Le Théâtre au Japon

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Le Théâtre au Japon
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 4 (p. 721-760).
LE
THEATRE AU JAPON

Les premières semaines de séjour dans un pays nouveau sont pour le voyageur des semaines d’enchantement; chaque objet qui frappe ses regards, chaque phrase qu’il entend, chaque incident de sa vie quotidienne lui est un sujet d’observations ou une source d’impressions nouvelles; chaque détail est curieusement consigné sur ce calepin si cultivé au début pour être quelquefois si négligé ensuite. Dans cette première période, c’est surtout le côté extérieur de la vie d’un peuple qui s’offre à l’observateur. Ses jugemens sont d’autant plus prompts que les choses lui apparaissent avec une trompeuse simplicité, a Au bout d’un mois de séjour en Angleterre, disait un diplomate, j’eusse écrit un livre; après dix ans, je n’ose plus écrire une lettre. » C’est qu’en effet mieux on pénètre dans l’intimité d’un peuple, plus on est assailli par des contradictions, dérouté par des inconséquences apparentes. A mesure que s’accumulent les mois et les années, on sent le doute succéder aux affirmations catégoriques confiées à la discrétion du carnet de voyage et la certitude faire place à l’hésitation. Si l’on veut alors se former une opinion définitive du caractère, des mœurs, de la valeur intellectuelle et morale d’une nation, ce n’est plus seulement avec les yeux et dans ses manifestations visibles qu’il faut l’étudier, c’est dans les révélations d’ordre plus élevé qu’on demande à sa littérature, à son histoire, à ses lois, à sa religion.

Au Japon, plus que partout ailleurs, cette étude est aujourd’hui nécessaire pour retrouver l’ancien peuple et la pure civilisation indigènes sous le vernis européen dont l’imitation à outrance a déjà recouvert, en les altérant, les hommes et les choses. Ce pays offre en effet un spectacle peut-être unique dans l’histoire, celui d’un peuple reniant de gaîté de cœur une civilisation antique et complète, brisant un mécanisme social d’une rare précision pour courir au-devant d’innovations parfois dangereuses, souvent irréalisables, comptant ses apostasies pour autant de victoires, et s’étendant lui-même sur un lit de Procuste pour se donner la taille et les allures de voisins qu’il traite encore tout bas de barbares. Ce n’est pas ici le lieu d’indiquer les promesses ou les périls de cette transformation hâtive et incohérente, ni d’expliquer les raisons qui la rendaient inévitable; notre objet est de saisir au passage, dans le naufrage où elles sont emportées, les épaves d’un monde qui va disparaître et de caractériser une race prête à se courber à son tour sous le joug universel de l’uniformité moderne.


I.

La littérature noble des Japonais n’offre dans son ensemble ni originalité ni inspiration. Plante exotique, elle n’a pu pousser qu’en serre chaude dans cette nouvelle patrie et n’y a pas prospéré. Des œuvres de longue haleine conçues dans l’esprit et rédigées dans les formes des maîtres chinois, des œuvres nationales qui ne réussissent pas à briser les entraves de la langue, une poésie singulièrement pauvre et maniérée, voilà le bilan de ce qu’on pourrait appeler le style académique. Aussi n’est-ce pas là qu’on peut se flatter de découvrir le véritable génie de la nation; mais nulle part plus qu’au Japon la séparation des castes n’a produit des courans opposés. Tandis que l’aristocratie se développait sous l’influence du mandarinisme, les trois classes inférieures, les paysans, les artisans et les marchands, demeuraient étrangères à ce mouvement. Fidèles à leurs vieilles croyances religieuses comme à leurs vieilles traditions, elles conservaient au Japon sa physionomie propre contre les envahissemens de l’esprit mongol, comme elles la lui conserveront encore longtemps contre l’engouement des mœurs occidentales. Ces classes pauvres, mais moins ignorantes que celles qui leur correspondent chez nous[1], eurent leurs instincts, leurs passions collectives, leurs légendes et leurs goûts particuliers, qui rencontrèrent leurs interprètes. Les œuvres nées de cette gestation populaire sont souvent restées anonymes, et ne nous parviennent sans doute aujourd’hui qu’après les retouches successives des générations, comme nos vieilles « chansons de gestes; » mais ce caractère même, à défaut d’autre indice, en révélerait l’origine nationale. Les genres auxquels elles appartiennent sont ceux qu’adopte de préférence comme plus accessibles l’imagination des masses, c’est-à-dire le théâtre, le roman, le conte, la fable. Interrogez un dignitaire du monde officiel, il vous parlera avec un sourire de dédain de ces productions sans valeur à ses yeux, et retournera dévotement à ses hiéroglyphes; il n’en est pas moins vrai que c’est là qu’il faut étudier le Japon pour le connaître. Laissons donc le docteur dans son cabinet et rendons-nous au théâtre.

Pour l’étranger, le spectacle commence avant même d’être entré dans la salle. La façade d’un théâtre se reconnaît facilement à sa hauteur tout à fait inusitée, à la petite loge en forme de grande hune qui le surmonte au centre et d’où le guetteur doit signaler les incendies, aux deux petits guichets très bas qui servent d’entrée et que surveillent deux caissiers accroupis, entourés de piles de petite monnaie. De larges bandes de toile brossées à grands coups de vermillon d’or et d’encre de chine représentent en grandeur naturelle les principales scènes de la pièce du jour. Cette affiche parlante ne change pas ici tous les jours, le répertoire n’étant ni très étendu, ni très varié. Les entrepreneurs jouent régulièrement pendant un mois de suite le même drame, après quoi ils passent à un autre, suivant les demandes d’un public passionné. Il y a plusieurs théâtres à Yeddo. Ceux de Shimabara et de Naka-Bashi, égarés au milieu de la ville, ne reçoivent qu’un public de hasard. La véritable fashion se rend de préférence à l’une des scènes d’Asaksa.

Il est difficile de nommer ce lieu célèbre sans entrer dans quelques détails. Si, après avoir franchi la porte du nord et l’enceinte de la ville, on remonte la rive droite de la rivière pendant 2 kilomètres, à travers des faubourgs populeux et animés, on arrive à un portique de pierre suivi d’un chemin dallé, qui donne accès dans une vaste enceinte peuplée de monumens religieux, temples, chapelles, pagode, bonzerie, sans compter une multitude de petites constructions d’un caractère infiniment moins sacré. C’est Asaksa. Là se donnent rendez-vous la dévotion et le plaisir, les vieux croyans et les jeunes libertins. Les diseurs de bonne aventure se mêlent aux marchands d’amulettes ou de prières tout imprimées qu’on lance en boulettes à la face de la déesse Quannon; à côté des somnambules qui vous renseignent sur les morts et les absens, on trouve les poupées géantes de cire et de bois; les ménageries font face aux tirs à l’arc, où vous invitent en passant des jeunes filles surveillées par des mères équivoques. Au-delà, on aperçoit une nouvelle ville, dont Asaksa n’est que l’annexe, c’est le Yoshivara, ce vaste enclos où de tout temps les Japonais ont cloîtré, installé, enrégimenté un vice qui dépare souvent l’aspect de nos capitales. Sur la droite sont les shibai-ya[2]. C’est dans ce quartier, où s’accumulent tous les plaisirs et toutes les tentations, que se font aujourd’hui les parties fines et les vulgaires orgies; c’est là qu’autrefois se réfugiaient les malfaiteurs traqués par la police, les ronines[3] à la poursuite d’une vengeance particulière, les amans malheureux que les romans nous peignent oubliant leurs chagrins dans la débauche. C’est là que se nouaient les intrigues amoureuses et les conspirations politiques, et que s’échangeaient les coups de sabre entre deux coupes de sakki. Aujourd’hui tout ce moyen âge s’efface; mais nous allons le retrouver en franchissant le seuil de la shibai-ya.

Ce n’est pas, comme à Paris, l’heure du dîner, c’est celle du réveil qu’il faut avancer pour se rendre au spectacle. Les représentations commencent à six heures du matin pour se terminer à huit ou neuf heures du soir, et l’on aura une idée du souffle des dramaturges et des spectateurs, si l’on songe que trois journées ne suffisent pas toujours pour l’exécution de certaines pièces. A peine le soleil est-il levé, qu’à l’appel du tambour une foule nombreuse et bigarrée se presse aux guichets. Ce sont des marchands qui ont pour ce jour-là fermé boutique, — des paysans basanés qui viennent alléger leur escarcelle avant de rapporter au logis le prix de quelque bon marché conclu la veille, — de petits fonctionnaires qui, sous le prétexte banal de maladie, se débarrassent pour un jour de leur service, — des artisans qui se donnent à eux-mêmes une journée de congé,— des gens du peuple, portefaix, bateliers et autres, qui viennent dépenser le gain de la veille sans avoir assuré celui du lendemain. L’étiquette défend encore aux grands dignitaires, aux lettrés, aux fonctionnaires de haut grade, de se montrer au théâtre : leurs femmes seules s’y aventurent incognito; mais la grande majorité du public est composée de familles endimanchées qu’escortent les enfans et les domestiques. Si pour les hommes il a suffi d’endosser un costume plus propre que leur vêtement de travail, quoique toujours très sombre, il n’en va pas de même pour leurs compagnes. C’est une grande affaire que la toilette d’une jeune fille (celle des femmes mariées est quelquefois plus négligée). Il a fallu la veille convoquer la coiffeuse et dormir le cou posé sur un billot de bois qu’on appelle makura, pour ne pas détruire ce savant échafaudage; puis il a fallu se lever bien avant la pointe du jour, et, après les soins de propreté ordinaires, se badigeonner le cou, les épaules, la poitrine et les bras d’un lait d’amidon qui produit de loin, — mais de très loin seulement, — l’illusion de la peau blanche, si enviée des Japonaises, puis foncer les sourcils au moyen d’un crayon noir, passer sur les lèvres une mince couche d’or qui au bout de quelques heures prendra la teinte du vermillon, enfin endosser les robes superposées et échancrées sur la gorge et s’enfermer dans l’obi, cette ceinture de soie large de 40 centimètres, longue de 2 toises, qu’on enroule autour des reins et qu’on noue par derrière en forme de gigantesque rosette. Il a fallu répéter tous ces soins pour les enfans, prendre un léger repas, faire une provision de friandises, enfiler l’incommode chaussure des guetta, puis prier très poliment « monsieur le traîneur de djinrikichia de vous conduire dans son véhicule jusqu’à la porte du théâtre, si toutefois cela ne lui donne pas trop de peine. » Enfin on arrive, on va prendre son billet, louer des coussins, acheter un programme illustré dans une maison de thé voisine, qui joue le rôle de nos bureaux de location; on s’installe dans sa loge, et de toutes ces fatigues il ne reste pas trace sur les visages. On y voit s’épanouir au contraire cette naïve ardeur de plaisir, cette inébranlable résolution de s’amuser dont les hommes et les peuples gardent le secret tant qu’ils sont enfans.

La salle comprend un rez-de-chaussée à quelques degrés du sol et un étage. C’est un grand quadrilatère éclairé par les fenêtres du haut, dont la scène, dissimulée par un rideau de toile, forme un côté; tout le rez-de-chaussée est divisé en petits carrés réguliers offrant l’aspect d’un damier et que, faute d’autre terme plus juste, nous appellerons des loges. L’étage supérieur contient les loges de pourtour, les plus recherchées, et un amphithéâtre où sont relégués les spectateurs les moins huppés. Au centre s’élève une petite estrade d’où une sorte d’inspecteur veille à l’ordre général et embrasse d’un coup d’œil toute la salle. Sur la gauche, dans une loge d’avant-scène, se tiennent le chœur et l’orchestre, composé de tambours, de flûtes et de guitares à trois cordes. Les musiciens, vêtus d’habits sacerdotaux en souvenir des premiers ballets consacrés aux dieux, ne cessent guère de jouer, soit pour égayer le public pendant les entr’actes, soit pour accompagner le récitatif pendant la pièce. Ce qui caractérise bien la placidité japonaise, c’est que 1,500 personnes peuvent écouter ce glapissement pendant douze heures sans qu’aucune donne le moindre signe de trouble mental. De chaque côté de la scène partent deux longues et étroites plates-formes planchéiées qui, à travers les loges du rez-de-chaussée et au même niveau, gagnent le fond de la salle. C’est le plus souvent par là que les acteurs font leur entrée, juste sous le nez des spectateurs. Cette disposition singulière permet même quelquefois de mener trois actions parallèlement, l’une à gauche, l’autre à droite de la salle, la principale sur la scène proprement dite. Elle donne de plus à l’artiste le temps de nous faire connaître, avant d’entrer en scène, l’état de son âme par une pantomime expressive. Les loges ne sont séparées entre elles que par une petite cloison de bois, sur laquelle un rebord posé en barre de T sert à la circulation silencieuse des gens de service. Cette circulation ne s’arrête guère; tantôt c’est l’ouvreuse qui apporte un coussin de supplément ou ranime le petit brasier, tantôt c’est un enfant endormi que sa sœur aînée emporte sur son dos ; les marchands de friandises bondissent sur un signe, et ne se font pas faute dans les entr’actes de crier leur marchandise avec ce ton nasillard si spécial à l’emploi.

Chaque loge contient 4 personnes, qui s’accroupissent de manière à se faire face les unes aux autres, ne regardant la scène que de côté. Au milieu d’elles est le petit brasier où l’on allume incessamment les petites pipes en cuivre; puis un plat de riz et de poisson ne tarde pas d’arriver avec les baguettes qui servent de couvert, les fioles de sakki, les tasses de thé, tout un arsenal de choses qu’à chaque instant on enlève vides pour les rapporter pleines. Malgré ces sujets de distraction, on accorde une attention assez soutenue à la pièce et surtout aux incidens visibles qu’elle présente, car de longs morceaux du chœur échappent par leur obscurité à la majeure partie du public. A l’entrée d’un de ses acteurs favoris, cette foule est électrisée. Des cris qu’aucune combinaison de consonnes ne parviendrait à rendre se font entendre çà et là, et se prolongent de proche en proche comme le bruit de la chute d’une pierre. Parfois, c’est une explosion générale et instantanée. Dans un drame que je vis représenter dernièrement, un samouraï[4] altéré de vengeance poursuit, le glaive au poing, son ennemi, dont il a forcé la porte : la tradition que ce drame reproduit veut que le samouraï perce à coups de sabre le paravent qui abrite la victime et passe au travers; l’acteur fit ce geste attendu de tout le monde avec tant de bonheur, sortit, la lame nue à la main, avec une telle expression de férocité, que ce fut dans la salle entière un délire, une tempête d’exclamations, et qu’il fallut, chose rare, interrompre la scène. D’ordinaire le public est plus calme, et, s’il sort de son indolence, c’est moins volontiers pour acclamer, — on ne connaît pas l’applaudissement, — les situations pathétiques que les acteurs en renom.

