Le Théâtre d’hier/Henry Becque

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HENRY BECQUE


I

L’ARTISTE


Ils sont bien en tout trois ou quatre, sous-critiques à l’encre épaisse, qui se sont commodément établis dans la renommée de M. Henry Becque, y mènent grand tapage, y font montre d’une originalité à bon marché, aux dépens de leur idole. C’est un chœur d’enfants terribles. Ce sont de terribles enfants de chœur. Il faut les voir à l’œuvre, et les entendre à la chapelle s’écrier, en leur langage liturgique : « Becque par-ci ! Becque par-là ! Prenez Becque ! Il n’y a que Becque ! » — avec la fastidieuse régularité des litanies. En toute rencontre, à tout propos ils se retrouvent ; ils ont une opinion facile, dont ils se gardent de changer. — « …Enfin nous avons forcé les portes de la Comédie-Française avec la Parisienne… Quant à la pièce de M. Tel, qu’on y donnait hier, on y chercherait vainement l’observation taillée dans le vif de la vie cruelle, à la manière de Becque, et les tranches de réalité saignante, que Becque seul excelle à servir… » — Savez-vous qu’on finirait par absoudre l’injustice des Athéniens à l’égard d’Aristide, trop souvent dit le Juste ? Encore Aristide était-il à peu près impeccable : ce qui n’est pas, je pense, le cas de M. Becque. Lui, qui a tant d’esprit, devrait avoir celui de réduire ces zélateurs à la modération. Ils lui font tort, en vérité, peut-être plus qu’il ne croit, et depuis plus longtemps.

Notez que cette campagne lui est injurieuse autant que nuisible, par le seul fait qu’elle s’éternise, et qu’il semble que M. Becque en ait encore besoin pour s’imposer. Et voyez comme ces bruyantes démonstrations, ces admirations impératives se retournent contre celui qui en est l’objet. On se prend à songer qu’en effet M. Becque, qui depuis plus de vingt ans est maître de sa plume, n’est pas encore maître de son public, et, pour un peu, dans l’impatience qu’on éprouve à entendre sempiternellement le même refrain, on finirait par manquer d’équité ou de mesure, et par croire que c’est le public qui a raison, tandis que MM. Becque et compagnie ont tort. Erreur, certes ; mais erreur, où entre une part de vérité. Car, si M. Becque n’est point populaire, ce n’est pas manque de talent ; c’est sa faute, sa très grande faute à lui d’abord, qui n’est pas assez détaché de ses œuvres et la faute à ses amis, qui s’y cramponnent obstinément.

Il est né homme de théâtre. Il en a reçu le don, à un degré qu’on ne saurait dire. Il ne lui a manqué que d’être moins l’homme de son théâtre, c’est-à-dire un désintéressement supérieur, une certaine humilité du génie, qui le grandit, l’élève au-dessus de ses essais, au-dessus de ses œuvres même, le préserve de s’y trop montrer, d’y être toujours présent, d’y apporter un esprit et des théories d’auteur, et de mêler à la pâte d’une observation vigoureuse je ne sais quel levain d’égoïsme intellectuel et suraigu. Il ne lui a manqué que de se complaire moins à ses mots, de ne pas tant se conjouir dans ses cruautés et crudités voulues, où l’écrivain, dans un perpétuel étonnement de soi-même, apparaît sans cesse, se frottant les mains, avec des airs de défi. Cette continuelle intervention est désobligeante, surtout au théâtre. Ce culte personnel nuit à la connaissance d’autrui. Il étouffe l’imagination, force l’esprit, exagère les tendances, exaspère l’humeur du dramatiste, et rebute le public, qui ne s’attache pas longtemps aux hommes trop sûrs de leur fait, à ces lutteurs de profession qui étalent leurs doubles muscles avec une superbe juvénile et persistante. Cela prépare une vie de combat, sans triomphe certain. Les athlètes vieillis sont comme des écoliers trop âgés. Il est une heure où un homme tel que M. Becque doit être un maître incontesté. Pour le devenir, il ne lui fallait qu’un peu plus d’impersonnalité résignée à écrire des chefs-d’œuvre d’observation, sans prétention, quelque chose comme de la vaillance plus discrète. Son existence de combat impose le respect. Elle ne lui a pas conquis l’admiration qu’il mériterait à plus d’un égard. La foule le connaît à peine ; les lettrés le discutent ; ses caudataires le compromettent avec fureur.

Oh ! qu’on ne nous dise plus, de grâce, que les plus épris de vérité et de réalité sont précisément discutés sans fin, pour être trop sincères et vrais. Il y a beau temps que M. Émile Zola est populaire, et que même ses plus irréconciliables ennemis, ceux qui répugnent davantage à ses audaces, rendent justice à son talent et s’inclinent devant l’opiniâtreté de son labeur. Il est vrai que M. Zola a su s’élever au-dessus de ses polémiques de jeunesse, dominer son œuvre et la réalité même (au point qu’il passe désormais pour un épique, ce naturaliste), et creuser consciencieusement son sillon, au lieu de s’immobiliser et de se figer, boudeur et provocateur, dans les haines et les engoûments des débuts. Il a renoncé, à peu près, aux exercices préparatoires et de parade, qui étonnent le bourgeois : ses forces n’en ont été que plus assouplies. Or je ne pense pas que M. Henry Becque, qui, au lieu d’accumuler de belles œuvres, dont il était très capable, s’obstinait, après un intervalle de seize années, à une reprise de Michel Pauper, me garde rancune de lui proposer M. Zola en exemple, et de le comparer à cet infatigable travailleur, qui, lui aussi, avait débuté dans la carrière par être un lutteur farouche.

Et pourtant, outre ses qualités naturelles, qui sont grandes, il a de la volonté, une volonté tenace qui s’est d’abord affirmée contre les directeurs inintelligents ou marchands, une volonté très crâne, qu’il convient de louer très haut, et qui ressembla d’abord à une foi vibrante en son étoile et sa jeunesse. Il ne me coûte pas de reconnaître qu’il y avait une manière d’héroïsme à monter seul, à ses frais, le drame Michel Pauper, héroïsme d’autant plus appréciable qu’il est plus rare dans ce coin de la littérature, où il s’exaltait. La sympathie que la jeune génération ressent pour M. Becque vient en partie de là : c’est justice.

Mais après avoir voulu, il s’est buté, buté contre les autres, et aussi contre lui-même. Il avait frappé un coup violent : sa main en est restée lourde pour la vie. Et cet homme, qui possédait un extraordinaire tempérament dramatique, s’est changé en un opiniâtre d’humeur noire et stérile. Oui, par la nature et la carrure de son talent il rappelle ces athlètes un peu gauches, qui ne sauraient vous serrer la main sans vous briser les doigts, et qui bruyamment en éclatent de rire, parce qu’au fond d’eux-mêmes ils tirent de cette inaliénable vigueur quelque vanité ; et aussi, comme parfois on fait la grimace en retirant la main endolorie, ils entrent en un chagrin profond à la pensée qu’ils ne puissent rien toucher sans le meurtrir, et que l’humanité soit faible et douillette au point de n’admirer pas sans réserve leur poigne orgueilleuse et rude.

II

L’ESPRIT NATUREL.


C’est un souvenir de jeunesse que je veux vous raconter…

En 1868 — il y a vingt-deux ans de cela — M. Henry Becque faillit être gai. Il l’a échappé belle. C’était l’époque où, n’ayant encore ni renom, ni attitude, ni disciples, il débutait au théâtre avec les simples ressources de son talent naturel, qui était sincère et ardent, et celles de sa verve aisée et divertissante. Sa première comédie, l’Enfant Prodigue, était fort plaisante, et témoignait du premier coup que M. Becque avait de l’esprit, infiniment, et tant et tant, qu’il ne s’en est point guéri, et que, malgré tout, c’est une de ses qualités dominantes. Car il en a, du meilleur, non pas seulement de cet esprit de mots, qui fleurit et meurt sur le boulevard en l’espace d’une journée (beaucoup de sots, à Paris, sont nantis de cet esprit-là), mais du véritable, fantaisiste ou profond, inattendu ou bon enfant, de celui qui excelle à saisir les rapports des choses, qui les embrasse d’un mot, qui les fixe d’un trait, anomalies, contradictions, compromissions étranges ou comiques, de cet esprit enfin que Labiche a eu autant que personne, — mais pas beaucoup plus que M. Becque. Et c’est justement à Labiche que fait songer l’Enfant Prodigue, une comédie de jeunesse, de belle et bonne humeur jaillissante, et relevée de vérité simple, et agrémentée de gaité tout unie. Rien de plus curieux à lire que les feuilletons dramatiques d’alors, et les horoscopes qu’on y tirait du talent de M. Becque. — « … Ce jeune homme a reçu de la fée du théâtre ce don, qui tient lieu de tous les autres : la gaité. Son dialogue pétille de mots, qui sont naïvement drôles… »[1]. — Naïvement drôle, l’écrivain, qui depuis… ? Naïf, Michel Pauper ? Drôles, Les Corbeaux ? Voilà une prophétie, ou je m’abuse, et de délicieuse critique divinatoire. Et pourtant, il est très vrai que l’Enfant Prodigue est une pièce drôle, simplement, bonnement, à peu près vide de prétentions, mais pleine d’heureuse inexpérience, d’entrain, et surtout d’esprit.

Elle n’est pas complète ; le sujet en paraîtra mince et dispersé aux délicats, à la bonne heure. Mais elle est foncièrement spirituelle. Sans se mettre en frais d’invention, l’auteur va tranquillement aux scènes comiques : il les attrape d’intuition ; je vous dis que cela sent l’habileté instinctive, beaucoup plus que professionnelle, de Labiche. — Un bourgeois de province envoie son fils à Paris pour l’aguerrir contre les turpitudes, et le mettre en garde contre les revers de la fortune. Le départ, l’arrivée, la première liaison, et le dénouement, c’est au juste toute la pièce, agencée au petit bonheur (dont je n’ai cure, puisqu’il s’agit d’un débutant), et d’une verve tantôt épanouie et bouffonne, tantôt plus réservée et d’un pince-sans-rire.

Au premier tableau figure un personnel de petite ville, qui vous réjouit l’âme. Ils ne posent pas, les bonnes gens. Ils ne vous ont pas encore des airs d’être profondément observés et burinés. Ils sont comme ils sont, et ils sont de province, à coup sûr, et forment une colonie divertissante au possible : Théodore, l’Enfant prodigue, chérubin de canton, qui frôle sa domestique, et déclare qu’il les connaît, les femmes, et qu’il en a assez ; Bernardin, futur maire de Montélimart, bourgeois embourgeoisé, égoïste, ambitieux, pompeux, verbeux, et quelque peu gâteux ; Delaunay, le notaire, personnage officiel et marié, qui a étudié le droit sur les genoux de mademoiselle Amanda, et qui en garde au cœur des illusions ensoleillées ; et le receveur, qui est sourd ; et le capitaine des pompiers, qui dort sur son casque ; et madame Bernardin, la mère, plus aigre que madame Jourdain et moins passive que madame Guérin ; et la belle madame Delaunay, une pervenche de sous-préfecture, bonne mère au demeurant, « qui allaite son enfant d’une main et de l’autre joue une symphonie de Beethowen… », mais un peu rêveuse, et que trouble étrangement la vue des Eliacins. Tout ce monde vous a un parfum de Montélimart, et fleure la province, exhalant une bêtise confite et béate, une ambition sournoise et médiocre, et certaine sentimentalité de Petit Journal, qui est un régal. Réunis, ils forment un ensemble solennellement comique et familièrement ridicule : une douce caricature, une pochade malicieuse et inoffensive. Quand tout le monde est présent, Bernardin tire sa montre Diable ! Le train part dans trois quarts d’heure ! Il demande à Victoire un sucrier, une carafe et un verre, « tout ce qu’il faut pour parler », et, ouvrant la séance, il prononce son discours-ministre.

