deux heures ; exigez de lui le tribut conjugal, qu’il est toujours disposé à vous offrir, et faites du lit de votre maîtresse, le théâtre de vos plaisirs. Il se retire alors, et sa coupable moitié ne tarde point à le suivre. M. de B***, cent fois meilleur humain que ce fou de… ne lui dit point, d’un air bien dramatique, que veux-tu de moi, Eulalie ? mais en souriant, d’une manière aimable, bonjour, dit-il, ma bonne amie : j’ai désiré un tête à tête ce matin avec toi ; nous allons déjeuner ensemble, et si tu le permets, je te garderai ici pendant une heure, pourvu cependant que ma conversation t’amuse autant que ta présence me fait de plaisir. Je suis toujours bien avec vous, répond madame de B***., et vous savez si votre commerce m’est agréable et doux. On fait alors servir le chocolat, et lorsque le déjeûner est terminé, M. de B***, prend sa femme sur ses genoux, l’embrasse et lui dit : Je suis peut-être coupable, et tu vas me gronder. Tu sais que j’ai quelquefois des fantaisies bien bisarres, bien folles ; mais je leur dois quelques instans de bonheur, et cela seul suffira pour t’engager à m’en pardonner une bien singulière : malgré mes cheveux blancs, je chéris encore, comme tu sais bien, les plaisirs amoureux ; mais leur récit, leur image sur-tout, furent toujours pour moi la source d’une véritable jouissance, que je veux essayer de te faire partager. Ta chambre à coucher, me paraissant la plus convenable à l’exécution de mon projet, je l’ai choisie pour en faire, à ton insu et pendant le séjour que tu a fais à la campagne, la couche nuptiale de cette friponne de Justine et de Lafleur. — Quelle idée ! et… monsieur…

Pas tant de sévérité ; écoute et pardonne une fantaisie à ton meilleur ami. Je voulais savoir, par un signal exact et précis, le moment où les deux acteurs, placés sur le théâtre où j’ai figuré quelquefois dans tes bras, arriveraient à ce degré de plaisir et de transport, dont les secousses se communiquent au lit fortuné et le fait tressaillir ; j’ai, en conséquence, fait communiquer cette sonnette à ta couche, et ses sons moniteurs m’ont instruit comme je l’avais désiré ; pour te rendre toi-même témoin de leur fidélité, l’expérience va se répéter devant toi. Et en effet, au même instant les agitations précipitées, les secousses voluptueuses de Justine et de Lafleur, s’étant communiquées de la couche amoureuse à la sonnette, le marteau de cette dernière oscilla avec vîtesse, et, en cessant d’une manière graduée ses mouvemens précipités, annonça le dernier degré de l’extase amoureuse de Lafleur et de sa Justine.

Madame de B***., confuse, rougit, pâlit et chancèle. Qu’avez-vous, tendre amie, lui dit son indulgent et philosophe époux ? Moins de désordre et d’embarras, mais plus de confiance. Vous avez offensé votre ami, l’homme qui employe, qui veut employer encore tous les instans de sa vie à embellir les vôtres : j’ai voulu tout savoir ; mais sans espions, sans confidens, et vous devez me savoir gré de mon stratagême.

Je n’ai qu’un seul reproche à vous faire, c’est de n’avoir pas cru à mon amitié, de n’avoir pas répondu à mes sentimens paternels par les sentimens d’une piété filiale, que je me borne à exiger de vous ; ma conduite, si elle était connue, paraîtrait ridicule, parce qu’elle est tellement raisonnable, que la mesure limitée et mesquine des jugemens vulgaires, ne peut lui être applicable. Mais que m’importe ; ne pas opposer une vaine résistance aux loix de la nature, plus sacrées, plus impérieuses que mes droits prétendus, répandre le charme du bonheur sur la vie de ma chère Eucharis, voilà ce que je veux, voilà le projet toujours présent à mon esprit et à mon cœur. — Madame de B***., vivement émue d’un semblable discours, ne répond que par ses larmes, se précipite dans les bras du meilleur des hommes, et ne les quitte que pour lui jurer une inviolable fidélité.

Imprudente !… que fais-tu, lui répond en souriant le philosophe : mes cheveux sont blanchis par les années, des rides, fortement exprimés, sillonnent mon visage ; et tu brilles de tout l’éclat de la jeunesse et de la beauté, et ton cœur, ton imagination, sont dans leur printems, tes lèvres ont à peine touché la coupe de la vie… peux-tu répondre de l’avenir, peux-tu faire le serment de résister à cette magie universelle de l’amour, qui pénètre, échauffe de ses feux les êtres les plus farouches ! non, mon Eucharis : je te rends tes sermens ; je ne veux être que ton père, que ton ami. Je dirigerai ton choix, je formerai le cœur de ton amant, j’embellirai ta vie du bonheur de la sienne, et lorsque ma main défaillante recevra votre dernier adieu, je me dirai : je meurs sans regrets, mon Eucharis fut heureuse, et sa félicité fut mon ouvrage.

Ceci est bien romanesque, monsieur le diable, dit alors Bel-Rose à son compagnon de voyage : Grandison, il n’eût pas osé imiter M. de B***., et ce Grandison, dont les sublimes et permanentes perfections ont été reprochées au meilleur des romanciers, à l’inimitable Richarson, offre pourtant le modèle le plus accompli. Je ne réponds qu’une seule chose à votre observation, reprit le diable ; cette histoire n’est pas un récit romanesque, c’est une histoire véritable, et, vous savez,

Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.

Boileau.

Ainsi, trêve de réflexion. Faisons apporter de nouvelles glaces, et terminons cette soirée par quelque révélation qui puisse vous amuser. — Bien… Alors, nous regardâmes de tous côtés ; la foule avait entièrement disparu, et, à Frascati comme dans le Paradis de Milton, les fortunés, moins pressés, erraient en liberté. Après avoir long-tems cherché, nous nous fixâmes enfin : une femme de vingt-cinq à trente ans, brillant du double éclat de la parure et de la beauté, fut l’objet sur lequel se dirigea l’anneau, et alors le diable :





§ IX.

L’héroïne.


Écoutez ; cette femme est une des plus aventureuses qui ayent jamais couru le monde ; elle a un grand caractère, de la galanterie par intermittence, de l’esprit toujours, de la bonne-foi jamais, elle fut tirée de la foule par une grande dame, et placée, dès l’âge de dix ans, sur le théâtre d’un monde nouveau, où elle parut sans crainte ni surprise. À douze ans, elle fut présentée à la reine, qui, frappée de sa beauté et de l’expression de ses traits, lui fit des offres qu’elle repoussa en disant qu’elle n’aimait pas les trônes.