Quoique appartenant aux derniers rangs de la société, ces acteurs sont l’objet d’un engouement très vif; des amateurs passionnés les soutiennent souvent de leur crédit, leur ouvrent leur bourse et ne croient pas pouvoir payer trop cher le droit de fréquenter le foyer, — pourtant assez misérable, — où ils s’habillent. On en a vu quelques-uns qui ont été pleurés après leur mort par toute la population et magnifiquement enterrés par souscriptions. Le salaire fixe ne dépasse pas en général pour les meilleurs 1,000 rios (5,500 francs) par an; mais ils sont souvent associés par l’impresario aux bénéfices de l’entreprise. Quelques-uns jouent gratis et sans autre profit que l’avantage de se faire connaître du public.

Il ne paraît jamais de femmes sur la scène, et, quoique les hommes qui remplissent ces rôles n’aient pas, comme les Grecs, le secours du masque tragique, l’illusion, pour les yeux du moins, est. complète, grâce à l’ampleur des vêtemens et au développement de la coiffure, qui dissimulent les formes et amollissent les traits. L’organe seul les trahit : au lieu de la douceur remarquable de la voix féminine, l’oreille est écorchée par un débit, traînant et nasillard qui dissimule mal un gosier masculin.

L’art du machiniste est plus avancé au Japon qu’en Chine, et laisse bien loin derrière lui les grossiers agencemens du théâtre de Shakspeare. Si les décora pèchent, comme tous les dessins japonais, par la perspective, les accessoires du moins sont exacts et même empreints d’un caractère de réalité excessif. Les changemens à vue s’opèrent au moyen d’une plaque tournante, semblable à celles de nos gares de chemin de fer, qui embrasse toute la scène dans un demi-cercle antérieur : elle tourne à un signal, emporte avec elle tous les personnages, entre lesquels le dialogue semble continuer, puis vient présenter le demi-cercle opposé, où d’autres acteurs sont déjà en cours de conversation. Cette disposition vient très heureusement au secours de dramaturges inexpérimentés en supprimant la difficulté des entrées et des sorties. J’ai vu la plaque tourner cinq fois en une demi-heure pour nous transporter alternativement du rez-de-chaussée au premier étage d’une maison. Un autre instrument plus bizarre, c’est l’ombre. Je ne puis désigner autrement cet individu, tout de noir habillé et de noir encapuchonné, qui se tient derrière l’acteur, suit tous ses mouvemens et ne le quitte pas plus que son reflet. Il lui passe tous les accessoires dont il a besoin, lui tend un petit tabouret pour s’asseoir d’une manière dissimulée au lieu de s’accroupir incommodément sur les pieds; enfin il est un truc vivant et prévoyant. L’œil a besoin de s’habituer à cette forme noire qui se promène sur les planches; mais au théâtre tout n’est-il pas convention? Celle-là une fois admise, l’ombre rend de grands services, entre autres, quand le jour baisse, celui de tendre une chandelle au bout d’une perche sous le nez de l’acteur pour éclairer ses gestes et sa physionomie.

« Pourquoi, demandais-je à un acteur en renom, le célèbre Sodjuro, faites-vous de si grands éclats de voix et de si grands gestes dans vos rôles tragiques? Ce n’est pas ainsi, ce me semble, que parle et qu’agit un daïmio ou un soldat. — Non, me répondit-il; mais, s’ils se comportaient sur la scène comme tout le monde, qui pourrait reconnaître en eux des héros? » Cette réponse contient à la fois le secret de l’art scénique et celui de l’art dramatique des Japonais. Ils sentent confusément qu’au-dessus du niveau commun des passions humaines il s’en agite de plus fortes et de plus nobles qui appartiennent au domaine du drame, — qu’au-dessus de l’homme vulgaire et banal il y en a un autre qu’il faut découvrir et représenter. En un mot, ils cherchent l’idéal; mais c’est dans cette recherche même qu’ils s’égarent. L’extrême Orient, il faut bien le dire, n’a pas connu la beauté simple et nue des Grecs, apanage de la race aryenne; la conception du monde supérieur ne s’est jamais pour lui traduite que par l’informe grossissement du réel. Au-delà de la trivialité journalière, il n’a trouvé que le monstre. Il a cru faire beau en faisant énorme, — obtenir l’admiration en causant la stupeur et toucher par l’effroi.

Les acteurs renchérissent sur les auteurs en cette matière; ce n’est pas assez que les héros répandent leurs lamentations ou leurs fureurs dans d’interminables monologues, il faut que les interprètes les débitent avec une emphase et une exagération insupportables. La voix enflée et caverneuse tantôt s’élève, éclate et remplit la salle, tantôt s’affaisse et tombe dans les notes sourdes et gutturales, presque indistinctes. C’est moins une déclamation qu’une mélopée où l’harmonie imitative la plus maladroite remplace la diction. Les gestes sont à l’avenant. Le héros est-il en colère, ne cherchez ni Othello, ni même Triboulet : il écume, il rugit, il se démène, tombe épuisé pour se relever plus furieux, montre les dents, roule les yeux, s’arrache de vraies touffes de cheveux et se tord dans d’épouvantables convulsions, puis reprend encore haleine pour s’abandonner de nouveau au paroxysme de la rage. « Bien rugi, lion ! » semble s’écrier la foule, et forcément la toile tombe pour interrompre une pantomime sans conclusion, qui exténue l’acteur avant de lasser le public. Parfois au contraire l’arrivée d’un nouveau personnage fait rentrer en lui-même cet énergumène qui ne se possédait plus, et sans transition le voici qui reprend le dialogue sur un ton parfaitement calme, s’assoit, fume sa pipe et cause de l’air le plus naturel du monde. On prévoit déjà que la brutalité des détails correspond à celle du jeu. Si, dans les scènes familières, on boit, on mange, on fume, dans les scènes tragiques on feint de vraies blessures saignantes, on endure de vraies douleurs. La tête de l’ennemi mort roule infailliblement sur le sol ; toute agonie se prolonge, non pour prophétiser, maudire ou blasphémer, mais pour exhaler les plaintes d’une douleur toute physique. Il serait à souhaiter pour les adeptes de notre jeune école réaliste qu’ils pussent assister à ces exhibitions lugubres, comme les jeunes Spartiates à l’ivresse des ilotes; ils y verraient jusqu’à quel degré de fatigue peut conduire l’application illimitée de leur théorie. Cette fatigue est telle que, malgré la bizarrerie du contraste, les yeux et l’esprit sont pour ainsi dire soulagés par les pas cadencés, les points d’orgue et les mouvemens rhythmés, — dernière trace de l’origine chorégraphique du théâtre, — qui viennent de temps à autre interrompre les scènes les plus pathétiques.

On comprend du reste que cette mimique à outrance ne peut se faire supporter pendant toute une journée : aussi fait-elle place très fréquemment à des épisodes de franche comédie, d’une verve un peu prosaïque, mais d’une gaîté pétillante, joués avec un naturel parfait, qui font pâmer de rire le public, assez froid aux scènes tragiques. Cette partie du mélodrame a d’ailleurs l’avantage d’être écrite en langue vulgaire, accessible à tout l’auditoire, tandis que la tragédie n’admet que le grand style, inintelligible pour lui.

Pour un Européen, la première journée passée à la shibai-ya est une journée de lassitude, après laquelle en général il prononce qu’il n’existe pas plus d’art dramatique au Japon que dans nos baraques de la foire, et n’y retourne plus. Quand il a constaté la magnificence des costumes, l’odeur forte de la salle et l’incommodité des nattes employées comme siège, il se le tient pour dit. Si pourtant on prend la peine de se faire traduire les pièces les plus remarquables, si l’on tient compte de la parenté directe du théâtre avec le culte primitif et des conditions où il s’est développé, si l’on compare son histoire à celle de notre propre scène, on y trouve un fertile champ d’observations.


II.

Comme chez les Grecs, comme dans notre moyen âge, l’origine du drame au Japon est religieuse; ses débuts rappellent nos « mystères » célébrés d’abord dans les églises, transportés ensuite au palais et de là au théâtre. Au IXe siècle, sous le règne de l’empereur Hei-jo, la terre s’abîma dans la province de Yamato, près de Nara, et une fumée empoisonnée s’exhalant du gouffre répandit partout la mort. Pour conjurer le fléau, les prêtres du temple voisin eurent l’idée d’exécuter une danse emblématique sur un tertre gazonné situé devant leur sanctuaire. La fumée cessa de s’élever comme par enchantement, ce fut la consécration du drame. Aujourd’hui encore, en souvenir du miracle de Nara, cette même danse, appelée sambasho, précède chaque représentation. Un acteur costumé en vieux prêtre s’avance sur la scène, et, l’éventail à la main, exécute un pas rhythmé accompagné par le chant plaintif du chœur, qui rappelle dans une mélopée fort obscure la miséricorde des dieux sauveurs. Ici, comme partout, les légendes chevaleresques ont avec les miracles un berceau commun, et la danse propitiatoire qui suit immédiatement le sambasho est consacrée à la glorification de Yorimits, une sorte de saint George asiatique, vainqueur d’un dragon qui désolait jadis Kioto et avait même chassé le mikado de son palais.

Le contact de la civilisation chinoise transforma le théâtre, comme l’imitation de Sénèque et des auteurs espagnols transformait le nôtre quelques années plus tôt. C’est en 1624 que s’ouvrit à Yeddo, sur l’ordre du taïcoun, la première shibai-ya. Aux exhibitions sacerdotales succédaient de véritables poèmes dramatiques dont le sujet était toujours emprunté à l’histoire nationale, et dont le répertoire forme encore aujourd’hui une source de renseignemens précieux sur les mœurs du temps passé; mais le rapprochement avec nos mystères n’en devint que plus étroit et subsiste encore dans l’art moderne. C’est la même préoccupation de fidélité à l’histoire ou à !a légende, étrangère à tout plan de composition, la même recherche archéologique sans souci des caractères ou de l’action, le même soin minutieux à retracer les détails les plus insignifians, les réalités les plus triviales, à copier servilement le vrai aux dépens même du vraisemblable. L’auteur nous fait-il assister à la préparation d’une vengeance, motif ordinaire de ces épopées dialoguées, il s’attache à suivre son héros pas à pas, jour par jour, ne nous faisant grâce ni d’une conversation, ni d’un repas, ni d’un épisode conservé par la mémoire des hommes, ne nous épargnant aucun des hors-d’œuvre qui font languir le spectateur. Au bout du second acte, l’action n’est généralement pas plus avancée qu’à la fin du premier, ou, pour mieux dire, il n’y a pas d’action, ce n’est qu’une série de tableaux où les divers personnages exposent leurs sentimens tout au long. On attend vainement une de ces scènes si fréquentes sur nos théâtres où l’action se noue et se dénoue, et autour desquelles pivote toute la pièce.

Aussi ce qu’il faut aller chercher au spectacle, ce ne sont point ces émotions vives et poignantes qui font éclater chez nous des applaudissemens soudains quand l’auteur a touché juste, c’est plutôt le plaisir que produiraient des tableaux vivans représentant les grandes scènes de notre histoire. Qu’on suppose par exemple la vie de Jeanne d’Arc fidèlement racontée, de Domremy à Rouen, devant un public ému d’avance au souvenir de l’héroïne, suivant scène par scène une épopée nationale, et l’on aura une idée de l’impression calme et profonde que provoque le drame japonais chez ses auditeurs. Comme l’enfant qui ne se lasse pas d’entendre répéter par sa nourrice la même histoire et s’attendrit toujours au même endroit, le public se laisse volontiers toucher par des récits cent fois recommencés, et, loin d’exiger qu’on renouvelle les inventions, ne saurait souffrir qu’on lui changeât ses héros. De là la permanence des types, des situations et des données tragiques. Point d’intrigue qui coure à travers mille péripéties, point de passion qui se développe dans des situations diverses : des héros quelquefois multiples et des incidens sans relief dramatique. Tout dans Hamlet concourt à un but unique : une scène retranchée laisserait une lacune dans la peinture de cette âme tourmentée par le doute; rien n’est nécessaire dans une tragédie japonaise, il n’est guère de scène que l’on ne puisse supprimer sans nuire à la marche du drame. En un mot, des trois unités, de temps, de lieu et d’action, les deux premières sont aussi négligées qu’inutiles au fond, et quant à la dernière, qui nous semble si nécessaire, elle est complètement méconnue ou perpétuellement violée. La lutte du héros contre la destinée, où réside tout l’intérêt d’un vrai drame, s’interrompt tant de fois et traîne si lentement, elle s’émiette et se divise de telle façon que l’auditeur dérouté ne se soucie plus de personne. Un exemple rendra ceci plus frappant. Dans le drame de Tsiushin-guraï, le premier héros meurt; il est oublié au profit d’un second héros qui poursuit le même dessein, mais s’ouvre le ventre de désespoir et cède la place à un troisième.

