Le Théâtre-Lyrique/14

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LE THÉÂTRE-LYRIQUE

informations — impressions — opinions

xiv

Nous sommes à la veille des séances du conseil municipal, où le sort du Théâtre-Lyrique va se décider. Tout ce que nous avons trouvé à dire, nous l’avons dit ici, en faveur de cette fondation, à la fois d’utilité publique et d’utilité artistique.

On ne compte plus les candidats à la direction de ce théâtre encore à naître. Il faut se placer maintenant au-dessus des personnalités que l’on désigne, si intéressantes qu’elles puissent être et que réellement elles soient, pour considérer avant tout le principe qui va présider à la création du Théâtre-Lyrique municipal. Si un vote de nos conseillers consacre l’idée de cette création, sous quelle gorme en lira-t-on le résultat dans le Bulletin officiel ? Les destinées de ce théâtre seront-elles confiées à une entreprise privée ? Sera-t-il régi pour le compte de la Ville ?

Voici la formule qui nous semble répondre le mieux aux exigences de la situation et au prudent souci de l’avenir d’une œuvre tant de fois remise en question. Ce n’est ici qu’une conception idéale. Convenablement amendée, ne pourrait-elle devenir une avantageuse réalité ? Nous donnons à grands traits, vaille que vaille, cet avant-projet, ce programme, qui aura ses contradicteurs, mais certainement aussi ses défenseurs.

fondation d’un
THÉÂTRE-LYRIQUE MUNICIPAL

Il est créé, par la Ville de Paris, un Théâtre-Lyrique municipal destiné à la vulgarisation des chefs-d’œuvre de la musique dramatique et à la production d’ouvrages nouveaux de compositeurs français.

Son répertoire se composera des œuvres anciennes tombées dans le domaine public ou qui, non représentées depuis un certain nombre d’années à l’Opéra ou à l’Opéra-Comique, seront obtenues de leurs auteurs ou des ayants droits de ces derniers.

Ce répertoire s’augmentera annuellement des œuvres nouvelles dues aux auteurs français parmi lesquels l’administration, sans esprit d’exclusion d’ailleurs, s’efforcera de mettre en valeur les compositeurs lauréats de la Ville de Paris et de l’Académie des Beaux-Arts, à qui manque communément la facilité de se produire en public, nonobstant leurs succès dans les concours et le brevet obtenu de la Ville ou de l’État.

Des auditions d’œuvres non dramatiques, avec ou sans paroles, pourront alterner ou se combiner avec les représentations consacrées à la musique dramatique. Ces auditions permettront de faire connaître au public les grandes œuvres symphoniques de l’école française et, complémentairement, des écoles étrangères.

Le Théâtre-Lyrique municipal constituera ainsi une sorte de musée musical rétrospectif pour l’enseignement général et d’exposition annuelle pour les œuvres inédites des compositeurs nationaux.

Une école professionnelle pour les choristes, fera partie des services du nouveau théâtre. L’enseignement y sera donné par des professeurs spéciaux. Des concours périodiques y auront lieu pour le recrutement des chœurs, dont le premier groupe, au moment de l’organisation des services, sera constitué également par voie de concours.

Le Théâtre-Lyrique municipal sera installé dans l’un des immeubles appartenant à la Ville de Paris.

Il ne sera accordé aucune subvention fixe pour l’exploitation de ce théâtre.

La direction en sera rattachée aux services de la Ville, section des Beaux-Arts, et une somme à déterminer sera inscrite au budget annuel, pour les frais de cette direction.

L’administration du théâtre comprendra :

1o  Une direction artistique responsable. Tout le personnel professionnel du théâtre sera organisé et nommé par les soins de ce directeur.

2o  Un administrateur comptable et ses agents, nommés par la Ville de Paris.

Le directeur et le comptable auront à fournir un cautionnement en rapport avec l’importance des fonds dont le maniement sera reconnu nécessaire pour le fonctionnement courant des services.

Nulle dépense ne sera engagée ni soldée sans l’autorisation et le visa du directeur responsable.

Une commission supérieure sera chargée d’examiner les propositions du directeur en vue de l’exploitation du théâtre et les opérations du comptable.

Elle pourra se subdiviser en deux sous-commissions, l’une artistique, l’autre financière, dont la réunion formera commission plénière.

La commission plénière se réunira tous les mois, du 10 au 15.

Les comptes de la gestion du théâtre, pendant le mois précédent, devront être présentés à son approbation, avec pièce à l’appui.