À quinze ans, sa protectrice, effrayée et jalouse de sa beauté, l’humilia. Victorine (c’était alors son nom), était trop fière pour supporter un outrage ; mais elle était sans ressource. Notre état social n’offre guère, à la beauté sans richesse, que la prostitution, ou des travaux aussi pénibles que mal payés. Victorine, incapable des uns, ayant horreur de l’autre, se décide pourtant. Aspasie et Ninon ont paru dans la carrière qui lui est présentée ; c’en est assez : elle sort du boudoir, se place dans l’anti-chambre, arrête le premier homme qui sort et lui dit avec courage : Voulez-vous mes prémices ? dès ce soir je pars, je me fais enlever. La proposition est acceptée ; mille louis sont le prix de la première faveur de la plus aimable des femmes : avec cette somme, elle échappe à l’acheteur qu’elle méprise, demeure trois ans dans la solitude, sous les auspices d’une vieille qui passe pour sa mère ; alors, elle est découverte par un des puissans du siècle, qui met à ses pieds ses trésors et sa dignité. Elle accepte, devient la maîtresse d’un libertin, qu’elle écrase par son ascendant, au point de rendre impuissant et de gouverner l’homme le plus corrompu par la magie d’un amour platonique. Elle s’ennuie bientôt de ce triomphe, fait un amant, dont ses sens ont besoin, est surprise entre ses bras, s’en arrache sans trouble, sans embarras, et dit à l’entreteneur qui vient de la surprendre avec scandale : Pourquoi tout ce bruit ? que ne me parliez-vous, je vous aurais tout dit ; j’use de mon bien, je ne vous ai rien promis : il faut avoir su posséder sa maîtresse, pour l’accuser d’une infidélité. Ainsi fut terminé cette scène ; le lendemain, Victorine quitta son crésus, courut le monde, se fit admirer, et, après mille et une avantures, a épousé monsieur de M**., riche et grand personnage.

Depuis cet hymen, formé sans amour, Victorine a trompé son époux, dont elle ne peut rien obtenir que des richesses.

Le citoyen du T**., aimable et beau jeune homme, illustré dans la carrière de Bellone comme dans celle des amours, est l’amant en titre dans ce moment : son courage, son sang-froid, égalent les charmes de sa maîtresse. Vous allez en avoir la preuve par les deux anecdotes suivantes ; pour plus de variété, je rimerai la première.

Première Anecdote.

Connu par plus d’une aventure,
Monsieur Damis, un certain jour,
(Le fait est vrai, je vous l’assure)
Vole au rendez-vous de l’amour ;
Monte sur un balcon, s’élance,
N’attend pour entrer qu’un signal,
Brûle d’amour, d’impatience ;
On ouvre, quel instant fatal !
Ce n’est l’obligeante soubrette,
C’est un mari triste et jaloux ;
Beau galant à marche discrette,
Ici, par dieu, que faites-vous !
Sur ce balcon qui vous amène ?
Damis, sans craindre ce couroux,
Descend et dit, je me promène.

Deuxième Anecdote.

Damis, puisque nous avons donné ce nom romanesque à notre héros, Damis se rend chez sa belle maîtresse. Huit jours s’étaient écoulés sans la voir ; elle était seule ; l’époux devait aller passer deux jours à la campagne ; tout fut arrangé pour faire de la nuit de l’un de ces jours, la nuit la plus fortunée : point de délai. Lisette, la complaisante Lisette, prépara un délicieux soupé : le champagne exalte l’amour, des parfums s’exhalent en nuage embaumé, et des glaces magiques répètent et les charmes de Victorine et les images, de plaisir et de volupté qui décorent son asile ; enfin, Lisette, qui joint les avantages du talent aux raffinemens de la complaisance, saisit la harpe et prélude aux scènes des plaisirs de la nuit, par des sons et des accens qui vont au cœur par l’oreille charmée. Impatient, malgré les douces sensations qu’il éprouve, Damis fait éloigner Lisette, et, seul avec ce qu’il aime, jouit du bonheur de faire successivement tomber tous ces remparts élevés entre lui et les charmes d’une maîtresse adorée : cet exercice charmant est terminé ; Victorine, parée de ses seuls attraits, s’élance entre deux draps que la frise a tissus, et presse bientôt contre son sein l’amant fortuné qui partage sa couche. Deux heures d’inéfable volupté s’étaient déjà écoulées ; il était minuit : Lisette accourt, monsieur… monsieur… il frappe, il est chez lui, il veut voir madame, il va entrer. Damis saisit ses vêtemens, s’en couvre à demi, et se cache dans une garde-robe, où il espère ne pouvoir pas être vu. Monsieur de M**. entre, parle amicalement à sa chère moitié, et, sans soupçon, et avec un prétexte raisonnable, entre dans la garde-robe où se cache son fortuné rival. Damis se croit découvert ; il conserve son sang-froid, quitte sa retraite, s’élance, éteint la bougie que portait le conjugal personnage, et, embrassant ses genoux, pardonnez, dit-il, pardonnez… le jeu… une passion malheureuse, deux mille louis que j’ai perdu sur parole, m’ont porté à un crime affreux : je venais pour enlever l’écrin de madame de M**. ; je n’ai pas consommé le crime ; épargnez un coupable jusqu’alors étranger à la perversité, et coupable par excès de délire et de déraison. Monsieur de M**., bon humain et prêcheur, fait un long sermon à Damis, lui promet le secret, et le conduit lui-même jusque dans la rue, où il lui répète encore : ne jouez plus, et pardieu soyez sage ; je serai discret, et même avec ma femme.

Nous terminerons notre soirée par cette anecdote vraiment curieuse, et demain nous continuerons, si vous y consentez, nos voyages, nos observations et nos récits.






§ X.

Ce qu’on n’attendoit pas.


Aimable et bienveillant lecteur, je t’amuse, j’en suis sûr, autant que mes collègues t’ennuient ; et si, trompé par les analogies ou abusé par une méprise, tu as pris mon livre pour un autre, et que tu l’ayes employé pour provoquer l’époque d’un sommeil trop lent, je gagerois qu’au lieu de ce repos cherché dans une lecture soporifique, tu as trouvé des sensations très-vives, de l’agitation, et peut-être… !

Au reste, si tout cela ne te convient pas, et que l’insomnie dont tu pourrois m’accuser te fatigue, aye recours à quelque bon journal, au Magasin dit encyclopédique, au Mercure, à l’Écriture sainte de Laharpe, au cousin Jacques ou à Dumoutier : si, au contraire, la variété de mes tableaux et de mes anecdotes te procure un plaisir qui puisse te faire oublier Morphée et ses pavots, suis-moi dans mes érotiques et plaisans récits, qui ne sont pas aussi fabuleux qu’ils en ont l’air, et qui intéressent plus d’un personnage circulant par le monde, sans songer qu’un Sylphe observateur aye pu révéler ses aventures.