« … C’est pourquoi, Théodore, je veux te signaler comme détestables, anarchiques, et dont tu devras t’abstenir, deux classes spéciales dans la société : la première… (je ne voulais pas les nommer, mais je n’ai pas pu faire autrement), les journalistes, et la seconde… (je ne voulais pas les nommer non plus)… et la seconde les courtisanes… Les journalistes, héritiers des maximes funestes de quatre-vingt-treize (très bien, très bien à droite)… qui, après avoir noyé leur plume dans les flots de l’orgie, voudraient noyer la société dans des flots de sang. Abstiens-toi, Théodore… (Applaudissements)… Mais comment parler, sans choquer la pudeur, de ces femmes, sont-ce bien des femmes ? capables de… Que si… Abstiens toi. Théodore, abstiens-toi ! » — Un employé du chemin de fer : — « c’est ici qu’il y a des malles à prendre ? » — « Oui, mon ami, c’est ici. Voulez-vous tous asseoir un instant et écouter la fin de mon discours ? »

Et quelle fin ! L’éloquence pédestre ne suffit plus, la prose de Mirabeau demeure impuissante ; et c’est une envolée vers la poésie gnomique, code de la vie et ornement de la mémoire.

Ne jette pas ton cœur de caprice en caprice ;
La femme est une fleur au bord d’un précipice.
Dis-toi, quand tu verras des hommes de journal.
Ils ne font aucun bien, mais ils font tout le mal…


Tout cela rehaussé de mots savoureux, agrémenté de réflexions piquantes, égayé de jeux de scène bouffons, tout cela baigné de plaisante fantaisie.

« … Nous attendons encore le percepteur, qui m’a promis sa visite », dit Bernardin, avant de s’installer à la tribune. — « Il est sourd ! » — « Il est sourd, c’est possible : mais je suis censé ne pas le savoir. »

L’arrivée de l’employé aux bagages provoque une interruption de séance. Mais l’orateur domine et discipline son public.

« Victoire, donnes les malles et revenez tout de suite. »

Endormi par un mouvement pathétique, où Bernardin s’engage courageusement : « … Mais rien n’est stable et assuré en ce bas monde, où les grandes comme les petites choses nous échappent souvent des mains… » le capitaine des pompiers laisse tomber son casque. Alors, sans perdre contenance, élargissant le geste, la tête renversée et glorieuse : « … Enlevez donc ce casque ! s’écrie l’orateur… Ainsi, mon fils, ces conseils ratifiés par la voix publique… » Et l’oraison continue, paternelle, véhémente, inexorable. C’est le Club champenois en famille, à Montélimart, d’une fantaisie moins torrentueuse, et aussi, et déjà, il faut le dire, avec quelques traits d’un esprit plus mordant et incisif. « Ils sont bêtes », conclut Delaunay.

Après cette réunion de famille, un diner de concierges. Vous me direz que c’est encore le club, le club du cordon, que ces honnêtes gouverneurs ont l’emphase de Bernardin, qu’ils débitent des vers, comme lui :

 Allons au Pauvre aveugle
 Dessus le boulevard,


et que toute la compagnie a l’esprit du premier acte, que l’on reconnaît, et qui se répète. Oui, mais elle en a, et beaucoup, et cela nous suffit pour le quart d’heure. Il y a là un certain Démosthène Chevillard, un bohème très caustique, à qui l’expérience de la vie et la pratique de la paresse, les propos d’estaminet et les discussions politiques ont singulièrement délié la langue et aiguisé la verve. C’est Schaunard, plus moderne, plus vrai aussi, un Schaunard qui pullule véritablement sur les hauteurs de Montmartre et aux alentours du Panthéon. Nous avons tous dans l’oreille des échos de ce genre d’esprit phraseur, gouailleur et désabusé, des bribes de cette philosophie inoffensive et douce, un peu mélancolique à l’approche du « terme », coupée d’absinthe et de bésigue, et qui n’exclut point les faiblesses de l’âme. Il a des formules, ce Chevillard ; il tourne la période, et s’évertue à moraliser ce monde solennel des concierges, où il est admis. Avec ce gaillard-là, croyez que la gaité ne chôme pas, au diner de madame Bertrand. Et puis, c’est plaisir de voir une fois, dans l’intimidité, en bras de chemise, ces magistrats de la porte, si renseignés sur les maux de l’humanité et si indulgents à ses défaillances. Ils ont une dignité reposée avec, peu à peu, un laisser-aller de haut goût, sans aucune morgue.

« Si ça ne gêne personne, je vous demanderai la permission d’ôter ma ceinture. » — « Ôte ta ceinture, mon enfant, j’ôte ma cravate. » — « Les cérémonies étant exclues de ce repas, je prendrai la liberté de fumer en mangeant. »

L’occasion même de cette agréable redoute est d’une invention réjouissante. Madame Bertrand célèbre le retour de sa fille Clarisse, une autre enfant prodigue. qui aimait trop la danse ; et elle compte sur Éloi, le voisin, pour la sermonner et l’assagir.

« Vous êtes le parrain de ma fille. Éloi ; c’est votre devoir de lui faire de la morale, et elle en a besoin. » — « Je lui en ferai, » — « Vous lui parlerez avant le diner, n’est-ce pas ? Après le diner on a un peu bu ; on est en train de rire, ça ne vaudrait rien. » — « Quand vous voudrez… »

Oh ! la bonne petite morale, pas méchante, ni austère, ni renfrognée, ni relâchée, ni dogmatique, ni casuiste, mais combien philosophe ! En vérité, cet Éloi est un sage, qui sait que certaines brèches ne se réparent point, et que la vie n’est pas si longue, et qu’elle est assez pénible, pour qu’on n’aille pas encore la compliquer de préceptes raffinés et d’impératifs catégoriques. Qui, c’est un sage, le voisin Éloi, une âme sereine, compatissante aux hommes et bénigne aux choses. Il y a dans son sermon un grand fonds d’expérience, d’indépendance, et de fierté blessée, de dignité souriante et de charité très chrétienne : cela est assuré.

« Bonjour, Clarisse ! Embrasse ton parrain, mon enfant, il ne s’en plaindra pas. Je ne reviendrai pas sur le passé. Tu as perdu ton honneur, et tout ce que je dirais, n’est-ce pas ? ça et rien, ce serait exactement la même chose. Marche toujours la tête haute, fillette ; j’en ai connu, et de plus huppées que toi, qui vivaient comme des pas grand’chose, et on ne l’aurait jamais cru à les entendre parler à leur concierge. Sois sage, si ça t’amuse, mon enfant ; amuse-toi, si tu ne peux pas être sage ; tu chanteras plus tôt que tu ne crois :

Il n’est qu’un temps pour la folie,
Les amours n’ont qu’une saison. »


Remarquez aussi que cette fantaisie drolatique serre, au moins par la forme, la réalité d’assez près, et que, si c’est du Labiche, ce n’en est pas du pire, certes.

Encore une fois, la pièce n’est pas d’ensemble ; les personnages courent les uns après les autres pour se conter leurs affaires, et c’est merveille qu’ils se rencontrent ; le troisième acte surtout est un peu long et fatigant ; et cependant il y a dans tout cela une certaine teneur, grâce à la gaité qui y règne et à l’esprit qui y fourmille. Cette rare qualité fait passer les faiblesses de la comédie, et la relève au dénoûment. Il semblait indiqué, nécessaire, ce denoûment et d’une simplicité biblique. Théodore, pris aux charmes de Clarisse, veut l’épouser, cela va de soi ; mais le père n’entend pas de cette oreille, coupe les vivres, ramène le pécheur à Montélimart, où il le mariera, comme s’est marié Delaunay, à moins que l’enfant prodigue ne demeure à Paris pour philosopher, à l’exemple de Chevillard. L’auteur s’en est tiré plus joliment, Bernardin, qui vient chercher son fils, débarque chez madame de la Richaudière, alias Clarisse pour Théodore, alias Amanda, l’ancienne Amanda de Delaunay. Tout Montélimart se retrouve chez Amanda, tout Montélimart dans le grand monde : le baron Bernardin, le vicomte Delaunay, la princesse Valentino, tout le personnel de la Cagnotte, toute la Ferté-sous-Jouarre éparse dans les salons de M. Cocarel. Or, cette trouvaille finale sauve la pièce, qui se termine par un éclat de rire.

« Les femmes, écoute-moi ça, Théodore, les femmes, c’est comme les photographies : il y a un imbécile qui conserve précieusement le cliché, pendant que les gens d’esprit se partagent les épreuves. »

Le mot est de Chevillard ; il est drôle, pas trop lugubre, et cela est bien ainsi.

Quand on lit aujourd’hui les deux volumes de M. Becque, cette œuvre ressemble assez à une aventure de jeunesse, à une amusante équipée, une escapade spirituelle. L auteur s’est amendé depuis, à grand effort ; il s’est guéri de la fantaisie, de la bouffonnerie, de la bonne humeur ; mais il n’a pu se défaire entièrement de cet esprit naturel et primesautier, qu’il méprise peut-être à présent. Or, bien lui en a pris d’avoir un jour, sans trop de façons, esquissé le bonhomme Bernardin et le bohème Chevillard, sempiternels phraseurs et discoureurs ridicules. Il y a acquis le tour de main, et l’éloquence comique, qui éclaire d’un sourire la sombre et odieuse histoire de Michel Pauper, et en égaie le troisième acte par la harangue du conseiller municipal. Qu’il ne rougisse pas trop non plus de la fantaisie et des quiproquos, qui rappellent Labiche, et qui l’ont plus d’une fois, depuis, tiré d’embarras. Telle de ses comédies, les Honnêtes femmes, par exemple, serait mortelle, sans un de ces éclairs heureux, une de ces pages d’un comique irrésistible, qui entraine le reste, à propos. Un monsieur Lambert fait la cour à madame Chevallier, qui se fâche d’abord, et revient à lui plus séduisante et plus câline… Mais il faut citer.

J’étais sotte tout à l’heure… Je suis montée sur mes grands chevaux… On ne se fâche pas, parce qu’on lui a plu, avec un aimable garçon qu’on estime et qu’on apprécie soi-même. » — « Ça marche » — « Asseyez-vous. Poussez-vous un peu plus pour me faire une place. Plus loin ! Quel âge avez-vous » — « Trente ans. » — « Pas plus ? » — « Pas plus. » — « Trente ans. L’âge est bien. Votre santé est bonne ? » — « Excellente. » — « Vous ne me trompez pas ? » — « Je suis… très robuste. » — « Vous possédez… ? Je vous demande ce que vous possédez. Un chiffre exact. » — « Cent mille francs… et quelques petites choses. » — « Disons cent mille francs. En valeurs sûres et négociables ? » — « En valeurs sûres et négociables. » — « C’est bien. Je ne parle pas de votre tante. Ça viendra, quand ça viendra. Monsieur Lambert… je vous ai trouvé une femme. »

Il flairait une bonne fortune : c’était un piège-à-loups. L’esprit de M. Becque lui joue encore de ces tours, assez souvent, en tapinois, par un penchant original, et quand l’écrivain l’abandonne, le laisse aller, la bride sur le coup. C’est l’esprit de jeunesse, la verve de l’Enfant prodigue, le don de nature. C’est à lui qu’on doit la première scène de la Parisienne, scène de jalousie, inquiète, concentrée, conjugale, moralisante au plus haut point, d’où le ridicule jaillit soudain, par une brusque détente, d’un jet inattendu et suffoquant…

« Résistez, Clotilde, résistez ! En me restant fidèle, vous restez digne et honorable ; le jour où vous me tromperiez… » — « Prenez garde, voilà mon mari. »

C’est à ce don enfin que M. Becque peut attribuer les mois proprement comiques, qu’il a semés dans son théâtre, et qui l’emportent, grâce à Dieu, sur les aphorismes profondément amers, lentement, âprement élaborés. Et c’est encore de là que procède, en partie, la Navette, un bijou d’esprit, et aussi d’observation.