Où donc est le mérite de ces compositions? Précisément dans la vérité des sentimens et la sincérité des détails et des mœurs. Tout se passe comme dans la vie. Le public n’a pas besoin d’être préparé aux surprises, parce qu’il n’y en a pas. Les passions suivent leur cours naturel selon les lois de la morale nationale officielle. On sacrifie sa vie et ses affections à sa vengeance; on poursuit son ennemi sans pitié ni trêve, on est magnanime dans la victoire, inébranlable dans la défaite, intrépide en toute occasion. Loin de s’appliquer à étudier curieusement le cœur humain pour en découvrir et en analyser les mouvemens secrets, l’écrivain se contente d’exposer dans leur nudité les mouvemens communs de la vie quotidienne, en s’astreignant à une certaine morale chevaleresque de convention. Les gens du peuple, les serviteurs parlent comme il sied à leur condition : la maîtresse d’auberge, du temps de Yoritomo, est bien la même qui vous a reçu hier et que vous reverrez demain. Cette justesse de ton et de mesure, si elle rabaisse l’art au niveau de l’imitation, le protège contre les écarts et le dispense des préparations nécessaires aux coups de théâtre. Si jamais une femme coupable paraissait sur la scène d’Yeddo, point ne serait besoin de nous indiquer à l’avance pourquoi le mari va lui pardonner : le mari la tuerait. On comprend dès lors de quel secours des peintures aussi fidèles sont pour l’histoire particulière des mœurs et quel intérêt peut y trouver l’étranger. On a déjà pu s’en rendre compte par l’étude publiée ici même qui reproduisait l’un des chefs-d’œuvre les plus populaires de la littérature nationale[5]. Une autre tragédie non moins goûtée du public, la Vengeance de Sôga, va nous offrir un intéressant mélange de tableaux héroïques et de scènes intimes.

Nous sommes transportés en plein moyen âge japonais, sous le règne de Yoritomo, au XIIe siècle après Jésus-Christ. Sorti d’une série de guerres civiles qui l’ont ensanglanté, le pays se repose enfin dans une prospérité générale. Le premier des shiogouns vient d’installer sa cour à Kamakura, au bord de la mer, à quelques lieues du Fusiyama, tandis que le mikado, délaissé à Kioto, tombe dans l’oubli et l’impuissance. Il survit bien dans les cœurs quelques ressentimens des anciennes discordes, car, on va le voir, les rancunes ne pardonnent point et ne s’éteignent guère que dans le sang; mais ce ne sont plus que des haines particulières et des vengeances privées qui s’exercent. On sait ce qu’est la vengeance dans toutes les sociétés où le désordre et l’anarchie énervent la répression des crimes, et toutes les fois que la puissance des grands leur assure l’impunité. Nulle part elle n’a pris dans les mœurs une place plus considérable qu’au Japon. On peut dire que cette passion unique remplit les annales du pays; elle est d’ailleurs plus qu’un désir, plus qu’un droit reconnu ; elle est un devoir proclamé par la loi naturelle, accepté par la loi positive. « Vous ne pouvez, dit Confucius, vivre sous la même voûte des cieux avec le meurtrier de votre père. » Les Cent-lois de Gongensama (article 52) distinguent entre la vengeance poursuivie publiquement ou secrètement.


« Quiconque a une vengeance à exercer doit le notifier à la cour criminelle, qui ne peut mettre ni empêchement, ni obstacle à l’accomplissement de son dessein pendant le temps départi à cet effet. Il est défendu néanmoins de tirer une grande vengeance, c’est-à-dire d’exterminer en même temps que son ennemi toute sa famille.

« Quiconque négligera de donner avis sera considéré comme ayant agi sans motif, et sa punition ou son pardon dépendra des circonstances. »


Voilà donc dans ce monde oriental, où l’amour n’a jamais, ni dans la réalité, ni dans l’art, pris la forme spiritualiste qu’il doit au génie chrétien, voilà la passion tragique par excellence, le thème sur lequel roulent sans exception les chefs-d’œuvre du grand répertoire. Si les autres sentimens interviennent, ce n’est que pour entrer en lutte avec celui-là, comme les élémens d’un contraste indispensable.

Quand on quitte l’ancienne résidence shiogounale de Kamakura pour se rendre dans le sud, on trouve au bout de quelques lieues la route barrée par ce puissant massif d’où se détache le Fusiyama, Ce n’est pas sans peine qu’on réussit à monter par une chaussée accidentée et empierrée de blocs désunis jusqu’à la passe d’Hakoné, véritables Thermopyles, où quelques hommes pourraient arrêter une armée, défendue autrefois par une forteresse dont on voit encore les assises. La beauté du paysage en a fait le site de prédilection des écrivains. C’est là que va se dérouler le drame. Le shiogoun Yoritomo y est venu, suivant l’usage annuel, chasser le cerf dans les montagnes, accompagné de tous les grands de sa cour, parmi lesquels le prince Kudo, jadis le meurtrier de Sôga, et maintenant le premier des généraux, chargé des fonctions de maréchal de camp pour la chasse qui va s’ouvrir. C’est du moins ce que nous apprend un premier colloque entre des valets de Kudo occupés à préparer l’étape où il va passer. Surviennent deux femmes qui questionnent les serviteurs sur l’heure où va arriver la cour. Ce sont des chanteuses de la petite ville voisine qui vont servir d’espions aux héros du drame. L’une d’elles, Tisats, aime sans retour Dosa, l’un des fidèles kéraïs (serviteurs) des jeunes princes de Sôga. Dosa paraît et ne tarde pas à rester seul avec la courtisane. Celle-ci le supplie d’abandonner ses deux maîtres, devenus trop pauvres pour le nourrir, et de jeter les deux sabres, insignes du samouraï, pour se faire marchand ou messager de la poste, afin de pouvoir l’épouser et reprendre sa liberté. Elle se plaint de son indifférence et s’écrie : « Votre froideur a une raison que vous me cachez, mais que je connais. Hier j’ai appris que votre maître Sôga avait une vengeance à poursuivre, et sans doute vous voulez mourir avec lui. — Oui, demain. — Eh bien ! puisque je n’ai plus qu’un jour à vous voir, il faut que je le passe tout entier auprès de vous. » Et elle essaie de l’entraîner ; mais c’est un strict devoir du samouraï de ne pas donner un instant au plaisir, aux joies du foyer, aux distractions les plus innocentes, tant qu’il n’a pas accompli l’œuvre de réparation qu’il poursuit pour lui ou pour son maître. Dosa fait donc une belle résistance, dont la longueur est destinée à nous prouver la force de caractère du kéraï. À bout de ressources, la guécha lui enlève son chapeau et s’enfuit en l’entraînant à sa suite.

Un instant après arrive Oniwo, un autre serviteur, frère de celui qui vient de sortir. Dans un long monologue, il explique ce que le spectateur sait déjà, c’est que les deux fils de Sôga, Goro et Juro, préparent la mort de Kudo, le meurtrier de leur père, en profitant de la chasse qui s’organise. Il a donné rendez-vous à Dosa et s’étonne de ne pas le trouver. Il a peur qu’il n’ait été retardé en chemin par les courtisanes qui encombrent les routes. — Cet étrange accueil que le voyageur, il y a quelques années, rencontrait partout et qu’il rencontre encore quelquefois, était une des énervantes distractions offertes par la politique des shiogouns à une noblesse inoccupée. — Oniwo est interrompu par un chien de chasse qui vient flairer et menacer un innocent petit chat. Il chasse l’animal à coups de pied. Aussitôt apparaissent quatre piqueurs qui lui demandent arrogamment de quel droit il ose frapper un chien qui appartient au prince Kudo. Ils reconnaissent en lui un serviteur de la famille Sôga, et l’insistance de leurs questions pour découvrir le lieu où se cachent les deux princes de cette maison prouve que Kudo est sur ses gardes. Ses gens ne veulent pas perdre une occasion de molester un ennemi de leur maître, et, tandis qu’Oniwo fait mille efforts pour contenir sa colère, non sans grimaces, et se réserver pour le grand jour de la vengeance, ils se mettent à le frapper; mais au même moment survient le jeune prince Inobumaro, le fils de Kudo, un charmant adolescent, qui seul, au milieu des passions sanguinaires déchaînées, fera entendre une parole attendrie. « Je suis chargé par mon père d’empêcher qu’on maltraite les voyageurs; laissez cet homme en paix. Si c’est un serviteur de Sôga, vous ne ferez qu’irriter ses maîtres contre mon père en le frappant. » Il emmène les piqueurs, qui s’inclinent devant la volonté du jeune homme. Dosa, qui rentre en ce moment, a compris tout ce qui vient de se passer. L’attitude de son frère Oniwo lui paraît des plus méprisables; sa fougue ne s’accommode pas de ces prudens ménagemens. « Il fallait dégainer, tuer ces hommes et leur jeune prince. — Et demain, qui nous eût vengés? » Le décor pivote sur lui-même et emporte les deux frères discutant encore.

Nous voici dans une gorge déserte aux environs d’Hakoné, au pied de l’idole gigantesque de Jizo. Des gens de mauvaise mine, des rabatteurs de gibier, se pressent autour d’un brasier en devisant sur la misère de leur condition quand paraît la belle Katakaë, sœur des princes Sôga et confidente de leurs projets. Elle et sa servante sont assaillies par ces hommes sinistres et menacées d’être enlevées. La servante s’enfuit en appelant au secours. Katakaë se prépare à se défendre (autrefois les femmes de la noblesse apprenaient l’escrime). Heureusement Oniwo arrive à son aide et met les brigands en fuite. Il lui raconte qu’il a obtenu un billet pour pénétrer dans le camp de chasse, et que tout semble promettre une prompte satisfaction aux mânes de Sôga. Décidément ce chemin est infesté; d’autres voleurs surviennent et sont encore repoussés. Dosa arrive à son tour, et, redoutant toujours que son frère ne soit pas prêt pour l’œuvre du lendemain, il veut le mettre à l’épreuve. Tous deux engagent une lutte d’escrime qui forme l’intermède chorégraphique indispensable dans chaque acte. Enfin les deux frères abaissent leurs bâtons en se félicitant réciproquement sur leur adresse et déclarant que des auxiliaires comme eux en valent mille pour les fils de Sôga. Une fois encore l’auteur tient à nous montrer combien la victime sera difficile à surprendre : deux de ses espions sont venus se cacher derrière l’idole de Jizo et écouter l’entretien. Ceux-ci en ont trop entendu pour échapper vivans; les deux samouraïs les égorgent, et la toile s’abaisse sur leurs deux cadavres. Voilà l’exposition terminée. Les spectateurs ne pourront pas se plaindre d’être mal informés, et les retardataires arrivés depuis une demi-heure en savent autant que les intrépides arrivés deux heures avant.

Le second acte est purement épisodique, mais il nous offre un tableau de famille assez émouvant pour soutenir l’attention. Il s’agit de savoir si Goro, le plus jeune des fils de Sôga, prendra part à la vengeance ou si son frère aîné Juro en sera chargé seul. Nous sommes dans l’antique demeure de Sôga, autrefois peuplée de nombreux vassaux et entourée d’éclat, aujourd’hui déserte et ruinée. L’aïeul des Sôga a été dépouillé par le père de Yoritomo, leur père a été tué par Kudo. A peine quelques serviteurs demeurés fidèles au malheur entourent la vieille Manko, leur mère, la femme forte, qui a nourri ses enfans d’un lait trempé de fiel. Deux campagnards, ses anciens tenanciers, viennent précisément lui apporter, en l’honneur du jour des morts, des œufs et des gâteaux, présent ordinaire des pauvres gens, et ces présens sont disposés sur l’autel préparé dans l’appartement pour les sacrifices à la mémoire du chef de la famille. Katakaë veut saluer sa mère en ce jour de deuil, tandis que ses frères et les kéraïs sont allés prier au tombeau de Sôga, d’où ils ne tarderont pas à revenir. Le dialogue des deux femmes nous montre l’accablement et la tristesse qui les obsèdent en un pareil jour. Il nous apprend un détail utile à retenir, c’est que la veuve est frappée d’un genre particulier de cécité; un voile lui tombe sur les yeux à la chute du jour.

Le troisième fils de Sôga, Zenzibos, survient. Son costume indique qu’il est prêtre. Son frère Goro, dit-il, a été repoussé par sa mère, parce qu’il n’a pas voulu embrasser l’état ecclésiastique et qu’il poursuit ouvertement sa vengeance sous le costume compromettant de samouraï. Il a arrangé une petite fable avec laquelle il espère convaincre sa mère des inconvéniens du vêtement sacerdotal. Il lui raconte en effet qu’il a été insulté par un marchand et forcé de manger de la chair contrairement à la règle de son ordre; s’il portait un sabre, cela ne lui fût pas arrivé. « Oui, mais si vous portiez un sabre, dit la mère, vous seriez forcé de vous en servir tout de suite, et mieux vaut attendre. » (Sortie de Manko.)

Le fils aîné, Juro, vient rejoindre la famille. On se demande comment obtenir la grâce de Goro, éloigné par sa mère, et la permission pour lui de prendre part à la vengeance. Le jeune Goro pendant ce temps use, dans le même dessein, d’un stratagème de sa façon. Stylée par lui, une femme de la cour, sa maîtresse, Shosho, vient, escortée d’un prétendu officier, saluer la vieille Manko de la part du puissant Hodjo, l’un des ennemis de Kudo, et lui offrir comme présent un costume de chasse pour son fils Goro, ajoutant que le daïmio qui l’envoie espère bien admirer le lendemain l’adresse de son jeune protégé, et joint à son cadeau un billet d’entrée pour le camp de chasse. Cette étrange messagère est reçue par les domestiques, elle va se retirer quand Manko, qui a deviné la ruse, paraît, la retient, lui inflige un long interrogatoire ironique et la force à confesser son nom et le subterfuge qu’elle a essayé. Elle la charge d’injures. Vainement les enfans l’entourent de supplications en faveur du fils égaré, a Que me parlez-vous de Goro? Je n’ai que trois enfans, Juro, Zenzibos et Katakaë. J’avais un enfant nommé Hakowo (nom familier de Goro); je l’avais mis dans l’église, il en est sorti sans ma volonté, il a pris une maîtresse que voilà... Je ne le connais plus. »

Goro en entrant a entendu ces dernières paroles. « Ma mère ne m’aime plus ! » s’écrie-t-il. On a peine à contenir sa fureur. « J’étais trop enfant lorsque mourut mon père pour comprendre les devoirs que sa mort m’imposait. On me fit entrer dans les ordres sans me consulter. En grandissant, j’ai compris que j’avais une autre mission à remplir; j’ai jeté la robe de prêtre et repris le sabre, ainsi qu’il convient à un prince, à un fils de Sôga. Maintenant, puisqu’on me rejette de la famille, puisque ma mère me défend de paraître à ses yeux et de suivre mon frère Juro à la chasse où il doit tuer Kudo, j’irai seul, j’immolerai mon ennemi moi-même, et, si je meurs, je mourrai vengé. — Enfant, dit la vieille mère en larmes, quand tu seras mort, quand tes frères auront péri, qui donc restera pour continuer le nom illustre de ton père et pour accomplir sur l’autel des morts les rites sacrés que nous accomplissons aujourd’hui? Respecte la volonté de ta mère et reçois ton châtiment. » Elle lève sur lui son bâton de vieillesse et s’avance en chancelant pour le frapper. La scène est solennelle. Nul n’ose arrêter le vénérable courroux de l’aïeule, et le guerrier agenouillé attend sans résistance que cette main débile s’appesantisse sur sa tête. Elle frappe. L’heure sonne, le jour baisse, et la pauvre femme, redevenue aveugle, est obligée d’emprunter le bras de sa fille pour regagner la petite chapelle domestique, où elle va prier.

