Le Témiscamingue à la Baie-d’Hudson/Chapitre 2-6

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Chapitre VI.

Cinquième Zone.

La Vallée du Témiskaming

Pardonnez-moi, Monsieur le Ministre, ce n’est pas pour me plaindre, mais il me semble qu’en écrivant actuellement ces lignes, et que je salue encore une fois les rives de ce Témiskaming qui dès le premier abord, a su captiver mon cœur. C’est un sentiment dont je ne puis me défendre et que je ne saurais m’expliquer autrement que par la ressemblance que je trouve entre ce charmant lac et les rives de notre beau St Laurent où je suis né : « À tout cœeur bien né la Patrie est chère ! »

Si quelqu’un avait le droit de me blâmer de cette faiblesse, ce ne serait certainement pas vous, Monsieur le Ministre, qui avez pris à tâche de réaliser en vos discours et en vos œuvres la personnification vivante de l’amour du pays et du plus zélé patriotisme.

Aussi je sais qu’en vous dédiant ces lignes tracées pour la gloire et la prospérité de mon pays, je trouve en Vous un écho fidèle des sentiments qui m’ont engagé à entreprendre ce petit travail… et que tôt ou tard nous en verrons les résultats…

§I. — Les Quinze.

Il est temps de redescendre des Hauteurs. Cette fois-ci, tout nous entraîne. D’abord, le désir d’arriver ; ensuite la pente qui n’est pas petite 294’ en 15 milles.

Ne dirait-on pas une véritable muraille posée entre le Nord et la Vallée de l’Ottawa pour réfracter sur Témiskaming les chauds rayons du Midi. Aussi, quelle végétation s’empare subitement du sol. La nature est comme transformée tout à coup sous la touche d’une baguette magique.

Vous n’avez pas encore atteint le pied du premier rapide que déjà se dressent les chênes d’une soixantaine de pieds sur des troncs de trois pieds de diamètre. Puis voici l’érable, la platane et tous nos amis du St Laurent. Descendons encore. Le rapide mugit, les cascades succèdent aux cascades, les chutes s’engouffrent par dix chenaux divers, culbutant d’abîme en abîme comme ambitieuses de gagner qui arrivera la première…

C’est l’Ottawa qui descend à Témiskaming et qui dans son enthousiasme, semble vouloir renverser les montagnes… On a donné à cette série de rapides le modeste nom de Quinze, mais je crois qu’elle aurait été mieux baptisée « Légion ! »…

Enfin les échos se taisent, la pente s’adoucit et la rivière encore palpitante et comme essoufflée de sa course furibonde essuie ses blancs flocons d’écume et s’endort dans un lit moelleux… Elle a touché la terre de Témiskaming.

§II. — Témiskaming.

Parlerai-je encore de cette superbe région dont j’ai tant de fois raconté les merveilles aux oreille ennuyées d’auditeurs incrédules.

Plût à Dieu qu’à force de répétition, je parvinsse seulement à faire « ouvrir une porte » pour introduire la moitié de nos compatriotes qui reviennent des États-Unis, ou le quart de ceux qui veulent y émigrer. « Frappez et l’on vous ouvrira ! ». Me voici encore !!…

Le Paradis Terrestre.

Ce que je désigne ici sous le titre de région du Témiskaming comprend toute l’étendue des terres arrosées par le grand lac et ses nombreux tributaires. Ce qui fait une superficie d’environ 18,225 milles carrés. Le Lac Témiskaming qui occupe le centre de cet immense bassin est situé à 612’ au-dessus du niveau de la mer. Il mesure 75 milles de long et 10 milles dans sa plus grande largeur.

C’est peut-être le seul lac de cette étendue qui soit navigable sur tout son parcours pour les vaisseaux du plus gros tonnage tels que les plus grands steamers qui accostent aux quais de Montréal.

Aussi le lac doit-il son nom à son étonnante profondeur ( « témi » : profond et « agami » : eau. )

Le Paradis Terrestre de notre grand Père, était arrosé par quatre fleuves. Celui-ci compte six grandes rivières presqu’aussi considérables que l’Ottawa qui toutes viennent se jeter dans le Lac Témiskaming. Ce sont, d’abord l’Ottawa lui-même, puis la Blanche, la Loutre, la Rifrane, la Rivière Montréal et Métapidjiwan.

Tous ces grands cours d’eau traversent les terrains les plus favorables à la colonisation. C’est l’immense plaine de glaise dont j’ai fait mention au commencement de cet ouvrage. C’est la même espèce de terre qu’à Manitoba avec cette différence en notre faveur qu’elles sont bien arrosées et couvertes des plus belles forêts qui se puissent voir dans la Puissance.

Mieux qu’à Manitoba.

Faut-il aller si loin pour trouver des terres quand, avec un climat supérieur au Nord-Ouest, Témiskaming offre tous les avantages énumérés ci-dessus ? Terres incomparables, eau limpide, forêts inépuisables (servatis servandis).

Bois.

Le pin commercial est le plus abondant, viennent ensuite le cèdre, le chêne, l’érable, le platane, l’orme, le mérisier, le frêne, le bouleau, la pruche, l’épinette, le sapin etc… en un mot toutes les essences les plus recherchées.

Brûlés.

En certaines localités, comme sur la rivière Blanche et sur la Loutre des incendies ont abattu d’immenses portions de la forêt et j’estime à environ 75 milles carrés les terres qui ont été ainsi plus qu’à moitié défrichées par le feu ; comme pour inviter le colon à venir compléter une œuvre qui désormais lui coutera fort peu de labeur.

Ce qui paraitra incroyable à plusieurs, je l’ai vu de mes yeux et cela plus d’une fois : Des colons nettoyant jusqu’à trois arpents de terre par semaine. Et quand je dis nettoyé j’entends qu’il ne reste pas une seule souche, ni aucun obstacle au passage de la charrue. Quant aux pierres je n’en parle pas. Le Bon Dieu les a toutes réunies en superbes montagnes pour encaisser le bassin du grand Lac ; mais là où il y a de la terre, c’est de la terre et de la terre qui vaut au moins celle de Manitoba.