III

L’OBSERVATION.


Car M. Becque est un observateur. Il l’est même, par complexion, beaucoup plus qu’analyste : en quoi consiste plus essentiellement le génie dramatique. Par là, il se rapproche de M. Alexandre Dumas fils, d’Émile Augier… et même de Molière. Il a l’acuité visuelle, le regard net et pénétrant, et non pas seulement la perception directe et vive des objets pris en leurs contours et à la surface, mais une certaine intuition, souvent très précise, des dessous, du substratum, comme disent les philosophes : et il en est ainsi, toutes les fois qu’il s’en tient à l’image imprimée dans son œil, qui est singulièrement lumineuse, sans l’assombrir ou la déformer par les retouches d’école ou la cuisine d’atelier. Chez lui, l’organe est supérieur à l’artiste, infiniment plus sensible et délicat. Décidément, si M. Becque n’est pas un ingrat, il a tout lieu d’être content de la nature, qui ne l’a point traité en marâtre.

Je n’en veux pour preuve que son style, sobre, précis, nerveux, éminemment dramatique, et qui est aussi chez lui un don si naturel, qu’il n’est point parvenu à le gâter. On y voit à plein l’homme né pour l’observation, et presque jamais l’écrivain : dont on ne saurait trop le louer. Un grammairien subtil et intransigeant lui reprocherait peut-être — en de rares endroits — le jar- gon ou le solécisme, que M. Becque a laissé traîner par mégarde, ou que les typographes lui ont prêté par habitude. Il remarquerait que Simpson fils, qui a un nom anglais, s’exprime parfois en bas allemand. « Paris est agréable évidemment ; je m’y plairais peut-être autant qu’un autre, si j’y étais dans des conditions qui satisferaient mon amour-propre ; » que M. Laffont est manifestement troublé, quand il soupire : « Et puis, si le malheur veut que je vous ai perdue pour toujours. » Il ne manquerait même pas de faire observer à M. Becque qu’on écrit « besoigneux », et qu’il y a quelque incohérence (mettons négligence, pour ne jouer pas les savants en us) à coudre ensemble ces images discordantes : « Le vilain monde a perdu de son entrain, et montre la corde. » À cela M. Becque répondrait que ce sont des vétilles, et qu’il écrit pour la scène, nettement, vigoureusement, ce qui est mieux nue correctement : et il aurait cent fois raison.

Et certes, ce qu’il y a de plus curieux dans son style, c’est qu’il est moins de l’écriture que de l’observation ; c’est qu’on y découvre, à peu près dépouillé de tout voile et ornement, l’apport de la réalité, et que, lorsque cela sonne juste, c’est, aussi approché qu’il est possible au théâtre, le langage même de la vie. Les ignorants seuls s’imaginent qu’il est aisé d’écrire ainsi, et que chacun en peut faire autant, au lieu que rien n’est plus difficile, et que sur ce point déjà se révèlent l’originalité et la loyauté entière de l’écrivain. Même aux endroits où M. Becque dévie de parti pris, la forme demeure sobre, nerveuse, et familièrement imagée. Même lorsqu’il combine, raffine, vaticine, l’expression, comme par miracle, n’en est guère altérée : on sent bien que tout cela n’est plus tout à fait vu, ni entendu, mais forcé, poussé, par système, laborieusement ; et la phrase reste simple, exacte, incisive, et persiste à sembler la notation sincère, et comme un ressouvenir transparent de ce qui se dit hors du théâtre, à l’antichambre, au salon, au boudoir, et ailleurs. Je ne serais pas étonné que M. Becque en fût un peu dupe, tout le premier, et qu’il crût être plus profond et sincère, alors que de la vérité il ne conserve que cette décevante apparence, qui est déjà un rare mérite ; ni qu’il pensât observer encore, tandis que l’observation a, depuis quelques instants, fait place à l’exagération et à la doctrine, et que (étrange contrariété) le langage, qui seul reste vrai par une naturelle assimilation, est néanmoins un déguisement.

D’ailleurs, c’est peu de dire qu’il a supprimé la tirade, la classique tirade, qui a eu son prix, mais qui était de convention pure ; il faut ajouter aussitôt qu’il l’a remplacée par je ne sais quel mouvement plus facile à saisir qu’à définir, qui englobe les phrases, souvent hachées menu, et leur donne une consistance, un air d’être parlées plutôt qu’écrites, un air naturel et de conversation enfin. Il a des pages entières sans une réplique, où le discours se poursuit, se nuance, se tourne et se retourne, se plie et se replie, avec la sobriété flexible et la lente précipitation des propos intimes. Il en est d’autres, des scènes de causerie, à bâtons rompus, comme dans la vie, dont l’idée principale transparait discrètement, grâce à un mot jeté de-ci de-là, à une répétition inattendue, et à ces vocables usuels et rapides, qui sont comme les gestes de la langue. S’il y a un style réaliste au théâtre, c’est assurément celui-là. Or, même après M. Alexandre Dumas fils, M. Henry Becque a pu l’inventer en partie. Ce n’est pas un mince mérite.

Ce style est d’autant plus original et captivant, qu’il est un miroir fidèle, non pas de l’homme, si je me suis fait entendre, mais de l’observateur, et des démarches de son esprit. Plus vif que large, plus nerveux qu’abondant, plus pénétrant qu’enveloppant, il est le plus sûr témoignage de la façon dont l’écrivain regarde la réalité. M. Becque est un observateur ; il ne viendrait à l’idée de personne de rappeler un contemplateur. Il n’en a ni l’envergure ni la sensibilité. Mais il a autre chose, c’est à savoir une vision claire dans un champ restreint, très nette, un peu étroite et indifférente. De la vie moderne il a découvert et obstinément scruté quelques coins ; mais si son regard est opiniâtre, il est à peu près fixe, et inepte aux vastes perspectives. Il n’embrasse guère d’ensemble : il examine, il étudie, il perce. Il a le talent de voir, mais dans un certain rayon, à angle aigu ; il n’est guère plus séduit par les grands spectacles que par les grandes lignes ; il aime à fouiller les pénombres, et les petits côtés. Ceci n’est pas pour diminuer sa valeur, mais pour expliquer d’abord que son théâtre se résume en deux ou trois idées tout à fait neuves, deux ou trois, sans plus, qui l’attirent curieusement, sans l’émouvoir outre mesure. Vous me répondrez que la quantité ne fait rien à l’affaire : j’en suis d’avis.

D’autant que cette faculté d’observation, volontairement restreinte, mais implacable, l’a conduit à une philosophie assez concentrée, point du tout banale, mais assez inquiétante à définir. Rien de plus délicat que de fixer la matière qu’il élabore. Somme toute, les Corbeaux exceptés, son théâtre est déjà dans la Navette, et même, à l’origine, dans une scène isolée et un peu perdue au milieu du troisième acte de l’Enfant prodigue.

— « Ah ! il est encore un peu bête avec les femmes, dit Chevillard, mais toi aussi, moi aussi, nous sommes un peu bêtes avec les femmes. » — « Oh ! mon ami, répond Delaunay, que ce que tu dis là est vrai ! » —

Au premier regard, cela n’a l’air que d’un mot. Donnez-y plus d’attention, et vous verrez que d’ores et déjà M. Becque prenait pied naturellement et d’instinct — on ne saurait trop le redire — sur un terrain fertile et presque inexploré. Mais Molière ? Mais Racine ? Et Marivaux ? Et les Romantiques ? Et l’éternelle peinture de l’amour dont se meurt notre scène ?

Je vous entends, et je vous réponds : « Depuis quelque trois cents ans, et plus, que l’amour défraye notre théâtre, tous, même et surtout les derniers venus, les Romantiques, en ont représenté les transports, les audaces, les folies, les contrariétés, les dépits et les faiblesses, sans en avoir jamais déterminé les causes. J’en vois bien les effets, que j’admire ou que je déplore, à moins que je ne m’en divertisse. Je distingue sans peine qu’Hermione aime éperdûment Pyrrhus, Roxane Bajazet, Bajazet Atalide, et Valère Marianne, et Doña Sol Hernani, et Marie de Neubourg Ruy Blas. Mais pourquoi, grand Dieu, pourquoi ? En sont-ils sûrs ? Il est vrai qu’ils n’ont pas la mine d’en douter. C’est toujours la même chose, parce que c’est toujours la même chose… disent les classiques ; cela est ainsi parce qu’ainsi va le monde, opinent les Romantiques. D’où il suit que l’amour est, sur notre théâtre, un fait primordial, inexpliqué, dont les suites prêtent au ridicule, à moins qu’elles n’atteignent au sublime. Mais enfin, qu’est-ce donc que l’amour ? Et n’est-il pas vrai que notre littérature dramatique, cependant qu’elle en analyse toutes les conséquences, se réserve sur les origines, ne m’enseigne qu’un que sais-je ? et aux questions indiscrètes répond : « Il est, parce qu’il est. »

À moins qu’il ne soit pas, remarque M. Becque, qui a observé notre société moderne. N’allez pas croire, au moins, qu’il nie le fait, qui est indéniable, et qu’il ne se soit point avisé que tout ce qui respire a aimé, aime, ou aimera : nécessité de la race ou du cœur, travaux forcés de la génération ou du sentiment Ceci n’a rien à voir avec l’amour au théâtre, au xixe siècle, dans une société très civilisée, qui se pique d’aimer commodément et beaucoup, et qui se repeuple malaisément. Si donc je demande à M. Becque : Pourquoi ? mon Dieu, pourquoi ? Pourquoi la passion lyrique ou grotesque ? Pourquoi le drame d’hier et la comédie de demain ? — Parce qu’aujourd’hui surtout, répond-il avec beaucoup de pénétration et de crânerie, vous aussi, moi aussi, nous sommes un peu bêtes avec les femmes ; parce que l’amour est fait de privations, d’imaginations, d’illusions, et que les illusions sûr une femme, « cela ressemble aux rhumatismes dont on ne se défait jamais complètement. »

Et voyez ce qui résulte de cette vue, et le parti qu’en peut tirer un esprit observateur, aidé d’un tempérament dramatique. Donc, dans la vie moderne, l’amour n’est le plus souvent qu’une illusion, et notre rhumatisme une maladie imaginaire. Il est pour nous comme s’il était, et non plus parce qu’il est. Et, comme s’il était, nous prenons pour lui ce qui n’est pas lui, nous en exigeons tout le contraire de ce qu’il nous peut donner, et voilà notre irrémédiable jobarderie, notre délicieuse bêtise. Ce qu’il y a de piquant, c’est notre acharnement à vouloir être malades, nos poses, nos attitudes, nos contorsions, nos révoltes suivies de langueurs, et la conviction que nous y mettons, et l’orgueil et la dignité que nous y apportons. Et le meilleur de tout, c’est qu’à force de soigner, de traîner des rhumatismes de fantaisie, un beau jour ils deviennent véritables, aigus et chroniques. À force de passer brusquement du chaud au froid et inversement, nous avons pris froid, alors que nous croyions être commodément au chaud. Erreur sur la température, illusion, quiproquo. Et c’est justement le moderne quiproquo de l’amour, le drame rajeuni, le théâtre renouvelé ; quiproquo d’autant plus ridicule dans ses conséquences qu’il est mieux expliqué à l’origine ; quiproquos consentis, passionnés, ou tièdes, triste et réjouissante comédie, qui repose non plus sur un fait indéfini et primordial, mais sur les différentes formes et humeurs qu’affecte la précieuse et stupéfiante bêtise de nos contemporains ! Prendre des châtaignes pour des oranges, quiproquo ; Antonia pour une fille honnête, quiproquo ; un gentleman d’écurie pour un gentilhomme, quiproquo ; Hélène pour une fille chaste, l’ivrognerie pour le remède à tous les maux, et l’amour pour quelque chose, quiproquo, quiproquo. Ah ! cette façon d’envisager la passion n’est ni classique, ni romantique, certes : mais elle est dramatique, et d’une observation âpre. Et puis, la morale qui s’en dégage, si elle n’est point folâtre, est du moins assez édifiante et originale, outre qu’elle imprime au cœur des hommes le sentiment aigu de leur imbécillité, avec une nuance d’humilité contrite, dont les femmes peuvent être fières et qui leur donne bien du prestige. Deposuit potentes de sede, et exaltavit humiles !