Revenu de sa stupeur, Goro déclare qu’abandonné par sa mère, hors d’état de se venger, il n’a plus qu’à mourir. Il tire son sabre et va s’ouvrir le ventre, quand son frère Juro l’arrête et lui fait entendre à demi-mot que sa mère aveugle ne peut plus le distinguer d’un autre, qu’il n’a qu’à feindre d’obéir et à faire raser à sa place Zenzibos pour apaiser la colère de Manko et recevoir son pardon. On sait que les Japonais portent les cheveux très longs; raser ses cheveux pour se faire prêtre est donc un acte aussi irréparable qu’il l’était pour nos rois mérovingiens. Zenzibos, qui a pris son parti, se prête de bonne grâce à l’opération. On annonce à la mère la conversion de son fils, et on lui fait palper la tête rasée de Zenzibos, revêtu du costume de guerre que portait Goro. L’émotion est irrésistible devant ce tableau d’une naïveté toute biblique. « Enfin je retrouve mon fils, dit la mère, plus clairvoyante cependant qu’on me croit; pendant dix-huit ans, je vous ai tenu caché dans l’ombre d’un temple et vous avez cru n’être pas aimé; vous l’êtes, enfant, à l’égal des autres, mais il fallait vous sauver de vous-même et de votre propre impatience. Aujourd’hui je suis rassurée; vos torts vous sont pardonnés. J’ai depuis longtemps conservé, pour vous en revêtir au jour venu, les habits qui conviennent à votre nouvel état. Qu’on aille les chercher! » On apporte les riches étoffes; mais, ô surprise ! au lieu d’habits sacerdotaux, c’est un costume de guerre qu’elle offre à Goro. « Allez, quoique ma vue soit faible, je sais distinguer la vérité d’un pieux mensonge. J’ai tout compris. J’avais voulu vous soumettre à cette dernière épreuve; je sais maintenant quelle sera votre énergie. C’est moi qui vous envoie au combat, accompagnez votre frère à la chasse de demain, et que la grande ombre de Sôga soit apaisée par vous deux. » A leur tour, les deux serviteurs Oniwo et Dosa, revenus du tombeau, demandent aux deux princes la permission de les accompagner, Juro résiste. Manko leur permet de suivre ses fils jusqu’à leur dernière étape seulement. Avant la séparation, on verse le sakki à la ronde, la mère offrant tour à tour la coupe à chacun de ses enfans; mais il va falloir se quitter sans que la pauvre aveugle ait pu envisager à loisir son fils chéri. Elle veut du moins l’entendre, et Goro chante, en dansant un pas guerrier très élégant et très grave : «Dans le ciel, la lune brille comme un arc d’argent. — Semblable à la flèche, — ma vengeance portera aussi — mon nom au-dessus des nuages. » — Puis les deux princes et leurs kéraîs saisissent leurs armes, s’inclinent devant Manko et sortent. Soutenue par ses autres enfans, la mère essaie de les distinguer jusqu’au détour du chemin; à peine ont-ils disparu qu’elle fond en larmes. On baisse ou plutôt on tire la toile sur cette scène, à laquelle il ne manque qu’un baiser, chose aussi inconnue au théâtre qu’elle l’est dans la vie réelle au Japon.

Qu’on critique, si l’on veut, la lenteur de l’action, le choix des incidens et la minutie des détails, on n’en est pas moins forcé de reconnaître la justesse et la grandeur des sentimens. Est-ce à don Diegue, est-ce au vieil Horace ou à la mère des Machabées qu’il faut comparer cette femme, qui, résolue à voir périr son fils, a sourdement tout disposé pour en faire un vengeur, et l’envoie elle-même au combat, laissant son foyer presque vide?

Et ce fer que mon bras ne peut pas soutenir,
Je le remets au tien, pour venger et punir.
Va!...

Le troisième acte est consacré à la préparation de la vengeance. Nous sommes à la porte du camp de chasse où s’est enfermé Kudo — Scènes épisodiques. Juro vient examiner les abords du camp. Des gardes de Kudo le rencontrent, et, soupçonnant ses desseins, l’interrogent, lui arrachent son nom et le traitent avec insolence parce qu’il passe devant la porte de leur maître sans venir le saluer. Eux partis, Juro fait éclater sa colère; encore une fois il a fallu dissimuler devant ses mortels ennemis; mais patience, demain il n’aura plus à endurer leurs insultes. Une femme vient le trouver pour lui remettre, dit-elle, un billet de la part de Shosho, sa maîtresse; mais, au lieu d’une lettre, il trouve dans l’enveloppe une passe pour franchir demain l’enceinte réservée à la chasse. La messagère est une confidente. Elle lui offre de lui faire voir Kudo, afin que dans le combat ses coups ne se trompent pas d’adresse.

Nous sommes aussitôt introduits à la cour de Kudo par un changement à vue. Le puissant daïmio, entouré de femmes et de serviteurs, trompe l’ennui d’une journée de pluie en compagnie de Kadjuwara et d’autres seigneurs de ses amis. On échange des quolibets et des bons mots. En ce moment, on vient annoncer à Kudo que Juro est passé devant la porte de son camp et qu’une des femmes l’a invité à venir saluer le maître. « Qu’il entre, dit le prince; il a, je le sais, une ancienne haine contre moi à cause de la mort de son père, et je veux régler cela. » Juro pénètre au milieu de cette brillante assemblée avec toutes les marques ordinaires du respect. Il ne peut songer à exécuter son projet avant le lendemain. Ce n’est pas dans le groupe où il est assis que son bras irait avec succès chercher le cœur de son ennemi; encore une fois il faut feindre. Nous allons assister à une scène d’ironie qu’il serait curieux de mettre en parallèle avec celles du même genre qu’offrent dans notre théâtre Athalie, le Roi s’amuse et tant d’autres pièces. On va voir combien, sous les formes obséquieuses de la politesse japonaise, il peut se cacher d’insolence et de méchanceté. « J’ai beaucoup connu votre père, dit le daïmio, vous lui ressemblez d’une manière frappante. — C’est vrai, ajoute Kadjuwara, on dirait le même homme; est-ce qu’il vit encore? — Non. — Venez de temps en temps me voir, ajoute le seigneur, qui sait à merveille combien sa vue blesse Juro, vous me ferez toujours un vif plaisir. — Cet homme-là, dit une des femmes de la cour, a sa maîtresse parmi les femmes qui sont ici. — Vraiment? Juro, contez-nous vos amours. » Et comme il résiste : «Pourquoi les chanteuses, au lieu des grands seigneurs qui les couvriraient d’or, aiment-elles toujours de pauvres hères? » Après l’avoir pris longuement sur ce ton, Kudo finit par déclarer à son ennemi qu’il connaît ses projets, mais qu’il est trop bien gardé pour rien craindre, que mieux vaudrait donc y renoncer et entrer à son service. Juro, muet jusque-là, répond qu’il ne peut prendre un tel engagement sans consulter son frère.

bientôt les femmes, lasses d’entendre parler raison, demandent à grand bruit qu’on reprenne les jeux. « Je sais que vous dansez très bien, dit Kudo au fils de Sôga; faites-nous le plaisir de danser. » Vainement l’autre s’excuse. « Je jouerai moi-même du tambourin. » Les deux daïmios saisissent chacun un tambourin en forme de sablier, appelé sudzumi, tandis que Juro exécute une de ces danses symboliques appelées no, sur lesquelles nous aurons occasion de revenir. Il reçoit les complimens de chacun et se retire en promettant d’amener son frère.

Kadjuwara, resté seul avec Kudo, lui fait part de ses inquiétudes. Il a observé la danse que choisissait Juro : c’était celle de Rogêi, un Chinois qui rêva qu’il possédait l’empire pendant cinquante années, et à son réveil se retrouva pauvre et misérable. C’est une allusion au sort qui menace Kudo. Il faut désormais changer de chambre à coucher pour dérouter le fer d’un assassin. Cependant Kudo ne croit plus à ses soupçons, il a endormi par ses promesses la haine des frères Sôga, et, fût-il attaqué chez lui, il est encore trop bien défendu pour rien craindre.

La plaque, tournant sur elle-même, nous fait pénétrer dans l’auberge où logent les deux frères Juro et Goro et leurs serviteurs, Oniwo et Dosa. La pénurie des maîtres est telle qu’ils n’ont pu payer l’aubergiste; celui-ci réclame vainement son argent quand survient Juro, escorté par un des soldats de Kudo en état d’ivresse apparente. « Je pourrai bientôt vous payer, dit notre héros; j’ai obtenu la protection du puissant Kudo, et, grâce à lui, je serai riche.» À ce nom redouté, l’hôtelier s’incline; mais les deux kéraïs ne peuvent contenir leur surprise, et, devant le soldat ivre qui s’est endormi sur le plancher, ils demandent à leur maître l’explication de ce brusque changement. Celui-ci, continuant de feindre, les laisse s’indigner, et, tout en leur promettant de les enrichir à leur tour par le crédit de Kudo, il s’endort. Le soldat se relève alors et court lestement dire à ses chefs ce qu’il vient d’entendre, c’était un espion.

Arrive Goro. Juro lui raconte l’emploi de sa journée et la dissimulation qu’il a dû employer. Tout est prêt pour cette nuit. Les deux serviteurs aux écoutes reconnaissent que leur maître est resté fidèle à sa haine et à son devoir. Ils demandent la grâce de suivre les deux princes à la mort. La scène est très belle et très attendrissante. « Vous avez, disent les deux Sôga, d’autres devoirs à remplir : il faut soutenir la vieillesse de notre mère. — Zenzibos et votre sœur sont là pour la soigner; mais qui nous remplacera pour vous aider à tuer le meurtrier de Sôga, Sôga qui jadis nous a comblés de bienfaits? » Restés seuls sous le coup d’un refus, les deux braves compagnons pleurent amèrement. Enfin Oniwo prenant la parole: « Puisque nous avons, dit-il, deux devoirs opposés, que l’un retourne auprès de notre maîtresse et que l’autre accompagne les maîtres. Moi, je reste avec eux, allez à Sôga. — J’allais vous proposer l’inverse, dit Dosa; partez, je reste. » En voyant qu’ils ne peuvent s’entendre, leur accablement redouble. Après avoir tant attendu, tenir l’occasion et la laisser échapper! Placés entre l’infidélité à leur maître mort ou la désobéissance à ceux qui vont mourir, ils n’ont plus qu’à sauver leur honneur par un suicide et se préparent à s’ouvrir le ventre quand leurs princes rentrent et les arrêtent. « La fidélité consiste non pas seulement à mourir, mais à savoir accomplir tous les genres de sacrifices. Vivez pour consoler notre mère. » Les deux kéraïs se laissent enfin persuader. Le moment des adieux est venu : on devine ce qu’ils sont. Oniwo et Dosa se chargent de porter à Manko les dernières paroles et les dernières reliques de ses deux fils, leurs arcs, leurs flèches, souvenir de leur enfance, dont ils n’ont plus besoin pour l’œuvre ténébreuse vers laquelle ils marchent. L’heure sonne. Le temps est venu. « Allons, c’est trop tarder ! nous ne pouvons pas vivre sous le même ciel que l’ennemi un jour de plus. » Et c’est sous l’invocation du précepte sacré que les fils de Sôga s’élancent vers le camp de Kudo.

Nuit sombre; près du camp de Kudo trois femmes. Confidentes de la vengeance, elles ont enivré la garde, ouvert les portes. Les deux héros arrivent; ils ont déjà pénétré dans le camp; le carnage va commencer. — Jadis on assistait dans la représentation de ce drame aux scènes de meurtres qui se passent dans le camp. On voyait les deux frères poursuivre, la torche à la main, leur ennemi hors d’haleine et l’immoler. Depuis quelque temps, la censure, — si le mot peut s’appliquer ici, — a défendu ces exhibitions sanglantes comme propres à entretenir de mauvaises passions dans les cœurs. Ce n’est pas le lieu de rechercher ce que peuvent y gagner les mœurs; mais ce qu’y perd l’art dramatique, c’est son caractère original empreint de la brutalité de l’époque qui l’a vu naître. Entre ces tableaux de meurtre et celui qui va suivre, il eût été curieux de saisir au théâtre un contraste qui frappe dans la réalité. Par tempérament aussi bien que par suite d’une longue éducation, les Japonais sont doux et polis; mais, que les passions guerrières ou les nécessités politiques réveillent en eux ce qu’il y a du tigre au fond de tous les hommes, on verra leur fureur devenir aussi sanguinaire que leur flegme était pacifique, leur loi criminelle aussi barbare que leur administration en général est paternelle.

Le dernier acte du drame contient au contraire l’expression la plus haute de ces sentimens chevaleresques qui ont fait la gloire de l’aristocratie militaire et la popularité de ses héros : le souverain mépris de la mort, le respect du courage malheureux, la clémence envers l’ennemi terrassé, le dédain envers les vainqueurs tout-puissans. La mémoire populaire est pleine de ces réponses énergiques, parfois jusqu’à la grossièreté, comme il nous en revient des champs de bataille. « Rendez-vous, crient les Coréens à un général enfermé, comme le dernier carré de Waterloo, dans un cercle d’ennemis ! — Venez goûter la chair de mes fesses ! » s’écrie le héros en tombant percé de coups.

