Le Témiscamingue à la Baie-d’Hudson/Chapitre 1-1

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Première Partie


Coup d’œil Général sur la Région située entre le lac Temiskaming et la Baie-James.

Sol — Climat — Produits.

Chapitre 1er.

Sol

Sur cette vaste contrée, j’ai une idée fixe, l’avenir dira si je me trompe :

C’est ma conviction interne que tout le terrain situé entre le Lac Témiskaming et la Baie-James n’est qu’une prolongation des fameuses plaines du Nord-Ouest. Deux raisons surtout me portent à appuyer cette hypothèse, savoir :

1o La configuration du terrain, 2o la nature du sol.

§1 — Configuration du Terrain.

Une fois dépassé, je ne dirai pas même la hauteur des terres, mais la chaine des Laurentides, on entre jusqu’aux rivages de la Baie-d’Hudson, c’est-à-dire, pour des centaines de lieues au nord et à l’ouest, dans une plaine de glaise ou les montagnes n’apparaissent plus qu’à titre d’exceptions sous forme d’ondulations assez insignifiantes ou bien de pics isolés dans le genre du Mont. Royal ou de la Montagne de Belœil dans la vallée du Saint-Laurent.

Certes, je m’attends bien à soulever un cri de surprise et à ne pas me trouver en tout point d’accord avec les récits de bien des voyageurs, car j’en distingue trois catégories bien différentes, qu’il importe de faire connaître pour l’intelligence de cet ouvrage.

La première, celle des savants, amis du progrès dont le but est d’étudier et de faire connaître. Quoi que le missionnaire ait en vue une fin encore plus élevée que celle-là, il ne trouve cependant pas indigne de son sublime ministère d’allier l’une à l’autre en associant dans un même élan de charité, l’amour de Dieu et celui de la Patrie.

Mais, il est une autre classe de voyageurs beaucoup plus nombreuse : c’est celle des spéculateurs attirés par l’appât de la fortune, soit vers la traite des pelleteries ou le commerce du bois. Cette classe parle peu, parcequ’elle a des secrets à taire, ou plutôt des intérêts à sauvegarder par le silence.

Mauvaise enseigne, par conséquent.

De cette seconde catégorie, en ressort une autre qui s’appelle légion : c’est celle des aventuriers, qui louent leurs bras et leurs épaules pour l’exploitation du bois ou le transport des marchandises, pelleteries, provisions, etc., etc…

Cette classe connait peu, et comme conséquence, parle beaucoup et fort mal.

À ces derniers, il ne faut pas s’adresser pour savoir s’il y a des montagnes, car ils vous répondront invariablement : « C’est un pays ben “rough”, Monsieur ;… c’est effrayant de ce que c’est “tough”, ce n’est rien que des rapides, des roches, des crans à se casser le cou ! »

Pauvres gens il faut les plaindre, mais ne prendre à la lettre que juste la moitié de ce qu’ils disent. Pour eux rien de plus naturel que de trouver le pays tout à rebours. Peu enclins à la science, encore moins à la poésie, sans cesse en lutte avec les éléments déchainés sous forme de vents, de courants ou de rapides ; les pieds endoloris aux cailloux du portage ; la tête courbée sur la rame ou écrasée sous le paqueton, ils ne remarquent dans la nature que ce qui peut les faire souffrir. Pour eux cent milles d’eau paisible ne représentent que trois jours de galère, et une roche en travers du portage se transforme en montagne. En voilà assez pour qu’un pays soit condamné à tout jamais.

Dans les prairies du Nord-Ouest, les voyages sont faciles mais ennuyants : on trouve la prairie bien plate mais grande.

Dans la forêt on ne voyage guère autrement que par les lacs et les rivières : Haro ! donc sur les rapides et les portages. Si, quelquefois on s’ouvre un chemin à travers le bois, l’horizon, naturellement borné par les arbres, empêche de juger des distances ; monte-t-on sur une colline ? — ce qui frappe aussitôt le regard, c’est la plus prochaine élévation.

D’ailleurs, c’est une illusion commune à tous de juger montagneux un sol recouvert de forêts, à cause, peut-être, de l’habitude où nous sommes dans nos contrées civilisées de ne voir de bois que sur les montagnes, ou autres endroits impropres à la culture. Mais c’est aussi une matière d’expérience qu’avec le défrichement les aspérités du terrain semblent si fondre, s’égaliser sous le soc de la charrue, et là où on s’attendait à voir une montagne, “nascetur ridiculus mus.”

Aussi n’hésité-je pas à croire qu’au jour où auront disparu nos immenses forêts, nos petits neveux resteront stupéfaits de se trouver sur une plaine continue avec leurs frères du Manitoba, plus cette différence en notre faveur que nous avons l’eau limpide et le bois en abondance.

§II. — Nature du Sol

Voilà pour la configuration du terrain. Un argument non moins convaincant à mon avis, peut se tirer de la nature même du sol.

Ceux qui ont vu Manitoba et Témiskaming n’hésitent pas à reconnaître ici absolument la même nature de terrain qu’au Nord-Ouest.

Une glaise profonde de 20 à 30 pieds et au-delà, surchargée d’une épaisse couche de terre végétale, tantôt noire, moins souvent jaunâtre, mais toujours excessivement riche et friable. Dans les endroits moins élevés surnagent d’épais sédiments d’alluvion qui semblent indiquer le fond de quelques grands lacs aujourd’hui écoulés. Il est impossible de supposer rien de plus riche.

Mr Olivier Armstrong, ce vaillant pionnier de la colonisation du Pacifique Canadien et qui fait certainement autorité dans cette matière, m’a déclaré avec enthousiasme qu’il n’avait rien vu de plus beau depuis Manitoba jusqu’aux Montagnes Rocheuses.

Et ! bien, ce que je dis de Témiskaming, je l’affirme également de toute la contrée qui s’étend des deux côtés de la hauteur-des-terres jusqu’au delà du 52o parallèle, latitude d’Albani sur la Baie d’Hudson.

Tout ce parcours, qui est de 537 milles, ne serait peut-être que la largeur d’une zone de glaise bornée à l’Ouest par les Montagnes Rocheuses et qui se réunirait à l’Est au plateau du Lac St Jean.

Cette hypothèse m’est suggérée moins encore par mon expérience personnelle que par le témoignage collectif de tous mes confrères, les missionnaires oblats qui ont sillonné ces diverses régions depuis les glaces de l’Alaska jusqu’aux pics arides qui séparent le Labrador du versant oriental de la Baie-d’Hudson. C’est aussi l’opinion de Mr l’Abbé Proulx, ancien missionnaire de la Rivière Rouge qui, à la suite de sa Grandeur Mgr Lorrain fit avec nous cet été le voyage à la Baie-d’Hudson.

Les rapports des géologues sont ici d’accord avec les données des Missionnaires et tous sont unanimes à dire que les chaînes des montagnes n’occupent qu’une portion fort insignifiante des steppes de l’Amérique du Nord et que le sol y est généralement une glaise profonde et fertile.