Le temps des intrépides croyances et des gestes farouches est passé. Les successeurs d’Antony n’ont plus cette foi superbe, qui renverse toutes les barrières pour satisfaire et célébrer l’idéale passion. Ils sont moins sûrs d’eux-mêmes ; ils croient à l’objet de leur fantaisie ; mais ils n’ont plus l’entrain triomphant et romanesque. Au fond, ils ont hérité de l’égoïsme d’Arnolphe, beaucoup plus que de l’enthousiasme d’Antony. Arthur et Alfred[2] se soucient de l’idéal médiocrement ; ils veulent du confort, avec quelques satisfactions d’amour-propre, et cela suffit à leur donner les illusions de l’amour. Et puis, ils pensent être aimés, vraiment, pour eux-mêmes. Ici commence la méprise. Leur vanité est en jeu, parfois égratignée ; ils en souffrent ; et cette souffrance leur parait le propre signe de la passion véritable ; du moment que quelque chose les gêne, cette gêne est de la passion, n’est-il pas vrai ? Et de ce sentiment imaginaire ils se créent des droits, qu’ils prétendent imposer. Autre mécompte. Ils ont débuté par les seconds rôles, où ils étaient caressés, choyés, en de charmants intermèdes, toujours trop courts, et cela pouvait durer quelque temps ainsi. Ils en veulent aux grands premiers rôles ; il leur faut toute la scène ; ils y mettent le prix, au besoin ; il accaparent la félicité pour eux tout seuls, par dignité, avec un grand sérieux. Le petit Alfred s’évanouit pour faire place à M. Alfred, tel qu’il est, je veux dire égoïste, vaniteux, économe, jocrisse et sermonneur, aucunement amoureux, sinon de soi, et pas davantage aimé, sinon par lui-même. Il veut réunir le bon marché et le luxe, mettre la dignité dans une situation irrégulière, et il lui faut de la passion profonde, par-dessus le tarif des petits arrangements qu’il a pris. Abîme de contradictions, suprême de ridicule. « J’ai fait une bêtise… J’ai fait une grande bêtise. » Arthur qui succède à Alfred tombe dans les mêmes erreurs et le même ridicule, et Alfred reprendra la suppléance d’Arthur, tout comme Arthur avait d’abord pris celle d’Alfred, tour à tour relégués au jeu de bésigue ou conviés au jeu de l’amour, — à moins qu’il ne devienne aussi quelqu’un dans la maison, et qu’il ne prenne sa place dans la navette, ce dos d’amoureux qui par la porte dérobée, au fond du tableau, s’esquive.

Et partout c’est la navette, la même navette des amants inquiets et des illusions sentimentales, qu’il s’agisse d’une société anonyme, ou d’une union régulière. De même que personne ne ressemble plus à Arthur qu’Alfred, ainsi l’amant bientôt se change en un autre mari, plus anxieux et déçu. En ces régions familiales, les rhumatismes viennent tôt, et n’en sont que plus risibles. D’abord le bonheur est parfait. Il est si doux de se voir préféré, de se croire aimé assurément (car cela est assuré d’une femme qui trahit ses devoirs… etc…), aimé pour soi-même enfin. Oh ! qu’il est doux d’être aimé pour soi-même, et d’en avoir la preuve vivante, indiscutable, qui est le mari ! — Celui-ci d’ailleurs est un homme excellent, un ami dévoué, un peu négligent peut-être, et qui laisse trop de liberté à sa femme. Où va-t-elle ? Que fait-elle ? Sans doute elle est fidèle, (pas trop au mari qui ne compte point,) mais moins empressée, cela est certain… M. Laffont[3], vous jouez les Alfred. Voici que tous prenez en main les intérêts de la maison, le soin de son honneur, de votre honneur, par un délicieux sophisme, qui vous met en fâcheuse posture, celle de M. Alfred précisément. Du second plan, qui était le seul enviable, vous passez au premier, qui vous rend grotesque à plaisir. Car enfin, vous faites un sot métier, dont vous n’avez les privilèges que par intérim. Quelle désobligeante attitude est la vôtre ! Je soupçonne que vous en souffrez. J’en suis certain, à présent que vous invoquez l’amour, que vous tournez à la morale, vous aussi, que vous prêchez et sermonnez : d’ailleurs vous êtes à ravir dans ce personnage. Vous jouez les Alfred, M. Laffont, je vous dis que vous les jouez. Vous êtes très fâché, cela vous gêne, vous devenez obsédant et lâche, immédiatement au-dessous du mari, vous, le héros, le préféré, l’amant : bon égoïste, âme candide et jobarde, qui avez pensé mettre le feu à un cœur sensible, au lieu que vous avez occupé l’ennui et diverti l’imagination d’une femme coquette, capricieuse, excédée de loisirs. Vous mourrez dans l’impénitence finale, avec vos illusions, et réfractaire à cette croyance, consolante pour nous autres mandarins, que de nos jours tous les hommes se ressemblent aux yeux des femmes : crédules jusqu’à la niaiserie, uniformes autant que la plate réalité, que M. Becque a si finement observée ici.

Oui, tous, même ce niais de Michel Pauper, qui est le plus misérable, parce que son amour était fait de généreuses illusions et de charité primesautière. Ôtez à Michel son caractère de bienfaiteur, et il devient ridicule, comme les autres. Comparez-le, en revanche, au Pierre Chambaud d’Émile Augier, et vous verrez combien M. Henry Becque observe différemment. L’un est un savant, amoureux d’une fille riche ; d’abord le coup de foudre, puis le mariage, le beau mariage, et les conséquences : c’est le drame de l’argent qui se joue-là. Quant à la passion, dont Pierre a failli être victime, elle est subite, irrésistible, imprescriptible. Mais regardez vivre ce Pauper, si vous voulez apprécier la terrible dose d’imaginations qu’on appelle l’amour, et quelle folie elle développe en nos imbéciles cervelles, folie aveugle, également susceptible de générosité et de lâcheté. Il n’a pas plu à l’auteur de le marier au premier acte, pour le suivre à travers ses tribulations de ménage. M. Becque y a regardé de près ; il a montré de quelles erreurs provient cette frénésie et que le bien dont cet homme est capable autant que le mal dont il se torture, ne sont que visions et hallucinations, exaspérées, qui ont vite raison de la machine la plus robuste et du cerveau le mieux constitué. Lui, l’ouvrier de génie, un peu lourd, un peu grossier dans ses manières comme dans ses habitudes, il a vu la fille d’un coquin, et il l’a crue bonne, parce qu’elle était jolie. Son amour-propre s’est mis de la partie, et il l’a pris pour de l’amour. Il lui souriait de soutenir de son bras de forgeron ce bras fluet et délicat. Il en fut d’abord édifié. Il a voulu s’élever jusqu’à l’objet de son rêve ; il est devenu une manière de héros d’usine, très bon, très dévoué, et un peu prédicant, comme les autres. Plus sa conversion lui a donné de peine, plus il s’est cru amoureux, et digne d’inspirer et de prêcher humblement l’amour.

« … C’est le défaut, vois-tu, des jeunes filles, de préférer ce qui est reluisant à ce qui est sincère, et de sourire à la chance plutôt qu’au mérite… »

Lui aussi, étale toutes ses flatteuses erreurs, engage toute sa dignité, se grise de ses paroles, et pense être bien fort, pour avoir beaucoup rêvé. Et quand il s’avise enfin qu’Hélène, loin d’être pure et supérieure, est une femme, qu’il a longtemps sollicitée, priée, frôlée, qui ne lui a rien répondu, rien promis, rien juré, il éclate avec violence, se laisse choir dans l’ivrognerie, et devient véritablement fou, ce qui n’est pour lui que changer de folie. Car, si l’amour des hommes ordinaires n’est qu’une manie douce, c’est une lugubre névrose et le détraquement final, lorsque le génie, orgueilleux et maladif, s’en mêle.

Vous vous récriez et vous dites : « Mais cela est horrible, et outré à plaisir, et très éloigné de la réalité plus clémente et banale. » Peut-être, car, si la pièce a paru rebutante à la scène, c’est, je pense, pour d’autres raisons que nous étudierons tout à l’heure ; mais le fond en est pris sur le vif de la vie moderne et courageusement observé. Joignez que la folie plus lyrique de Ruy-Blas n’est pas moins étrange et qu’elle est très éloignée, à coup sûr, d’être aussi conforme à la vérité moyenne, aux illusions fiévreuses, aux lâches désespérances, qui nous débordent en ce siècle. Veuillez enfin considérer que, si l’amour de ces gens-là peut sembler une aberration funeste ou ridicule, c’est que notre société l’a voulu ainsi, grâce aux obstacles et aux exigences, dont elle l’a bridé, grâce surtout aux femmes qu’elle s’est pétries & son usage, et qu’elle a peu à peu juchées sur un piédestal d’or massif, d’où elles dominent et manœuvrent notre bêtise ou notre folie.

Ainsi pense du moins M. Becque, qui a pour elles des condescendances perfides. Il a vaillamment jeté par-dessus bord toute la cargaison des tirades romantiques, des rédemptions poétiques et des lieux communs mélodramatiques et attendris. Il a regardé notre monde contemporain, et voici par à peu près, j’imagine, ce qu’il y a vu.

Il y a vu que les femmes, dont quelques-unes réclament l’égalité bien spirituellement, sont déjà parvenues à un état intermédiaire, qui est la supériorité, qu’à force d’être traitées par la loi en mineures, elles ont fini par attraper leur majorité toutes seules, et que, dans un temps où le luxe est le premier étalon du mérite, l’honnêteté a subi de plus rudes assauts et le mariage de plus nécessaires accrocs.

« Bovary ! s’écrie la Parisienne, pariez donc de sagesse et de retenue à une femme. Qu’elle reste dans sa maison, et sa maison prospérera : je t’en moque ! »

Il y a vu que les unes, esprits étroits et attardés, sont honnêtes par indifférence ou par routine, comme madame Chevalier[4] ou madame Vigneron[5], d’autres préservées par l’instinct de la maternité, comme madame de la Roseraye[6], tristes, celles-ci, et mal récompensées d’avoir vieilli, muettes, dans la soumission et le dévoûment ; plus, rares aussi, et que l’auteur a observées d’un peu loin. Il y a vu enfin que plusieurs ont placé à propos leur capital et en mitonnent industrieusement les intérêts : prêtresses de table d’hôte, dont les pensionnaires se suivent et se ressemblent, dont les caprices se multiplient et se répètent, et dont notre ingénuité fait le charme. Antonia, la capiteuse Antonia[7], la délicieuse fille de Mme Crochard, voilà le type que M. Becque a croqué d’un crayon magistral, dans une malicieuse admiration.

