À relire

Le Travail, le Nombre et l’État/03

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
LE TRAVAIL
LE NOMBRE ET L’ÉTAT

III[1]
LES LOIS

D’après les faits et d’après les idées, il est possible de pressentir ce que va être l’œuvre des lois. D’abord, lois de destruction, ensuite de reconstruction. Dans les lois, comme dans les faits et comme dans les idées, on s’attache d’abord à démolir l’ordre ancien de la société, puis lentement, peu à peu, et de plus en plus, on s’efforce à fonder sur les lois l’ordre nouveau conçu dans les idées et déterminé, ou commandé, ou conditionné par les faits. De même que le Travail a changé, qu’à l’atelier de famille s’est substituée la fabrique et à la fabrique l’usine ; de même que le Nombre a changé, qu’il s’est concentré, qu’il a pris conscience de lui-même, qu’il a perdu le sens de l’éternité et que s’est aiguisé en lui le sens de l’inégalité ; de même, enfin, que l’Etat a changé, reposant à présent sur le suffrage universel, et de bas en haut ou de long en large comme traversé par lui, comme actionné par lui ; ainsi, la conséquence étant en quelque sorte forcée, la loi elle-même change. Elle change de nature : c’était jadis un instrument de conservation ; c’est maintenant un instrument de transformation, d’abord de déformation, si l’on peut le dire, puis de réformation sociale. Elle change de direction ou d’intention : faite jadis pour une certaine propriété, maintenant elle va l’être, d’abord pour la propriété sans exclusion ni privilège noble, puis pour l’industrie, puis pour le travail.

Comme il est naturel, d’ailleurs, puisqu’il ne peut rien y avoir dans les lois qui n’ait été premièrement dans les faits et dans les idées, les lois retardent un peu sur les idées et même sur les faits. Comme il est naturel encore, les lois procèdent, ainsi que les idées, des généralités aux spécialités, et il le faut bien, puisque c’est la méthode même et la forme même de la loi de distinguer et de disposer par espèces. Mais, en même temps qu’elle va se compliquant, se chargeant de détails, et se resserrant en ce qu’elle se précise, la législation du travail, d’autre part, va s’étendant, agrandissant son champ, allongeant et multipliant ses atteintes, unifiant et essayant d’unifier toujours davantage son action : jadis locale et corporative, maintenant nationale, demain, peut-être, internationale en quelques-unes de ses prescriptions et de ses interdictions.


I

Dans sa partie positive et de reconstruction, l’œuvre de transformation de la société par la loi ne commence guère, pour être systématiquement poursuivie, qu’en 1848 ; et la raison en est évidente : ce n’est qu’en 1848 que la transformation psychologique de l’ouvrier et la transformation juridique de l’État sont accomplies, que la révolution économique et la révolution politique se rejoignent, et que « le peuple misérable » devient indirectement, mais réellement, par le bulletin de vote, « le peuple législateur. » Jusque-là, en ses actes principaux, et sauf les exceptions qui nulle part ne manquent jamais tout à fait, la loi n’a guère que démoli : la partie négative de l’œuvre en précède, comme elle le devait, la partie positive.

L’édit de 1776 démolissait : « Avons éteint et supprimé, éteignons et supprimons tous les corps et communautés de marchands et artisans, ainsi que les maîtrises et jurandes. Abrogeons tous privilèges, statuts et règlemens donnés auxdits corps et communautés… » Le décret des 2-17 mars, la loi des 14-27 juin 1791 [2] démolissaient : « L’anéantissement de toutes espèces de corporations des citoyens du même état et profession étant Tune des bases fondamentales de la Constitution française, il est défendu de les rétablir sous quelque prétexte et sous quelque forme que ce soit. Les citoyens de même état et profession… ne pourront… Il est interdit[3]. Les constitutions elles-mêmes, — chose étrange et contradictoire à toute définition ! — démolissaient. Ce ne sont pas, sur ce point, — celle de 1791 et celle de 1793, — des constitutions, mais plutôt des destitutions : « Il n’y a plus ni jurandes, ni corporations de professions, arts et métiers[4]. »

Sans doute on veut, en démolissant, fonder quelque chose, et à la vérité une seule chose, mais qu’on croit qui suffit à tout : la liberté. L’édit de 1770 proclamait : « Il sera libre à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient,… d’embrasser et d’exercer… telle espèce de commerce et telle profession d’arts et métiers que bon leur semblera…[5]. » Le décret des 2-17 mars 1791, en termes à peu près identiques : « Il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon. » Les constitutions de 1791 et de 1793 impliquaient ou exprimaient une semblable liberté[6]. Mais c’est la liberté abstraite, idéale, théorique, métaphysique ; la liberté sans droits ni devoirs autres que le droit du voisin à la liberté ; hypothétique, par conséquent : « Libre, si tu es assez fort pour l’être et si le voisin n’est pas assez fort pour que tu ne le sois pas ; » c’est la liberté dans le désert, et je ne sais ce qui me retient de répéter ici le mot célèbre : « la liberté désolée de l’âne sauvage. »

En brisant la corporation, on a désorganisé économiquement la société ; en ne donnant au travail libéré ni fin ni frein que la liberté même, on ne l’a pas économiquement réorganisée. Entre la désorganisation et la non-réorganisation, elle demeure donc inorganisée. On a manqué le but en le dépassant ; et la réforme qui était à faire, on ne l’a pas faite, en faisant plus qu’il ne fallait ; elle n’a pas été une réforme, parce qu’elle a été exagérée jusqu’à être une révolution. Ministres de 1776 et Constituans de 1791, ils étaient tous en cela des philosophes bien plus que des politiques ; ils avaient trop d’absolu dans l’esprit ; moins philosophes, plus politiques, moins préoccupés du parfait, et plus occupés du possible, ils eussent corrigé les abus afin de sauver l’organisation, non point ruiné l’organisation afin de corriger les abus ; en quoi ils imitaient un peu « les sauvages de la Louisiane, » blâmés pourtant par l’un de leurs auteurs préférés, qui abattaient l’arbre pour en avoir les fruits. Plus politiques, plus pénétrés du sens du relatif, mieux avertis de l’inévitable imperfection des hommes et des institutions, mieux instruits de la nécessité de soutenir et de consolider l’une par l’autre ces deux faiblesses, mieux assurés que l’individu n’est réellement libre que s’il est suffisamment protégé, et que sa débilité a besoin comme d’une superposition d’enveloppes sociales, ils n’eussent pas désorganisé, mais réorganisé ; ou du moins ne l’eussent fait que pour réorganiser ; ou du moins ne l’eussent pas fait sans réorganiser ; et, par exemple, ayant désorganisé le travail, ils ne l’eussent pas laissé ensuite complètement inorganisé.

Tel cependant ils le laissèrent, et tel il resta longtemps après eux. Dans les dix années qui s’écoulent de 1792 à 1802, et qui sont les années proprement révolutionnaires, on légifère assez abondamment par lois ou par décrets sur les maladies et la médecine du travail, sur les secours à accorder aux enfans, aux vieillards et aux indigens, sur les ateliers nationaux, les hôpitaux et les hospices[7]. On légifère même, et malheureusement, par les décrets établissant le maximum du prix des denrées et objets de grande consommation, sur les circonstances du travail[8]. Mais du travail en soi, du travail à l’état de santé et des conditions normales du travail, presque rien. Rien, avant la loi du 22 germinal an XI, concernant les manufactures, fabriques et ateliers ; et l’on peut dire de cette loi, qui traite en l’un de ses titres du louage de services, en un autre de l’apprentissage, qu’elle se rattache, par son esprit et par sa lettre même, à l’ancienne législation plutôt qu’à la législation moderne du travail : quoiqu’elle s’inspire, en apparence, du principe nouveau de l’égalité de droit, si elle n’est pas ouvertement comme autrefois au bénéfice du patron, elle n’est pas encore, et il s’en faut bien davantage, au bénéfice de l’ouvrier[9].

Presque rien dans le Code civil, qui semble avoir à peu près oublié ou à peu près ignoré l’ouvrier ; et l’on en trouvera toute espèce de motifs, et on l’expliquera par toute sorte de raisons, et nous en connaissons plusieurs[10] : mais il n’y a ni motifs ni raisons ni explications qui puissent faire qu’il ne nous paraisse pas quand même très étonnant, à nous qui avons vu se développer le XIXe siècle après l’an XII, après 1804, que, dans cette règle de vie de la société nouvelle, et dans ce monument de la législation moderne, il n’y ait autant dire pas un mot du travail et pas une place pour le travail.

En revanche, dans le Code pénal de 1810, il y a l’article 291, qui n’est pas spécial aux associations ouvrières, mais qui les atteint comme les autres, et qui est une survivance de l’ancienne législation, de l’ancienne défiance parlementaire et révolutionnaire envers toute association ; il y a les articles 414, 415 et 416, contre toute coalition. Puis, comme si le Code pénal n’était pas assez sévère, on le renforce, sans doute sous la pression de circonstances telles que les émeutes lyonnaises de 1832, par la loi du 10 avril 1834.

On s’obstine donc et l’on s’applique donc à maintenir à l’état inorganique le travail désorganisé depuis un demi-siècle. Mais de lui-même déjà, comme par un effort interne, et comme par cette force plus forte que la force des lois même renforcées d’autres lois, par la force des choses, il tend à se réorganiser. C’est ainsi que la force des choses, introduisant le groupement nécessaire des ouvriers dans le fait, tend à réintroduire, d’abord malgré la loi, l’association dans la loi. C’est ainsi encore que la force des choses oblige dès 1806 à instituer, en ce pays qui vient d’être replacé sous l’égalité de droit et l’unité de juridiction, une juridiction particulière du travail, les conseils des prud’hommes, dont la compétence s’étend et dont les attributions se compliquent avec l’extension et la complication croissantes de l’industrie[11]. En attendant, deux ou trois décrets, relatifs aux bureaux de bienfaisance, aux enfans trouvés ou abandonnés, ou aux orphelins pauvres, et qui, par conséquent, visent à organiser l’assistance et non le travail[12] ; quelques dispositions sur les monts-de-piété et les bureaux de placement[13] ; quelques mesures de police réglant l’exploitation des mines[14], quelques ordonnances sur les fabriques de poudre, d’allumettes, de fulminate de mercure[15] ; une loi sur le travail des enfans employés dans les manufactures, usines ou ateliers, qui fixait à huit ans l’âge où les enfans pourraient être admis, et qui passait alors pour être une loi de protection[16] ; à travers tout, de nombreux actes concernant la Caisse des invalides de la marine[17] ; par-dessus tout, les lois et ordonnances sur les caisses d’épargne[18] ; et nous sommes en 1848 ; et c’est toute la législation sociale de la France, dont il semble que le caractère essentiel soit celui-ci : au travail, la liberté suffit ; tout le monde est également libre ; l’ouvrier n’a pas besoin d’autres droits que les droits de l’homme ; et la misère, puisque aussi bien il y en aura toujours, est matière de législation sociale ; le travail ne l’est pas, sauf précisément sur les points par lesquels il touche et en quelque façon se marie à la misère.