Lorsque ce Sylphe eut réjoui Bel-Rose par son dernier récit, mon ami, lui dit-il, la belle saison touche à sa fin ; sylphe dans ce monde et diable dans l’autre, il faut que je remplisse ma double destinée : souffrez donc que je vous quitte pour quelque tems et que je me livre à un emploi sur la nature duquel il est inutile de vous instruire. Je vous rejoindrai dans les premiers jours du printems, époque à laquelle nous pourrons continuer nos observations ; en attendant, gardez cet anneau, et usez-en, si cela vous convient, pour quelques promenades nocturnes et bonnes fortunes qui pourront plus patiemment vous faire supporter les chagrins causés par mon absence. Lorsque le brillant de l’anneau sera dirigé de manière à vous être opposé, vous serez, comme nous l’avons été pendant tout notre voyage, entièrement invisible à tous les yeux ; élevé alors au suprême degré de la sylphirie, profitez de votre heureuse situation, donnez les plus jolis rêves, entourez la beauté de toutes les images du plaisir, et préparez long-tems et avec les plus voluptueux détails, les derniers momens du bonheur. Suivez en tout le législateur de Cythère, votre gentil Bernard qui a dit :

Mais redoutez, possesseur trop heureux.
L’excès fatal d’un tribut amoureux.
Qu’un salamandre en ses premiers vertiges,
Tombe énervé en contant ses prodiges ;
Un sage athelette au combat plus certain,
Retrouve au soir les combats du matin ;
Silène a but ; mais la soif qui lui reste
Surnage encor sur la coupe céleste.
Aimons ainsi ; l’amour doit avec soin
Laisser grossir le torrent du besoin.
Que le vainqueur, dans les courses d’Elide,
Arrive au but du pas le plus rapide ;

Qu’un amant soit pour remporter le prix,
Lent à la course, aux tournois de Cypris.
Dans mes plaisirs, c’est vous que je préfère,
Jeux suspendus, plaisirs que je diffère !
Durant un siècle, aux portes du desir,
Éternisons la chaîne du plaisir.

Que ces jolis vers, mon cher Bel-Rose, vous servent de plan de conduite ; au reste, je ne borne les avantages que vous donne le magique anneau que par une condition. Vous ne dérangerez personne, pas même un mari ; et le premier de vos exploits, celui qui vous ouvrira la carrière des faciles plaisirs, doit faire connaître à un cœur entièrement novice et virginal, les prémices du bonheur et de l’amour. Y pensez-vous, répondit Bel-Rose ; vous voulez donc me condamner au célibat jusqu’à votre retour ? Le diable sourit, mais ne changea rien à sa proposition : du reste, ajouta-t-il, si d’après mes conditions la carrière des plaisirs vous paraît trop difficile à courir, engagez-vous dans celle de l’observation ; profitant du talisman qui vous rend invisible, pénétrez dans tous les lieux les plus cachés, découvrez des crimes, des travers ; allez étudier l’homme dans ses retraites les plus impénétrables, et faites servir à son histoire plusieurs faits et anecdotes qu’il n’appartient qu’à un sylphe de connaître et de découvrir. À mon retour, je vous retrouverai avec des sens reposés et un esprit enrichi et perfectionné par de curieuses observations. Bel-Rose murmura, mais n’obtint rien du diable, qui partit en lui indiquant l’aurore du printemps, pour époque de son retour.

Que faire jusqu’à ce moment, et comment profiter du magique bijou ? Il falloit pourtant se décider. Bel-Rose prend son parti ; et plus pressé de jouir que de s’instruire et d’observer, il se décide à chercher le bonheur et l’heureux événement qui doit lui en ouvrir par suite toutes les voies.

Il tenta mille aventures, mais sans succès ; toujours des précurseurs, et des boutons entrouverts malgré la jeunesse et la fraîcheur de leur tige. Dans les temples, dans les lieux publics, sous le toit le plus modeste et sous l’éclat des lambris, depuis les faubourgs jusqu’à la chaussée d’Antin, le pauvre Bel-Rose, errant et voyageur, touchoit sans cesse à la coupe de la volupté, sans pouvoir s’y désaltérer : vingt fois, pénétrant dans le temple de l’hymen, il avoit choisi plusieurs beautés, et s’emparant de leurs charmes avant le moment où le nouvel époux devoit s’en rendre possesseur, il avoit cru, par cette précaution, lever enfin le sort jetté sur lui ; mais en vain. Badinages solitaires, jeux d’enfans, habitudes lesbiennes, leçons du valet-de-chambre, du coîffeur, du confesseur, préludes plus doux dans les transports d’un véritable amour, avoient plus ou moins frayé les voies de plaisir où notre Sylphe s’engageoit. Désespéré, il finit par croire que le diable avoit voulu le jouer, et qu’un pucelage n’était pas plus facile à trouver que la pierre philosophale ou le mouvement perpétuel. Contrarié par ces contre-tems, et n’osant pas même espérer de voir, comme Amanzei, terminer son martyre, il renonça à une recherche infructueuse, et courut le monde pour l’observer sans tous ces masques qui n’en laissent appercevoir que quelques reliefs fortement exprimés. Bel-Rose, profitant de l’influence de son anneau, fit donc des voyages secrets, dont, pour l’honneur de notre impériale espèce, je n’offrirai pas tous les résultats. Qu’il vous suffise, cher lecteur, de savoir que mon héros introduit successivement dans les plus secrets asiles, vit à nud, les intrigans, les ambitieux, les faux braves, les honnêtes gens qui raisonnent le crime et l’improbité, etc. Il visita aussi la coquette, la dévote, la courtisanne, et les grands établissemens consacrés au plaisir ; dans l’un d’eux il fut le témoin d’une scène qui excita bien plus son indignation que ses desirs, et semblerait faire croire que tous les exécrables tableaux de Justine ne sont pas tous d’imagination.

Bel-Rose avoit parcouru l’une de ces maisons, l’avait observée avec détail ; mais fatigué des émotions stériles et des desirs qu’avoient excités les tableaux variés du plaisir offert sous toutes ses formes, et avec tous ces rafinemens que nécessite la satiété : il allait partir lorsque sur la porte d’une pièce qu’il n’avait pas visitée, il lit cette inscription : secret et plaisir, la mort aux indiscrets. Il entre aussitôt dans cet asile si mystérieusement annoncé, et brûle de connaître quel peut être le genre de voluptés auquel il est consacré, sans pourtant oser espérer qu’il y rencontrera ce qu’il a déjà cherché avec tant d’ardeur. La pièce dans laquelle il se trouve lui présente une salle décorée d’une manière à la fois sinistre et voluptueuse, dont il ne peut soupçonner l’intention. Cette pièce était carrée et régulière dans toutes ses parties, tendue de noir et éclairée par une lumière réfléchie dont l’œil inquiet cherche en vain le foyer ; on y découvrait pour tous meubles, quatre grandes statues de marbre blanc et deux lits de repos, dont les teintes sombres et rembrunies semblent destinées à faire ressortir avec plus d’éclat la blancheur neigeuse de la beauté ; plusieurs glaces sont disposées de manière à multiplier les images du plaisir. En attendant que les scènes dont ce lieu paraît le théâtre lui soient présentées, Bel-Rose examine tout avec le plus grand détail : plusieurs gravures où la pureté du burin et la correction, du dessein se font également admirer, fixent son attention ; mais bientôt leurs différens sujets font naître sa surprise et son étonnement ; et en effet, ces chefs-d’œuvres étaient tous consacrés à retracer l’image de la beauté dans les pleurs, et voyant profaner et blesser ses charmes par tous les excès de la jalousie, du délire et de la fureur.