Elle lui est apparue d’abord comme une fine merveille, un assemblage très piquant de bon sens et de fantaisie, de prévoyance et de caprice, d’expérience et de simplicité, de sagacité myope, de tendresse pratique, de distinction acquise et de vulgarité innée. Il est assuré que M. Becque est plein de respect pour les menues perfections de cette petite personne évaporée et entendue ; qu’il a de la déférence pour le train de sa maison, pour sa tenue élégante et digne, pour sa frivolité sérieuse, pour son entrain et son calme imperturbables. Il aime cette science de la vie et des hommes, et ce grand air qu’elle a dans les conventions et les arrangements, et la scrupuleuse exactitude qu’elle apporte à l’exécution des contrats. Il goûte fort le ton grave dont elle prend son existence, son habileté à en faire la distribution, la prudence qui en assure la fin, et les portes dérobées, et les polices d’assurance viagère, et cette entente délicate d’une profession difficile. Il raffole de cet air hautain, de ce sang-froid, de cette tactique, de ces petites manœuvres et de cet esprit profond dans les situations pénibles.

J’ai été folle de ce garçon-là, et maintenant je ne peux plus le voir en face. Comme les hommes changent ! »

Il adore jusqu’à cette décision, qui prend, sans hésiter, les partis extrêmes, jusqu’à ces ennuis, ces impatiences, et même l’imprévu de ces retours, et la soudaineté de ces diversions. Elle a des étonnements qui le séduisent, des délicatesses qui le ravissent, une soumission affectueuse qui le transporte.

« Ah ! Arthur, Arthur, on ne se conduit pas ainsi avec une femme. Si elle fait mal, on la reprend ; si elle recommence, on la frappe ; mais on ne l’abandonne pas. »

Seulement, cette femme, si supérieure au commun des hommes, a des faiblesses, si intelligente des lacunes, si spirituelle une déplorable niaiserie. Seulement, elle a le cœur sec comme le marbre le plus poli. Seulement, sous cette élégance professionnelle se cache une vulgarité populacière, qui éclate dans son style et se trahit par ses épithètes. Seulement, cette fille expérimentée se laisse prendre aux petits vers et aux déclarations des artistes en cheveux. Seulement, la capiteuse, la délicieuse Antonia est la fille de madame Crochard, c’est-à-dire un joujou très perfectionné, très vide, très fantasque, très déséquilibré, et très sot. Seulement, faut-il que nous soyons bêtes, et que M. Henry Becque nous ait étudiés de près, pour nous avoir faits encore plus bêtes que cette superfine créature ! Et qu’on nous vienne dire, après cela, que cet auteur n’est pas moral !

Cette image d’Antonia l’a hanté. Débarrassez-la de ses tares originelles et de sa foncière vulgarité ; mariez la jeune, avec une sage précipitation : vous avez madame Mercier, la Parisienne. Il y a de la fille chez toutes ces femmes, je veux dire qu’elles sont plus capricieuses qu’ardentes, ayant plus de fantaisies que de sens. Elles sont filles d’Ève, sans enthousiasme, avec beaucoup d’ingéniosité. Celle-ci a pris son parti du mariage, du mari, et de tout un peu, curieuse de bien-être, de tranquillité, d’agrément. Elle n’est pas une lionne pauvre, avide du luxe effréné : elle a plus d’allure, d’habileté, et aussi de philosophie. C’est la distinction aisée dans l’adultère. Au reste, beaucoup d’égoïsme ; d’imagination, si peu que rien : bourgeoise, diplomate, et perverse. Elle a, dans le désordre de sa vie régulière, un air prudent, radouci, et un peu las, je ne sais quelle froideur avisée, avec des réflexions à renverser les toits, des mots qu’elle laisse tomber d’un ton posé, réfléchi, qui nous déconcerte et nous suffoque. Elle a une façon à elle d’être fatiguée, ennuyée, nerveuse ou tendre, qui marque beaucoup d’esprit, peut-être trop.

« Ah bien, dit-elle, on en aurait de l’agrément avec des passions pareilles, qui ne vous laissent pas le temps de respirer. Sans compter qu’on est toujours à deux doigts de sa perte. C’est vrai, je ne sais plus tranquille que quand mon mari est là. »

Décidément l’observation est si aiguë, qu’en vérité il y a autre chose…

Il y a autre chose aussi dans le personnage d’Hélène de la Roseraye[8]. Mais l’esquisse en est pleine de feu, et d’un réalisme singulièrement original. Fille d’un agioteur audacieux, et d’une mère bourgeoise et désabusée, elle a grandi, presque isolée, parmi les splendeurs d’une fortune équivoque, au milieu d’un ménage sans intimité, hautaine, exagérée, et inquiète. L esprit aventureux que le père apporte dans les spéculations s’est transformé chez elle en un goût de l’exaltation et de la rêverie. Elle s’est jetée à corps perdu dans le romanesque, dédaigneuse des affections calmes, et des sentiments médiocres. Et cette nature est si singulière, et ce romanesque d’un tour si particulier que je ne vois rien dans notre théâtre qui y ressemble[9]. Doña Sol, aussi, est romanesque ; mais c’est l’inconnu qui la tente, et la vie des montagnes de Galice et d’Estramadure ; elle fuit l’amour d’un vieillard ; et puis, dans ses veines coule de bon sang espagnol : et cela seul suffit à expliquer le reste. Romantique, aussi, la Gabrielle d’Émile Augier, troublée par la lecture des premières poésies de Musset, et surtout fiévreuse, alanguie à l’heure de la feuille qui pousse, des vergers en fleurs, et de la sève printanière qui l’agite confusément. Ce romanesque qui mène aux révoltes de l’imagination, aux vagues désirs du cœur, a sa source profonde dans les inquiétudes de la chair.

Hélène est une cérébrale. Elle a plus d’appréhensions que de désirs, plus d’aspirations que de tempérament. C’est le trait qui accuse sa parenté avec les autres filles de ce théâtre. Amour de tête, qui n’exclut ni la froideur ni le dégoût. Cette passion déchaînée, souveraine, n’est au fond qu’une soif de vie libre, débridée, irresponsable, la rancœur des remontrances vulgaires et des devoirs sans grandeur. Elle ne demande à l’avenir « qu’une habitation exceptionnelle pour y mener la vie commune. » Le décor la tente, beaucoup plus que le démon. Antonia. Et cette passion encore, si superbe et exaltée, n’est qu’illusion et contradiction. Cette âme, si haut placée, se prend à un gentleman d’écurie, à un casse-cœurs de garnison, brutal et sceptique, capable de violences qui la révolteraient dans la bouche d’un autre, et qui, venant de lui, ont du style et du caractère. Voilà l’élu de cette imagination dédaigneuse ; voilà l’homme qui dressera ce cœur en haute école, comme ses chevaux de sang. Et lorsqu’il l’aura violentée et fouaillée, cette fille hautaine, elle sera dévorée du désir de revenir à lui, sans illusion, sans amour, pour les larmes qu’il lui a coûtées, pour les injures qu’il lui réserve, et qu’elle prend pour la passion même. « Si elle recommence, on la frappe… » disait Antonia.

Si Michel, au lieu de se faire humble, doux, et reconnaissant, avait commencé par là, je veux dire par montrer sa poigne au lieu d’étaler son cœur, soyez sûr qu’Hélène eût dissimulé sa faute, et qu’elle l’eût bientôt oubliée. Au lieu de cela, ne s’avise-t-il pas de se mettre à genoux devant son idole ? Et de l’adorer, parce qu’elle est fière, et de se prosterner, parce qu’elle est superbe ? S’il s’élève, je rabaisse ; s’il s’abaisse, je m’affranchis. Antonia, toujours Antonia : cœur sec, caprices effrénés, peu de tempérament, et toutes les contradictions désespérantes de la fille que M. Becque a flairée en toutes ces femmes. C’est en vain que celle-ci, dans un transport d’honnêteté nerveuse, malgré elle, malgré lui, avoue sa honte (la plus grande et forte scène de la pièce), en vain qu’elle revient au mari moribond, après avoir franchi ce corps inerte au bras de son amant, sans même l’excuse du plaisir et des pointes de la chair : elle est une fille, au fond, rêveuse et perverse, vaine et humble, fantasque et féroce, qui éprouve un invincible désir d’être rudoyée, quand on la prie, et respectée de qui la bat, avec, sans cesse, sur les lèvres ces mots brûlants de passion et d’amour : glaciale d’ailleurs comme un marbre glorieux, folle d’indépendance et de liberté, pas même folle de son corps.

De sorte qu’en dernière analyse, cette adoration perpétuelle dont notre moderne société entoure la femme, ces gloires de diamants et d’émeraudes dont notre empressement la couronne, apparaissent, si je ne me trompe, à M. Henry Becque comme la plus triomphante erreur et la plus ridicule illusion, et qu’à peine exagérerait-on sa pensée, si l’on lui faisait dire qu’à force de prodiguer l’or et les prières à la sémillante déesse, nous en avons fait une créature insensible, compliquée et pernicieuse, et que les élans de notre zèle, et que la ferveur de notre culte ne sont que les plus folles pratiques de la plus fâcheuse idolâtrie.

« Vous devez savoir, Mademoiselle, déclare le notaire des Corbeaux, que l’amour n’existe pas ; pour ma part, je ne l’ai jamais rencontré[10]. »


IV

« LES CORBEAUX. »


Un jour, M. Becque quitta ce terrain habituel de ses investigations. Il eut l’idée, lui aussi, de s’attaquer aux hommes d’affaires et de reprendre la question d’argent. Il écrivit les Corbeaux. Rien qu’à sa façon de poser et de restreindre le sujet, on reconnaît ce don de vue perçante, et la vaillance de l’observation. Ce n’est pas lui qui élargit le cadre, pour fondre dans l’ensemble, au risque de les noyer, les détails de la nue réalité. Ce n’est pas lui qui atténue, tempère, prépare, équilibre, ou qui met en balance l’honneur et la fortune, la noblesse ou le génie et le 3 0/0, sachant fort bien que, depuis quelque temps déjà, noblesse, génie, conscience sont de grands mots qui ne valent plus guère, monnaie spartiate et encombrante. Il faut à M. Henry Becque un coin très restreint et un objet très précis. L’honneur et l’argent, sujet trop vaste et qu’il ne saurait étreindre. Il ne s’agit ici que d’une question d’intérêt, d’une liquidation judi- ciaire en l’étude de M. Bourdon, notaire à Paris. Toute la pièce gravite autour du Grand-Livre. M. Vigneron, de la maison Teissier, Vigneron et Cie, meurt. On liquide. On commence, comme dit le tabellion, par les choses les plus urgentes ; on avance pas à pas ; et à la fin il reste ce qui reste : total, rien. Je ne crois pas qu’en aucune rencontre le théâtre contemporain ait serré la réalité de plus près, ni fait moins de concessions au roman.

« Ruinées, mon cher monsieur, ruinées la pauvre dame et ses demoiselles. Je ne vous dirai pas comment ça s’est fait. Mais on ne m’ôtera pas mon idée de la tête. Voyez vous, quand les hommes d’affaires arrivent derrière un mort, on peut bien dire : V’là les corbeaux ! »

Et d’abord j’observe qu’en un sujet si adroitement limité M. Becque ne se sert d’aucune fiction de théâtre, d’aucun colonel, ingénieur ou théoricien[11]. Ces fictions ne sont pas pour nous déplaire ; mais encore sont-ce des fictions. Il lui suffit de nous peindre les victimes et les bourreaux d’argent, et de suivre leurs opérations, d’où découlent des péripéties qu’il croit assez émouvantes. La liquidation faite, la pièce est jouée. Où il n’y a plus rien, le roi lui-même perd ses droits. L’agencement même de la pièce, pris en son ensemble, donne, sans effort apparent, l’impression de la plus simple réalité. Un premier acte, consacré à la vie intime des Vigneron, se termine sur la mort du père ; deux autres appartiennent aux affaires ; au quatrième la ruine est consommée, il est temps de se résoudre aux plus douloureux sacrifices. La distribution des personnages n’est pas plus compliquée. D’un côté les corbeaux, et de l’autre les malheureuses femmes, qui leur servent de pâture, tous réunis, non mêlés, dès le début, avec leur physionomie distincte, réunis, non sans un peu de cette gêne inséparable de rapproche des oiseaux sinistres, qui flairent leur proie et annoncent le malheur dans une maison.