Les sommes provenant d’un excédent de recettes seront versées à la caisse de la Ville. À cette même caisse seront acquittées toutes les dépenses autorisées, dont l’importance atteindra un certain chiffre à déterminer.

Dans le cas où les opérations du mois feraient constater un excédent de dépenses, la différence serait soldée au moyen d’un ordonnancement sur le crédit ouvert au budget.

Dans cette séance mensuelle, la commission examinera les propositions du directeur relatives au répertoire courant et les dépenses engagées ou à engager pour le service de ce répertoire.

Le directeur aura une complète initiative en ce qui concerne le choix des œuvres à monter. Mais il devra, pour chacune d’elles, dresser et faire approuver par la commission le devis des dépenses qu’elle exigera, lesquelles devront rester proportionnées aux ressources budgétaires.

Il aura toute liberté pour reprendre, en temps opportun, les œuvres déjà inscrites au répertoire et dont le matériel sera disponible, comme pour en produire de nouvelles en utilisant le matériel existant ; il aura par conséquent le droit d’employer, pour une pièce nouvelle, les décors et le matériel ayant déjà servi pour un autre ouvrage.

Tout ce qui a trait aux décors et aux costumes de service courant ou de premier établissement sera également à autoriser sur devis.

En vue de l’organisation définitive des services, préalablement à toute mise en train de l’exploitation du Théâtre-Lyrique municipal, le directeur nommé devra établir le budget fondamental du théâtre, en tablant sur une exploitation de dix mois au minimum.

Seront prévues au budget les recettes à provenir des recettes moyennes que le nombre et le prix des places doivent permettre de réaliser et les dépenses nécessitées par l’exploitation dont le caractère hautement artistique devra se maintenir digne d’une institution créée et entretenue par la Ville de Paris.

Ces dépenses seront aussi minutieusement détaillées que faire se pourra. Un des articles s’appliquera aux frais à prévoir pour une série de représentations gratuites, indépendamment des représentations à prix réduit, qui ne doivent pas être onéreuses pour le budget.

(Pour ces représentations gratuites, des billets seront distribués d’avance, par les soins de la municipalité, dans les écoles, institutions et ateliers. Les places disponibles après cette distribution seront occupées par les premiers arrivants aux guichets du théâtre. Un avis affiché en indiquera le nombre pour épargner aux derniers venus une attente inutile).

Après l’adoption de ce budget, la date de l’ouverture du théâtre sera fixée et le personnel de tout ordre entrera immédiatement en fonctions.

En fin d’année, un compte financier général sera produit et fera ressortir nettement le résultat de la gestion, qui ira du 1er  janvier au 31 décembre, replaçant ainsi le commencement de la saison théâtrale au début réel de l’exercice.

La durée de la première année pourra être réduite à huit ou six mois d’exploitation effective, si la date tardive à laquelle une résolution exécutoire pourra être prise et le budget voté exige cette réduction.

Le directeur recevra des appointements fixes, dont le chiffre est à déterminer, et des remises sur les bénéfices qui pourraient être constatés à la fin de l’exercice annuel.

Le comptable recevra un traitement fixe et une indemnité de caisse.

Les autres employés de tout ordre recevront des appointements fixes.

La section des Beaux-Arts de la Ville de Paris restera chargée d’assurer ou de surveiller l’exécution des décisions prises en ce qui concerne la fondation du Théâtre-Lyrique municipal.

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Il s’agit, en un mot, en cet exposé, d’une régie administrative qui doit, avant tout, sauvegarder les intérêts de l’art et ne pas faire du Théâtre Lyrique municipal une exploitation commerciale individuelle.

Il y aura, répétons-le, beaucoup de récriminations contre un tel projet, beaucoup d’arguments personnels. Il est possible que sa réalisation coûte un peu plus à la Ville qu’une subvention, qu’elle est disposée à donner ; il est possible également qu’elle lui coûte beaucoup moins. C’est affaire d’habileté, de prudente gestion… et de chance. Mais, on peut dire de Paris ce qu’on a dit de la France, qu’il est assez riche pour payer sa gloire.

Et il vaudrait mieux que le Théâtre-Lyrique ne fût pas, que si, cette fois encore, il devait être dans les conditions aventureuses où, naguère, sa restauration fut entreprise.

Une nouvelle tentative avortée le replongerait, pour toujours peut-être, dans le néant. Mais jamais l’occasion ne fut aussi belle pour donner à la Ville de Paris le luxe et l’honneur d’un théâtre bien à elle.

Louis Gallet.