Le Trésor de la caverne d’Arcueil/12
XII.
Pendant que, tout rempli de son admiration pour Suzanne, M. le comte d’Argenson s’était livré à de brillantes attitudes, il avait fait à la dérobée un geste d’intelligence aux hommes à mine ténébreuse qui l’entouraient ; et ceux-ci, poussant aussitôt le ressort de petites lanternes sourdes qu’ils tenaient cachées sous leurs manteaux, et qui tout d’un coup répandirent autour d’eux une vive lumière, étaient entrés cauteleusement dans la caverne. C’est à quoi le signe de M. le lieutenant avait paru les inviter.
Après y avoir fait une quête brillante, en vrais limiers de police, ils ne tardèrent pas à en ressortir d’un air de triomphe, apportant une foule d’objets qu’ils déposèrent aux pieds de M. le lieutenant : des instruments d’optique et de fantasmagorie, des baguettes de coudrier, des torches, des parchemins, des porte voix. Au milieu d’eux était un homme qui se débattait comme un démon, et dont le costume rappelait celui qu’on donne au diable à la comédie. Son visage était couvert d’un masque noirci, et sur son front étaient plantées deux cornes postiches.
A cette vue, mes compagnons prirent l’épouvante ; pour moi, je fus ravi de voir le diable entre deux alguazils, et je me réjouissais fort que celui qui se plaît si souvent à nous faire de mauvais partis fût dans de mauvaises affaires au moins une fois dans sa vie.
Mais M. le lieutenant-général, qui était un esprit fort, croyant peu sans doute à la réalité des génies subalternes, ne me laissa pas longtemps à cette douce satisfaction ;, il s’approcha gaiement du fantôme, et d’une main hardie et profane il lui arracha ses cornes et son masque.
Quel fut notre étonnement quand, dépouillé de ses insignes, nous reconnûmes que ce prince des ténèbres était tout bonnement François, le domestique de notre révérend prieur !
J’avoue que cette mascarade et tous les instruments d’optique et de catoptrique, lanternes, miroirs, télescopes, fantasmacopes, et une foule d’autres objets d’un usage plus ou moins inconnu, firent coïncider un instant mon sentiment avec celui du journaliste dont nous parlions tout à l’heure, et qui donnait insidieusement à entendre dans sa gazette que le bon moine, notre initiateur, usait de supercherie avec ses adeptes. Mais je chassai bien vite cette vilaine pensée ; je rougis d’avoir pu ternir en moi-même d’un soupçon si injuste la pureté d’intention d’un homme si honnête. Que voulez-vous ? notre âme ne peut être responsable des mauvaises cogitations qui la surprennent et la traversent. Elle n’a pas plus que le lis la faculté de refermer son calice, si blanc qu’il puisse être et si pur, à l’approche des frelons ou des guêpes, et les frelons de notre âme, ce sont les mauvaises pensées.
Tout à coup des cris perçants se firent entendre du côté du parc. Il ne manquait plus que cela pour nous faire tomber en syncope. Nous sautions d’évanouissement en évanouissement, de surprise en surprise. C’était vraiment à devenir fou, à perdre la tête, dans ce conflit de catastrophes. Cependant M. d’Argenson, qui était un vieux pilote à cheval sur les quatre vents, ne se troubla pas pour si peu.
Avec son calme et son flegme ordinaire, comme s’il eût eu les oreilles bouchées, il ordonna à ses archers de rassembler les pièces de conviction et de nous conduire en lieu de sûreté dans un appartement du château, où nous demeurerions sous bonne garde. Ensuite il recommanda tout spécialement de mettre dans un salon convenable et à part Mlle Suzanne, et d’avoir pour elle les plus grands égards. Décidément, la lyre d’Orphée avait remué la pierre qui doit tenir lieu de cœur chez un magistrat.
Cette attention délicate ne suffit point au besoin d’être amoureux et tendre qu’éprouvait M. le lieutenant-général.
— Tout à l’heure, je serai près de vous, mademoiselle ; allez sans crainte, lui dit-il en lui touchant affectueusement la main.