Mais voici le 24 février 1848 ; tout de suite le sens profond de cette révolution en apparence assez dépourvue de sens, — car enfin un peuple ne fait pas une révolution pour l’adjonction de 16 000 capacitaires, qui ne sont pas lui, — son sens profond et puissant se révèle. De ce moment, de la fin du mois de février à la fin du mois de novembre 1848, il ne se passe pour ainsi dire point de jour, en tout cas point de semaine, sans qu’il soit légiféré sur le travail ; et, cette fois, c’est bien sur le travail lui-même, sur le travail en soi. Si, par le travail en soi, il faut entendre : la situation économique et commerciale des différentes branches du travail ; l’état ou la quantité du travail dans les différentes professions ; la situation des ouvriers et apprentis comme salaire et mode de rémunération, durée du travail et temps de repos, conditions d’admission et de résiliation, en un mot contrat de travail[19] ; il n’est pour ainsi dire pas un de ces sujets, en tout cas il n’en est guère sur lesquels il ne soit directement et immédiatement légiféré.

Le décret sur « le droit au travail » paraît au Moniteur le 29 février, mais il a été rédigé à l’Hôtel de Ville le 25 dans la matinée. En ce décret, « le gouvernement provisoire de la République française s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail ; il s’engage à garantir du travail à tous les citoyens ; il reconnaît que les ouvriers doivent s’associer entre eux pour jouir du bénéfice de leur travail. » C’est-à-dire que, dans les six lignes de ces trois paragraphes, on s’engage à légiférer sur la quantité du travail, sur le taux et le mode de rémunération, sur le mode même du travail. C’est-à-dire qu’on y fait tenir non seulement la reconnaissance du droit au travail, mais la promesse de l’organisation du travail et le principe de l’association ouvrière. Pour un commencement de législation positive du travail, c’en est un assez beau et hardi commencement ! Mais, à ce même décret du 26 février, il y a un quatrième paragraphe : « Le gouvernement provisoire rend aux ouvriers, auxquels il appartient, le million qui va échoir de la liste civile[20]. » Et c’est-à-dire que les bénéficiaires de l’Etat sont changés ; ce million, qui est retiré au roi, ce n’est pas à tous les Français, aux contribuables, qu’on le rend, mais aux ouvriers, et l’on affirme qu’il leur appartient, mais qu’est-ce qui ne leur appartient pas ? Ils ont la science, la sagesse, la raison. « Ecoutez-les ; ils en savent plus que vous ! » disent les uns[21]. — « Vous qui en savez plus que nous[22], » surenchérissent les autres. Pourquoi ? parce qu’ils sont le Nombre. Et c’est-à-dire que non seulement la loi sera désormais faite pour eux, mais faite par eux. Non seulement le Travail, en vingt-quatre heures, est devenu législatif, s’il est permis d’exprimer par là qu’il est à présent matière de législation, ce qu’il n’avait pas encore été, mais il est devenu législateur.

Il l’est devenu non seulement au second degré, par délégation, en vertu du suffrage universel et au moyen du bulletin de vote ; non seulement il est représenté dans l’Assemblée par les ouvriers Agricol Perdiguier, Corbon, Pelletier (de Lyon), Marins André (du Var), etc., et au gouvernement par Albert « l’ouvrier, » en la personne de qui le mot prend une ampleur et une valeur de symbole, au point d’être bientôt auprès des électeurs une recommandation sans rivale, et comme le passe-partout du parfait candidat : « Fils d’ouvrier, ouvrier moi-même… » Le 1er mars est instituée, au Luxembourg, la Commission de gouvernement pour les travailleurs, dont Louis Blanc est le président, et Albert le vice-président. Or, le décret qui les nomme ne dit pas : « M. Louis Blanc, publiciste, » mais il dit : « M. Albert, ouvrier ; » et il ne dit pas : « Des économistes, des industriels, des commerçans…, » mais il dit : « Des ouvriers seront appelés à faire partie de la Commission. » Ses « considérans » sont d’ailleurs très nets, et le sens profond de la Révolution de 1848 s’en dégage plus franchement encore : « Considérant que la révolution faite par le peuple doit être faite pour lui ; qu’il est temps de mettre un terme aux longues et iniques souffrances des travailleurs ; que la question du travail est d’une importance suprême ; qu’il n’en est pas de plus haute, de plus digne des préoccupations d’un gouvernement républicain ; qu’il appartient surtout à la France d’étudier ardemment et de résoudre un problème posé aujourd’hui chez toutes les mil ions industrielles de l’Europe ; qu’il faut aviser sans le moindre retard à garantir au peuple les fruits légitimes de son travail[23]… »

Tout pour le peuple, par le peuple et au peuple ; et le peuple a été autre chose en 1789, mais, en 1848, le peuple, c’est les ouvriers ; eux seuls, rien queux. A peine installés au Luxembourg, Louis Blanc et Albert adressèrent « aux ouvriers, » aux « citoyens travailleurs, » une proclamation dans laquelle, après le grand serment du début, ils exposaient brièvement que « toutes les questions qui touchent à l’organisation du travail sont complexes de leur nature ; » qu’ « elles veulent être abordées avec calme et approfondies avec maturité[24] ; » par laquelle, en somme, ils demandaient un peu de crédit à ce peuple qui avait ouvert à la République un crédit de trois mois de misère ; car ils n’ignoraient pas que, « dans le long et douloureux acheminement de l’humanité vers le règne de la justice, il est de nécessaires étapes[25]. » La première séance de la Commission eut lieu dès le jour même, 1er mars. Deux cents ouvriers environ y assistaient, « sur les sièges que naguère encore occupaient les pairs de France[26]. » L’un d’entre eux, se levant, réclama, au nom de ses camarades, la réduction des heures de travail et l’abolition du marchandage. Louis Blanc répondit qu’avant tout, « il y avait à organiser la représentation de la classe ouvrière au Luxembourg, » et proposa « que chaque corporation désignât trois délégués, » dont l’un prendrait part aux travaux journaliers de la Commission de gouvernement pour les travailleurs, et dont les deux autres pourraient, dans les assemblées générales, discuter les rapports présentés par elle. Ce qu’il fallait faire d’abord, c’était forger l’outil, et l’outil, ce serait, — il mettait le nom sur la chose, — le Parlement du travail.

Les ouvriers applaudirent, mais ils insistèrent : avant tout, la réduction de la journée et l’abolition du marchandage. Cependant Louis Blanc, déjà gouvernementalisé, et qui déjà pensait à parlementariser la révolution, voulait que les patrons fussent préalablement consultés : il fit remettre la décision au lendemain ; et c’est avec le consentement des « représentais les plus connus des principales industries de Paris, » convoqués d’office par l’intermédiaire de « citoyens à cheval, » que fut rendu le décret des 2-4 mars 1848 abolissant en effet le marchandage et réduisant les heures de travail, de onze à dix dans Paris et de douze à onze dans les départemens[27]. Le Parlement du travail fut ensuite institué conformément aux indications de Louis Blanc, « chaque corporation étant représentée au Luxembourg par trois délégués tirés de son sein. De cette manière, un levier puissant se trouva aux mains de la Commission de gouvernement pour les travailleurs ; et, au moyen d’une assemblée permanente composée de ses élus, le peuple de Paris fut en état d’agir comme un seul homme[28]. » La semaine d’après, le 10 mars, le Parlement du travail ouvrit sa session, et on lui traça d’un mot son programme : aider la Commission de gouvernement ; au vrai, la pousser en lui faisant sentir la pression « du peuple de Paris » pesant sur elle « comme un seul homme. »

Son but, à nouveau défini et mieux déterminé, serait « d’étudier les questions qui touchent à l’amélioration soit morale, soit matérielle du sort des ouvriers, de formuler les solutions en projets de loi, et de les soumettre, avec approbation du Gouvernement provisoire, aux délibérations de l’Assemblée nationale… » Et l’on n’en était encore qu’aux phrases : « C’est de l’abolition de l’esclavage en effet, qu’il s’agira ; esclavage de la pauvreté, de l’ignorance, du mal ; esclavage du travailleur qui n’a pas d’asile pour son vieux père ; de la fille du peuple qui, à seize ans, s’abandonne pour vivre ; de l’enfant du peuple qu’on ensevelit, à dix ou douze ans, dans une filature empestée[29]. » Mais, la mécanique une fois montée et l’engrenage une fois endenté, — Parlement du travail, Commission de gouvernement pour les travailleurs, Gouvernement provisoire, Assemblée nationale, — on entend bien passer aux actes.