En réalité, pour nous, l’action est terminée. Il s’agissait de tuer Kudo. Qu’on nous montre le meurtre, ou qu’un serviteur vienne nous en faire le récit, et tout est dit ; mais il n’en va pas ainsi pour le public de Yeddo. C’est une biographie qu’on lui doit ; il la lui faut complète, et que pas un mot historique n’y manque. — Dans une salle du camp de Yoritomo, des hommes d’armes s’entretiennent avec Kadjuwara, chargé d’une enquête sur les crimes de la nuit. Non contens d’avoir immolé Kudo, les deux frères ont pénétré chez le shiogoun et ont essayé de le tuer à son tour. Juro est mort dans la lutte, Goro a été fait prisonnier par un chef des gardes nommé Gummaru, et on l’amène chargé de chaînes. « Pourquoi le tenez-vous vous-même ? s’écrie brutalement Kadjuwara, la lâcheté triomphante, — n’est-ce pas affaire aux soldats ? — Non, répond Gummaru, Goro est de sang princier, et ses chaînes ne doivent pas être portées par un simple garde. — Lève la tête, » dit Kadjuwara au prisonnier, et, comme le malheureux ne peut soulever ses chaînes : « Ah ! tu n’oses pas montrer ton visage ! C’est en effet celui d’un lâche. Cette nuit, pourquoi t’es-tu enfui quand je te poursuivais en t’appelant ? — J’avais affaire ailleurs ; vous savez où. — Pourquoi ces outrages ? interrompt Gummaru, vous êtes chargé de faire un interrogatoire, faites-le. — Eh bien ! pourquoi, après Kudo, as-tu essayé de tuer le shiogoun ? — Yoritomo a tué mon grand-père, contre lui aussi je nourrissais une haine profonde ; l’homme né d’un guerrier ne doit pas regarder à la vie, tant qu’il a une vengeance à poursuivre. » À ces mots, Kadjuwara feint de ne plus pouvoir se contenir et s’élance, le sabre à la main, sur le jeune homme ; mais le chef des gardes l’arrête : à Yoritomo seul appartient de décider du sort du prisonnier, que Kadjuwara attende.

En ce moment, la toile du fond se soulève et Yoritomo apparaît entouré de toute sa cour. Son premier mot est pour blâmer la violence de Kadjuwara, et donner au prisonnier une marque honorifique en lui faisant apporter un tapis pour s’asseoir. Cette vue réveille un souvenir chez Goro. « Une fois déjà, il y a quatorze ans, je fus fait prisonnier avec mon père; on me fit grâce alors. Aujourd’hui ma vengeance est accomplie, et je n’ai plus que faire de la vie. — C’est moi qui jadis vous ai gracié, dit le shiogoun, et vous vouliez m’assassiner. — J’ai suivi l’exemple donné par vous-même : quand votre père, battu, fut fait prisonnier par Yomori, vous avez reçu la vie de celui-ci, et vous n’en avez usé que pour vous venger. C’est ainsi que vous avez conquis la puissance suprême.» Kadjuwara veut intervenir. « Qu’on fasse taire cette bête brute, dit Goro, je n’ai pas de bouche pour lui répondre. — Toi, un serviteur de Yoritomo, insiste le courtisan, tu as voulu l’assassiner? — Jamais les Sôga n’ont été les serviteurs de Yoritomo. Il n’est qu’un usurpateur, et notre race n’a jamais courbé la tête que devant le mikado. »

Un des défenseurs du shiogoun, Taratsuné, apporte la tête de Juro, qu’il a tué, et la dépose devant le prisonnier. « mon frère, dit en gémissant Goro, entre nous deux l’union était complète. A peine avions-nous cinq ou six ans, que nous avions juré de nous venger et de mourir ensemble. Et maintenant je suis prisonnier, je vis, et toi, tu as été tué loin de mes yeux; j’aurais dû te secourir, et je t’ai perdu dans la mêlée; me voilà captif au lieu d’avoir succombé glorieusement avec toi! — Ne le regrettez pas, il est mort en héros, dit Taratsuné, apprenez comment je l’ai tué. J’ai entendu votre voix appeler Juro; je l’ai reconnu, nous avons croisé le fer, son sabre s’est brisé dans sa main, sans quoi j’eusse assurément succombé; mais, se voyant désarmé, il m’a prié de lui épargner la honte de vivre en lui tranchant la tête. » Et ce disant, il jette devant Goro le tronçon de la lame.

Le shiogoun reconnaît une lame qui avait appartenu à ses ancêtres. C’est un dépôt sacré. Il va faire grâce à celui dont le père a possédé ce trésor. En ce moment arrive Inobumaro, le fils, maintenant orphelin, de Kudo, qui frappe violemment le prisonnier. Il faut toute sa jeunesse pour lui faire pardonner cette action, dont il est sévèrement réprimandé. « Enfant, lui dit Goro, venez, je ne vous hais pas. Nos familles ont été divisées par les haines de nos ancêtres; moi, j’ai mis dix-huit ans à poursuivre ma vengeance, vous, plus heureux, vous allez en obtenir une immédiate. Tuer et être tué, c’est le sort du guerrier. » L’enfant s’attendait à la pensée de voir tomber la belle tête de Goro; il aurait du courage contre un homme debout, il en manque contre ce prisonnier chargé de chaînes. Il réclame seulement la permission de le frapper du plat de son sabre, et s’arrête quand Goro lui dit : « Vous êtes assez vengé, nous sommes quittes. — Et maintenant doit-on exécuter le prisonnier? demande l’infernal Kadjuwara. — Non, dit le shiogoun, je ne veux pas qu’un si brave guerrier meure. Je veux lui donner des terres et le garder à mon service. — Et moi, répond Goro, j’ai déjà trop fait attendre dans la mort mon frère aîné, je veux le suivre, et ne veux pas recevoir les bienfaits de l’ennemi de mon grand-père, — Vous devriez cependant pardonner, comme Inobumaro vient de vous pardonner; mais, puisqu’il en est ainsi, que la destinée s’accomplisse et qu’on lise la sentence. » Gummaru déploie une feuille et lit : au lieu d’une sentence de mort, c’est une donation de rentes à la mère de Goro. Celui-ci, vaincu par la reconnaissance et par la grandeur d’âme de son ennemi, déclare qu’il embrasse le service du shiogoun et oublie ses rancunes. On l’entoure pour le délivrer de ses chaînes.

Il nous a fallu laisser de côté bien des détails, bien des traits intéressans, pour résumer en quelques pages ce qui remplit une journée; nous voudrions en avoir dit assez pour permettre aux lecteurs de juger cet art dramatique, naïf et sincère, qui parfois crée l’intérêt et l’émotion sans effort, comme il engendre aussi l’ennui sans vergogne, à la façon d’un chroniqueur exact et simple. Nous ne pouvons que signaler ici sans nous y arrêter l’étrange code de morale qui ressort de cet acharnement à la vengeance poursuivie avec la complicité du spectateur, de cette loi sanguinaire de la vendetta, et des autres sentimens qui se sont fait jour au cours de la tragédie. Il nous tarde de monter sur la scène comique.


III.

Le caractère excessif et réaliste de l’art japonais, de même qu’il a poussé la tragédie dans le mélodrame, devait faire verser la comédie dans le vaudeville; mais dans ce genre inférieur il est arrivé à un développement plus complet et à des qualités plus saisissantes. On s’amuse de bon cœur à ces représentations, et l’Européen, qui s’y rend par curiosité plus que par attrait, est tout étonné d’y avoir ri. Les sujets sont tous empruntés à la vie familière, et les personnages finement observés; l’action, qui n’est plus gênée par la fidélité historique, comme dans le drame, marche avec plus de hâte et d’unité. La justesse des caractères et des sentimens n’est pas moindre; elle ressort d’autant mieux que, les types légendaires et les grands sentimens de convention étant écartés, il ne reste à étudier que de simples mortels et des passions communes. Le ton devient infiniment plus simple. Un jeu d’un naturel exquis, d’une vérité frappante, met les acteurs d’Yeddo à la hauteur de nos bons comédiens. Comme eux, les auteurs se sentent en communion beaucoup plus intime avec un public auquel pas un mot du dialogue n’échappe. On fait donc une part plus grande à l’invention dramatique, à la recherche de situations nouvelles, dans les limites encore étroites tracées par les mœurs théâtrales, et ce que la pièce y gagne d’intérêt se devine sans peine. D’ailleurs, il faut le dire, si parmi les génies de l’antiquité les Japonais avaient le droit, toutes proportions gardées, de réclamer un patron, c’est à Aristophane qu’ils devraient s’adresser. Ils ont à un haut degré « la force comique, » le don de saisir les ridicules, de faire saillir le côté grotesque des choses humaines. Qui n’a souri devant leurs peintures sur soie, leurs netskés d’ivoire bizarrement sculptés, leurs ébauches fantaisistes de toute sorte? Et dans la littérature populaire, le conte, la fable, la caricature, avec quelle verve ils savent prendre sur le fait, au prix de quelque trivialité peut-être, les réalités de l’existence ! C’est donc le répertoire comique qui ouvre la plus large carrière à l’imagination et s’augmente chaque jour de nouvelles productions. Celle que nous allons étudier va nous faire pénétrer dans les affaires de famille et de cœur d’assez petites gens, et nous offrir par l’identité fortuite du sujet l’occasion d’un curieux parallèle avec l’une des œuvres les plus marquantes de notre théâtre contemporain. On l’appelle Kami-ya Djiyé ou Djiyé le papetier.

Un mot tout d’abord sur la qualité des personnages. Au Japon, la famille est une arche sainte qu’on ne saurait découvrir sans profanation. La mère, la jeune fille, la femme, ne peuvent sortir de limites très restreintes, et, tout en conservant une grande liberté d’aller et de venir, elles n’en ont aucune dans leurs affections. La liste des sentimens qu’elles peuvent avouer est très bornée, et l’amour même le plus chaste n’en fait point partie. Une jeune fille amoureuse révolterait les spectateurs les moins délicats et serait aussi difficilement admise que le serait en France une liaison purement vénale. C’est donc ailleurs que le drame, la comédie et le roman vont prendre leurs héroïnes; c’est parmi les seules femmes à qui les convenances sociales laissent la liberté du cœur, je veux dire celles qui habitent au Yoshivara. Tant s’en faut que la courtisane succombe ici sous le poids du mépris qui l’accable chez nous, son infériorité n’est pas une souillure. Le spectateur japonais peut sans dégoût la voir sur les planches occuper les premiers rôles, suivre le cours de ses instincts bons ou mauvais et même exercer son triste métier. Elle n’est point rejetée du monde moral, et cela s’explique, si l’on songe que jamais elle n’est responsable de sa conduite, — que, vendue en bas âge par l’autorité paternelle, elle ne fait que subir un joug et servir d’objet à une spéculation dont elle ne profite pas. Il n’est point si humble condition sociale qui n’ait sa hiérarchie : dans ce monde étrange, c’est la guécha (chanteuse) qui tient le premier rang. Celle-ci du moins jouit de certains privilèges; si elle ne peut point disposer de sa personne comme il lui convient, elle peut la refuser quand il lui plaît. Sa guitare suffit à satisfaire l’avidité de ses maîtres. — Au surplus ses rôles sont courts, et la femme, au théâtre comme dans la vie réelle, n’est qu’un instrument utile rejeté au deuxième plan. On lui fait payer par le mépris le dépit qu’on a de ne pouvoir se passer d’elle. Nous allons voir cependant qu’on sait lui prêter à l’occasion les grands sentimens de son sexe.

L’héroïne de notre comédie est une guécha nommé O’Haré. Elle est aimée avec passion par un pauvre marchand de papier, Djiyé, qu’elle aime de son côté; mais l’argent manque à Djiyé pour la racheter de la servitude qu’elle endure et la conduire chez lui en qualité de mekaké[6]. Il a déjà contracté des dettes à cause d’elle, penche vers sa ruine et fait le désespoir de sa femme légitime et de toute sa famille. Un autre soupirant, Kahé, a été éconduit par la guécha. Celui-là est riche, mais on le traite comme un importun.

Le décor représente l’intérieur d’une maison de thé le soir. D’abord une de ces scènes sans but qui n’ont d’autre utilité que de faire comprendre au spectateur le lieu de la scène. Entrée d’O’Haré, escortée d’un koskaï ; elle s’installe avec la maîtresse de la maison auprès d’un brasero, et elles entament une exposition assez rapide de la situation. Le dialogue touche à sa fin lorsqu’arrive un koskaï porteur d’une lettre que sa maîtresse lui a recommandé de ne remettre à O’Haré que s’il la trouvait seule. Cette lettre est de la femme de Djiyé, l’épouse délaissée. Que dit-elle? Nous n’en savons rien : la chanteuse réfléchit un instant avant d’écrire, puis, comme si elle accomplissait un sacrifice, elle trace les caractères d’une main tremblante d’émotion. Pendant ce temps, le koskaï, une sorte de jocrisse, sous prétexte de faire le guet à la porte, fait dans la rue un sabbat à réveiller la police endormie. Voici la réponse prête; elle la remet au porteur et le renvoie, après avoir caché avec soin dans sa ceinture la lettre qu’elle a reçue. « N’avez-vous rien oublié? dit le koskaï. — Non, » répond la jeune femme distraite. Alors le jocrisse de s’arrêter avant de franchir la porte en examinant la fermeture, la lanterne; il sort enfin, mais feint d’être assailli par un chien menaçant, et rentre en répétant : « N’avez-vous rien oublié? » Elle comprend enfin et lui remet, pliée dans du papier, suivant l’usage, la petite gratification réglementaire. Le voilà rassuré dès lors contre les aboiemens du chien.