Et aussi le milieu, où s’exerce l’observation de l’auteur, est peint avec la même exactitude. Tout le premier acte est d’une vérité saisissante. Croyez que ce n’est pas un intérieur anonyme, où M. Becque nous fait pénétrer, mais bien l’appartement, le home d’un de ces grands industriels, partis de bas, en passe d’arriver très haut, en passe seulement, parce que n’ayant apporté dans l’affaire que leur intelligence et leur activité, il leur a fallu plus de temps pour ramasser le premier capital, qui est le noyau des immenses fortunes. Cela respire l’aisance, le bien-être un peu criard, parce qu’il est récent, un peu mesquin et de contrefaçon, parce qu’en dehors de la fabrique Vigneron n’a pas trop de ses fonds disponibles pour spéculer sur des terrains et précipiter l’accroissement de son avoir. C’est une aisance, qui n’est pas encore du luxe.

Non, cette famille n’est pas celle de tout le monde. Il faut y avoir été élevé, pour retrouver là une sensation juste de l’existence particulière aux industriels, qui, sans cesse occupés aux soins de leurs affaires, ont à peine le loisir de prendre pied chez eux, et y semblent toujours être de passage, en voyage, et nomades. Et comme ils y séjournent à peine, ils ouvrent volontiers les mains, ces manieurs d’argent, pour se faire pardonner l’absence, solliciter les sourires et retrouver des visages heureux. Dans ces maisons-là, les enfants sont ce que la mère les fait, le père n’ayant que juste le loisir de les gâter à son aise ; et il n’est pas rare qu’à cette famille, qui parait calme et heureuse, manque une direction que le chef ne peut pas, la femme ne sait pas donner. C’est une vie douce, large, et sans secousse, jusqu’au jour où, Vigneron mort, il ne reste plus que des esprits étonnés et des volontés molles, pour se défendre contre les corbeaux, qui sont les oiseaux du lendemain. Alors la mère affolée se désole d’avoir une résolution à prendre, le fils s’engage dans un régiment pour suivre une voie toute tracée ; quant aux filles, elles seront… ce qu’elles pourront. Vigneron semait à pleines poignes les désillusions avec l’argent aisément gagné ; il ne laisse après lui que des cœurs en déroute et un intérieur en désarroi.

Voilà donc quatre femmes, dont l’une fiancée, et qui ne se mariera pas, puisqu’elle n’a plus de dot, que M. Becque livre en proie aux hommes d’affaires. Quelques jours se passent, on pleure, et la liquidation commence. Il y a là des scènes d’une vérité poignante. Il vous est arrivé, à l’ouverture de la chasse, de relever par la plaine une compagnie de perdrix, poursuivies, traquées, épavées dès l’aube ; elles se coulent, se ramassent, piétant le long d’un sillon, la tête inquiète, l’oreille au vent, le cou allongé, tremblantes, serrées et irrésolues ; et, à mesure qu’elles reprennent l’essor parmi la fusillade, elles sont plus lasses, plus indécises, plus résignées au coup qui les attend ; c’est proprement le tableau de la famille Vigneron. Ah ! qu’il y a là des scènes vues, et des traits rencontrés ! D’abord cette pauvre mère, qui en est encore à pleurer son malheur, après huit jours, et qui, au premier choc, se révolte fiévreusement, et fait sauter les paperasses de ce brigand de Teissier, qui la regarde s’emporter et regimber. D’autant que ces emportements ne servent de rien, et qu’après avoir fait feu des quatre pieds, il faut subir le joug. Et elles le subissent, toutes ensemble, et que de fois elles se consultent pour le subir enfin ! — M. Teissier, l’associé. — Je dois avertir mes filles. — Maître Bourdon, notaire. — Permettez-moi de consulter mes enfants. — Il faut vendre les terrains. — Causons un peu, mes filles. — Il faut vendre l’usine. — Notre situation est grave, mes chéries : nous n’en parlerons jamais assez. — Elles en parlent, elles en disputent, elles se répètent, elles ne décident rien. Elles y mettent du sentiment, de la probité, leur cœur et leurs nerfs. Il s’agit bien de tout cela. Leur premier mouvement est de s’entêter ; le second de se décourager. « Ignorance, incapacité, emportement, voilà les femmes », observe Teissier qui les guette, et qui s’y connaît. « Moi vivante, on ne touchera pas à la fabrique. » — « Il y a une loi » — « Moi vivante… » Et de colère en désillusion, de désillusion en désespérance, les choses vont ainsi jusqu’à liquidation complète, que les corbeaux, d’humeur plus égale et plus opiniâtre, poursuivent méthodiquement et définitivement, l’associé Teissier avec le notaire Bourdon, et Bourdon avec Teissier, hommes d’affaires.

Ce n’était pas une banale audace que d’échafauder une pièce sur le doit et avoir et de tabler sur l’éloquence des chiffres. Rappelez-vous que de difficultés on fît jadis pour accepter les comptes de Mme Durieu[12], et les reports et les déports de Jean Giraud. Encore l’arithmétique ne servait-elle là que d’un discret accompagnement. Elle est ici le pivot du drame, c’est-à-dire qu’il n’y a point de place pour la fantaisie et qu’une observation superficielle ou timide eût été impuissante. Derrière ces questions d’intérêts il y avait des esprits à fouiller et des cœurs à sonder.

M. Bourdon ne finasse pas comme maitre Guérin : c’est un notaire de Paris, fin, très fin, mais qui s’expose quelquefois. Il est moderne. Les confrères disent qu’il l’est beaucoup. Teissier n’est pas seulement un avare ; il est aussi un célibataire égoïste, qui concilie ses passions avec ses intérêts, ou plutôt qui a dressé un mur d’airain entre ceci et cela, sans abdiquer rien. En vérité, c’est plaisir de les voir manœuvrer parallèlement. Bourdon s’est oublié jusqu’à prendre feu contre l’architecte, qui veut bâtir, démasque les menées, et devient gênant. Teissier intervient sans bruit, reconduit Lefort, l’endoctrine, l’embauche et tranche le différend. Comme Bourdon s’en étonne, et garde le souvenir de certaines piqûres :

« Vous pensez encore à cela, vous ! Si on ne voyait plus les gens, mon ami, pour quelques injures qu’on a échangées avec eux, il n’y aurait pas de relations possibles. »

Teissier s’est laissé prendre aux appâts de Marie Vigneron, une jeune fille posée, qui doit savoir compter, très capable d’adoucir, à peu de frais, les dernières années d’un vieux garçon.

« Qu’est-ce que j’apprends ? lui dit Bourdon. Il paraît que vous avez un faible pour cette jeune fille ? Préparez-vous à un siège en règle de la part de votre ingénue ; on compte sur elle, je vous en préviens, pour avoir raison de vous. »

Les traits abondent, qui, sous l’apparente impersonnalité des chiffres, révèlent une vue profonde des choses et des hommes. Je ne vois rien, par exemple, de plus fouillé que ce morceau, où Teissier se révèle calculateur infaillible et célibataire déclinant :

… « Douze mille francs, que vous me demandez, et vingt mille, qu’on me doit déjà : total, trente-deux mille francs, qui seront sortis de ma caisse. Je ne risque rien sans doute ; je sais où retrouver cette somme. Il faudra bien pourtant qu’elle me rentre. Vous ne vous étonnerez pas en apprenant que j’ai pris mes mesures en conséquence. Ne pleurez pas ; ne pleurez pas. Vous serez bien avancée, quand vous aurez les yeux battus et les joues creuses. Gardez donc ce qui est bien à vous, vos avantages de vingt ans… »

Il n’est pas jusqu’à cette madame de Saint-Genis, une mère déchaînée, qui s’enquiert de l’état de la fortune avant de savoir celui de la santé, jusqu’au mariage rompu de la pauvre Blanchette, jusqu’au mariage douloureux de la petite Marie qui épouse Teissier pour sauver les siens ; jusqu’à ce final et lamentable sacrifice qui me semble la vérité vraie, vaillamment observée. Il faut se dire, tout bas, une bonne fois, que notre vie moderne est de plus en plus fermée au roman, et que cet héroïsme de jeune fille est assez courant, encore qu’il passe souvent inaperçu. Et justement, la voilà, la vraie liquidation, peut-être plus cruelle que l’autre, mais aussi moins désolante, puisqu’enfin elle est une noble action, étant, par surcroît, et à bref délai, le retour de la fortune à ceux qui l’ont rudement acquise, au prix des plus durs travaux et des plus suppliciantes concessions. Et vous voyez de reste que tout cela est tissu d’étoffe solide, de réalité loyale et hardie, toute la matière d’un chef-d’œuvre…

Oui, mais cela est lugubre. — Il est vrai, mais la mort n’est pas folâtre, et les affaires sont les affaires. — Sans doute, mais quatre femmes en deuil et un notaire en redingote, et pas un honnête homme, et des noirceurs, et des brutalités ! — Vous m’inquiétez ; et je songea présent, que si l’œuvre, en son ensemble, accuse une observation âpre, un courageux talent et un dédain méritoire des succès faciles et des concessions prudentes, il est véritable, aussi, qu’elle soulève en maint endroit des répugnances et des dégoûts, et que ces endroits-là, où l’auteur semble avoir pris plus de peine, ne sont ni nécessaires, ni logiques, ni toujours vraisemblables, ni même vrais. Que dans toute cette affaire n’apparaisse pas une conscience droite, cela se peut ; que l’architecte capitule, cela se voit. Que M. Dupuis se fasse payer deux fois, c’est un fripon, et il a des frères. Mais que Merckens, le croque-notes, le coureur de cachets, devienne tout à coup grossier avec sa jeune élève, et déclare qu’il n’est pas obligeant, et lui rie au nez avec les cinq parties du monde, c’est décidément trop. Voici que je fais des réflexions et des réserves, et je me dis : « Ce pied plat, s’il est tellement perverti, laisse échapper une belle occasion d’être plus habile. Au contraire, il joue de la plaisanterie, il est cynique, il a de l’esprit, il en fait ; il a des mots à l’emporte-pièce sur l’apoplexie foudroyante, et des maximes sur la vertu des femmes, comme un moraliste de coulisses. Il fait des gestes, il prend une pose ; on dirait qu’il s’évertue. » Et, chemin faisant, je distingue qu’ils sont tous ainsi, les corbeaux. Il y a deux ou trois moments dans la pièce où ils lissent leurs plumes, aiguisent leur bec, et semblent croasser : Comment trouvez-vous cela ? C’est un malaise qui les surprend soudain ; ils sont amers avec méthode. C’est l’instant où Bourdon raffine, et sort de ses attributions et de son caractère pour disserter, où il mêle à ses contrats l’épice de ses avis.