Les actes devaient être : la fondation de sociétés et de colonies agricoles coopératives, la création d’institutions de crédit, la centralisation des assurances, la formation d’entrepôts et de magasins généraux pour le commerce en gros, de bazars pour le petit commerce, l’établissement d’une banque d’Etat[30], la construction, « dans chacun des quartiers les plus populeux de Paris, » d’une sorte de familistère modèle « assez considérable pour loger environ quatre cents familles d’ouvriers, dont chacune aurait eu son appartement séparé, et auxquelles le système de la consommation sur une grande échelle aurait assuré, en matière de nourriture, de loyer, de chauffage, d’éclairage, le bénéfice des économies qui résultent de l’association[31]. »

Les actes furent, outre ceux plus haut rapportés : 8 mars, un décret « établissant des bureaux de l’enseignemens pour faciliter les rapports entre les personnes qui cherchent du travail et celles qui demandent des travailleurs ; 21 mars, un arrêté « relatif à la répression de l’exploitation de l’ouvrier par voie de marchandage ; » 3 avril, 22 mai et 20 juin, trois décrets allouant des crédits ou des subventions aux ateliers nationaux ; 30 mai, un décret substituant le travail à la tâche au travail à la journée ; 5 juillet, un décret relatif aux associations ouvrières de production[32] ; 9 septembre, enfin, le décret-loi relatif aux heures de travail dans les manufactures et usines ; — je passe quelques décrets ou lois sur les conseils de prud’hommes et les caisses d’épargne, qui sont, ainsi qu’on l’a vu, depuis les premières années du XIXe siècle, comme les matières classiques de la législation sociale[33].

Si tout ce qui devait être ne fut pas, loin de là, et si, au bout du compte, 1848 fit positivement assez peu, c’est d’abord que la mécanique demeura incomplète et que Louis Blanc ne put obtenir qu’on instituât et qu’on lui donnât un ministère du Travail et du Progrès, « avec mission spéciale de préparer la révolution sociale, et d’amener graduellement, pacifiquement, sans secousse, l’abolition du prolétariat[34] ; » et c’est qu’ainsi, président d’une simple commission, et n’ayant ni autorité directe ni ressources propres, il se vit condamné, au lieu d’appliquer ses idées, à ne présenter que des propositions : au lieu d’être, comme il l’avait rêvé, l’organisateur du travail, il dut se contenter d’être l’arbitre de certains différends entre patrons et ouvriers[35] ; au lieu de fonder en bloc un système social nouveau, « la commune industrielle, » par l’association et la coopération[36], il dut se contenter de fonder en détail, dans le système social en vigueur, des associations coopératives, dont la plupart d’ailleurs devaient réussir pis que médiocrement, et borner à une série de petites expériences privées la grande expérience nationale qu’il voulait tenter avec l’aide et sous le contrôle de l’Etat[37]. Toutefois, grâce à ces petites expériences, de proche en proche, la coopération se serait répandue et aurait gagné la province ; alors on eût appelé la loi à l’aide, car, dès cet instant, la loi crée.

Si 1848 fit positivement assez peu, c’est ensuite qu’au milieu du chemin, les journées de Juin et les craintes incessantes causées par les ateliers nationaux vinrent couper l’élan et briser le ressort. Non seulement on s’arrêta, mais on réagit. La preuve en est dans la discussion, du reste fort remarquable, que soulevèrent à l’Assemblée nationale le paragraphe VIII du préambule et l’article XIII du texte même de la Constitution ! Ce droit au travail que tout de suite, en février, et comme une préface à son œuvre, ou coin nie une espèce de denier à Dieu, le gouvernement provisoire avait solennellement reconnu, la Constituante, en septembre, se refusait à l’inscrire dans la charte républicaine. Elle biaisait, elle tournait autour, elle prenait des périphrases : elle transposait le droit de l’individu en un devoir de l’Etat, et en le circonscrivant au plus près qu’elle pouvait, en le rétrécissant peu à peu jusqu’à ne laisser subsister guère qu’un devoir d’assistance, une charité sociale.

La première rédaction portait : « Le droit au travail est celui qu’a tout homme de vivre en travaillant. La société doit, par les moyens productifs et généraux dont elle dispose et qui seront organisés ultérieurement, fournir du travail aux hommes valides qui ne peuvent s’en procurer autrement[38]. » La deuxième corrigea : « La République… doit la subsistance aux citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler[39]. » La formule adoptée fut : « Elle doit (la République), par une assistance fraternelle, assurer l’existence des citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors d’état de travailler[40]. » A quoi l’article 13 ajoutait : « La Constitution garantit aux citoyens la liberté du travail et de l’industrie. La société favorise et encourage le développement du travail par l’enseignement primaire gratuit, l’éducation professionnelle, l’égalité de rapports entre le patron et l’ouvrier, etc.[41]. »

Tout ce débat, qui fut grave et passionné, n’est au vrai que la querelle de deux idées ou de deux doctrines : de la liberté nécessaire et suffisante, de la liberté sans conditions, absolue et abstraite, contre la liberté sous conditions, relative, réelle, précaire et contingente ; de l’égalité de droit contre l’inégalité de fait. « Tu es libre ! s’écrie M. Thiers, en qui s’incarne l’une de ces écoles, travaille[42] ! » Mais, du dehors, Louis Blanc, et, dans l’Assemblée, ses amis répondent : « Sont-ils libres, ceux qui… ceux qui ?… — Travaille ! — Mais nous n’avons ni un champ pour labourer ; ni du bois pour construire ; ni du fer pour forger ; ni de la laine, de la soie, du coton, pour en faire des étoiles[43]. » Ni libres donc, ni égaux, pour le travail et dans le travail. — C’est cette antinomie qui ressort, et ce sont plusieurs antinomies pareilles, éternelles ou nouvelles, de toujours ou d’un jour, dont la dernière est que le peuple soit à la fois « misérable et législateur. » Peu importe, après cela, ce que 1848 a fait ou n’a pas fait ; qu’il ait fait un peu plus ou fait un peu moins ; il a fait « législateur » le peuple « misérable ; » rien ne peut faire désormais que cette dernière et plus forte antinomie, en laquelle on se flatte de trouver la solution ou la conciliation de toutes les autres, ne produise pas dans les lois toutes ses conséquences.


II

Durant la deuxième moitié du siècle, elle les a produites, et elle continue de les produire, quel que fût alors et quel que soit maintenant le gouvernement ou le régime. C’est que les régimes ou les gouvernemens ne sont, à cet égard, que des formes, je dirais presque des apparences : l’empire a succédé à la république, et une autre république à l’empire ; et, dans les formes ou les apparences, on a pu croire que c’étaient deux régimes très divers et même opposés ; mais, dans le fond et quant aux réalités de la vie sociale, république ou empire, empire ou république étaient assez indifférens. Au fond et en réalité, depuis 1848, la France vit, à travers la république et l’empire, à travers l’empire et la république, sous le régime économique de la grande industrie et le régime politique du suffrage universel, dont la conjonction et la combinaison dominent et dirigent comme par une sorte de fatalité sa législation sociale. Au fond et en réalité, depuis 1848, nous avons en tantôt la république, et tantôt l’empire, mais toujours la grande industrie et le suffrage ; universel, avec la législation sociale, non de la république ou de l’empire, mais de la grande industrie et du suffrage universel. Quand on dit de Napoléon III qu’il a « voulu faire du césarisme ouvrier, » on s’exprime inexactement, ou du moins imparfaitement ; il l’a peut-être voulu aussi ; mais il n’était pas autant qu’il le paraissait le maître de le vouloir ou de ne le vouloir pas, et ne l’eût-il pas voulu, que tout de même il y eût été porté et poussé ; par quoi ? par cette force des choses qui eût également porté et poussé tout autre à sa place, et tout autre gouvernement comme le gouvernement impérial, qui porte et qui pousse la république comme l’empire, et qui est la résultante de ces deux forces : la grande industrie et le suffrage universel, lesquelles, derrière les apparences de régimes qui passent, ont fait à ce pays un fond de régime permanent dont la stabilité, la continuité et la progressivité, lorsqu’on y regarde bien, apparaissent dans les lois.

Avant 1848, on s’en souvient, la législation s’était bornée à ce que nous appellerons, en nous excusant dès à présent de ce qu’il y a de métaphorique dans l’expression, l’hygiène ou la médecine du travail. En 1848, on vient de le voir, elle s’occupa surtout de ce que nous appelons le travail en soi, et de généralités plus ou moins philosophiques, telles que « le droit au travail. » Après 1818, elle embrassa tout ensemble et ce premier titre : le travail en soi, et ce dernier : la thérapeutique du travail, avec les deux titres intermédiaires : les circonstances du travail et les maladies du travail. Pour les circonstances du travail, — coût de la vie, prix au détail des objets et denrées de grande consommation, — depuis qu’on a renoncé aux essais de maximum, la loi ne peut intervenir, et elle n’est intervenue que très indirectement : la législation n’a agi sur ce point que dans la mesure où les impôts, et, par exemple, les octrois et les douanes, affectent les ressources, les dépenses, et conséquemment modifient les conditions d’être de la classe ouvrière ; ou bien en tant que l’institution de coopératives, d’habitations ouvrières, etc., a reçu d’elle, — de la législation, — plus ou moins de facilités et d’encouragemens. Encore cela même rentre-t-il dans la quatrième catégorie ? , et cela même est-il de l’hygiène ou de la médecine du travail. Quant au troisième chapitre, les maladies du travail, — chômage, grèves, conflits, accidens, morbidité, alcoolisme, dégénérescence, criminalité, il est clair que là-dessus la législation doit être infiniment rare, et si rare qu’elle est presque nulle ; car, bien qu’il puisse y avoir et que par malheur il y ait en effet des lois mal faites, de portée mal prévue, d’incidence mal calculée, qui occasionnent, engendrent ou exaspèrent quelque maladie du travail, toutefois elles n’ont pas été faites dans cette intention, mais le plus souvent, pour ne pas dire toujours, elles l’ont été dans l’intention contraire : elles ont aggravé, mais elles voulaient prévenir ou guérir ; c’était donc, là aussi, de l’hygiène ou de la médecine du travail ; et donc, la législation du travail s’appliquera successivement à tous les sujets, à tous les objets, mais, en somme, elle a deux objets, deux sujets principaux : c’est le travail en soi, à l’état normal, et la thérapeutique du travail, troublé par certains désordres, qui lui fournissent sa matière la plus abondante.