Ici, un amour qui semble caresser sa mère avec des fleurs, ensanglante ses charmes, et mêlant le corail à l’albâtre, fait pénétrer dans des rondeurs enchanteresses des épines que le perfide a cachées dans le bouquet de roses duquel sa main impie a frappé la déesse ; plus loin, mêlant les deux mythologies, l’artiste a représenté, de manière à se correspondre et à faire pendans, les dames romaines offrant leurs charmes entièrement nuds aux fouets lacérateurs de leurs prêtres, et de jeunes novices, dans le même état, frappant elles-mêmes à grands coups de discipline des beautés que la nature avait formées pour de plus doux emplois : la malheureuse Cadière n’avait pas été oubliée dans cette singulière collection, et l’œil, presque trompé, croyait encore la voir à genou, penchée avec abandon, et découvrant elle-même, pour le livrer à une verge stimulante, l’arrière-frontispice du temple de la volupté. Des scènes encore plus cruelles, des tableaux de déchirement et de douleur se mêlaient à ces différentes images, où les caprices et la fureur n’avaient pas entièrement obscurci les traits de l’amour et du plaisir. Ainsi, on voyait retracés avec choix, et comme décorations principales du temple où Bel-Rose se trouve introduit, les plus révoltans effets de ces traits empoisonnés dont l’amour dit à sa mère :

Enfin charmant les sens d’atroces barbaries,
En voici dont les dards brûlent ces cœurs affreux
Que tourmente l’attrait des plaisirs douloureux,
Et dont les voluptés de fureur enivrées,
Ensanglantent le sein des grâces éplorées ;
Un noir venin les trempe[3]........

Parmi ces différens effets d’un amour féroce et égaré, on distingue sur-tout les vengeances cruelles de Vulcain, les atrocités que Mercier retrace de la manière suivante, avec une magie de poésie vraiment rivale du pinceau :

Ah ! faut-il révéler ces horribles mystères
Dont Vulcain effraya les rochers solitaires ?

Dans l’antre où, plein de rage, il a traîné Cypris,
Les amours ont jetés de lamentables cris ;
La dryade des monts a frissonné de crainte ;
Éole soupirant a fait mugir sa plainte.
La déesse ignorait que d’un tigre en courroux,
L’enveloppe cachât son immortel époux.
Prêt à la déchirer, le monstre en sa colère,
Disperse, les débris de son deuil adultère.
Cent charmes que le crêpe avait ensevelis,
De désordre, d’effroi, de pâleur embellis,
Prêtent leur doux éclat à la tendre victime :
Ses soupirs, ses sanglots, le dirai-je sans crime ?
Du dieu changeant soudain les fureurs en plaisirs,
Allument dans ses yeux de féroces desirs.
Tout-à-coup il rugit, il s’élance et sur elle,
Roule d’affreux regards où sa flamme étincelle.
Déjà sa dent aigue et ses ongles sanglans
Ont insulté son sein et pénétré ses flancs.
En proie aux feux cruels de son époux sauvage,

D’un douloureux hymen elle subit l’outrage ;
Ses yeux, des doux plaisirs interprètes charmans,
Ses yeux n’expriment plus que d’horribles tourmens.
Tremblante, évanouie et de larmes baignée,
Nue, aux pâles rayons de Diane indignée,
Elle charme le tigre épris de ses douleurs.
Il gronde, mort, déchire et s’enivre de pleurs ;
Sa langue les recueille et flatte avec rudesse
Son beau col offensé de son âpre caresse.
L’immortelle succombe, et croit aux rangs des morts,
Voir la nuit de l’Erèbe, et le Stix et ses bords,
Et les tristes flambeaux des filles infernales,
Éclairant de son lit les voluptés fatales.

Bel-Rose observait avec une secrette horreur le tableau de ces malheurs de Vénus, lorsque la porte du lieu secret où son magique anneau a pu seul le faire pénétrer, s’entrouve sans bruit et se referme aussitôt avec précaution. Il voit alors paraître six femmes différemment belles ; et par le discours de l’une, qu’il n’a pas de peine à reconnaître pour la princesse du lieu, il découvre que les autres sont vouées à ses plaisirs, et que des fautes légères dont elles se sont rendues coupables, les ont forcées à venir subir un châtiment dont il va être le témoin. Sophie, Phrosine, Aglaée, Evelina et Flore, vous avez manqué, dit Me. Merteuil, (c’était le nom de la maîtresse du lieu) vous avez manqué aux réglemens de la maison où votre misère fut accueillie ; vous savez qu’elle peine vous est réservée : apprêtez-vous à la subir. Sophie, commencez ; et vous, Evelina, soyez l’instrument d’une vengeance dont vous sentirez les effets à votre tour. À peine ces paroles furent-elles prononcées, que Sophie se met à genoux, et soulève avec soumission les voiles qui cachent la partie postérieure de son corps ; alors une armoire, pratiquée dans l’épaisseur du mur, s’entrouve, et parmi les nombreux instrumens de cruauté et de plaisir qu’elle renferme, Bel-Rose voit Evelina saisir un martinet dont elle frappe sa malheureuse compagne, de manière à bientôt rougir et ensanglanter les aimables rondeurs qu’elle livre aux plus terribles coups. La femme barbare qui commande cette cruelle punition ne tarde pas à sentir les effets du spectacle qui lui est présenté. Des feux que les moyens ordinaires et naturels ne peuvent plus allumer, l’embrasent progressivement ; leur ardeur fait bouillonner son sang et change l’expression de ses traits : bientôt, gênée par la seule tunique qui la couvre, elle s’en débarasse ; et, affranchissant également de tous voiles ses esclaves infortunées, elle se réunit et se grouppe avec elles sur un des lits de repos, les caresse et les déchire tour-à-tour, saisit des mains d’Evelina le terrible martinet, frappe avec force les beautés éblouissantes dont elle est entourée, fait couler le sang sous ses coups, ses dilacérations et ses morsures ; et au milieu des pleurs, et enivrée, excitée par le spectacle de la douleur, elle arrive enfin à des accès de volupté dont l’énergie fait crisper ses cheveux et frissonner tout son corps agité d’une violente convulsion.

Fuions, dit Bel-Rose, ce lieu où, ne se bornant pas à un écart révoltant, une femme, à la fois dégradée et barbare, boit la volupté avec les pleurs, et allie deux extrêmes aussi éloignés, que les supplices et le plaisir. La scène affreuse dont je viens d’être le témoin, plusieurs de celles qui l’ont précédée, me font renoncer à mes projets d’observation. Je me remets sérieusement à la poursuite du cœur virginal et novice que j’ai déjà cherché avec tant d’ardeur.





§ XI.

L’attelier, les jeunes filles, les
confidences, le modèle vivant
et le petit sac.