« Il est juste que Teissier, en vous épousant, vous reconnaisse commune en biens, ce qui veut dire que la moitié de sa fortune, sans rétractation et sans contestation possible, vous reviendra après sa mort… Vous n’aurez plus que des vœux à faire pour ne pas l’attendre trop longtemps. »

C’est l’heure où Teissier, égoïste, avare, célibataire endurci, dit froidement à la fille de son associé : « Mariée ou pas mariée, ce serait la même chose. » Et je pense qu’à cette heure même Teissier force son naturel et oublie sa prudence, et qu’il perd le sens pratique, dont il a donné tant de preuves jusqu’ici. Car enfin, ou la mère accepte cet arrangement, et gare aux écus ; ou la fille seule s’y prête, et gare à lui. Je sais qu’il reste une hypothèse, celle qu’a choisie M. Becque : à savoir, que Marie soit vraiment honnête. Et je vois qu’il a réussi seulement à rendre désormais invraisemblable et impossible ce mariage, qui nous paraissait une trouvaille naguère, ce sacrifice, cet héroïsme, qui devient un martyre et retourne au roman. C’est la minute précise, où madame de Saint-Genis, dont le caractère était nettement indiqué, cherche un éclat, veut sa scène, à elle, qui lui donne tout son relief et lui permette de faire paraître tout son esprit. Au lieu de rompre bonnement par lettre ou par intermédiaire, comme cela se pratique en effet, il faut qu’elle torture la malheureuse enfant, qu’elle lui arrache un aveu, qui nous émoustille, et provoque une réplique, qui nous secoue. Je distingue que la scène est « filée » avec beaucoup d’art, mais aussi qu’elle est inutile et rebutante, qu’une mère, qui n’est pas une Macette, ne tient pas de pareils propos à une enfant ; qu’elle évite de rôder dans une maison où son fils a peut-être laissé un gage fâcheux ; qu’une jeune fille, douce et confiante, et de quelque éducation, fût-elle au désespoir, ne s’écriera jamais : « J’aimerais mieux être sa maîtresse que la femme d’un autre » ; que ce cri ne sert qu’à préparer l’insulte « fille perdue » ; et que décidément cela n’est plus de jeu, qu’il y a là-dessous plus de fanfaronnade que d’observation, et un réalisme de parade, ou, si vous préférez, moins de vérité que de… littérature.

Enfin, je m’explique pourquoi, avec toute la matière d’un chef-d’œuvre, le chef-d’œuvre n’est pas venu, pourquoi d’une pièce si originale ne subsistent que des impressions contradictoires et comme une oscillation, un peu douloureuse, du jugement ; et je commence à entrevoir avec quelque netteté la raison qui fait qu’en dépit de ses dons et de son grand talent, M. Becque, qui entreprend un vase de prix, pétrit l’argile, tourne, tourne la roue, et de ses doigts d’artiste laisse échapper un pot informe et laid.


V

LE RÉALISTE.


… « Ton ennemie, c’est ton imagination », dit madame de la Roseraye à sa fille Hélène.

M. Becque, après avoir trouvé ce mot, a eu le tort de se l’appiquer. Il n’a point d’imagination, et il s’est formellement interdit d’en avoir ; il s’est exercé, évertué, avec bien de la conscience, à en manquer ; et de cette lacune il a fait une théorie, tout son théâtre tendant à démontrer que l’imagination, au théâtre, est la pire ennemie. Or cette aptitude à renier une faculté absente, cette opiniâtreté à proscrire un don qui fait défaut, cela s’appelle désormais du nom de réalisme, et l’on va publiant que l’avenir de la scène est là. Je soupçonne que le réalisme a de tout temps existé au théâtre, et qu’à cet égard Tartufe ou les Lionnes Pauvres peuvent soutenir la comparaison avec la Parisienne. Mais, quand il s’agît de M. Becque, qui, sous couleur de réalisme, a compromis ses plus solides qualités, il est nécessaire de s’expliquer encore sur ce point afin de n’être dupe ni des théories, ni de la criaillerie, ni du snobisme.

L’imagination est l’ennemie, nous dit-on, parce qu’elle enfante les comédies d’intrigue, où la complexité des événements dissimule l’à peu près et la légèreté des dessous ; parce qu’elle pousse droit à la pièce bien faite, à la comédie à ficelles, à la manœuvre habilement réglée des marionnettes sans consistance. Elle est le triomphe de Scribe, la source de toutes les conventions, de tous les procédés, de tous les trucs exploités, ressassés et vains. Elle préside à cette cuisine bourgeoise d’un certain art, dont les recettes se formulent aisément, et d’où la vérité est absente. La dextérité de l’intrigue est un artifice inférieur, qui déguise le néant du fonds, ne fait illusion qu’à la foule, tout de même que ces romans d’aventures furieusement machinés, dont les péripéties sont les délices des concierges en leurs loges et des Jennys en leurs mansardes. N’est-il pas temps de rejeter l’intolérable vaudeville et de mettre au rancart tout l’attirail des échafaudages illusoires et des machines compliquées et décevantes ? Le théâtre doit tendre de plus en plus à la réalité familière, et s’essayer aux tableaux de la vie moderne et de tous les jours. Le progrès est dans l’observation implacable ; quant aux efforts d’imagination, aux combinaisons de l’intrigue, aux préparations des péripéties, aux caractères pris de loin et minutieusement dessinés, tout cela est faux. Qui dit invention, imagination, et même composition, dit transposition et artifice. Là dessus, les plus enthousiastes prennent à témoin Shakespeare, brandissent Hamlet, et démontrent avec zèle qu’un beau désordre est un effet de l’art, et que l’âme humaine y apparaît vivante, palpitante, en tableaux.

Et d’abord, je ne puis me défendre de noter qu’il y a de la part de nos plus modernes réalistes une singulière méprise à invoquer, contre les prestiges de l’imagination et de l’invention, le poète qui en a semé les charmes partout, en prodigue, à toute volée, qui en a tant usé qu’on peut bien dire qu’il en a parfois abusé, dont le théâtre est le plus nourri d’événements, le plus fertile en coups du hasard, le plus hanté de puissances occultes et de personnages mystérieux, le plus riche en merveilles, en prodiges, en superstitions, un monde imaginaire autant que vrai. À moins que ce qui leur plait davantage en ce génie ne soit justement ce qu’il a, par instants, d’inachevé, d’obscur et de barbare, et qu’ils ne préfèrent surtout dans Hamlet ce qui en est brumeux et ne s’entend point. Oui, sans doute, malheur à ceux qui ne goûtent pas en Shakespeare cette poésie débordante de sensations et de sentiments vrais ; mais aussi, prière à ceux qui en croient tout comprendre, de l’expliquer, de ne point y chercher l’art aux endroits précis où il n’est pas, et de ne nous point proposer l’incohérence ou l’équivoque comme le dernier terme du réalisme et de la vérité.

M. Henry Becque n’atteste pas Shakespeare, attendu qu’il peut se réclamer de lui-même. Il est convaincu que l’observation suffit, et que tout ce qui n’est pas elle, est duperie. À la bonne heure. À la pièce bien faite, il prétend substituer la pièce bien vue. D’accord. Il remplace les préparations sagaces de M. Alexandre Dumas et le sage équilibre d’Émile Augier par des tableaux saisissants. Soit. Telle était déjà la poétique de Diderot, si je ne m’abuse. Mais une certaine imagination, aussi, est nécessaire, ne fût-ce qu’à donner à la réalité l’ordonnance et la vraisemblance. Vingt tableaux juxtaposés ne font pas un drame. C’est ensemble forcer et escamoter la vérité que de la produire en lambeaux et par brusques saillies ; et ceci veut être précisé.

Si la vie est matière de comédie, elle peut être, surtout pour les observateurs tels que M. Becque, une matière beaucoup moins abrupte et morcelée. C’est la marque d’un esprit étroit et d’une intelligence courte que de voir partout l’effet du hasard dans notre microcosme. Et si l’observation consiste à étudier les mœurs et les caractères, à cueillir les gestes et les mots révélateurs, elle ne suffit pas à les éclairer en leurs raisons plus profondes. Mœurs et caractères sont soumis à un déterminisme plus latent et enfoui, qu’il appartient au dramaturge de pénétrer et de recomposer. Il y a nombre de transitions ténues et d’une logique un peu flottante, entre nos différents états d’âme et nos humeurs diverses, à qui un rien donne le branle ; il y a sous le ridicule ou l’odieux une infinité de causes sourdes et de secrets mobiles, en partie saisissables, et dont la séquence est précisément l’explication des êtres odieux ou ridicules que nous sommes à tous les instants. Et c’est à l’imagination qu’il appartient de deviner, de reconstituer et de mettre en relief ces infimes détails d’une réalité intime et dérobée, qui doublent le prix de la vérité, ainsi rendue plus manifeste. Et je dis que cette préhension déliée des choses, que cette perspicacité imaginative donne plus de prix à la perception des travers apparents, ou plutôt qu’elle est elle-même une demi-perception, une demi-observation, une manière de seconde vue, qui réunit et lie fortement les moments épars du drame. Il ne s’agit, pour le théâtre de demain, ni de revenir aux intrigues laborieuses, ni d’abuser derechef des procédés arbitraires, ni de retourner au romanesque, mais d’assembler ce qui, au fond, n’est pas tant désuni, et de composer conformément à la vie elle-même, serrant les liens davantage, tirant au clair les transitions visibles pour quelques-uns seulement. Cette imagination, sur le théâtre, n’est que la logique immanente des choses, qu’encore faut-il dégager aux yeux du spectateur, si vous voulez qu’il s’accoutume à un réalisme sincère, profond et rationnel, au lieu de répugner à une observation âpre, capricieuse, et brutale. Elle est, au besoin, le sauf-conduit de la réalité la plus amère, parce qu’elle en est la vraisemblance et l’intelligence intérieure. Et, de plus, elle est composition et clarté.

M. Becque, qui se passe de l’imagination, se passe aussi de la composition. Il procède par bonds. Il ramasse tout l’effet sur quelques scènes, dont les dernières sont des redites plus osées de la première. Il a d’étonnantes aubaines, et des répétitions désespérantes. Il juxtapose en un même acte les développements les plus disparates, et, comme il serait plus pénible de les réunir, il les divise en tableaux, comme dans le drame, si puissant d’ailleurs, qui a nom Michel Pauper.

Ce gredin de la Roseraye accapare d’abord toute la scène ; et puis, il se tue, serviteur. Sa fille, qui à peine a laissé voir la couleur de ses cheveux au premier tableau, occupe presque tout le théâtre dans les autres. Le baron est intermittent, et madame de la Roseraye circule par-ci par-là. Le comte de Rivailles ne parait pas au début ; il est vrai que nous le verrons beaucoup par la suite, et qu’il disparaîtra, à l’anglaise, comme il est venu. Les crises les plus violentes éclatent tout à coup, et nous en recauserons plus tard, à moins qu’on ne nous en parle plus. On s’aime, on se quitte, on se reprend, la femme revient, le mari meurt : tout cela est limpide. Il y a là quelques belles scènes, d’une vérité qui nous ravit, et l’on retombe dans l’inconnu ; on passe au tableau suivant. Et comme il faut à ces grandes scènes l’apparence d’un prétexte, les péripéties les plus inattendues éclatent comme des explosifs. Un suicide, un accident d’usine, un discours du conseil municipal, une scène de ménage, la débauche en haut, l’orgie en bas, tue-la, ne la tue pas, la folie, la mort, j’en oublie. C’était bien la peine de bafouer le mélodrame ! Ici les coups de théâtre se suivent comme des coups de tonnerre. Il est vrai qu’ils sont communément annoncés par un monologue. C’était bien la peine de décrier Scribe, pour lui emprunter ce procédé classique et rudimentaire ! Après le monologue, les imprécations : l’ombre de Camille rôde sur la scène. Puis, les sermons, les discussions en trois points sur la Révolution, la guerre civile, la vertu des femmes, etc… Corneille, moins moral, plus fin de siècle. El puis, la démence d’Oreste, ou mieux le delirium de Coupeau. Tout est dans tout, et le reste dans Michel Pauper.

Ceci est la première manière de M. Becque : il en a une autre, un peu différente. Il trouve jour, avec des pièces où la matière est abondante, et la somme des observations aussi riche que chez plus d’un maître, à laisser une double impression de longueurs et de vide. Il est concentré, et il semble dispersé. Il se remâche. Le premier acte est parfois excellent ; les autres suivent, et ne lui ressemblent pas, — ou plutôt lui ressemblent trop. La Navette est un chef-d’œuvre, parce qu’elle est une œuvre courte, et que la même scène répétée par Arthur et par Alfred n’en est que plus piquante. Mais la Parisienne qui est la Navette transposée et développée, se traîne, dès le second acte, péniblement. C’est une chaîne sans fin, une alternance sans dénouement. Le mari entre, s’installe, parle de ses affaires, et sort ; l’amant parait, s’assied, cause de son amour, et va diner ; il revient, n’a pas dîné, cause de son amour… Il était un petit navire. Mais le mari rentre, parle de ses affaires… Bourdon, Teissier, Teissier, Bourdon, les terrains et la fabrique, la fabrique et les terrains, tout de même… Si cette histoire vous ennuie, nous allons la recommencer. La pauvreté d’invention est manifeste ; l’intérêt languit ; il faut le ranimer à tout prix.