Pendant deux ou trois ans, le mouvement commencé par la révolution de Février se prolonge : de préférence on légifère sur le travail en soi, tantôt en développement de la législation de 1848 et tantôt en réaction contre elle ; tantôt dans le même sens et tantôt dans un autre sens ; mais, pour ou contre, on y a intéressé le législateur, on ne l’en désintéresse plus, et de moins en moins on se résigne à croire qu’il n’ait en ce domaine ni rien à dire, ni rien à faire. Ainsi de la loi du 7 mars 1850 sur les moyens de constater les conventions entre patrons et ouvriers en fait de tissage et de bobinage ; de celle du 22 février 1851 relative aux contrats d’apprentissage ; de celle des 25 avril, 8 et 14 mai suivans, en ce qui concerne les avances de salaire et les livrets ; ainsi du décret du 17 mai 1851 apportant des exceptions à la loi du 9 septembre 1848 sur la durée du travail dans les manufactures et usines.

Tout cela, c’est de la législation sur le travail en soi. Cependant on légifère, en même temps, sur ou contre les maladies du travail : on fait, on essaye de faire de la thérapeutique sociale. Je ne veux citer qu’en passant les mesures qui concernent l’assistance publique, mesures qui s’imposent plus que jamais au lendemain de la liquidation des ateliers nationaux (loi du 10 février 1849), et dans l’enchaînement et le développement desquelles les décrets viennent doubler les lois, et les arrêtés, les décrets. Mais voici, dès le 13 avril 1850, une loi relative à l’assainissement des logemens insalubres ; et, coup sur coup, la loi qui crée, sous la garantie de l’Etat, une caisse de retraites ou rentes, viagères pour la vieillesse (18 juin) ; une loi sur les sociétés de secours mutuels (15 juillet) ; une loi, puis encore une loi sur les caisses d’épargne (29 août 1850 et 30 juin 1851). Depuis lors, caisses de retraites, et surtout caisses d’épargne et sociétés de secours mutuels vont se partager la sollicitude chaque jour plus empressée des pouvoirs publics.

Aux sociétés de secours mutuels, le décret du 22 janvier 1852 alloue, « sur les biens de la famille royale déchue, » une dotation de dix millions, — don de joyeux avènement du second Empereur ; déjà, ces sociétés pouvaient, sur leur demande, être déclarées établissemens d’utilité publique[44] ; deux mois après, le 20 mars, un décret-loi organique pose en principe qu’une société de secours mutuels sera créée dans chaque commune ou union de communes au-dessous de mille habitans, par les soins du maire et du curé, sur l’avis du conseil municipal, sous l’autorisation du préfet et la direction d’un président nommé par le Président de la République. Et l’on voit sans doute poindre en cette disposition la préoccupation politique de rassembler et de tenir en une seule main tout ce qui peut être dans le pays ordre, organisation, vie et force ; mais une autre préoccupation n’y est pas moins, qu’on pourrait qualifier de sociale, et qui s’affirme plus hautement encore ailleurs, — voyez l’article 13 de la loi du 18 juin 1850, fondant la caisse nationale des retraites pour la vieillesse[45], — celle de ne pas diviser les forces sociales, de ne pas les opposer les unes aux autres ni les jeter les unes sur les autres, mais au contraire de les grouper et de les faire concourir toutes à la recherche des solutions du problème social et des remèdes ou des adoucissemens au mal social.

Ensuite, les sociétés de secours mutuels étendent leur action et s’affranchissent : on les engage et on les aide par une subvention à constituer, de leur côté, sans préjudice de la caisse nationale, et d’accord avec elle, un fonds de retraites spécial à leurs membres ; on fixe à cinq ans la durée des fonctions de leurs présidens ; et ces présidens, on leur permet enfin de les élire elles-mêmes ; ainsi que les sociétés de bienfaisance, on les exempte de la taxe qui frappe les autres sociétés, cercles ou lieux de réunion : on règle et on combine leur jeu avec celui des deux caisses d’assurances en cas de décès et en cas d’accidens, auprès desquelles on s’efforce de leur permettre de contracter des assurances collectives ; quand elles ont foisonné et couvrent le territoire de la métropole, on les transplante au-delà des mers et, sous les espèces de sociétés indigènes de prévoyance, de secours et de prêts mutuels des communes d’Algérie, on s’efforce d’inaugurer comme une colonisation de la mutualité[46]. De 1852, date du premier décret-loi organique, à 1898, date de la loi qui la réorganise, la mutualité ne cesse de croître et de multiplier : elle s’épanouit, elle essaime, elle triomphe ; et, comme elle a justifié les plus grandes espérances, volontiers on place en elle des espérances intimes ; parce qu’elle a beaucoup fait, on est parfois un peu enclin, et peut-être un peu trop, à lui demander de tout faire.

Aux caisses d’épargne, on ne peut demander que de susciter et de faciliter l’épargne, en la rendant commode, sûre et fructueuse, en la plaçant pour ainsi dire à la portée de tout le monde, et pour ainsi dire en allant l’offrir partout à domicile. L’esprit d’épargne étant d’ailleurs comme une parcelle constitutive du caractère français, l’épargne étant chez nous comme « psychologique » ou psychologiquement donnée, les caisses d’épargne sont une des institutions dont s’occupe en premier lieu notre législation sociale. Mais, avant même toute législation sociale, elles étaient apparues sous forme quasiment de produit spontané : vers la fin du XVIIIe siècle, on avait vu surgir du sol le Bureau d’économie, la Chambre d’accumulation des capitaux et intérêts composés, la célèbre Tontine Lafarge, qui justement avait pris le titre de Caisse d’épargne. La première caisse d’épargne véritable, la Caisse d’épargne de Paris, fut reconnue, et ses statuts homologués par ordonnance royale du 29 juillet 1818. C’était, aux termes de ces statuts, une société anonyme, établie avec l’autorisation du gouvernement sous la dénomination de Caisse d’épargne et de prévoyance, à l’effet « de recevoir en dépôt les petites sommes qui lui seront confiées par les cultivateurs, ouvriers, artisans, domestiques, et autres personnes industrieuses. » Chaque dépôt devait être « d’un franc au moins et sans fraction de franc. » La Compagnie royale d’assurances, par le moyen de vingt de ses actionnaires fondateurs, « dotait » la Caisse d’épargne et de prévoyance d’une somme de 1 000 francs de rente, 5 pour 100, destinée à « former le premier fonds de la caisse, » et la logeait en outre dans un coin de ses locaux : humble origine d’une grande fortune. Entre 1818 et 1835, la Caisse d’épargne de Paris a sans doute provoqué des imitations en province, car la loi du 5 juin 1835 parle « des caisses d’épargne autorisées, » et les livrets y sont assez nombreux pour qu’elles soient admises à verser leurs fonds en compte-courant à la Caisse des dépôts et consignations, caisse que, deux ans plus tard, en 1837, une autre loi chargea obligatoirement de recevoir ces fonds et de les administrer à l’avenir[47].

Puis, une loi de 1845[48] nous conduit jusqu’en 1848. Période révolutionnaire, où il est à plusieurs reprises question des caisses d’épargne, mais surtout, — et Ton ne saurait s’en étonner, — à cause de l’affluence des demandes de remboursement, de l’excédent des « retraits » sur les versemens[49]. L’épargne, inquiète on effrayée, s’enfuit du Trésor public et des caisses reliées au Trésor : elle s’abaisse en même temps que la confiance, rentre sous terre, et s’enfouit. Il faut avouer que cette épouvante n’est point du tout injustifiée. Elle est l’effet non seulement des perturbations de la rue, mais des préventions connues et étalées de quelques-uns de ceux qui détiennent alors le pouvoir, de leurs déclamations contre « l’immoralité » de la caisse d’épargne. A les entendre, la caisse d’épargne ne serait alimentée qu’en partie par les bénéfices du travail honnête. « Receleuse aveugle et autorisée d’une foule de profits illégitimes, elle accueille, après les avoir à son insu encourages, tous ceux qui se présentent, depuis le domestique qui a vidé son maître, jusqu’à la courtisane qui a vendu sa beauté. » Au surplus, si l’ouvrier, par « le travail honnête, » gagne à peine de quoi vivre, comment gagnerait-il de quoi épargner[50] ? Et ce raisonnement vaut ce qu’il vaut, et ces sentimens sont ce qu’ils sont, mais ils ne peuvent être ignorés, et ils ne sont pas rassurans.

C’est à rassurer l’épargne effarouchée que s’appliquent, en n’y réussissant qu’assez lentement, les lois, décrets et arrêtés accumulés dans la dernière moitié de 1848 et dans les cinq années de 1849 à 1853[51]. Peu à peu, pourtant, l’épargne reprend son niveau, et le garde jusqu’aux catastrophes de 1870, où, d’autres causes produisant des effets semblables, le gouvernement de la Défense nationale se voit contraint de rendre un décret qui rappelle ceux du gouvernement provisoire, et que, du reste, on se hâte d’abroger dès qu’on le peut[52]. A nouveau, l’esprit français retrouve sa pente : le niveau se rétablit, pour monter ensuite si rapidement, que l’épargne, comme la mutualité, croissant et multipliant, on doit multiplier aussi les prises, les récepteurs, l’outillage de l’épargne. Il y aura donc, par surcroît, une Caisse d’épargne postale[53], ou plutôt des caisses d’épargne postales ; tous les bureaux de poste seront ses succursales dans les départemens ; et, de plus, la caisse nationale d’épargne aura des succursales à l’étranger, sur terre et sur mer, en quelque sorte : elle aura des succursales navales[54], afin qu’il ne se perde pas un grain, pas une goutte de l’épargne française.

Tout est ainsi recueilli, condensé, concentré ; quelques-uns disent : trop condensé, trop concentré, et ils manifestent des craintes ; s’il survenait une crise violente, un de ces événement à la merci desquels nous sommes toujours ? Mais, comme le pire danger serait que ces craintes dussent, en attendant la crise, provoquer la panique, la loi du 3 février 1893 interdit et réprime « les manœuvres contre les caisses d’épargne. » Et, de même encore que la mutualité a été réorganisée par la loi de 1898, de même l’épargne l’a été par la loi du 20 juillet 1895 et la série de décrets qui s’y rattachent[55], série dont on peut dire qu’elle ne sera jamais close, car c’est surtout en ces choses de la vie sociale saisie dans ses fonctions intimes et son mouvement quotidien que la législation doit suivre la vie et se régler perpétuellement sur elle.