Occupé de l’objet important de ses recherches et de ses vœux, mon héros fuyait à grands pas la maison de madame Merteuil, et déjà il avait marché près d’un quart-d’heure lorsque, se trouvant près du Louvre, il apperçoit deux jeunes filles qui dirigeaient leurs pas vers cet édifice où certain air, certaine physionomie font entrevoir qu’elles vont recevoir des leçons de peinture et de dessein. Bel-Rose les suit en concevant quelqu’espoir, et se rend avec les deux jeunes artistes à l’attelier ; mais à peine dans ce lieu, que de nouveaux sujets d’observation se présentent à la fois à son esprit. Il n’était jamais entré dans un attelier de peintres femelles, et sa curiosité ne l’avait pas encore porté à profiter de son bijou pour savoir ce qui peut se passer entre deux jeunes filles réunies dans une même enceinte, où quelques circonstances particulières provoquent les épanchemens, et l’abandon, et les révélations… Que de choses il apprit, et quel nouveau sujet de désespoir il entrevoit ! Jeunesse de quinze ans, air de candeur, première éducation, tout cela n’a pas empêché les intrigues amoureuses, l’essai, ou au moins le desir prématuré des plaisirs de l’amour ; et leurs rafinemens, leurs détails, mille choses dont le nom seul feroit rougir dans d’autres circonstances, sont l’objet d’une conversation où toutes les actrices paraissent apporter les résultats de l’expérience et du savoir le plus consommé. Bel-Rose distingue sur-tout la conversation suivante, qui pourvoit fort bien figurer dans l’académie des dames, et parmi les archives de la volupté. Les deux interlocuteurs sont Pauline et Rosa.

Rosa.

Ma chère Pauline, que je suis aise de vous voir ce matin. Nous sommes fatiguées de ce grand bal où j’ai eu le plaisir de vous rencontrer cette nuit ; causons pour nous délasser, et parlez-moi un peu de vos amours ; je vous ferai confidence pour confidence, et les momens se passeront, j’en suis sûre, avec une grande rapidité.

Pauline.

Mais, ma chère Rosa, mes amours, je n’en ai point ; et mon cœur…

Rosa.

Votre cœur ! lequel, ma chère, voulez-vous dire ? Votre cœur sentimental ? celui qui fait m’aimer et chérir votre frère, votre sœur ? mais ne seroit-ce pas plutôt celui dont Bouflers a dit :

Mais qu’est-ce qu’entendent ces dames
En nous parlant toujours du cœur ?
En y pensant beaucoup, je me suis mis en tête,
Que du sens littéral elles font peu de cas.
Et qu’on est convenu de prendre un mot honnête
Au lieu d’un mot qui ne l’est pas…

Ces deux cœurs, vous les avez donnés à la fois ; vous êtes discrette, et vous ignorez sans doute que parler de ces plaisirs passés, c’est les goûter encore, et se disposer à de nouvelles jouissances ; mais pour mériter toute votre confiance, recevez des preuves non équivoques de la mienne. Un peu plus âgée que vous, l’époque de mon début dans la carrière amoureuse est déjà loin de moi ; mais je veux vous faire confidence de ce qui m’est arrivé hier avec cet aimable et fou de Verneuil que bien connaissez. Il m’adorait depuis trois mois ; mais l’extréme sévérité de manière, cette duegne impitoyable qui me conduit ici et qui surveille toutes mes démarches, multipliait sans cesse les obstacles à des entrevues particulières et à un bonheur, objet constant de mes vœux, rendus plus fervens par tous les feux d’un tempérament auquel je ne pouvais plus résister. Un jour, je fus assez heureuse pour voir un instant Verneuil sans témoins ; mais les dangers nous environnaient, et d’ailleurs, ne voulant pas être le prix d’un premier combat, je fus forcée à me défendre ; quelques baisers brûlans, des caresses furtives qu’une main téméraire osa prodiguer à ceux de mes charmes que j’estime le plus, ce fut tout ; mais, vaincue par l’amour et par des protestations d’un dévouement absolu à mes volontés, je donne un rendez-vous pour le lendemain à Verneuil, chez un baigneur complaisant, où je lui permets de m’entretenir à travers la cloison du cabinet de bain que je choisirai, et dans lequel il aura l’adresse de se faire introduire. Le lendemain, ma duegne qui, heureusement n’avoit jamais vu mon amant, me conduit au lieu indiqué : je renvois mon importune suivante, et l’avertis que je resterai au moins une heure et demie dans le bain. À peine suis-je introduite dans le cabinet qui m’est accordé, que la voix de Verneuil se fait entendre, et que nous commençons un entretien pendant lequel je me prépare à me plonger dans l’onde. Une légère ouverture que j’avais apperçue dans la cloison, et à laquelle mon amant se tenoit attaché sans que je parusse m’en douter, devait livrer mes charmes à ses yeux enflammés, et dans lesquels mon imagination active me faisait voir l’expression la plus éloquente de l’amour et du desir. Je ne néglige rien pour accroître l’ivresse et les transports que je me sens disposée à partager : toutes les parties de mon ajustement sont enlevées d’une manière successive, et je calcule et combine mes attitudes pour réunir tous les avantages de la grace et de la beauté. Un chapeau très-large m’enveloppait et cachait une partie de mes traits, je l’enlève et je le remplace par un simple réseau ; la soie, qui voile ma jambe que vous savez être de bonne augure, et des jarretières, placées très-haut, sont également détachées ; ma tunique est entr’ouverte, je défais le fichu contre lequel Verneuil murmurait sans doute depuis long-tems, et j’offre à ses regards un sein dont sa vue n’avait jamais totalement découvert la blancheur et le contour ; ma tunique elle-même ; je m’en débarasse, mais avec lenteur, et dans son enlèvement j’ai l’occasion de faire valoir, par des mouvemens bien combinés, tous les charmes, objets du culte de mon amant : mon dernier voile me reste encore ; je vais aussi l’abandonner ; mais alors, me dirigeant du côté du bain, je le soulève à moitié, et, nouvelle Calipyge, j’offre à Verneuil le spectacle le plus séduisant, lorsque soudain une porte, qui faisoit partie de la cloison s’entrouve, et Verneuil, qui se précipite aussi peu chargé de vêtemens que moi, me prend entre ses bras, et malgré mes menaces et ma défense, me précipite sur un lit qu’il avoit fait préparer et qui devient pour moi le théâtre des plus inéfables voluptés.

Voici, ma chère Pauline, ce qui m’est arrivé ; et par l’intérêt avec lequel vous paroissez avoir reçu ma confidence, je suis loin de vous croire étrangère aux plaisirs de l’amour.

