Le Talisman, morceaux choisis/Le Bal

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A. Levasseur et F. Astoin, éditeurs — Giraldon-Bovinet (p. 116-118).


LE BAL


Heureux temps où j’aimais la danse pour la danse ;
Où, la veille d’un bal, durant la nuit, mes yeux
Voyaient demi-fermés se former en cadence
    Mille groupes joyeux !

Où mon réveil était un bonheur, un délire,
Où la première alors j’étais toujours debout,
Où mon cœur battait d’aise, où par un long sourire
    Je répondais à tout !

Où sans savoir encor, si j’étais laide ou belle,
J’ornais mes noirs cheveux d’une riante fleur,
Sans que mon front gardât, riant et pur comme elle
    Des traces de douleur !


Car j’ignorais alors que le Ciel à la femme
Eût dit : « Tu grandiras pour aimer et souffrir ! »
Et qu’aimer et souffrir fût même chose à l’ame,
    Et fît toujours mourir !

Heureux temps où mes pieds, dans leur folle vitesse,
Semblaient ne pas poser sur le parquet glissant,
Où mes regards, n’ayant ni langueur ni tristesse,
    Trouvaient tout ravissant.

Où je ne cherchais pas, jalouse et soucieuse,
Du regard un regard, d’une main une main ;
Où le bal le plus beau, pour mon ame oublieuse,
    Était sans lendemain.

Où jamais au retour, une pensée amère
N’ayant entremêlé de pleurs un court adieu,
Je m’endormais, donnant un baiser à ma mère,
    Une prière à Dieu !

Car j’ignorais qu’il compte et nos jours et nos larmes
Avant de leur donner de la réalité,
Et je n’avais alors, étrangère aux alarmes,
    De foi qu’en sa bonté !


Heureux temps, à jamais retranché de ma vie,
Jours, dont je garde encore un si doux souvenir ;
Oh ! que vous promettiez à mon âme ravie
    D’autres jours à venir !

Et que je savais peu, dans mon insouciance,
Que l’Amour se jouait de nous, comme l’enfant
Fait des fleurs qu’il rejette avec impatience,
    Et cueillait triomphant,

Que l’on m’eût dit alors : tu deviendras rêveuse,
Puis triste, toujours triste, et j’aurais ri long-temps,
Sans comprendre qu’on pût se trouver malheureuse,
    Plus de quelques instans !

Car ma jeune ame était paisible comme l’onde,
Sur laquelle un beau jour avant l’orage a lui,
Et souriait au monde, hélas ! tant que ce monde
    Pour moi n’était pas lui !


Madame Mélanie Waldor.