Pour les caisses de retraites, le principe est, — ou du moins il a longtemps été, — que ce sont des institutions « particulières. » Longtemps elles n’ont été soumises à aucune législation qui leur fût propre : constituées en sociétés de secours mutuels, elles étaient régies par la loi sur les sociétés de secours mutuels ; constituées autrement, elles se régissaient selon le droit commun et d’après leurs statuts. Cependant, depuis longtemps aussi, un autre principe était reconnu : le secours est dû, notamment en cas d’accident, aux ouvriers de certaines industries ; et, depuis longtemps même, il était inscrit dans les actes concernant ces industries. Ainsi des mines, depuis le décret du 3 janvier 1813[56], et de la marine marchande, en vertu des articles 262 et 263 du Code de commerce[57]. D’autre part, les caisses de retraites des mines et des chemins de fer n’ont pas tardé à être réglementées par des lois, et les caisses particulières d’établissemens ou administrations relevant de l’État, par des décrets, des arrêtés ministériels. C’est à partir de 1890 que la législation sur ce point devient active et s’élargit progressivement, s’amplifie jusqu’aux vastes projets aujourd’hui pendans devant le parlement et devant l’opinion[58]. La loi du 20 juillet 1886 avait refondu et revivifié la loi de 1890 créant sous la garantie de l’État une Caisse nationale de retraites ou rentes viagères pour la vieillesse ; au cours des dix années suivantes, des mesures nouvelles la complètent, règlent ses rapports avec telle ou telle caisse particulière, comme celle des mineurs, et donnent aux ouvriers le moyen de contracter une espèce d’assurance contre la vieillesse[59]. De même pour la loi de 1868 qui créait, également sous la garantie de l’État, deux caisses d’assurances, Tune en cas de décès et l’autre en cas d’accidens résultant de travaux industriels ou agricoles ; de 1890 à 1897, on la révise et on l’achève[60]. aisse nationale ou caisses particulières, elles ont toutes d’ailleurs une aïeule vénérable en la Caisse des invalides de la marine, qui, du mois d’août 1681 au mois d’avril 1898, a une histoire législative de plus de deux siècles, la plus longue à la fois et la plus remplie[61].

Ce qu’on a fait pour ces deux ou trois points de notre législation sociale, pour ces deux ou trois chapitres du titre Thérapeutique du travail, on pourrait aussi bien le faire pour tous les autres titres, tous les autres chapitres et tous les autres points. On le ferait, toujours au titre quatrième, pour les dispositions qui regardent l’hygiène et la sécurité des travailleurs, soit dans l’industrie en général, soit dans certains genres d’industrie plus particulièrement dangereux, mines, minières, carrières, salines, ou dans les chemins de fer, ou dans les usines qui emploient des appareils à vapeur, ou dans les fabriques d’explosifs, de dynamite, d’allumettes, etc., établissemens dangereux, eux aussi, ou simplement insalubres. Comme pour ces établissemens mêmes, on pourrait le faire pour les logemens malsains, pour les accidens du travail comme pour les différends, les contestations ou les conflits nés du travail, et l’analyse chronologique de toute cette législation ne serait pas moins instructive ni moins concluante que celle de la législation sur les caisses de retraites, les caisses d’épargne et les sociétés de secours mutuels. Elle établirait en fin de compte que sur chacun de ces chapitres on a commencé à légiférer plus ou moins tôt : sur les mines, dès 1810 et 1813 ; sur les explosifs, dès 1823 ; sur les logemens insalubres, en 1850 ; sur les appareils à vapeur, en 1856 ; et que, sur les accidens du travail, il n’y avait jusqu’à une date récente rien que les règles générales de responsabilité édictées par le Code civil : « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage… » (art. 1382), et par le Code pénal (art. 319) : « Quiconque, par maladresse, imprudence, inattention, négligence… etc. ; » mais que, sur tous ces chapitres pourtant, c’est après 1880, et aux environs de 1890, vers 1892 et 1893, que l’activité législative s’est déployée très résolument.

Il en serait de même pour le titre premier, le Travail en soi, aux chapitres de l’apprentissage proprement dit et de l’enseignement professionnel à ses divers degrés ou sous ses diverses formes : écoles manuelles d’apprentissage, écoles pratiques de commerce et d’industrie, écoles nationales d’arts et métiers ; aux chapitres aussi de la recherche du travail par les bureaux de placement et les bourses du travail, de la protection du travail national et de l’admission des associations ouvrières aux adjudications de l’Etat, de la limitation du temps de travail et de la surveillance du travail des enfans et des femmes, soit dans les professions ambulantes, soit dans les manufactures, usines et ateliers, puis de la garantie et de « l’insaisissabilité » des salaires. De même encore pour le titre deuxième : Circonstances du travail, aux chapitres des habitations à bon marché, et des coopératives de consommation.

L’œuvre législative se dessine ou s’ébauche plus ou moins tôt, mais, là comme ailleurs, c’est après 1880 et autour de 1890 que l’effort est sensible et visible ; 1892, 1893, 1894 et les années suivantes sont les grandes années de la législation sociale en France. En cinquante ans, de 1849 à 1898 inclusivement, j’ai compté environ 170 textes importans : lois, décrets ou arrêtés, sur lesquels 1850 et 1831 en fournissent chacun 6 ou 7 ; mais 1890 en donne 8 ; 1893, 10 ; 1894, 12 ; 1895, une vingtaine. Entre ces cinquante années, il n’y a sans doute point de surprise à constater que celles où la législation sociale est la moins féconde sont naturellement celles où la lutte politique est la plus vive : un ou deux textes en 1877, rien en 1878 (année d’Exposition), un ou deux en 1879, quelques-uns en 1880 : les Chambres sont occupées autre part ; et l’on pourrait faire là-dessus bien des réflexions, si c’en était ici le lieu. En revanche, tous les trois ou quatre ans, vers les fins de législature, quand la réélection est proche, il y a une forte année. Dans l’ensemble, et le fort portant le faible, nous sommes arrivés à posséder une législation sociale très touffue et très ramifiée, où il n’est pas toujours facile de se retrouver et dont la richesse même nuit quelquefois à l’ordre, mais en l’enchevêtrement de laquelle quelques lois pourtant font saillie et marquent la charpente : la loi de 1864 sur les coalitions, la loi de 1884 sur les syndicats professionnels, la loi de 1892 sur le travail des enfans, des filles mineures et des femmes dans les établissemens industriels, la loi sur l’assurance obligatoire, et, si elle est votée, — quelque chose, sûrement, sera voté, — la loi sur les retraites ouvrières.

Nous en sommes là. Et c’est là à peu près que les autres en sont comme nous. Ainsi, depuis 1848 jusqu’à présent, et, tout en s’étendant, en se précisant davantage d’année en année, tout en se compliquant, en se resserrant davantage par le soin du détail, s’est développée la législation sociale de la France : ainsi s’est opérée par elle, ou du moins a commencé et se poursuit, avec une rapidité et une sûreté de direction de plus en plus grandes, la transformation légale de la société française. Mais, plus ou moins, la même transformation s’opère, suivant la même marche, dans les autres sociétés de l’occident de l’Europe, parce que la même révolution économique a partout amené la même transformation psychologique de l’ouvrier, et la même révolution politique, pas aussi brusquement peut-être, mais aussi certainement, la même transformation juridique de l’Etat : plus ou moins, mais ce n’est qu’une question de plus ou de moins. A quoi s’ajoutaient toutes sortes de causes de tous genres : la fréquence, la multiplicité, la continuité des communications et des échanges matériels ou intellectuels ; d’inévitables, d’inéluctables solidarités ; l’action révolutionnaire de certains partis et la réaction anti-révolutionnaire des gouvernemens contre ces partis ; tout concourait à internationaliser d’année en année davantage le travail, les produits du travail, et les problèmes du travail. Le moment devait donc venir où, en face du travail sous tant de rapports internationalisé, une législation nationale du travail risquerait de ne plus suffire à chaque nation ; où tel ou tel des problèmes posés, et posés en termes impérieux, apparaîtrait insoluble pour chaque nation, et soluble seulement, si tant est qu’il le soit, par une entente en vue de jeter les bases et de tracer les directrices d’une législation internationale du travail, réduite sans doute au minimum, mais qui, reconnaissant le nouvel état social de l’Europe, formerait comme un appendice nécessaire au droit des gens européen.


III

Dans cette intention et pour parer en commun au commun péril ou aux difficultés communes, l’Empereur allemand prit, après la Confédération helvétique qui, la première, en avait émis l’idée, l’initiative de réunir à Berlin une conférence internationale où ces questions seraient étudiées en commun. Ce sont presque les expressions mêmes que nous venons d’employer dont se servait le prince de Bismarck en transmettant aux ambassadeurs le rescrit impérial du 4 février 1890 : « Vu la concurrence internationale sur le marché du monde, disait-il, et vu la communauté des intérêts qui en provient, les institutions pour l’amélioration du sort des ouvriers ne sauraient être réalisées par un seul État, sans lui rendre la concurrence impossible vis-à-vis des autres. Des mesures dans ce sens ne peuvent donc être prises que sur une base établie d’une manière conforme par tous les États intéressés. Les classes ouvrières des différens pays, se rendant compte de cet état de choses, ont établi des rapports internationaux qui visent à l’amélioration de leur situation. Des efforts dans ce sens ne sauraient aboutir que si les Gouvernemens cherchaient à arriver par voie de conférences internationales à une entente sur les questions les plus importantes pour les intérêts des classes ouvrières[62]. » Et ce sont les mêmes expressions encore qu’avait personnellement employées l’Empereur : « Je suis résolu à prêter les mains à l’amélioration du sort des ouvriers allemands, dans les limites qui sont fixées à ma sollicitude par la nécessité de maintenir l’industrie allemande dans un état tel qu’elle puisse soutenir la concurrence sur le marché international et d’assurer par là son existence ainsi que celle des ouvriers… Les difficultés qui s’opposent à l’amélioration du sort de nos ouvriers, et qui proviennent de la concurrence internationale, ne peuvent être, sinon surmontées, du moins diminuées, que par l’entente internationale des pays qui dominent le marché international[63]. » Ce sont enfin ces expressions mêmes dont usait le ministre allemand du Commerce, le baron de Berlepsch, en ouvrant la Conférence, le 15 mars 1890 : « Dans la pensée de l’Empereur, la question ouvrière s’impose à l’attention de toutes les nations civilisées, depuis que la paix des différentes classes paraît menacée par la lutte à la suite de la concurrence industrielle. La recherche d’une solution devient dès lors non seulement un devoir humanitaire, mais elle est exigée aussi par la sagesse gouvernementale, qui doit veiller en même temps au salut de tous les citoyens et à la conservation des biens inestimables d’une civilisation séculaire. Tous les États de l’Europe se trouvent en présence de cette question dans une situation identique ou semblable, et cette analogie seule semble justifier la tentative d’amener entre les gouvernemens un accord, pour obvier aux dangers communs par l’adoption de mesures de prévention générales[64]. »