A peine Genroku a-t-il accompli sa sortie grotesque que nous voyons paraître Kahé, l’amant repoussé, escorté de son koskaï. La scène qui suit est d’un comique irrésistible. Kahé poursuit de ses déclarations l’intraitable guécha; mais ce n’est point un amoureux transi que ce riche marchand; il le prend de haut avec la malheureuse fille, raille amèrement le pauvre hère qu’elle aime, lui fait un tableau de l’aisance qu’elle trouverait auprès de lui, si elle se laissait convaincre. Elle le repousse durement. Alors s’engage un colloque entre le maître et le serviteur sur ce refus étrange, Kahé, désespérant de se faire aimer, veut du moins se venger par une mordante épigramme; il cherche une guitare. N’en trouvant pas, il saisit en place un balai de chiendent, et, imitant avec les contorsions les plus amusantes les soupirs de l’amoureux et le grincement du shamissen, il entame, accompagné par son koskaï, une chanson moqueuse qui roule sur l’infortuné Djiyé :


« Il était une fois un pauvre papetier, — battu par sa femme; — dans sa maison, on mourait de faim» — tout cela par la faute d’une guécha... »


« Assez, assez! » s’écrie la pauvre fille. — « Encore, encore! » hurle le public. — La chanson est désopilante, et l’habileté de l’acteur à contrefaire les accens criards de la musique japonaise nous montre que leurs propres ridicules n’échappent pas à ces grands sceptiques. De même la platitude des formules de salutation est à chaque instant l’objet d’une amusante parodie. Enfin les deux femmes finissent par perdre patience, et le galant est invité à décamper; mais en se retirant il fera encore un tour de sa façon; il guette à la porte Djiyé, qui ne peut manquer de venir. En effet paraît un homme, la tête enveloppée du capuchon noir que portent, pour n’être pas reconnus, ceux qui se rendent dans les quartiers de plaisir. Nos deux plaisans fondent sur lui, mais au premier assaut il les jette de côté en leur montrant son sabre. Ce n’est pas un marchand comme Kahé, ce n’est pas Djiyé, c’est un homme à deux sabres, un inconnu. « Je devrais, dit-il, vous punir de votre insolence; mais, comme je suis dans un lieu habité, je vous fais grâce. Passez votre chemin. » Ils ne se font pas répéter l’injonction.

À cette clémence insolite, à certains détails de costume et de manières, le public a reconnu que cet homme n’est pas un samouraï, et qu’il doit cacher son nom et sa profession dans quelque secret dessein. Disons tout de suite que c’est le père de Djiyé, qui vient arracher, s’il le peut, son fils à une passion funeste. Il se présente dans la maison de thé comme un samouraï qui veut se reposer et s’amuser. Tout doit s’incliner devant le désir d’un samouraï, et la maîtresse de la maison veut faire danser et chanter O’Haré à la prière de son hôte; mais celle-ci refuse, elle est trop triste. Le personnage mystérieux interroge l’hôtesse sur cette jeune fille revêche; il apprend tout ce qu’il veut savoir. Il ne peut obtenir d’elle que cette réponse : « Quel est le meilleur moyen pour se tuer, le fer ou la corde? » On passe dans la salle voisine pour y verser le thé. A l’autre bout de la rue apparaît Djiyé, la tête à demi cachée sous son mouchoir posé en cornette, le teint pâle, l’œil cave, les jambes flageolantes, offrant tous les signes d’un complet épuisement physique et les traces toutes matérielles des ravages que produit une passion désordonnée. Dans une longue scène muette, l’acteur fait comprendre sa douleur, son désespoir et son accablement. Il arrive en guettant de tous côtés de peur de rencontrer les surveillans qui l’empêchent d’approcher de la belle O’Haré. Il ne s’en présente aucun, mais, entendant des bruits de voix dans la maison, il hésite à entrer. Mangoyémon, — c’est le nom du père, — a mis à profit le temps écoulé dans l’intervalle pour arracher à la jeune femme le secret de ses projets. « Vous voulez vous tuer par désespoir, dit-il en rentrant, mais votre amant aussi attentera à ses jours. Vous allez causer bien des malheurs; d’ailleurs n’avez-vous pas une mère qui vous aime? Qui la consolera de votre mort? » O’Haré fond en larmes et garde longtemps le silence en proie à une lutte douloureuse; enfin son parti est pris. « Eh bien ! dit-elle, venez chaque jour, pendant trois mois, à cette heure-ci, il ne pourra plus me voir et m’oubliera bientôt... » Ces dernières paroles, Djiyé, aux écoutes derrière la porte, les a entendues. Furieux de jalousie, il saisit son sabre, et à travers le grillage de bois de la maison veut poignarder l’infidèle; mais Mangoyémon saisit le sabre, désarme celui qu’on prend pour un voleur, et, s’emparant de sa main retenue aux barreaux du châssis, il l’attache solidement. En ce moment, O’Haré jette un cri, elle a reconnu dans le sabre arraché par Mangoyémon celui de Djiyé, ce petit sabre court et unique toléré chez les marchands. Le père le remarque à son tour, l’enveloppe soigneusement sans rien dire, et le dépose près du prisonnier. N’a-t-il pas reconnu quelque vieille relique de famille autrefois donnée à son fils pour un plus noble usage?

Sur ces entrefaites revient Kahé, toujours suivi de son acolyte. Ils avancent avec toute sorte de précautions, craignant de trouver encore là le samouraï de tout à l’heure. Ils voient un homme à la porte, croient que c’est lui, reculent, se concertent, s’avancent et finissent par reconnaître leur ennemi Djiyé. Belle occasion de le dauber. Ils crient au voleur : la police arrive avec une ponctualité absente de la vie réelle et commence comme toujours par bousculer ceux qui l’appellent. À ce bruit, Mangoyémon sort et apaise le tumulte. Kahé tremble comme la feuille. « Pourquoi, lui dit le faux samouraï, appelez-vous cet homme un voleur? — Parce qu’il me doit 20 rios qu’il ne me paie pas. — Où est votre titre? — Le voici. » Le père saisit la reconnaissance signée par son fils et la déchire en mille morceaux. Kaké se croit joué. « Allez, lui dit le père, je ne veux pas vous tromper, voilà vos 20 rios. » Le créancier satisfait disparaît avec force génuflexions. Mangoyémon délie le prisonnier. « Vous êtes mon bienfaiteur, lui dit Djiyé sans lever les yeux. Je ne suis qu’un pauvre homme et ne puis vous rendre tout de suite cette somme; mais dites-moi votre nom et votre adresse afin qu’un jour je puisse m’acquitter. — Mon nom et mon adresse, tu n’as pas besoin de les connaître; mais, si tu veux voir ma figure, lève ta lanterne et regarde-la. — Mon père ! » Ici commence un long sermon sur la conduite immorale du fils, ses désordres, ses dettes et jusqu’à la honte qu’il a eue d’être appelé voleur dans la rue et de perdre son sabre. Et tout cela pour une femme, et quelle femme ! L’aime-t-elle? Mais non, elle est prête à l’abandonner.

Le fils a écouté respectueusement les reproches de son père, mais au nom de celle par qui il se croit trompé il entre en fureur, pénètre dans la maison, accable O’Haré d’injures, la frappe même, et c’est le père qui est obligé de la protéger contre l’emportement du jaloux. Alors commence une de ces scènes favorites du vaudeville japonais, scènes dont la vertu comique réside dans un contraste bizarre entre la nature des sentimens exprimés et la situation de celui qui en est l’interprète. Ce pauvre garçon raconte à son père ses peines amoureuses, lui fait des tableaux que le père ne peut entendre sans rougir ou pleurer; puis il passe aux imprécations contre la malheureuse O’Haré, qui n’a qu’un mot à dire pour le détromper, mais se résigne et se tait. Le rire, la colère et les larmes, le bavardage inopportun de cet amoureux niais et la vertueuse indignation du vieillard donnent naissance à un pathétique bâtard, très recherché des dramaturges. Enfin l’amoureux se déclare tout à fait détaché de l’infidèle et demande à son père de le délier du singulier contrat par lequel il s’est engagé à se tuer avec O’Haré, si elle ne peut être définitivement à lui. Elle possède son engagement écrit, il faut le lui reprendre. Elle résiste, elle voudrait conserver cette relique, et puis l’engagement est caché dans la même ceinture que la lettre de l’épouse abandonnée; elle ne veut montrer ni l’un ni l’autre. Djiyé, aussi furieux maintenant qu’il était tendre deux heures avant, insiste; le père, qui veut en finir, arrache la ceinture et fait tomber la fatale lettre. L’amant jaloux veut la lire, Mangoyémon s’en empare. Que voit-il? Sa bru venait demander à la guécha de lui laisser son mari et de rendre la paix au foyer domestique! C’est pour accéder à cette prière qu’elle a voulu abandonner Djiyé. Il est pénétré d’admiration pour tant de dévoûment; mais il faut à tout prix que Djiyé reste dans l’erreur afin que sa guérison soit complète, et le père s’écrie en déchirant la lettre : « Cette femme te trompait... » Un regard éloquent a dit à la chanteuse qu’il avait tout compris, et qu’il faut subir encore ce dernier sacrifice. Elle baisse silencieusement la tête. Le chœur entonne un court verset qui donne aux acteurs le temps d’accentuer leurs gestes en les prolongeant, et la salle trépigne tout entière.

Mangoyémon emmène son fils, et, à vrai dire, la pièce semble finie; mais, semblable à un orateur qui ne fait pas grâce d’un argument, le dramaturge japonais ne peut se résigner à supprimer une scène inutile, pourvu qu’elle soit juste. A peine ont-ils fait quelques pas que le pauvre Djiyé veut revenir. « A quoi bon la revoir, puisque tu ne l’aimes plus? — Je veux encore l’accabler d’injures une dernière fois, je ne lui ai pas tout dit. » Il rentre, et cette fois il commence par des larmes : « Souviens-toi du passé, hélas! je t’aimais tant. » O’Haré ne peut l’entendre longtemps sans se troubler. Une exclamation va la trahir, quand Mangoyémon rentre. » Pas un mot, ou mon fils est perdu, dit-il tout bas à la guécha, et à son fils : — Tu vois, elle se tait et ne peut se défendre; viens. » La toile tombe sur un dernier geste de gratitude et d’hommage du père reconnaissant à la femme sacrifiée.

Il est un rapprochement qui s’impose dès les premiers instans à la vue de cette comédie, et plus d’un lecteur a déjà nommé la Dame aux Camélias. Qu’on supprime les détails et les hors-d’œuvre, c’est l’histoire de Marguerite Gauthier qui se déroule sous nos yeux, et cette identité du sujet fournit une base singulièrement commode pour établir un parallèle entre l’art dramatique japonais et le nôtre. Les mêmes lois fatales s’imposent de part et d’autre : devant cette abnégation de la femme, le rôle de l’amant, ridicule ici, effacé là, reste nécessairement secondaire. A l’inverse, la femme occupe une place trop inférieure pour que le vaudevilliste oriental songe à la mettre en relief : c’est le père qui remplit le grand rôle. C’est l’autorité paternelle qui l’emporte : triomphe fort moral assurément, mais qui laisserait froid un autre public. La pauvre O’Haré ne fait guère que sangloter pendant toute la pièce, sans même expliquer les sentimens qui se partagent son cœur, et semble se sacrifier, bien moins par abnégation que par la soumission d’une pensionnaire intimidée devant un sévère vieillard. Ce père impassible ne doute guère du succès. Il n’emploie ni les supplications ni les larmes; il ordonne plus qu’il ne prie, et il lui suffit d’intervenir pour l’emporter. Voyez-le déchirer la lettre qui justifierait O’Haré; quel public européen accepterait sans révolte une telle brutalité du père d’Armand Duval? Cette action ne soulève ici que des applaudissemens, car elle s’accorde à merveille avec le rôle passif que joue la femme au théâtre comme dans la vie réelle.

Sans nous attarder à un parallèle qu’il nous suffit d’indiquer, parcourons les autres scènes populaires. Ce sont d’abord les théâtres de Shimabara et de Naka-Bashi, où les œuvres du grand répertoire alternent, soit avec de simples ballets sans grand mérite, soit avec des bouffonneries de courte haleine, où l’introduction récente des coutumes occidentales est sévèrement critiquée.

Tout autre est le caractère des représentations religieuses données aux jours de fête dans les grands temples. En avant du sanctuaire s’élève généralement, sur un soubassement plein, une estrade isolée, à hauteur d’homme. Elle est surmontée d’un toit aux cornes relevées comme tous les anciens monumens du Japon, tantôt fort simple, tantôt élégamment lambrissé suivant la richesse du lieu. Les fermetures extérieures s’enlèvent ainsi que la devanture d’un magasin, et la pièce ainsi formée reste à jour de trois côtés. C’est là que chaque année, quand revient la fête du dieu tutélaire de l’endroit, se jouent à grand renfort de tambourins, de tamtams et de flûtes, des pantomimes bizarres qui indiquent, à ne s’y point tromper, l’origine hiératique de l’art. Ce sont nos anciens mystères donnés sous le porche des cathédrales. De jeunes garçons couverts d’accoutremens voyans, la figure cachée par des masques d’une expression fort comique, jouent, sous les deux sexes, les rôles, généralement muets, de ces grossières pochades. C’est un des régals les plus recherchés de cette foule insouciante et pourtant bigote qui peuple aux jours de réjouissance les abords d’ordinaire déserts des temples; mais je ne sache pas que l’artisan se plaigne, comme le savetier de La Fontaine, que

Monsieur le curé
De quelque nouveau saint charge toujours son prône.

Il adore au contraire ces exhibitions, autant pour elles-mêmes que pour l’excellent prétexte qu’elles fournissent à la paresse. Cet usage s’étend à des sanctuaires de province célèbres, tels que chez nous Sainte-Anne d’Auray ou Notre-Dame de Bon-Secours. Une nuit de l’été dernier, je passais à une vingtaine de lieues d’Yeddo dans le voisinage d’un de ces lieux sacrés, quand je fus attiré vers le centre d’un bois de sapin par une musique bizarre et inexplicable à pareille heure. Des ombres allaient et venaient, et une foule murmurante semblait courir à je ne sais quel nocturne sabbat. C’était une fête qui se donnait à la lueur des torches en l’honneur de Fudo-sama. Les jeunes acteurs avaient fait comme le touriste et choisi pour leur fatigant exercice la fraîcheur relative d’une nuit d’août.