La simple réalité ni l’observation ne suffisent plus ; on va un peu au delà, par crainte de rester en place, et parce qu’après tout il faut bien avancer, ou faire la semblant. Les caractères, nettement accusés au début, se compliquent et s’évertuent. De là tant de surprises, qu’on nous donne pour des audaces. En voulez-vous des exemples ? Il y a dans Michel Pauper un baron Von der Holweck, âgé, ruiné, un Desroncerets célibataire, élève de Laplace, ami d’Arago. Depuis un temps, il a renoncé à payer son propriétaire, le pauvre homme ; avec les années, il a perdu quelques illusions de jeunesse, l’excellent savant ; Hélène, dans un transport de fierté blessée, avoue qu’elle aime le comte de Rivailles, un neveu à lui, et les violences qu’elle a subies. Que vouliez-vous qu’il fit ? Il sermonne le brutal, l’engage à épouser, essuie un échec, et, ma foi, par ma foi, s’offre à épouser lui-même. Je réparerai, c’est sa devise. Et il dépose aux pieds de l’amoureuse déçue ses parchemins, son extrait de naissance, et le papier timbré de ses créanciers. Il parait que cela est plus vrai de la sorte, que si le neveu, riche et jeune, refuse de contresigner ses fredaines, c’est l’oncle sexagénaire et décavé qui y met son seing, en bon petit jeune homme.

Teissier est un homme d’argent, qui veut, avant tout, liquider à bénéfice. Teissier est vieux, Teissier a vécu. Eh bien, en pleine liquidation (voyez la malechance !) il est pris d’une démangeaison, que dis-je ? d’une frénésie, qui le pousse à outrager une jeune fille, à l’épouser ensuite, au pis aller, et à l’avantager de la moitié de sa fortune. Il aimait l’argent : il a réfléchi, cet homme. Ne sentez-vous pas combien il est plus moderne et plus pervers ainsi ?

Car, à défaut d’imagination, M. Becque a une obsession, celle de Tartarin, le double muscle. Presque tous ses personnages sont forts, très forts, aussi forts qu’il est possible : viveurs, sceptiques, blasés, passionnés, tous au superlatif. Un peu d’invention les aiderait à se développer naturellement et par degrés, au lieu qu’ils s’exaltent et s’énervent en des accès imprévus. Ils ne se développent pas, en vérité, ils s’efforcent. Dès le second acte, ils en sont tous à la période aiguë : et ils font la théorie de leurs vices ou de leurs faiblesses, parce qu’il y a plus de cynisme, n’est-ce pas ? à être vicieux ou faible par . C’est la quintessence du réalisme. Lisez le rôle du comte de Rivailles[13], ce coq de caserne ; vous reconnaîtrez qu’en principe il était finement pris, en son exacte mesure, et qu’il se déforme à plaisir, dogmatiquement. Et celui d’Hélène, donc. — Savez-vous ce qu’une jeune fille moderne confie à sa mère, en tête à tête, du ton le plus naturel du monde ?

… « Je ne suis pas de ces jeunes filles qu’on est sans cesse à marier tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre, et qu’on jette imaginairement dans tous les bras. La pensée d’appartenir à de certains hommes me fait frissonner tout le corps… »

Elle a beaucoup réfléchi, comme vous voyez ; elle doit bien étonner et embarrasser sa maman ; c’est presque un outrage à l’innocence de la bonne dame, un peu neuve pour son enfant. — Voulez-vous connaître comment une Parisienne établit le bilan de son cœur et résume l’état de ses relations ?…

… « Tous ces jeunes gens d’aujourd’hui ne valent pas la peine qu’on s’occupe d’eux… C’est bien fait pour moi, j’avais ce qu’il me fallait, un ami excellent, un second mari, autant dire. Je l’ai malmené de toutes les manières, il en a assez, ça se comprend. »

Qui donc a dit que la raison n’est pas ce qui règle l’amour ? Après cela, vive le raisonnement, et vive l’esprit ! Car il est entendu que l’observation n’a plus ici rien à faire. L’écrivain y supplée avec de l’esprit (nous avons vu qu’il en a de reste) ; il se substitue au personnage ; la main qui tient les fils apparaît ; on entend le régisseur, qui est M. Becque en personne, qui fait des mots, les amène, et les achète. Autrement, tâchez de comprendre pourquoi la jeune fille de tout à l’heure déclare à celui qu’elle aime :

« Le jour qui suivra notre dernier adieu, vous apprendrez que j’étais capable de fidélité et d’héroïsme en recevant le souvenir le plus solennel que jamais femme ait imaginé pour son amant. Je me ferai couper la main droite et je vous l’enverrai. »


si ce n’est pas à seule fin de préparer ce trait : « Gardez-la pour écrire des romans » ; pourquoi Merckens est impertinent à crédit avec Judith[14], sinon pour se retirer sur cet aphorisme :

« Tenez, Mademoiselle, je vais vous dire toute la vérité dans une phrase. Si vous êtes honnête, on vous estimera sans vous servir ; si vous ne l’êtes pas, on vous servira sans vous estimer. »

C’est un mauvais signe pour la vérité qu’on soit amené à y mettre tant d’esprit. Et cela arrive à M. Becque, toutes les fois qu’il veut être plus vrai que nature, plus moderne que son temps, plus spirituel que tout le monde, c’est-à-dire quand il intervient en auteur, faute d’une observation plus large, d’une imagination plus aisée, et aussi, tranchons le mot, faute de sympathie et de sensibilité. Étudiez les deux derniers actes de la Parisienne, vous n’y trouverez que de l’esprit, de l’esprit à décorner les bœufs, de l’esprit satisfait, cynique, macabre, et prétentieux, et assez indigne, en fin de compte, de celui que l’auteur a naturellement meilleur. Je vous défie d’y noter (la scène de Simpson exceptée) une réplique qui ne suppose pas une attitude, une réflexion qui ne soit pas un défi, et quelque chose de vraiment senti. Cela prétend à être d’un philosophe, né malin et supérieur.

Et, bien malgré moi, j’en arrive à la conséquence la plus fâcheuse de ce manque d’imagination, encore plus affecté que réel. À force de se travailler à étonner le monde par sa verve, M. Becque a fini par prendre le mot pour la chose et les concetti amers pour une philosophie. L’homme capable d’observer avec pénétration et de renouveler d’une vue ingénieuse et originale le jeu de l’amour sur le théâtre, en arrive à se faire d’un pessimisme assez naïf et superficiel une sorte de doctrine, ou mieux de code dramatique. Ses pires mots, ses mots de troisième acte en général, ne sont que des violences gratuites et des grossièretés sans excuse. Si la Parisienne riposte froidement à un amant honnête homme : « Vous devez vous dire que je ne suis pas libre, que j’ai une maison à conduire et des relations à conserver ; la bagatelle ne vient qu’après », si elle murmure, dans un mouvement de compassion : « Pauvre garçon ! Oh ! certainement, je lui ferai une petite visite demain », ce n’est pas elle. Monsieur l’auteur, c’est vous qui lancez la bagatelle et la petite visite, et qui pensez être bien clairvoyant et bien amer. Votre réalisme, en ce cas, n’est que broderie ; il est fait de chic, comme disent les artistes.

Et il vous conduit tout doucement à révoquer en doute l’honnêteté des femmes, qui n’ont pas doublé la cinquantaine, ou l’affectivité des hommes, qui ne sont pas des ivrognes, et à produire des remarques, toutes neuves, piquantes, ingénieuses, et d’un penseur, comme celles-ci : — 1o On reconnaît une honnête femme à ce signe, qu’elle a des enfants, marque son linge elle même (sauf les torchons), et boit du vin blanc entre ses repas[15]. 2o Tous les maris mangent trop, et meurent d’apoplexie[16]. 3o Les jeunes filles, qui ne savent pas compter, ne savent pas se défendre. Elles ont des amants de vingt trois ans, et au delà[17]. 4o Lorsqu’elles rencontrent dans une maison un monsieur qu’elles ne connaissent pas, à qui elles n’ont jamais parlé, elles lui font nécessairement des confidences du genre de ceci, par manière de passe-temps[18] :

« Je pense beaucoup à me marier, naturellement, comme toutes les jeunes filles ; mais quelle conduite tiendrai je dans mon intérieur ? Je ne sais pas bien. Je ne sais pas non plus quel est le mari que je désire… Finalement, j’épouserai celui qu’on me présentera. C’est si peu de chose, un mari, dans un ménage. »

Et il est d’usage que, pour dire toute leur pensée et forcer l’attention, elles ajoutent :

« Il y a des maris qui regardent d’autres femmes, lorsque la leur est là. C’est très blessant. Et si la pauvre petite n’est pas jolie, jolie, jolie, elle fait des réflexions, qui ne sont pas couleur de rose. »

Couleur de rose, voilà le trait profond, voilà de la philosophie. J’aurais cru plutôt que les petites filles ne sont pas toutes de petites folles, au temps où nous vivons, qu’il y a quelques honnêtes femmes qui ne prennent pas de vin blanc, que d’autres ne sont pas irréprochables, qui ont des enfants, et puis, qu’il y a des femmes honnêtes, quelques-unes, simplement, à ce qu’on raconte. J’ajoute que ce pessimisme n’est pas toujours au courant de la science moderne, et que sur la question des maris, en particulier, M. Becque parait en retard, qu’ils ne sont plus forcément lourds, gourmands, et épaissis, comme à l’âge de Labiche ; qu’ils sont, au contraire, en voie de se réhabiliter, depuis que le divorce existe ; et que, si l’amant est un second mari, le mari, cet intrigant[19], est en train de redevenir le premier amant.

Enfin, et pour tout dire, c’est une grande gêne, où entre un peu de dépit, que de se prononcer sur l’œuvre de cet écrivain. On ne voit pas sans quelque mélancolie tant de qualités gâtées si obstinément, tant d’originalité exagérée à dessein, un sens si vif de la vie moderne exaspéré jusqu’au cynisme, un esprit naturel qui sombre dans la trivialité concertée, le tout aboutissant à une sorte de philosophie provocante et vaine, capable de tarir le génie le plus inventif et sensible — et aussi celui de M. Henry Becque, qui était né pour devenir la gloire de la scène française, à côté des Augier et des Dumas, et qui, à grand effort, s’est paralysé, stérilisé, Labiche infécond et morose.



  1. Feuilleton du Temps, Francisque Sarcey. 9 novembre 1868.
  2. La Navette.
  3. La Parisienne.
  4. Les Honnêtes femmes.
  5. Les Corbeaux.
  6. Michel Pauper.
  7. La Navette.
  8. Michel Pauper.
  9. C’est Emma Bovary, plus froide, plus fille, et d’une indignation plus hautaine.
  10. Cf. Notre Étude d’Alexandre Dumas fils, ch. V. Les Femmes.
  11. V. Maître Guérin. Un beau mariage d’Émile Augier. La Question d’argent de M. Alexandre Dumas fils.
  12. La Question d’argent. Voir, en particulier, l’article de J.-J. Weiss. Le Théâtre et let mœurs, p. 145.
  13. Michel Pauper.
  14. Les Corbeaux, iii, 2.
  15. Les Honnêtes femmes.
  16. Vigneron des Corbeaux. Mercier de la Parisienne.
  17. Blanche des Corbeaux. Hélène de Michel Pauper.
  18. Les Honnêtes femmes.
  19. Cf. Divorçons de M. Victorien Sardon.