Le programme soumis aux délégués distinguait dans « la question ouvrière » et retenait un certain nombre de questions, rangées sous cinq ou six catégories : règlement du travail dans les mines ; règlement du travail du dimanche ; règlement du travail des enfans ; interdiction du travail des jeunes ouvriers ; règlement du travail des femmes[65]. L’idée d’une législation internationale du travail y perçait en plusieurs endroits : au paragraphe premier, concernant les usines : « Pourra-t-on, dans l’intérêt public, pour assurer la continuité de la production du charbon, soumettre le travail dans les houillères à un règlement international ? » et au dernier, Mise à exécution des dispositions adoptées par la Conférence : « Devra-t-on prendre des mesures en vue de l’exécution des dispositions à adopter par la Conférence et de la surveillance de ces mesures ? Y a-t-il lieu de prévoir des réunions réitérées en conférence des délégués des gouvernemens et sur quels points leurs délibérations devraient-elles porter[66] ? »

A la vérité, il ne s’agissait pas et il ne pouvait plus s’agir d’une « législation internationale » dans toute la rigueur des mots, la plupart des gouvernemens ayant eu soin de faire, dès les pourparlers, leurs réserves expresses. Il ne s’agissait pas de confier à la Conférence même la mission d’édicter directement une législation internationale du travail, obligatoire et uniforme pour toutes les puissances représentées. Mais il s’agissait de savoir si, dans chaque pays représenté, une législation nationale du travail, conforme aux vœux émis et adoptés par la majorité des délégués, sortirait indirectement des délibérations de la Conférence internationale. La Suisse en fit la proposition formelle ; et cette proposition menait très loin, car, ce qui en découlait, c’était non seulement une législation du travail, nationale peut-être en sa confection, internationale quand même en sa direction ; mais c’était encore une sanction internationale à cette législation, et une juridiction internationale pour appliquer cette sanction. Quelle que dût être la sanction, la juridiction paraissait devoir être déférée à l’ensemble des puissances représentées, et plus spécialement à une autre conférence réunie au nom des puissances, qui alors changerait de caractère et qui, de législative qu’elle aurait été cette fois, deviendrait contentieuse, coercitive, et constituerait une sorte de tribunal. Et ce qui en découlerait, ce serait ou la permanence ou la périodicité d’une conférence internationale ouvrière ; mais, comme elle ne pourrait ni constamment étendre ni constamment modifier la législation, elle serait obligée de se renfermer dans la jurisprudence, et ce ne seraient pas des délibérations qu’elle prendrait, mais des décisions qu’elle aurait à rendre. Si la proposition suisse était adoptée, toutes les puissances représentées à Berlin s’engageraient pour chacune d’elles ; elles acquerraient des droits et des devoirs réciproques : ce serait bien alors un ordre juridique nouveau, et alors il y aurait bien un appendice ajouté au droit des gens européen, un droit international ouvrier.

On n’osa ni ne voulut aller d’un coup jusque-là. La Grande-Bretagne se récria, refusant de « mettre ses lois industrielles à la discrétion d’un pouvoir étranger ; » et l’Allemagne introduisit, pour éviter l’avortement complet, une résolution transactionnelle où il ne restait que de simples vœux, et des vœux assez modestes ; résolution qui fut « votée par l’unanimité des voix, moins celle de la France, qui s’abstint[67]. » La Conférence de Berlin ne donna donc point de résultats positifs ; du moins pas ce résultat, gros lui-même de conséquences, que les uns avaient espéré qu’elle donnerait et que d’autres avaient craint qu’elle donnât. Elle ne fonda point un ordre juridique nouveau ; elle n’ajouta point au droit des gens européen l’appendice d’un droit ouvrier international. Toutefois gardons-nous bien de croire qu’elle fut absolument vaine et vide, qu’elle aboutit à un échec total, qu’elle ne fit rien et qu’il n’en sortit rien.

Ce n’est jamais tout à fait en vain qu’un puissant souverain comme l’Empereur allemand prend une initiative de ce genre, ni jamais tout à fait en vain que douze ou treize États s’assemblent en conférence et discutent une question qui les intéresse tous au point d’être pour tous primordiale et vitale. Entre les États représentés à la Conférence de Berlin, s’il ne se créait pas d’organe international, un lien international se nouait : à l’Internationale révolutionnaire, on avait essayé d’opposer comme une Internationale de gouvernement, « à la conjuration cosmopolite des travailleurs armée en guerre contre le capital et la propriété, comme un cosmopolitisme bienfaisant et pacifique[68]. »

Même demeurant en chemin et ne réussissant qu’à demi, même ne dépassant guère l’état de projet, ce projet, à lui seul et en soi, était un fait considérable. La question sociale, ou, si l’on veut, les questions sociales, ou, si l’on veut, les questions ouvrières, étaient désormais officiellement posées devant les nations et dans chaque nation ; il y avait désormais en Europe « un état officiel de la question ouvrière, » constaté de nation à nation par la communication des documens, des rapports, des relevés statistiques. On n’avait pu tirer de la Conférence une législation internationale du travail, unique pour toutes les nations avec une juridiction et une sanction internationales ; mais on en lirait autant de législations nationales du travail qu’il y avait d’Etats représentés, et de législations, sinon conformes au même type, du moins conçues dans le même esprit et dirigées dans le même sens. Parmi les nations, aucune ne voulait paraître, quant à la protection des ouvriers, législativement en retard sur les autres : celles qui se sentaient un peu arriérées l’avaient, pendant la Conférence, dissimulé ou expliqué de leur mieux, et, la Conférence passée, se promettaient de doubler les étapes pour regagner l’avance ; toutes se piquaient d’émulation, et l’on a vu qu’en France l’activité législative en matière de travail fut rarement aussi grande ou plus grande que dans les années qui suivent immédiatement 1890, de 1891 à 1895. S’il en fut de même partout, cela encore est un fait considérable, car c’est l’avènement d’une politique nouvelle.

Cette politique se pourrait définir : une politique de concessions et de conciliations, la politique du sacrifice et de la justice nécessaires. Il y a cinquante ans, Félix Pyat, dans un discours dont l’Assemblée nationale n’entendit que la première partie, invitait « la bourgeoisie » et « les bourgeois » à s’immoler sur l’autel de la Patrie : « Le débat est désormais entre le seigneur souverain, Capital, et le citoyen, Travail. Le capital est donc dans la même position que l’aristocratie en 89. S’il veut tout garder, il perdra tout. Il faut qu’il ait sa nuit du 4 Août, sa part de concessions, son tour de dévouement. Nous ne pouvons nous sauver que par le sacrifice. »

Signifiée ainsi, brutalement, avec cet air comminatoire, la sommation était inacceptable. Et que venait-on parler d’une seconde nuit du 4 Août là où il n’y avait plus ni privilèges, ni privilégiés ? Mais d’autres, depuis, qui n’étaient pas des insurgés, des révoltés, de perpétuels remueurs de pavés et de professionnels fabricans de barricades, d’autres qui n’étaient pas des artisans de trouble et des attiseurs d’incendie, qui, au contraire, comptaient parmi les quelques hommes d’Etat sur lesquels l’Europe pouvait se reposer, et parmi les plus « conservateurs » de ces hommes d’Etat, les plus attachés à l’ordre existant, à l’ordre ancien, à ce que de tout temps on avait appelé l’ordre, — d’autres, à leur tour, ont dit : « Il faut que les classes dirigeantes d’autrefois, si elles dirigent encore aujourd’hui quelque chose, mettent à profit le répit qui leur est laissé ; la classe moyenne, surtout, qui, par indifférence ou par imprévoyance, est en train d’abdiquer sa suprématie politique. Qu’elle ne s’endorme pas, pour Dieu, dans les douceurs de son triomphe, déjà si mal assuré, sur les autres classes sociales. Ainsi dormait l’aristocratie française quand la secouèrent les coups de la guillotine qui tombait. »

Et pourquoi faut-il réveiller « les classes dirigeantes » la « classe moyenne ? » Que doit faire la bourgeoisie, que l’aristocratie ne fit pas ? « La science moderne, le droit moderne, la politique économique moderne ont le devoir d’adoucir les maux qu’engendre la lutte aveugle entre nations et nations, entre individus et individus, la lutte même de tout homme avec la nature et les lois sociales ; ce devoir, il faut qu’elles le remplissent, et c’en est l’heure, afin de rendre à la civilisation la ferme assiette qui lui va manquant. » Certes, ni entre nations et nations, ni entre individus et individus, ni entre l’homme et la nature, l’antique lutte ne finira pas ; il y aura toujours concurrence, compétition et conflit ; c’est une peine éternelle à quoi l’humanité est condamnée : « Il est écrit que l’homme gagnera son pain à la sueur de son front ; symbole de ce que la vie demandera toujours d’effort, de fatigue, de douleur à qui en jouit, si c’est en jouir que de la posséder… Mais, lorsque l’ouvrier, même à la sueur de son front, n’est point en état de gagner son pain, qu’on le regarde au moins comme tombé sur le champ de bataille, et qu’on le traite en conséquence[69]. » Sur le champ de bataille du travail, qu’on élève donc des ambulances du travail ; et, ne pouvant faire cesser l’universel conflit des individus et des nations, ni le combat de l’homme contre les lois naturelles, aussi vieux que le monde et aussi fatal qu’elles-mêmes, qu’on arbitre au moins et qu’on apaise, par des lois sociales meilleures, le débat, qui a trop duré, de trop d’hommes avec les lois sociales mauvaises ou caduques.