Mais voici mieux. Ce n’est plus le moyen âge, c’est l’antiquité grecque à son tour qui défile devant nous dans ce tableau changeant et fertile en réminiscences, que déroule aux yeux toute civilisation primitive. N’est-ce pas Thespis lui-même qui s’avance là-bas, précédé d’une foule nombreuse qui hurle et tambourine, suivi d’un char que traînent soixante vigoureux gaillards? Sur cette estrade ambulante, de jeunes acteurs exécutent des danses, des pantomimes et surtout des changemens de masques burlesques. Aujourd’hui c’est une corporation de charpentiers; demain ce sera celle des bateliers, des marchands d’étoffe ou toute autre qui célèbre sa matsuri et promène ainsi un ou plusieurs théâtres ambulans d’un bout à l’autre de la ville, quelquefois pendant plusieurs jours de suite.

L’attrait qu’exerce l’art scénique est trop vif en ce pays pour que la classe des lettrés ait pu s’y soustraire complètement; mais, comme il lui répugne de se mêler à ces plaisirs grossiers, elle a ses spectacles à part, d’un caractère plus officiel, plus guindé et partant beaucoup moins gai. Dans les yaskis princiers, aujourd’hui enlevés à leurs anciens maîtres et peuplés par les ministères, les écoles et les Européens au service du gouvernement, on retrouve encore l’emplacement de la vaste pièce qui servait de salle de spectacle. La scène était formée par un plancher à roulettes surmonté d’un vélarium et amené dans le jardin devant la vérandah. C’est là que se donnaient les no. Il faut entendre par là de longs récitatifs poétiques retraçant une fable religieuse, chantés en partie par le chœur, tandis que les acteurs, par une danse lente et cadencée, accompagnent gracieusement et expliquent la pensée, souvent fort obscure. Il n’y a ni décor ni mise en scène, tout cela est remplacé, suivant une formule célèbre qu’on pourrait renverser,... par un monologue sans vivacité et sans animation. L’orchestre prend place au-dessous des acteurs; il se compose principalement de flûtes de diverses formes, de flageolets et de pipeaux. Les sons aigus de ces instrumens forment un glapissement semblable à un prodigieux soupir, dont certain passage du prélude de Lohengrin peuvent donner une lointaine idée. On dirait la plainte d’une foule d’enfans en larmes, et cette impression ne contribue pas peu au caractère à la fois grandiose et mélancolique des no.

On trouve assez difficilement aujourd’hui l’occasion de voir ces représentations moitié lyriques, moitié sacrées. Des quelques daïmios qui pouvaient entretenir une troupe, les uns sont totalement ruinés, les autres emploient leurs revenus à se procurer des articles de Paris du goût le plus détestable. Seule, la troupe du mikado subsiste encore. Le séjour du grand-duc Alexis en 1872 fut l’occasion d’une de ces rares exécutions, à laquelle quelques Européens furent admis. Le ton des chanteurs, le style, les mouvemens, tout est de pure convention, La monotonie de la déclamation gâte la beauté réelle de la poésie. Quant au fond de ces pièces, il nous suffira d’en résumer une pour en donner l’idée à nos lecteurs.. Inutile de dire que ni Européens ni Japonais n’y entendent un mot, et qu’il faut, avant d’en obtenir une traduction, mettre plus d’un interprète à la torture. Le chœur nous informe que la scène du Plumage de la Fée représente le rivage de la baie de Surunga, au pied du Fusiyama. Un pêcheur décrit, dans un long récitatif, ce site enchanté, le calme de la mer, la sérénité du ciel et le lever du soleil radieux, tandis que la lune brille encore d’un faible éclat. Son âme déborde d’enthousiasme et de cette admiration sincère de la nature qui pénètre toutes les créations de l’art japonais. Un souffle passe cependant sur les eaux; est-ce l’orage qui approche? Non, c’est à peine s’il a ridé la surface, et maintenant un parfum enivrant se répand dans les airs, on dirait une pluie de fleurs mystérieuses accompagnée d’une suave musique. Revenu à lui-même, il aperçoit, accroché à un arbre, le plumage d’une fée. Il le recueille précieusement et va l’emporter pour en faire une relique quand la fée paraît et réclame son bien. Il refuse de rendre son trésor. Désespoir de la déesse. Comment pourra-t-elle remonter au ciel sans ses ailes? Elle raconte les merveilles de ce séjour et porte envie aux oies sauvages et aux mouettes, qui peuvent y voler. Enfin, touché de compassion, le pêcheur consent à lui rendre sa riche parure, mais à une condition, c’est qu’elle dansera devant lui en chantant la musique céleste. Elle y consent, et le pauvre homme est ravi dans une telle extase qu’il se croit transporté dans le paradis et supplie la fée d’y rester avec lui. Puis tous deux entament un cantique en l’honneur de la montagne sans pareille, du divin Fusiyama, qui dresse dans les airs sa tête couverte de neige ; la déesse, soulevée par la brise marine, gravit la montagne d’un battement d’aile et s’évanouit dans un nuage. — Des jardins d’Hama-Goten, où s’exécutait cette poétique idylle, on distinguait, dans le soleil couchant, la majestueuse silhouette du volcan, et les nuages légers retenus sur ses flancs semblaient faire une réalité de cette poétique fiction.

Tel est le caractère mystique des no. Il s’explique par l’origine purement hiératique de ces spectacles. Le premier fut joué il y a des centaines de siècles, s’il faut en croire une tradition sintiste où il est difficile de ne pas reconnaître le mythe universel du soleil. La « grande déesse lumineuse du ciel, » Amatéras, s’était cachée dans une caverne pour échapper aux persécutions de son frère, le dieu de la nuit. Le monde était plongé dans les ténèbres. Les dieux se coalisèrent pour l’arracher à sa retraite. Toutes les industries qui plus tard devaient être humaines furent employées pour construire, à l’entrée de la caverne, un théâtre où la plus belle des déesses dansa nue aux sons du premier orchestre. Amatéras, tirée de sa retraite par l’éclat de la gaîté, en demanda la cause; on lui dit, en montrant un miroir, qu’on avait trouvé une déesse plus brillante qu’elle. Elle vit son image, et, piquée par la jalousie, elle sortit et consentit enfin à reprendre sa place dans le monde. Sans parler du mystère qui plane sur l’origine du no, l’obscurité du langage poétique et la forme allégorique des conceptions suffiraient à expliquer pourquoi il n’est jamais devenu un genre populaire.


IV.

On ne saurait parler du théâtre sans dire un mot du roman, qui n’est qu’une autre forme des mêmes sujets et des mêmes procédés littéraires. La plupart des données dramatiques ont revêtu les deux formes; il est même très rare de trouver à acheter le texte d’une pièce, c’est le roman correspondant qui seul est dans le commerce. Imprimé en shira-kana, la seule écriture qu’on enseigne aux femmes, le roman n’a guère que des lectrices. Chaque jeune fille assez à l’aise pour se dispenser d’un travail quotidien a son abonnement chez un libraire qui, moyennant 50 centimes par mois, lui fournit, en fait de livres anciens et nouveaux, tout ce qu’elle en peut dévorer. A part le titre, toutes ces productions semblent stéréotypées les unes sur les autres; elles ont la banalité qui nous frappait dans le théâtre, avec quelques superfétations en plus et le comique en moins. L’analyse succincte d’une des plus goûtées, Kosan-Kinguro, nous en indiquera le ton général.

Un samouraï, nommé Bunnojio, avait eu d’une union illégitime et condamnée par son père un fils appelé Kinguro. La mère étant morte en lui donnant le jour, il le met en nourrice et, pour donner une compagnie à l’enfant, il adopte une petite fille, O’Kamé, qui devient ainsi la sœur du jeune garçon. La coutume japonaise ne s’oppose pas au mariage du frère et de la sœur adoptifs. Devenus grands, ceux-ci s’aiment et veulent s’épouser. Bunnojio, leur père, y consent d’abord. — Or, à l’époque où Kinguro était venu au monde, son père s’était enfui à Kamakura, quittant la maison paternelle, il s’était brouillé avec le chef de sa famille et le séjour de Kioto lui était interdit. Le vieil inkio, — c’est le nom qu’on donne au chef de maison qui a pris sa retraite, — se sentant mourir, veut revoir son fils et voir son petit-fils. « Placez-le sous ma puissance, écrit-il à Bunnojio, et tout sera oublié. » Ce n’est pas seulement le pardon pour lui, c’est encore un brillant avenir pour son fils que Bunnojio entrevoit dans cette proposition; il accepte et envoie son fils malgré les regrets de celui-ci et les larmes de la jeune O’Kamé. Les deux amans se promettent de s’écrire et se jurent fidélité. A peine Kinguro s’est-il éloigné, que la jeune fille, malade, agitée, obsédée par son père adoptif pour choisir un autre mari, commence à rouler dans sa tête des projets de suicide et s’enfuit pour les accomplir. Arrivée au bord d’une rivière où elle veut se noyer, elle est saisie par deux malfaiteurs qui la maltraitent et vont la vendre comme guécha à Kamakura, sous le nom de Kosan. Bunnojio l’a crue morte. Kinguro apprend à Kioto la nouvelle. Il revient en toute hâte à Kamakura, où il se livre à son désespoir. Un jour, ses amis, pour le distraire, réussissent à l’entraîner dans un des quartiers de plaisir. Le hasard lui fait rencontrer là une sœur d’O’Kamé, qui, par une série d’aventures, se trouve dans la même ville que sa sœur et y exerce la même profession sans la connaître. Elle apprend par Kinguro la mort de cette sœur, et, tout entière à son deuil, lui envoie, pour l’amuser à sa place, une autre guécha dont tout le monde vante la beauté. C’est, comme on s’y attend bien, O’Kamé, ou plutôt Kosan. En retrouvant celle qu’il croyait morte, sous le costume de chanteuse, la douleur de Kinguro se transforme en indignation ; il accable la jeune fille de reproches sanglans, l’accuse d’être une. apparition menteuse, un tanuki (blaireau) déguisé en femme pour se jouer de lui. Elle essaie de lui expliquer par quelle série d’infortunes elle n’a embrassé ce métier que pour n’en point épouser un autre que lui. Réduite au désespoir, elle va se frapper au cœur d’un poignard quand il l’arrête ; à son tour, il demande pardon de son injuste colère : le drame tourne à l’idylle et la réconciliation s’opère aussi complète que possible. Le romancier use en pareil cas d’une liberté de pinceau dont le dramaturge ne se prive guère non plus à l’occasion, et le graveur chargé de les illustrer tient à honneur de ne pas rester en arrière : naïveté qui n’offusquera personne tant que la pruderie n’en aura pas fait du cynisme. Rachetée de ce honteux esclavage, installée en secret dans une maison isolée, O’Kamé ne tarde pas à devenir mère. Un secret pareil n’est jamais longtemps gardé. Bunnojio le père finit par connaître les relations de son fils avec Kosan ou O’Kamé, sans savoir cependant qu’elles ont porté leur fruit. Il emploie son autorité pour les faire cesser sans réussir qu’à resserrer l’union des deux amans. Son fils pourtant accepte une femme légitime de la main de son père; mais on devine qu’il fait un triste mari. Nous voici retombés dans la comédie analysée plus haut. Bunnojio se rend chez Kosan, lui reproche les désordres de son fils, l’abandon de son ménage. La pauvre fille ignorait même qu’il eût pris une femme, elle se courbe à son tour devant l’autorité paternelle et jure de le quitter; mais renoncer à lui sans renoncer à la vie, c’est au-dessus de ses forces. Elle se tuera. D’ailleurs, elle morte, son fils pourra entrer dans la famille légitime. Kinguro vient la voir; elle lui cache la visite qu’elle a reçue, les projets qu’elle médite, lui parle longuement de l’avenir de son jeune enfant Kinnosuké, lui fait mille recommandations pour le cas où elle viendrait à mourir et le retient longtemps pour se rassasier de cette vue chérie. A peine est-il parti qu’elle conduit son enfant chez sa sœur; puis elle le quitte en lui disant un adieu plein de larmes : elle va faire un voyage, elle sera longtemps absente, il ne faudra jamais réclamer sa maman. Le tableau est des plus touchans. L’enfant lui tend les bras et veut l’accompagner dans son voyage. Elle finit cependant par s’arracher à son émotion, rentre chez elle, fait fermer la maison comme on fait chaque soir, écrit longuement ses adieux à la vie et à Kinguro, puis se tranche la gorge avec un rasoir. La maison dort encore quand Kinguro arrive le matin, s’informe de ce qu’elle a fait la veille, et, la supposant fatiguée de sa course, veut, sans l’éveiller, la voir dormir; il entr’ouvre la porte et la trouve baignée dans son sang. L’enfant vient à son tour, suivant une coutume très respectée des Japonais, prier devant le corps de sa mère. Kinguro, dans son désordre, laisse tomber la lettre d’adieu de la pauvre femme. Bunnojio la trouve et apprend ainsi l’existence d’un enfant. Il regrette amèrement d’avoir poussé Kosan à cette extrémité, va voir le petit orphelin, s’attendrit sur son sort, le prend chez lui et le fait élever par sa bru. Tout le monde se trouve ainsi réuni sous l’autorité du vieil aïeul resté à Kioto. Il n’a fallu pour cela que faire disparaître violemment la mère de Kinguro et celle de Kinnosuké. Le principe est maintenu, la morale orientale est satisfaite. Kinnosuké grandit, se marie, et devient chef de famille. Ainsi finit ce roman qui n’embrasse que trois générations dans sa première partie; il en a une seconde, dont le lecteur nous saura quelque gré de lui faire grâce.

Ce sont, on le voit, les mêmes types, les mêmes personnages qu’au théâtre. Dans le choix de leurs acteurs et de leurs sujets, les auteurs ne semblent nullement se préoccuper de briser l’étroite limite où les préjugés et les mœurs les tiennent enfermés. L’imagination populaire a, comme l’érudition, ses alignemens tout faits, ses casiers tout préparés, son ordre composé d’avance, et ses règles dont elle ne peut s’écarter. On répète de génération en génération les mêmes choses avec une fidélité séculaire, comme chez nous les refrains des villanelles ou des jeux d’enfant.

Sur le toit de la maison voisine, un bambou a poussé une branche,


dit la chanson des guécha s depuis cent ans; si elle sort de cette insignifiance, c’est pour tomber dans une licence d’images qui interdit toute citation.

