Le Talisman du pharaon/05

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Librairie Beauchemin, Limitée (p. 33-38).


V.

QUINZE ANS APRÈS


Quinze ans avaient passé…

L’instruction d’Yvaine ayant nécessité son retour en France, Pierre de Kervaleck s’était fixé dans son magnifique château ancestral.

Bâti au sommet d’une colline, la demeure du riche savant était vraiment princière.

Son parc superbe, dessiné sur tout le flanc sud de la colline l’ornait encore d’une longue traîne de verdure. Une belle route carrossable venait aboutir devant la somptueuse grille en fer forgé qui fermait l’entrée.

Les écuries donnaient asile à des chevaux de race ; dans le chenil aboyait une bruyante meute. Dans une volière, admirablement conditionnée, s’ébattait tout un petit peuple ailé. Grâce à un aménagement spécial, les oiseaux exotiques s’acclimataient dans cette volière où ils vivaient en quasi-liberté.

Une serre immense permettait la floraison continuelle des plantes les plus diverses.

L’intérieur de cette belle demeure n’était pas moins bien organisé. La moitié du vaste rez-de-chaussée avait été transformée par Pierre de Kervaleck en un admirable musée. Toutes les pièces rapportées des lointains voyages de l’explorateur étaient réunies et classées dans un ordre parfait, selon leur pays d’origine. On pouvait y voir des curiosités de presque toutes les régions de l’Afrique.

La salle égyptienne, surtout, provoquait, l’admiration des visiteurs. Sur un guéridon antique, l’amphore de Férid-Pacha occupait la place d’honneur et restait un des plus chers souvenirs du savant et de sa fille.

Pierre de Kervaleck était très fier de son musée, à l’organisation duquel il avait consacré les années qu’Yvaine avait passées loin de lui pour faire ses études. Ce n’est pas sans regret qu’il avait vu partir sa fille, mais il s’y était résigné, une demoiselle de Kervaleck devant avoir une solide instruction.

Mais l’absence d’Yvaine lui était si pénible que lorsqu’elle eut atteint sa quinzième année, il la ramena chez lui, et depuis, ils ne se quittaient plus. Il est vrai qu’Yvaine avait bien employé les neuf ans qu’elle avait passés au couvent, et Pierre de Kervaleck pouvait être fier de sa fille.

C’est dans ce milieu plein de riches évocations du passé qu’Yvaine atteignit sa vingtième année, ayant pour son père, qui l’adorait, un véritable culte.

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Un matin de printemps, Pierre de Kervaleck parcourait tranquillement la large allée bordée de marronniers en fleurs qui menait à la grille. Il était dix heures, le soleil clair rayonnait dans l’azur, une brise venue du large faisait frissonner le superbe feuillage des grands arbres. Simplement vêtu, ses abondants cheveux gris caressés par le vent, le savant jouissait de la belle matinée.

Il aperçut soudain, sur la route en pente douce, la bicyclette d’un petit télégraphiste qui se hâtait vers le château. Quand il vit le maître, le jeune employé des postes eut un sourire et pédala plus vite. Il remit bientôt à M. de Kervaleck un télégramme en échange duquel il reçut une large pièce blanche qui le fit rougir de plaisir.

Un peu soucieux, le savant décacheta le message et, à sa lecture, ses traits se détendirent. Il reprit vivement, par la longue allée, le chemin de la somptueuse demeure, l’atteignit, passa devant la serre, et à grands pas s’engagea dans le parc.

Un appel lancé d’une voix claire auquel répondit un sonore aboiement lui indiqua que celle qu’il cherchait n’était pas loin.

En effet, par un sentier de traverse, sa fille arrivait et l’heureux père contemplait la ravissante apparition.

Dans tout l’épanouissement de ses vingt ans, grande, bien faite, souple et nerveuse, Yvaine avait la grâce d’une belle plante robuste et saine. Sa lourde chevelure blonde, simplement coiffée, encadrait son visage à l’ovale parfait, éclairé de grands yeux bleu foncé, au regard sérieux et doux. Sa jolie bouche souriait, gracieusement, laissant voir des dents de nacre.

Quand la jeune fille aperçut son père, elle hâta le pas, escortée d’un grand chien lévrier arabe qui bondissait à ses côtés.

— Assez, Derba ! ordonna Yvaine, et le grand chien, obéissant, la suivit docilement.

— Yvaine, une nouvelle, s’écria le savant en agitant le télégramme, nous allons avoir de la visite. Ton cousin Hervé de Kervelen m’annonce son arrivée et m’affirme qu’il est impatient de voir mes collections !…

Le doux regard d’Yvaine s’était un peu attristé, mais se ressaisissant vite, elle avait repris son sourire pour répondre :

— Il sera le bienvenu, Père !… Allez-vous au-devant de lui ? reprit-elle après un silence.

— Certainement. Je vais faire préparer l’auto et je serai à la gare à l’heure du train.

Le père et la fille se dirigèrent vers le château. Pendant que Pierre se préparait, Yvaine monta chez elle.

Elle occupait, à l’aile gauche du château un appartement orné selon son goût. Un petit boudoir turc dont tout le meuble était authentique, précédait sa chambre, sa jolie chambre de jeune fille, fraîche et virginale comme elle. Yvaine s’approcha d’un petit bureau sur lequel elle prit une miniature, où le doux visage de sa mère lui souriait et qu’elle contempla longuement.

Ses lèvres se posèrent sur le portrait, et, tout bas, elle dit :

— Maman chérie, vous qui connaissez mon secret, vous me protégerez, n’est-ce pas ? Hervé de Kerleven va venir, mais il ne faut pas, il ne faut plus qu’il pense à moi, car, vous savez celui que je voudrais aimer !…

Elle replaça la miniature, ouvrit son secrétaire et sortit, d’un tiroir secret un dessin fait par elle-même, de mémoire, et qui représentait un enfant d’une dizaine d’années, aux longs yeux d’Oriental, légèrement bridés, au regard d’imposante fierté…

Et elle murmura, comme si le portrait avait pu l’entendre :

— Je n’oublie pas… Sélim…