Bel-Rose, qui avait des vues sur Pauline, et qui avait osé espérer qu’elle romprait enfin le charme dont il étoit si cruellement la victime, attendait sa réponse avec une véritable anxiété. Ma chère Rosa, dit cet aimable enfant, j’ai soupçonné, désiré le bonheur dont vous m’avez présenté un si aimable tableau ; mais je suis entièrement vierge, ma bonne amie, et en vérité ce n’est pas ma faute ; j’en suis presqu’au désespoir. Tenez, écoutez mon histoire ; elle vous paraîtra peut-être plaisante, quoiqu’elle m’ait causé autant de dépit que de douleur. La voici : vous connaissez ce grand Florville ; qui fait la cour à maman ; un jour il déserta ses autels pour m’offrir son hommage. Je l’acceptai. De jolis présens, d’aimables entretiens, un encens qui me paraissoit aussi pur qu’enivrant, tout cela me séduisit ; et après avoir accordé mille faveurs successivement conquises ou méritées, je cédai aux plus pressantes sollicitations, et donnai un rendez-vous à 10 heures du soir, dans ma chambre, où Florville se rendit en quittant celle de ma bonne maman qu’il laissa profondément plongée dans les bras du sommeil. Depuis long-tems, ma chère Rosa, je trouvais ma couche bien solitaire, et ce ne fut pas sans frémir d’un tressaillement de plaisir que je sentis mon amant presser mon corps contre le sien et se glisser furtivement entre deux draps qu’une main heureuse et téméraire n’avait jamais écarté… Tout semblait, comme vous le voyez, présager pour moi la plus heureuse des nuits ; mais un génie malfaisant qui s’empara sans doute du pauvre Florville, vint s’opposer à mon bonheur, et en me laissant tous les feux d’Héloïse, mit à mes côtés un amant que le malheur d’Abeilard n’eût pu rendre ni plus froid ni plus langoureux. Au reste, Florville ayant jugé depuis que son avanture valloit la peine d’être transmise à la postérité, l’a rimée en très-jolis vers, comme vous allez en juger, et a donné pour un rêve plaisant une bien triste réalité. Alors Pauline tire d’un joli porte-feuille de maroquin verd un petit manuscrit ayant pour titre : le rêve impatientant, que nous jugeons convenable d’imprimer ici pour faire plaisir au lecteur : si, par hasard, et ce qui doit vraisemblablement arriver, les grands hommes, auxquels ce petit ouvrage est dédié, nous accusaient de plagiat et reclamaient, au nom des mânes de Dorat, par exemple, l’anecdote rimée qui va suivre, nous leur répondrions que, les prenant pour modèle, nous travaillons en marqueterie, et qu’à leurs dépends, aux nôtres et à tous ceux de qui il appartiendra, nous voulons amuser, et non mériter des lauriers et des regards d’Apollon. Revenons au petit manuscrit de Pauline. Le voici.

C’est Florville qui raconte lui-même sa véritable histoire, modestement présentée comme un rêve :

LE RÊVE IMPATIENTANT.


Vous le dirai-je ou non ? tirez-moi d’embarras.
Ce rêve est scandaleux, mesdames.
Vous m’arrêterez en tous cas,
Si le scrupule effarouche vos âmes.
Que dis-je, à quoi bon ces débats ?
Par le plus chaste nœud n’êtes-vous point liées ?
Je vous crois toutes mariées.
Non, vous ne m’arrêterez pas.
J’ai rêvé cette nuit, et je vous le confie,
J’ai rêvé… (jusque-là tout me paraît décent)
Que j’épousais une fille jolie.
Corsage leste et minois agaçant,
Petite main, petite bouche,
Pied si mignon qu’il eût rempli d’ardeurs
Le mandarin le plus farouche,

Étaient pour moi des augures flatteurs.
De ces petits détails l’image encor me touche,
Car je suis, j’en conviens, dégoûtés des grandeurs.
Le jour s’était passé comme un vrai jour de fête,
C’est-à-dire, assez tristement.
D’un avide regard dévorant ma conquête,
J’attendais toujours le moment…
Du coucher ? — pardon, oui, mesdames.
Vous devinez, vous lisez dans les âmes,
Et vous interprétez les vouloirs d’un amant.
Ne riez pas encor : croyez moi, patience.
Vous voyez, déjà l’innocence
Aux prises avec le desir,
Et méditant une défense
Qui meurt dans les bras du plaisir.
Je ne me pique pas, je dois en avertir,
D’une si grande diligence.
Remarquez avant, s’il vous plaît,
Une épouse tremblante, un amant inquiet,
Des amis convoitant les charmes
Dont je vais avoir le secret ;
Murmurant, chuchottant, observant mes alarmes,

Prévoyant d’une Agnès le timide embarras,
Les refus attirans, les aveux délicats,
Des curiosités, des terreurs et des larmes,
Une lutte amoureuse et d’aimables combats,
Du plaisir, de la peine, une pudeur secrète,
Et le triomphe et la débute,
Et tout ce qui s’en suit dans les premiers ébats.

Reste à réaliser ce qu’ici l’on soupçonne.
Minuit est déjà loin… Dieux ! quel instant fatal !
Nous voilà, tenez, j’en frissonne,
Dans l’appartement nuptial.
Peut-être en ce moment mon effroi vous étonne !
Mesdames, chacun sent son mal,
Et le mien n’en fait à personne.

La foule a disparu, les lustres sont éteints.
Le flambeau de l’hymen, qui tient lieu de bougies,
Laisse échapper ses rayons clandestins
Sur les graces d’Issé, par ses feux embellies.
Entre quatre rideaux, tête à tête charmant,
Aimable obscurité, voluptueux silence,

Voiles épars, droit de présence…
N’est ce pas que l’epoux doit alors être amant ?
Une certaine contenance,
Un je ne sais quel mouvement,
(Vous me voyez venir je pense)
Doit, dans une telle occurence,
Déterminer le sentiment ;
Il faut agir en conséquence,
Et c’est, je vous assure, un singulier moment.
Je tente les hasards ; mais, s’il faut vous le dire,
Je n’étais pas fort triomphant.
Le moyen ! avec un enfant
On craint bien plus qu’on ne désire.
Tant bien que mal je lui parle pourtant,
Et l’entretien est fait pour la confondre.
Aussi j’avouerai franchement
Qu’elle n’était pas autrement
Impatiente de répondre.
Elle articuloit tristement
Quelques demi-plaintes mourantes,
Puis quelques phrases défaillantes,
Puis quelques mots d’étonnement.
Moi j’étois stupéfait. Au défaut de l’ivresse,

Des transports ; du délire et du ravissement,
J’ai donc recours à la tendresse.
Je fais des madrigaux, j’exalte l’amitié,
La confiance intime et la délicatesse,
Les très-saints nœuds qui m’ont lié,
Les procédés de toute espèce…
Et tout cela faisoit pitié…
J’attendois, j’espérois, (il faut bien qu’on
espère)
Quelques gestes plus hasardés,
Quelque attitude cavalière,
Quelques traits un peu décidés,
Des révolutions et des moyens de plaire.
Rien. = Ah dieu ! quelle chûte !… rien ;
Plaisantez-vous ? quoi ? rien, mesdames :
Je le sais trop, ces traits-la sont infâmes.
À ma honte ici j’en convien ;
Mais glissons sur la circonstance,
Elle n’est pas en mon honneur.
Dans un lit, faute d’assurance,
Si l’on procède avec lenteur,
Dans un conte il faut qu’on avance.
Je saisis, je prends une main,
Voilà-t-il pas qu’on la retire ;
Je reprends un bras, on soupire,
Devroit-on soupirer en vain ?