Faites cette législation sociale meilleure, élevez ces ambulances sociales, tandis qu’il en est temps encore, de vos mains pieuses et prudentes, vous classes dirigeantes, classe moyenne, bourgeoisie. Non pas dans une nuit du 4 Août, en abandonnant tout, en lâchant tout, mais en pesant tout, en estimant tout, et en jugeant tout. Non pas en cédant, mais en concédant, ce qui implique échange et réciprocité. Non pas parce qu’on nous arrache, mais en donnant librement, en restant les maîtres de nos cessions ou de nos concessions, en n’allant que jusqu’où nous voulons aller, en ne faisant que ce que nous voulons faire. Non pas par sentiment, mais par intérêt ; je dis dans l’intérêt social, dans l’intérêt des autres, dans notre intérêt propre : céder aux autres dans notre intérêt, leur résister au besoin dans le leur, et chercher l’intérêt social dans la conciliation des intérêts de classe. Voilà la politique nouvelle. Le socialisme vit de prêcher la guerre des classes, « l’émancipation » de la classe ouvrière par elle-même, à l’exclusion des autres, et contre les autres ; il leur jette à la face un méprisant et menaçant Fara da se. La politique sociale doit se proposer et poursuivre la paix entre les classes, la paix dans l’équité, et, sinon « l’émancipation, » — mot qui n’a plus guère de sens, de nos jours, en nos sociétés, — l’amélioration du sort des travailleurs, par la coopération sincère de toutes les classes, puisqu’on veut qu’il y ait encore des classes, entre lesquelles assurément il n’en est pas qui aient plus d’intérêt à faire pour la classe ouvrière tout Je juste et tout le possible que celles qui ne sont pas la classe ouvrière. Car c’est, encore une fois, sur l’intérêt que se fonde cette politique, non sur le sentiment, et c’est pourquoi nous avons foi et espérance en elle. D’autres soutiendront que c’est par le sentiment ou par la passion que l’on gouverne les hommes ; mais ceux qui les ont le plus et le mieux gouvernés, et ceux aussi qui, sans les gouverner, ont le mieux su comment on les gouvernait le plus, répondent que c’est l’intérêt qui les groupe dans l’attaque et dans la défense, que c’est par leurs intérêts qu’ils se meuvent et pour leurs intérêts qu’ils se décident. La règle est là : mettons notre intérêt où il est vraiment, à faire apercevoir, à faire saisir aux ouvriers leur intérêt, et à le séparer, à l’isoler de leurs passions et de leurs sentimens. Une des raisons qui font le socialisme redoutable, c’est justement qu’il est tout sentiment et toute passion, qu’il est un fanatisme, une espèce de mahométisme : il y a les croyans et les infidèles, et les croyans ne peuvent rien attendre des infidèles, qu’ils ont charge seulement d’exterminer un jour. Montrons aux ouvriers qu’ils peuvent au contraire attendre de nous tout le juste et tout le possible : opposons au socialisme la politique sociale.

Ce n’est pas à dire en effet qu’il faille désarmer devant le socialisme, ni, par peur de ce qu’il apporterait, en précipiter la venue, ni, pour éviter de tomber dans sa gueule, aller se jeter dans ses liras. Ce n’est pas à dire qu’il faille lui ouvrir les voies sous prétexte de le détourner, ni l’introduire dans la place à seule lin qu’il ne l’enlève pas d’assaut. Plus simplement, ce n’est pas à dire qu’il ne faille point le combattre ; mais c’est-à-dire qu’il faut le combattre d’une autre façon. Il a changé ses positions, il faut changer nos formations et notre tactique de combat. Tant qu’il est demeuré révolutionnaire, et ne s’est confié que dans la violence, c’était bien : tout homme d’Etat qui connaissait son devoir et savait son métier était fixé à son égard : il en était de lui comme de l’anarchie ; à la force, la force ; aux bombes, les baïonnettes ; aux fusils, les canons. Mais le suffrage universel, la transformation légale de l’État par la toute-puissance législative du Nombre, d’autres transformations encore dans les lois, dans les mœurs et dans l’opinion, ont légalisé, parlemenlarisé, et même ministérialisé le socialisme. Ne disons pas trop de mal de ceux qui le légalisent, le parlementassent et même le ministérialisent : en un certain sens, ils nous rendent tout de même service, mais à la condition de les suivre et de le suivre sur ce nouveau terrain, à la condition de manœuvrer en face d’eux comme ils manœuvrent en face de nous. Ils ont compris que, par la force seule, ils ne vaincraient pas : à nous de comprendre que, par la force seule, nous ne nous sauverons pas et que ce serait tout ensemble un crime et une faute que de faire appel à la force avant d’avoir épuisé la justice.

M. de Bismarck, ce terrible praticien de la force, M. Canovas, ce froid théoricien de la force, Guillaume II, ce lyrique et ce mystique, j’oserai dire ce théologien couronné de la force, tous trois étaient amenés à en convenir : « Le désir que j’ai de trouver des moyens de répression contre les socialistes, avouait Bismarck au Reichstag le 20 mars 1884, je l’appuie sur la conviction que les sujets de plainte réels que font valoir les ouvriers peuvent être atténués ou supprimés. » Guillaume II disait de même, à l’ouverture de la session du Parlement impérial, après la Conférence qu’il avait convoquée : « A mesure que la population ouvrière se rendra compte des efforts de l’Empire pour améliorer sa condition, elle prendra une conscience plus claire des maux qu’attirerait sur elle la revendication de réformes excessives et irréalisables. Cette juste sollicitude envers les ouvriers constitue la plus grande force de ceux qui, comme moi et mes augustes confédérés, sommes dans l’obligation de nous opposer à toute tentative destinée à troubler l’ordre, et sommes résolus à remplir une telle mission avec une énergie inébranlable. » M. Canovas, de son côté, consacrait discours et écrits à montrer qu’en présence du socialisme légalisé, et parlementarisé par le suffrage universel, aux « revendications excessives et irréalisables » duquel se mêlent d’ailleurs des revendications modérées et raisonnables qu’il entraîne et dont il se grossit, qui, de plus, dans la forme, procède par la loi et réserve la force, on ne pouvait, pour tout argument et sans discuter davantage, recourir à l’artillerie, ultima ratio regain. — : Ainsi la question sociale sort de l’agitation révolutionnaire pour rentrer dans la politique ; ainsi elle cesse ; d’être une Machtfrage, une question de force, et de se traiter selon le Faustrecht, selon le droit du poing, pour redevenir une question politique, la première et la dernière, la plus importante et la plus urgente de toutes, et se traiter selon les méthodes et les procédés de la politique.

Je voudrais avoir assez nettement marqué la position nouvelle de la question sociale, question politique, et des problèmes du Travail dans l’Etat construit ou à construire sur le Nombre. Nul doute que, pour les résoudre, on ne doive faire tout le juste et tout le possible, et que, si cela doit être fait, ce soit nous qui devions le faire, puisque aussi bien la sagesse commande de s’en fier à soi-même plutôt qu’à autrui, et puisque nous serons en plus favorable posture pour rejeter ce qu’il y a de chimérique et d’inique dans le socialisme, quand nous l’aurons vidé de ce qu’il y a de fondé et de raisonnable. Nul doute non plus que nous ne devions rien faire en dehors du juste, ni rien tenter au-delà du possible, et qu’on ait déjà fait beaucoup, mais que pourtant tout le juste et tout le possible ne soit pas encore fait. C’est pour savoir ce qui est juste et ce qui est possible, pour présenter en ses données exactes la question sociale, ou quelques-unes des questions ouvrières dont elle se compose, pour tâcher de découvrir dans une sage et équitable organisation une solution au moins provisoire à la crise de l’Etat moderne, qui est double comme la révolution dont elle est issue a été double ; c’est dans le dessein de tirer des réalités positives les principes et les formules de la politique sociale nécessaire, que nous ouvrons et conduirons ici l’enquête la plus large, la plus directe et la plus impartiale qui soit permise à notre bonne volonté, sur le Travail, considéré simultanément ou successivement dans les quatre domaines, Travail en soi, Circonstances du travail, Maladies du travail, Thérapeutique du travail, qu’il embrasse et qu’il unit en une sorte de règne à la fois naturel et social.


CHARLES BENOIST.

