Le Talisman du pharaon/10

La bibliothèque libre.
Librairie Beauchemin, Limitée (p. 56-59).


X

PREMIERS JALONS


La « Touraine » venait, d’amarrer… L’effervescence du débarquement se faisait sentir sur tout le magnifique paquebot, de l’entrepont, aux cabines de luxe où Yvaine et son père se tenaient, prêts à descendre.

L’explorateur prit courtoisement congé du capitaine avec qui il s’était lié pendant la traversée, et qui lui souhaita le succès.

Yvaine souriait, heureuse d’être revenue en Orient, dans cet Orient magique, plein de rêve, de lumière et de beauté.

Alexandrie, la ville fondée jadis par Alexandre-le-Grand, dont le phare célèbre était classé parmi les sept merveilles du monde, et dont la riche bibliothèque fut brûlée jadis, à l’ordre du Calife Omar, était familière à Pierre de Kervaleck.

N’ayant l’intention d’y séjourner que très peu de temps, le savant et sa fille ne firent qu’une installation provisoire.

Presque en même temps que la « Touraine » un paquebot battant pavillon allemand amarrait à son quai. Karl von Haffner était au nombre de ses passagers.

Et tandis que le savant français composait sa caravane, employait des porteurs, achetait des bêtes de somme, le tout au grand jour, Karl von Haffner parcourait les quais du port… C’est parmi les débardeurs qu’il chercha des compagnons.

Un après-midi qu’il rôdait non loin de l’endroit où un bateau marchand attendait son chargement, il remarqua deux hommes, deux Égyptiens bronzés, aux yeux bridés, au regard fuyant, dont la mine lui convint.

Il les appela, fit un signe, et les deux porteurs s’étant rendus à son appel, le trio se dirigea vers une boutique d’aspect louche où toutes sortes de boissons étaient débitées et dont les murs, les tables et les sièges sordides avaient dû être les complices de bien des ténébreux secrets.

Quand il fut retiré dans un angle, avec ses deux compagnons, Karl von Haffner commença l’entretien.

— Comment vous nommez-vous ?

— Ahmed, répondit le plus âgé des deux, dont la force accusait la pleine virilité de ses trente ans.

— Ali, dit le plus jeune, souple, félin, et qu’on devinait rusé comme un vieux renard, malgré ses vingt-cinq ans à peine sonnés.

— Voulez-vous gagner chacun une grosse somme, sans beaucoup de peine et sans aucun risque ? demanda à voix presque basse l’explorateur allemand.

Les yeux des deux fellahs étincelèrent.

— Oui, répondirent-ils.

— Vous me servirez fidèlement ?

— Allah nous entend !…

— C’est très simple, expliqua Von Haffner : Un archéologue français, Pierre de Kervaleck, doit entrer bientôt dans le désert pour rechercher un Talisman enfoui à l’époque des Pharaons. Il possède le plan de la cachette… Ce bijou antique, je le veux, il me le faut. Mais, pour en avoir la gloire, je veux en faire la trouvaille… Allez voir l’explorateur français, engagez-vous parmi sa troupe, gagnez sa confiance, dérobez le papyrus, et, comme je suivrai sa caravane à distance, il vous sera facile de me l’apporter… Vous serez richement récompensés… Acceptez-vous ?…

En même temps, l’Allemand glissait aux débardeurs quelques pièces d’or dont la vue alluma des flammes dans leurs yeux noirs. Ils se levèrent, saluèrent en touchant leur front, puis leur cœur, de la main droite, en inclinant la tête, et répondirent :

— Allah a entendu… Ainsi nous ferons, maître !…

Le rusé Ali envoya Ahmed offrir le premier ses services au savant français, car il avait compris qu’il valait mieux se présenter chacun à son tour, et qu’une fois engagés il était préférable de se fréquenter le moins possible pour détourner les soupçons dans l’avenir.

Ahmed admira la prudence d’Ali et partit. La force qui se devinait à son corps bien charpenté, à ses bras musclés, plut à M. de Kervaleck, qui, après les questions usuelles, auxquelles Ahmed répondit correctement, engagea le colosse égyptien.

Environ une heure après, Ali arrivait. Il n’avait pas la haute stature de son complice, mais on le devinait agile comme un chat, et vif, et souple… L’intelligence pétillait dans ses yeux noirs. Comme l’Allemand l’avait pensé, Ali aussi fut accepté.

Le savant breton versa à tous ses porteurs un mois de leur salaire. Aussi quand vint le soir, le cabaret borgne du port put-il compter parmi ses fidèles Ahmed et Ali, les âmes damnées de Karl von Haffner.