Avec un ruban je me joue
Il est bon de tout ménager.
Je le dérange, il se dénoue
Sans que je paroisse y songer.
Combien de trésors il recèle !
Deux jolis globes arrondis,
Allans, venans, sous la main enhardis,
Et pour le coup l’ardeur étoit bien naturelle.
J’y comptois : une émotion,
Qui sans mentir avait quelqu’apparence,
Par degrés affermit mon ton,
Et me rend presque l’espérance.
Près du ruban je dérobe un baiser,
Et je guette toujours l’effet qu’il va produire ;
Madame aussi guêtoit… dépêchez-vous d’en rire.
Tout pour l’amour sembloit se disposer.
J’en suis presqu’au degré d’aimer à la folie :
Issé m’embrasse avec vivacité ;
Par mes pressentimens je l’avais attendrie,
Et bonnement elle se fie
À quelqu’espoir de volupté…
C’en est fait, je me crois à l’abri du reproche ;
Je me surprends un air, un assez bon maintien,

Et tout-à coup en vainqueur je m’approche.
Là… sérieusement… comme on s’approche… rien.
— Encor ? — encor. — Savez-vous bien, monsieur,
Que c’est aussi trop peu de chose ?
Que voulez-vous ? si l’on n’agit, l’on cause ;
Mais de causer, on n’étoit pas d’humeur.
Vous m’excédez ; permettez qu’on repose,
Me disoit-on avec assez d’aigreur.
J’entendois raillerie, et l’on en sait la cause.
À ce calme odieux, enfin,
Succède une juste colère,
J’écarte les rideaux : un reste de lumière,
Par un reflet moins incertain,
Me découvre Issé toute entière,
Et sa beauté confuse et mon humble destin.
Je m’obstine à vouloir réparer cette offense.
Peu content de toucher, je laisse agir les yeux.
Ma curieuse impatience
Contemple des appas dignes de l’œil des dieux ;
Cet albâtre animé que la pourpre nuance,
Des accords, des rondeurs, un ensemble amoureux,
Un coloris si frais, des contours si moëlleux,
Une si douce négligence !

Par l’objet s’émeut la puissance.
À cet aspect, vous vous en doutez bien,
Je ressens du desir la rapide influence ;
Mon espoir acquiert du soutien.
D’orgueil et de plaisir je palpite d’avance.
J’ose, j’entreprends tout, j’aspire à tout, et… rien.
— Finissez donc votre songe effroyable :
Quelle horreur que ce rêve-là !
Si vous veillez comme cela,
Vous devez être un homme insupportable.

Tout beau, mesdames, calmez-vous,
Chut. Quel que soit votre courroux,
Le cas en songe est graciable.
Sans trancher de l’homme brillant,
Avec moi la beauté n’est jamais compromise.
Quoiqu’on n’ait pas un sommeil très-saillant,
Au besoin toutefois on est encor de mise.
Avant de m’endormir mon amour très-parlant
Avait conduit Issé de surprise en surprise,
Et d’honneur (car il faut que je vous tranquillise)
Je ne fus point muet en m’éveillant.

Que je suis heureux ! dit Bel-Rose, après avoir entendu, le rêve prétendu de Florville, que Rosa lut à voix basse et en faisant parfois quelques commentaires. Chère Pauline, un Sylphe, et le Sylphe le plus amoureux, va te faire connaître cette nuit même, ce bonheur qui t’a échappé, et l’amant le plus passionné ne te quittera point sans t’avoir enivrée de tous les délices de plaisir. Comme il finissait ce monologue expressif que Pauline entendit en rougissant sans parvenir à deviner d’où il pouvait arriver, un grand mouvement se fit dans l’atellier, et toutes les jeunes élèves passèrent dans une salle voisine où elles devaient dessiner d’après le modèle vivant. Bel-Rose les suivit, impatient de savoir comment un tel apprentissage pouvait s’exécuter, et de quelle manière nos jeunes beautés contemplaient les formes dont le dessin devait exercer leurs novices crayons. Chacune se place de la manière la plus convenable ; des coups-d’œils malins, des propos très-lestes, des avertissemens et des renseignemens aux nouvelles initiées, des questions très-plaisantes de la part de ces dernières, etc. ; telle fut l’avant-scène à laquelle Bel-Bose prenait un très-vif intérêt, et qui durait encore lorsque l’Apollon à un écu par jour se place sur le piedestal, et développe une nudité générale, excepté pourtant dans une seule partie reçue modestement dans un petit sac dont l’aspect fait naître le rire inextinguible et provoque les élans d’une imagination qui serait sans doute demeurée oisive, tranquille sans cette grotesque et ridicule précaution. Bel-Rose resta encore quelques instans à contempler le singulier spectacle qu’il avait sous les yeux, et partit ensuite après avoir trouvé le moyen de se procurer l’adresse de sa Pauline… Le soir, à onze heures, il était dans son aimable séjour. Figure-toi, lecteur, un temple de la volupté en miniature : l’aimable enfant qui l’habite était déjà plongée dans les langueurs du premier sommeil. Bel-Rose, vraiment transformé en Sylphe, écarte ses rideaux, et, à la lueur d’une lampe de nuit dont il ranime la lumière presqu’éteinte, il contemple à loisir le tendre objet de son amour. Pauline était placée entre deux draps, et légèrement tournée de côté ; son amant, protégé par le magique anneau, entr’ouvre doucement le drap envieux qui la couvre, et bientôt, plus téméraire, écarte une tunique dont l’élévation bien ménagée livre à ses regards enflammés et l’ivoire de la cuisse la mieux arrondie et des reliefs enchanteurs de formes jumelles auxquelles il prodigue les plus ardens baisers. Pauline, qui se croit caressée par les douces illusions d’un rêve enchanteur, fait un léger mouvement, et sans se réveiller se trouve entre les bras de Bel-Rose qui, prolongeant encore les préludes du bonheur, attaque la bouche de son amante et le sanctuaire du plaisir par des caresses préliminaires et par ces chatouillemens précurseurs dont les parisiennes ont si grand besoin ; mais bientôt, emporté par ses bouillans desirs, il change la position de l’anneau, se rend visible, et, se montrant à Pauline effrayée : rassure-toi, lui dit-il, beauté, objet du plus tendre amour ! par une influence divine, par un mystère que rien ne pourra pénétrer, je suis entre tes bras ; ne crains que l’excès de mes feux et livre-toi avec sécurité à l’amour et au bonheur. Pauline, légèrement rassurée, veut pourtant se défendre ; mais l’éloquence de Bel-Rose, ses propres desirs, ces feux qu’il vient d’allumer par un exercice plein de charmes, tout la force à se rendre. Bel-Rose, sûr de son triomphe, se livre alors à tout son amour. Les voiles qui couvrent Pauline sont entièrement enlevés, et son corps touche celui de son amant par tous ses points. Dans ce voluptueux contact, et n’éprouvant d’obstacles que ceux dont le triomphe est le prix du premier plaisir, l’amoureux protégé du diable emploie toutes ses forces et parvient enfin dans l’enceinte étroite où jamais mortel n’avait pénétré, et dans laquelle son arrivée est à la fois la cause et le signal de tous les transports de la volupté. Depuis cette heureuse époque, Bel-Rose, fidèle pendant trois nuits à la chère Pauline, courut ensuite le monde, eut les plus singulières aventures, revit son cher Diable, continua avec lui son cours d’observation, et pourrait nous offrir dans les différentes circonstances de sa vie, des matériaux pour continuer cet opuscule, dont je renvoie la suite pour une meilleure occasion.







NOTES.




(1) Tous ces personnages sont célèbres dans les annales de Paphos. Lucrèce a commencé son poëme de la nature par une invocation à Vénus ; Laretin a décrit et peint toutes les manières de baiser : il les a réduites à quarante. Le révérend père Gérard est célèbre par la séduction de la Cadière, de laquelle nous aurons occasion de parler dans un autre endroit ; Murtius auteur espagnol, dont l’ouvrage est connu sous le nom d’Aloïsia Sigea Toletana, et a été donné en français avec le titre d’académie des dames qui lui convient.