Est-ce au théâtre ou au conte qu’il faut rattacher ces récits en plein vent, écoutés avidement par la foule dans les carrefours d’Yeddo? Le bateleur monté sur des tréteaux, assis devant une table, armé d’un énorme claquoir dont il se sert pour marquer des points d’orgue dans son discours, raconte à deux cents auditeurs ébahis ces « merveilles merveilleusement merveilleuses » dont Tabarin régalait les auditeurs de la place Dauphine. Les mêmes légendes dont s’est emparé le théâtre, les sujets des contes populaires, forment le fonds de ces improvisations entremêlées de franches gaillardises qui font pâmer l’auditoire.

L’attrait qu’exerce la parole sur ces demi-Gaulois se manifeste encore mieux dans les conférences publiques, inventées ici bien avant qu’on ne le connût en Europe. Si, en passant devant la porte d’une maison, vous remarquez un grand nombre de chaussures éparses sur le seuil, munies chacune d’une étiquette numérotée, entrez et asseyez-vous au milieu du public principalement masculin qui s’entasse sur les nattes. Ce n’est plus d’un sujet badin ou fabuleux, c’est d’une question de morale, de science ou de philosophie que l’orateur entretient une assistance de marchands et de petits fonctionnaires. On est très sérieux, et, sauf quelques  ! d’acquiescement, le bruit des pipettes secouées sur le brasier interrompt seul le débit du conférencier. C’est une profession, dit-on, assez lucrative et dont l’exercice ne se borne pas à la capitale : on rencontre jusque dans les villages ces missionnaires laïques, colportant les lumières dont la population des campagnes n’est pas moins avide que celle des cités. Ils se partagent cette occupation avec les prédicateurs bouddhistes, dont les sermons roulent exclusivement sur la morale.

Ces derniers attirent surtout des femmes et même des enfans. On peut à Yeddo assister à leurs prônes, annoncés à l’avance à la porte du temple où ils doivent avoir lieu. Assis sans beaucoup d’ordre sur les nattes, les auditeurs commencent par entonner avec les prêtres l’incompréhensible litanie de leur secte; chacun s’établit confortablement pour écouter, toujours la pipe à la main. Le prédicateur paraît, revêtu de ses habits de cérémonie, et disserte d’un ton dégagé sur le catéchisme ou la morale. Son discours prend quelquefois l’allure d’une conversation à laquelle les fidèles ne se mêlent que par le cri de nammida, nammida ! répété avec diverses intonations suivant les exigences de la réplique. « Rien, dit le bonze, n’est plus impur que le corps humain. Le corps se couvre de graisse, les yeux distillent des larmes, etc. Quelle erreur ce serait de regarder comme la perfection du beau une telle ordure ! — Nammida, nammida ! » s’écrie avec contrition une impure pécheresse d’une dizaine d’années. Tant s’en faut que la pensée soit toujours aussi simple et aussi claire. On en peut juger par le passage suivant d’un sermon recueilli à Yeddo. « Les relations entre le ciel et la terre sont une de nos connaissances les plus importantes. Du ciel viennent les lois qui régissent le changement des saisons, les phénomènes de la nature, et règlent les mouvemens de la terre, tandis que sur celle-ci nous avons à étudier les rapports sociaux de l’humanité. Or il y a une grande ressemblance entre ces deux ordres de choses. En ce qui touche le ciel et la terre, le premier dirige et contrôle l’autre. Au printemps, les cieux brillent d’un pur éclat sur les champs, et ceux-ci s’émaillent aussitôt de fleurs variées. Au contraire, lorsqu’en hiver les cieux s’assombrissent, lorsque la neige tombe, la terre perd à son tour sa brillante parure, et, se soumettant aux lois dictées par le ciel, elle prend un aspect désolé. Ce n’est là qu’un exemple, mais on en pourrait citer mille pour montrer combien ce bas-monde rend un constant et nécessaire hommage à la volonté du ciel. Il en doit être ainsi dans les relations des hommes entre eux. Les enfans doivent montrer une piété filiale à leurs parens, les vassaux obéir à la volonté de leur seigneur, et les femmes être soumises à leurs maris. »


Cela ne rappelle-t-il pas le fameux raisonnement : « je suis le plus bel homme de ma chambre?.. »

Puisque cette scolastique nous ramène encore une fois en plein moyen âge, profitons-en pour faire connaissance avec « maître renard. » Il occupe ici, non-seulement dans la littérature, mais même dans les superstitions populaires, une place plus grande encore que dans nos vieux fabliaux. Il se dispute avec le chat et surtout le blaireau (tanuki) le privilège de tourmenter les hommes et de leur jouer de mauvais tours. A combien de femmes jeunes ou vieilles persuadera-t-on, quand le vent ébranle les volets, que ce n’est pas le malin rôdant autour de la maison? Plus d’une s’est souvent entendu appeler par son nom au milieu de la nuit. Le tanuki prend souvent la forme d’une femme pour attirer dans ses pièges de naïfs jeunes gens, qui ne voient pas, sous sa robe, passer la queue dénonciatrice. Les contes merveilleux qui roulent sur les exploits de ces deux compagnons rempliraient des volumes et sont tellement répandus que, si l’on demande à un Japonais de vous raconter une histoire nationale, il ne manque jamais de commencer par l’un de ces deux héros, plus célèbres que le chat-botté ou l’oiseau bleu. J’analyse ici une de ces fables, qu’on peut lire tout au long dans le recueil qu’en a fait l’auteur anglais Mitford[7].

Un soir qu’une riche famille recevait ses amis, l’entretien vient à tomber sur les renards et leurs exploits. Un des assistans, Tokutaro, un esprit fort, traite ces récits de fables. Défi lancé, pari tenu. Notre homme se met en route vers un bois. Sur la lisière, un renard s’enfuit à son approche; un instant après, il voit venir à lui une jeune fille qu’il connaissait. Point de doute, c’est le renard qui a pris cette forme, et notre habile homme feint de se laisser emmener par elle, tout en examinant avec soin s’il ne voit pas dépasser la queue, et s’étonnant fort de ne rien découvrir. Arrivé chez les parens de la jeune fille, qu’il connaissait, il les prend à part et leur dit : « Vous avez cru que c’était votre fille qui entrait avec moi, c’est un renard! — Notre fille, un renard! s’écrie la mère indignée. Voilà bien une insulte à jeter à d’honnêtes gens ! » Tokutaro soutient son dire, et pour le démontrer saisit la jeune fille, et l’accable de coups jusqu’à ce qu’elle reprenne sa forme. Il frappe si bien qu’elle en meurt. Cette fois il n’a plus peur d’être joué par les renards, il craint d’avoir tué une innocente jeune fille. Les parens vont quérir main-forte, et on va faire justice du meurtrier, quand passe par là un prêtre qui obtient sa grâce à la condition qu’il entrera dans les ordres et subira pour cela la tonsure. Il s’y soumet de grand cœur. En ce moment, Tokutaro entend un éclat de rire, il ouvre les yeux, le jour parait, et il se retrouve sur la bruyère où le renard lui est apparu. Tout cela n’était donc qu’un rêve? Hélas! non. En passant la main sur son crâne pelé, il s’aperçoit, mais un peu tard, de ce qu’il en coûte pour défier de tels ennemis. Revenu auprès de ses amis, bafoué et honteux, il finit par se faire moine.

Dans d’autres contes, le renard est présenté comme un être bienfaisant et reconnaissant. On lui prête des sentimens humains, et l’auteur raconte en détail les noces d’un jeune renard de bonne maison avec une demoiselle de haute lignée accomplies pendant une éclaircie du ciel entre deux averses de pluie[8]. Souvent aussi le conteur fait intervenir d’autres animaux. Parfois même les ustensiles de ménage personnifiés entrent en scène et se coalisent avec l’homme contre ses ennemis. On reconnaît, le plus souvent avec beaucoup de peine, l’allégorie qui se cache sous la fable, quand il s’en cache une; en revanche, quel recueil on ferait d’anecdotes édifiantes!

« Un daïmio avait fait faire vingt vases de porcelaine d’une magnifique beauté; il ne vivait que pour les admirer. Un jour, une servante a le malheur d’en casser un par mégarde. Il entre en fureur et la condamne à mort. En apprenant cela, un de ses vassaux se présente, se disant possesseur d’une recette précieuse pour réparer le vase sans qu’on y soupçonne la moindre fêlure. Il faut seulement qu’il les voie tous ensemble. On le conduit dans la pièce où les précieux fétiches reposent sous une tenture de soie. Il soulève la draperie, et d’une seule poussée les jette tous à terre et les brise en mille pièces. — Ces dix-neuf vases restant auraient pu coûter, dit-il, la vie à dix-neuf personnes. Prenez la mienne, ce sera bien assez. — Le daïmio comprit la leçon, et fit grâce à tout le monde. » La sagesse de ces contes est relevée par une certaine finesse d’observation dans les proverbes qui se trouvent à chaque instant dans la bouche d’un Japonais lettré ou non.


« Si vous haïssez quelqu’un, laissez-le vivre. (C’est un supplice suffisant.)

« Mieux vaut éviter les reproches que rechercher les éloges.

« Les moineaux, quand ils se battent entre eux, n’ont pas peur de l’homme.

« Apprenez en vous blessant le mal qu’endurent les autres.

« Lorsque vous entrez dans un village, suivez la coutume de ce village. (Il faut hurler avec les loups.)

« Si vous parlez d’une personne, son ombre apparaît. (Quand on parle du loup, etc.)

« La grenouille dans son puits ignore l’immense océan.

« Le soldat battu a peur des brins de roseau.

« Le cœur d’un enfant de trois ans lui reste jusqu’à soixante.

« On parle des grands hommes soixante-quinze jours.

« Le dessous du chandelier est noir. (Le plus voisin de l’église est le plus loin du salut.) »


Il faudrait tout citer et aux proverbes proprement dits ajouter les locutions proverbiales telles que : « prêcher Bouddha lui-même » (prêcher un converti), qui, ici comme chez nous, assaisonnent le discours d’une pointe de vive et familière ironie.

Ces locutions du reste ne se trouvent dans la langue que parce qu’elles sont dans le génie de la nation. Généralement gai et souriant, souvent léger et frivole, le Japonais tourne assez volontiers toute chose en plaisanterie, effleure les surfaces avec ce dilettantisme qu’on nous a si sévèrement reproché, et, content d’avoir entrevu un sujet, passe outre sans l’approfondir. Aussi excelle-t-il dans la critique superficielle et badine, dans le pamphlet politique, la caricature et le journalisme d’opposition. Il est tel mémoire d’un fonctionnaire en disgrâce, tel article d’un mécontent, que ne désavoueraient pas les écrivains de la Satire Ménippée ; mais ne demandez pas à l’auteur de ces écrits d’exposer à son tour un système, une mesure à prendre; faute de méthode et de logique, il tomberait lui-même dans des erreurs plus grossières que ses sarcasmes ne sont spirituels.

Essayons de résumer ces aperçus. Il y a peu d’années encore, le voyageur qui débarquait au Japon pouvait au premier abord se croire transporté à quelques siècles en arrière. Les soldats armés de la lance et bardés de fer, les citadins vêtus comme nos damoiseaux, les cortèges seigneuriaux, les processions des corps de métier, les veilleurs nocturnes, l’aspect des lieux et des costumes comme l’organisation sociale, tout rappelait notre âge féodal. Aujourd’hui les traces visibles de cette civilisation primitive tendent à disparaître. Il ne faut pas cependant pénétrer bien profondément sous le tuf pour la retrouver dans les lois, dans les mœurs, dans les croyances. Si elle se manifeste quelque part clairement, c’est dans la littérature. Gardons-nous, pour juger celle-ci et celle-là, de nous placer à notre point de vue moderne. Reportons-nous à quelques années avant la renaissance, alors que l’Europe se débattait dans les liens de la routine scolastique, alors que le génie humain, emprisonné dans une théologie étroite, dans un idiome incorrect, attendait de toutes parts l’émancipation du langage et de la pensée. Tel est encore aujourd’hui le Japon sous le joug de l’idéographie et du bouddhisme.

Le génie national sortira-t-il vainqueur de cette lutte? Les inspirations originales, mais informes, que nous avons signalées sont-elles le dernier effort d’un peuple épuisé ou les premières tentatives d’une nation qui s’essaie, cherche sa direction et ses moyens? Le contact européen aura-t-il une influence à ce point de vue? La méthode, la logique, l’art de penser, pénétreront-ils dans l’extrême Orient aussi vite que les perfectionnemens matériels et les progrès d’emprunt? L’écriture et la syntaxe réussiront-elles à se transformer, sous l’influence de l’anglais et du français, assez complètement pour fournir aux nouvelles idées acquises, comme aux anciennes aspirations refoulées, l’instrument commode et précis qui leur manque? Ou le Japon restera-t-il à tout jamais pour les travaux de la pensée, comme pour les engins mécaniques, le tributaire de l’Occident? Il serait téméraire aujourd’hui de trancher la question : elle est de celles qu’une génération ne voit pas se résoudre. Au siècle prochain, les lecteurs de Condillac trouveront peut-être dans ce coin du monde la réfutation ou la confirmation éclatante de l’influence qu’il attribue au langage sur le développement intellectuel des peuples. Sans nous mêler de prédire ce qui sortira de cet embryon, nous voulions montrer ce qu’il a été, ce qu’il est. On a pu voir que, si le Japon a eu son essai de révolution en 1868, il attend encore sa renaissance.


GEORGE BOUSQUET.


Yeddo, 26 mai 1874.

  1. La lecture et récriture de l’alphabet vulgaire sont extrêmement répandues. Il est fort rare au Japon de rencontrer, même dans les derniers rangs du peuple, un homme qui ne sache pas lire. Chaque village a son école primaire.
  2. Shibai, emplacement gazonné; ya, maison. Cette expression vient de ce que les premières scènes dramatiques furent jouées sur un tertre de gazon à la porte des temples.
  3. Ronine ou lonine, officier licencié, sans maître.
  4. Samouraï, officier au service d’un prince.
  5. Voyez, dans la Revue du 1er avril 1873, l’histoire des Quarante-sept lonines, par M. Alfred Roussin.
  6. C’est le mot qui sert à désigner les concubines que le mari entretient dans sa maison.
  7. Tales of old Japan, by Mitford, London 1871.
  8. De là, l’expression japonaise, la noce du renard, correspondant au dicton de nos paysans, « le diable bat sa femme. »