Le Talisman, morceaux choisis/Laisse-moi t’aimer

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A. Levasseur et F. Astoin, éditeurs — Giraldon-Bovinet (p. 89-91).


Laisse-moi t’aimer.


Quand tu souris en homme à ces tendres orages
Qui troublent dans l’amour de plus faibles courages,
Que j’aime, de ta voix démentant la gaîté,
Ce nuage qui passe à ton front attristé !

Après que je t’ai dit ma plainte tout entière,
Calmée à ton silence éloquent et rêveur,
Quand je sens tes doux yeux brûler sur ma paupière
Dis ! N’est-ce pas ton cœur qui regarde mon cœur !

Il m’éblouit de joie ! il endort mes alarmes :
Sais-tu de quel espoir il relève mon sort ?
J’y vois toute une vie, et je la vois sans larmes ;
Et je n’ai plus peur de la mort !


Toi, qui m’as seul aimée, écoute : si tu changes,
Je te pardonnerai sans t’imiter jamais ;
Car, de cet amour vrai dont s’adorent les anges,
Je sens que je t’aimais !

Et sans ton cœur, mon cœur comme un poids inutile,
Tel qu’en ce froid cadran palpite un plomb mobile,
De la nuit à l’aurore, et de l’aurore au soir,
Battra jusqu’au tombeau sans joie et sans espoir !
Et, j’en demande à Dieu pardon plus qu’à toi-même,
Je ne veux pas revivre où l’on dit que l’on aime,
Si tu dois y venir pour une autre que moi,
Et si Dieu m’y destine un autre ange que toi !

Le néant me plaît mieux ; son horreur me soulage ;
Te voir, ou ne rien voir ! hors toi, ne rien sentir ;
De toi, dont sur mes sens il imprima l’image,
Dieu me doit d’être aimée ou de m’anéantir.

Tu n’y peux rien changer. Ma vie est ton partage.
Jamais je ne t’ai vu sans t’aimer davantage ;
Et jamais, plus rêveuse en te quittant le soir,
Sans pâlir dans l’effroi de ne te plus revoir !

C’est que Dieu pour nos jours n’alluma point deux flammes
C’est qu’un même baiser fit éclore deux ames ;
Que partout où je passe en appelant ta main,
Le doux poids de tes pieds a creusé mon chemin.


Enfin, que ma pensée orageuse ou calmée,
Se dévoile riante ou s’enferme alarmée,
Comme on voit la cigale au front tremblant des blés,
Craintive, au moindre bruit tarir ses chants troublés,
Toujours teinte de ton image
C’est l’eau qui tremble et joue en mirant ton amour ;
Et si pour d’autres yeux, tes yeux ont un hommage,
C’est l’eau, l’eau sans reflets qu’abandonne le jour !

Toi ! me hais-tu ? Dis vrai ? t’ai-je offensé, mon ame ?
Dis ? quelque mot amer dans un pli de ton cœur,
Parle-t-il contre moi ta sœur, ta faible femme ?
Oh ! parle ! as-tu jamais compris une autre sœur ?

Non… J’ai froid d’y penser, tendresse inexprimable !
Ignores-en toujours les effrois douloureux :
Ne prends de mon amour que ce qu’il a d’aimable,
Et ne garde du tien que ce qui rend heureux !

Mais laisse-moi t’aimer ! Laisse-moi vivre encore !
Laisse ton nom sur moi, comme un rayon d’espoir ;
Mais dans le mot demain, laisse-moi t’entrevoir,
Et si j’ai d’autres jours, viens me les faire éclore.


Marceline Valmore.


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