Piron, qui ne connaît son ode à Priape ? Mirabeau, le rideau levé ou l’éducation de Laure, le libertin de qualité, l’ouvrage ayant pour titre, Bibliotheca eroticon, et quelques-une de ses lettres à Sophie, le font justement placer dans cette gallerie d’écrivains érotiques.

Le Poëte, c’est Desforges, qui sous le nom de sa propre histoire vient de nous donner un recueil d’anecdotes et de tableaux, qui en font un ouvrage impérieusement nécessaire dans un boudoir. Quand à Faublas, ce joli roman de Louvet, il ne paraîtra point déplacé dans cette bibliographie de Cythère.

(2) Ce docteur espagnol, c’est Sanches, qui a écrit un vol. in-fo. sur le mariage : plus profond que Laretin, ce théologien lubrique a retracé toutes les scènes, les caprices que peuvent inventer le besoin, la desir de jouir et de varier au gré des erreurs les plus folles, un acte que trop d’uniformité rend insipide à une certaine époque de la vie. Ce docteur Sanches pour se défendre de la chaleur de son sujet, écrivait, ayant le derrière entièrement à nud sur le marbre ; son imagination active et enflammée malgré cette cruelle précaution ne lui fesait trouver toutes les attitudes, positions, manières, abberrations et écarts que peuvent enfanter les desirs effrénés d’une jouissance que les moyens ordinaires ne peuvent plus faire prouver. On pourra juger du mérite érotico théologique de Sanches par les questions suivantes auxquelles il répond avec détail dans son in-fo. : elles sont extraites de Sanches, édition non mutilée ni corrigée ; les voici :

1o. Quelles sont les conditions physiques pour que l’accolade conjugale soit féconde et légitime.

2o. Dans quelle position doivent se trouver les époux pour f..... sans offenser Dieu.

3o. La femme peut-elle quitter sa position naturelle et se placer sur le mari.

3o. La femme peut-elle, pendant certains accidens, exciter son époux au plaisir de sa main caressante, comme dit Bertin, aux doux plaisir solliciter ses sens, et tourner au préjudice de l’espèce l’attrait donné pour la conserver ?

5o. Un mari doit-il, peut-il affranchir son épouse de tous les voiles qui la couvrent, et s’exciter par la contemplation de tous ses charmes ?

6o. Pèche-t-on en baisant sa femme en levrette ! etc. Vid. Sanches, édition indiquée depuis.

(3) C’est le nom du jeune écolier que Lesage fait voyager avec le diable boiteux. le cher Asmodée.

(4) Cet anneau de Gyges auquel j’invite le lecteur de faire grande attention, avoit entre les mains de son premier possesseur le pouvoir de rendre invisible.

(5) Le Sopha, un des plus jolis romans de Crébillon dont nous aurions dû ajouter le nom à notre petit catalogue d’écrivains érotiques. Le héros de ce roman devait rester sopha jusqu’à l’époque à laquelle il serait le témoin et le théâtre des plaisirs virginaux : Dieu sait combien il attendit et combien de fois il vit ses espérances trompées ; enfin ce fut deux jeunes amans bien novices qui terminèrent sa métamorphose, ou mieux qui en occasionnèrent une nouvelle en lui rendant sa première forme.

(6) Chaulieu a fait une ode adressée aux charmes[ws 1] qu’il chérissait le plus dans sa maîtresse, à ces charmes auxquels Vénus calipige dut le culte des grecs et son immortalité : aux fesses enfin.

(7) Cet ouvrage étant écrit pour les amateurs de toutes les classes et de tous les ordres : nous croyons devoir placer ici le morceau d’inspiration que fit Rousseau dans le cabinet de toillette de Julie : » Julie, me voici dans ton cabinet, me voici dans le sanctuaire de tout ce que mon cœur adore, le flambeau de l’amour guidait nos pas, et j’ai passé sans être apperçu. Lieu charmant, lieu fortuné, qui jadis vit tant réprimer de regards tendres, tant étouffer de soupirs brulans ; toi qui vis naître et mourir mes premiers feux, pour la seconde fois tu les verras couronnés témoin de ma constance immortelle, sois le témoin de mon bonheur et voile à jamais les plaisirs du plus fidele et du plus heureux des hommes.

» Que ce mystérieux séjour est charmant, tout y flatte et nourrit l’ardeur qui me dévore, ô Julie il est plein de toi et la flamme de tous mes désirs s’y répand sur tout tes vestiges, oui, tous mes sens y sont ennivrés à la fois…

» Toutes les parties de ton habillement éparses présente à mon ardente imagination, celle de toi-même qu’elles recèlent. Cette coëffure légère que parent de grands cheveux blonds qu’elle feint de couvrir, cet heureux fichu contre lequel au moins une fois je n’aurai pas à murmurer ; ce deshabillé élégant et simple qui marque si bien le goût de celle qui le porte ; au devant deux légers contours : ô spectacle de volupté, la baleine cède à la force de l’impression ! empreintes délicieuses que je vous baise mille fois… Dieux ! Dieux que sera-ce quand !… ah, je crois déjà ce tendre cœur battre sous mon heureuse main, etc.

(8) La cadière, dévote d’un tempérament trés-érotique, avoit pour confesseur et pour amant le père Gérard tout brûlant de luxure : pour envelopper ses plaisirs d’un voile impénétrable, il avait persuadé à sa pénitente qu’après s’être purifiée par des fustigations, dont il se fit exécuteur, elle serait pénétrée par le saint esprit. En conséquence, il se retirait avec elle, couvrait ses yeux d’un bandeau, et la faisant mettre à genoux, les mains appuyées sur un lit, il découvrait entièrement toute la partie postérieure de son corps et faisait pleuvoir sur tous ses charmes une grêle de coups de discipline dont l’effet secondoit merveilleusement le tempérament de la lubrique dévote : lorsqu’elle était arrivée au point de combustion où le caffard la desirait, il annonçait le saint esprit, baisait sa maîtresse en levrette, lui persuadait qu’elle était redevable au ciel du bonheur bien terrestre dont il l’ennivrait. Voyez cette scène, une des plus lubriques que je connaisse dans Thérèse philosophe, et dans le Poëte qui rappelle cette histoire de la Cadière, en parlant, avec le genre d’éloquence qui le caractérise, d’une estampe découverte dans le boudoir d’une dévote.

(9) Je veux parler de la toison d’or enlevée par les Argonotes dont le chef, le fameux Jason, fut protégé par Médée qu’il paya d’ingratitude.



  1. Cet Amanzei, par l’effet tout puissant de la métempsycose, fut tour-à-tour jeune homme, femme et sopha ; il resta avec cette dernière forme jusqu’à l’instant où il fut le théâtre des plaisirs, non encore éprouvés, de deux jeunes amans. Ce moment fut long-tems à arriver, et Amanzei conte au sultan les aventures dont il fut témoin avant le jour de sa délivrance.
  2. Les grands chanteurs italiens sont presque tous eunuques.
  3. Mercier. Les quatre métamorph. pag. 48.


  1. Note de WS : voir Google