  1. Voyez la Revue des 15 mars et 1er août.
  2. Édit du Roi portant suppression des jurandes, donné à Versailles au mois de février 1776, registre le 12 mars en lit de justice.
  3. Loi du 14-27 juin 1791, art. 1, 2. — et Décret du 29 mai 1793.
  4. Constitution du 3 septembre 1791. — Cf. Constitution du 24 juin 1793.
  5. Edit de février 1776, art. 1er.
  6. Déclaration des Droits de l’homme (Constitution du 24 juin 1793), art. 17 : « Nul genre de travail, de culture, de commerce ne peut être interdit à l’industrie des citoyens. »
  7. Décrets, lois ou arrêtés de juillet 1191, du 17 janvier 1192, du 13 mars, du 8 juin, du 28 juin 1793, des 24-27 vendémiaire, 16 ventôse, et 23 messidor an II, 9 fructidor an III, 28 germinal an IV, 16 vendémiaire, 7 et 27 frimaire, 20 et 30 ventôse, 8 thermidor an V, 16 messidor an VII, 15 brumaire, 4 ventôse, 7 germinal, 7 messidor an IX, etc.
  8. Décrets du 3 mai, 26-28 juillet, 19 août, 29 septembre, 2 octobre 1793 ; 11 brumaire an II, 14 février 1794 ; et loi du 4 nivôse an III, qui supprime toutes celles portant fixation d’un maximum sur le prix des denrées et marchandises.
  9. « Nul ne pourra, sous les mêmes peines (dommages-intérêts), recevoir un ouvrier s’il n’est porteur d’un livret portant le certificat d’acquit de ses engagemens, délivré par celui de chez qui il sort. — Les conventions, faites de bonne foi entre les ouvriers et ceux qui les emploient, seront exécutées. — L’engagement d’un ouvrier ne pourra excéder un an, à moins qu’il ne soit contremaître, conducteur des autres ouvriers, ou qu’il n’ait un traitement et des conditions stipulées par un acte exprès. — En quelque lieu que réside l’ouvrier, la juridiction sera déterminée par le lieu de la situation des manufactures ou ateliers dans lesquels l’ouvrier aura pris du travail. » Loi du 22 germinal an XI, art. 12, 14, 15 et 21.
  10. Voyez la Revue du 15 décembre 1900, p. 884.
  11. Loi du 18 mars 1806, établissant un conseil des prud’hommes à Lyon. Cf. Décret du 11 juin 1809, portant règlement sur les conseils de prud’hommes. Décret du 3 août 1810 relatif à la juridiction des prud’hommes. — Et, pour ne rien omettre, ordonnance du. 12 novembre 1828, concernant les insignes des membres des conseils de prud’hommes.
  12. Décrets du 17 juillet 1807 et du 9 décembre 1809. — Décret du 19 janvier 1811.
  13. 20 pluviôse an XII (10 février 1804).
  14. Décret du 3 janvier 1813 ; — Ordonnance du 26 mars 1843.
  15. Ordonnances du 25 juin 1823 ; du 30 octobre 1836.
  16. 22 mars 1841.
  17. Loi du 15 germinal an III ; arrêtés du 9 messidor an IX, du 19 frimaire an XI ; ordonnances du 13 mai 1818, du 17 septembre 1823, du 22 janvier 1824, du 12 mars 1826, du 29 juin 1828 ; loi du 4 mars 1831 ; ordonnances du 9 octobre 1837, du 10 mai 1841, du 5 octobre 1844.
  18. Ordonnances du 29 juillet 1818, du 3 juin 1829, du 16 juillet 1833 ; lois du 5 juin 1835, du 31 mars 1837, du 22 juin 1845.
  19. Voyez, dans la Revue du 15 janvier 1899, notre étude sur l’Organisation du travail.
  20. Louis Blanc avait rédigé les trois premiers paragraphes ; Ledru-Rollin y lit ajouter le dernier.
  21. Séance du 2 novembre 1848. Discours de M. Marins André (du Var). Interruption. — Un membre : « Laissez-le parler, il en sait plus que vous ! »
  22. Propos prêté par lord Normanby à Louis Blanc, A Year of Revolution in Paris, t. Ier, p. 167-168 ; Voyez Révélations historiques, t. Ier, p. 107.
  23. Décret du 28 février, publié au Moniteur le 1er mars 1848.
  24. Voyez le Moniteur du 5 mars 1848.
  25. Louis Blanc, Révélations historiques, ch. VIII. Le Luxembourg, le Socialisme en théorie, t, Ier, p. 157.
  26. Il avait été décidé (proclamation du 1er-2 mars) que chaque profession nommerait un délégué auprès de la Commission des travailleurs.
  27. Louis Blanc, ouv. cité, t. Ier, p. 178 et suiv.
  28. Id., ibid., p. 181.
  29. Id., ibid., p. 184-185. Discours prononcé à l’ouverture du Parlement du travail.
  30. Rapport de Vidal, publié au Moniteur, puis en volume, sous ce titre : la Révolution de Février au Luxembourg.
  31. Louis Blanc, ouv. cité, p. 187-188. « Dans ces établissemens, il y aurait eu une salle de lecture, une salle pour les enfans en nourrice, une école, un jardin, une cour, des bains. Chaque établissement eût coûté à peu près un million. Pour couvrir cette dépense, le gouvernement aurait ouvert un emprunt, des femmes se seraient mises en quête de souscriptions, et tous les rangs de la société eussent été appelés à fournir des agens pour le succès d’une négociation financière d’un caractère si nouveau et d’une portée si bienfaisante. »
  32. Ce décret leur ouvrait un crédit de 3 millions, somme égale à celle que le décret du 20 juin précédent allouait aux ateliers nationaux.
  33. Voyez Joseph Chailley-Bert et Arthur Fontaine, Lois sociales, Recueil des textes de la législation sociale de la France, 1895, avec supplémens annuels,
  34. Louis Blanc, ouvrage et passage cités, p. 188.
  35. Conciliations dans les grèves des établissement Derosne et Cail ; des paveurs (réparation des rues bouleversées par les barricades) ; des omnibus, favorites, fiacres, cabriolets et voitures publiques ; des couvreurs ; des mécaniciens, ouvriers en papiers peints, débardeurs, chapeliers, plombiers-zingueurs, maréchaux, blanchisseurs, boulangers… Ibid, p. 194-195. »
  36. Comtesse d’Agout (Daniel Stern), Histoire de la Révolution de Février, citée dans Révélations historiques, t. II, p. 200.
  37. Associations ouvrières de tailleurs d’habits, tailleurs de limes, cuisiniers, formiers pour chaussures, ébénistes, menuisiers en fauteuils, selliers, fileurs, etc. En quelques mois, on put compter plus de cent associations ouvrières de toute profession. (Une coopérative de bijoutiers existait déjà depuis 1843.) D’après Louis Blanc, elles jouissaient de la confiance publique, et quelques-unes étaient allées jusqu’à émettre une sorte de papier-monnaie, des bons mensuels qui étaient acceptés par le petit commerce. En 1849, on songea à les fédérer en un Comité central des Associations ouvrières, et c’est alors que se forma l’Union des Associations, avec un comité de 23 membres, dont le fondateur fut du reste poursuivi et condamné. La plupart de ces associations succombèrent, quelques-uns disent au mauvais vouloir du gouvernement et de la police qui y voyaient surtout des associations politiques. Toutefois, en 1859, on citait encore des associations de menuisiers, maçons, formiers, ébénistes, tourneurs, ferblantiers, brossiers, lunetiers, forgerons, graveurs, charrons, fabricans de machines, de pianos, etc. Deux ou trois (les formiers, les maçons) semblaient prospérer. De toutes ces associations, celle des tailleurs peut être prise pour type. Elle débute par la commande de 100 000 tuniques de la garde nationale pour finir par l’ouverture d’un fourneau économique. — Voyez Louis Blanc, ouvrage cité, I, p. 203 et suivantes.
  38. Projet de Déclaration des devoirs et des droits ; Rapport d’Armand Marrast, lu à la séance du 20 juin 1848.
  39. Préambule du second projet, lu à la séance du 29 août.
  40. Préambule voté le 25 septembre.
  41. Titre II, voté dans la fin de septembre.
  42. Discours du 3 septembre. Voyez le Droit au travail, recueil des discours prononcés à l’Assemblée nationale, 1 vol. in-8o ; Guillaumin, 1848.
  43. Louis Blanc, ouvrage cité, I, 167-169. Le président de la Commission de gouvernement, tout en opposant l’inégalité réelle à la prétendue égalité, se donne d’ailleurs beaucoup de peine pour expliquer « qu’il n’y eut jamais d’autre dogme professé au Luxembourg que celui de l’égalité relative, de l’égalité prise non dans le sens d’identité, mais dans le sens de proportionnalité : de l’égalité qui consisterait, pour tous, dans l’égal développement de leurs facultés inégales, et dans l’égale satisfaction de leurs besoins inégaux. » Ibid., p. 164. — Il reste que c’est bien l’égalité, le grand argument, l’article de foi, le « dogme professé au Luxembourg. »
  44. Loi du 15 juillet 1850 ; décret portant règlement d’administration publique du 14 juin 1851.
  45. Cet article instituait une commission « chargée de l’examen de toutes les questions relatives à la cause des retraites » et composée de 25 membres, savoir : quatre représentans nommés par l’Assemblée nationale, deux conseillers d’État nommés par le Conseil d’État, deux conseillers à la Cour de cassation nommés par la Cour de cassation, deux conseillers-maîtres nommés par la Cour des comptes, deux membres de l’Académie des sciences nommés par leur Académie, le directeur de la comptabilité au ministère des Finances, le directeur du mouvement des fonds au même ministère, deux membres du clergé, deux docteurs en médecine, deux prud’hommes, un agriculteur, un industriel, un commerçant ; ceux-ci nommés par le gouvernement. La loi du 20 juillet 1880, en réduisant la Commission à seize membres (art. 3), n’y laissait, à l’exception de deux présidens de sociétés de secours mutuels et d’un industriel, désignés tous les trois par le ministre du Commerce, et du président de la Chambre de commerce de Paris, membre de droit, que des fonctionnaires : six sur seize membres, et, en outre, deux sénateurs, deux députés, et deux conseillers d’État.
  46. Décrets des 20 avril 1856, 18 juin 1864, 22 septembre 1870 et 27 octobre 1870, loi de finances de l’exercice 1871, décret du 28 novembre 1890, loi du 11 avril 1893, décrets du 30 mars 1896, loi du 1er avril 1898. décret du 14 mai 1898.
  47. Loi du 31 mars 1831, art. Ier.
  48. 22 juin.
  49. Décret du gouvernement provisoire (9 mars 1848). — Décret de l’Assemblée nationale (7 juillet 1848).
  50. Louis Blanc, Organisation du travail, 5e édition, p. 58.
  51. Loi du 21 novembre 1848, arrêté du 2 mai 1849, loi du 29 août 1850, loi du 30 juin 1851, décret du 15 avril 1852, loi du 7 mai 1853.
  52. Décret du 17 septembre 1870, abrogé par la loi du 12 juillet 1871.
  53. Loi du 9 avril 1881, décret du Ml août 1881, loi du 3 août 1882, loi du 6 juillet 18S3, loi du 26 décembre 1890.
  54. Décrets du 29 octobre 1885 et du 22 novembre 1886.
  55. Décrets du 28 octobre 1895, 8 avril et 20 septembre 1896, 6 septembre 1897 et 14 mai 1898.
  56. Art. 15, 16, 17 et 20.
  57. Cf. loi du 12 août 1885.
  58. Décrets du 13 janvier 1883, du 9 juillet 1888, loi du 27 décembre 1890, arrêté du 25 février 1892, loi du 29 juin 1894, décrets du 25 juillet et 18 août 1894, loi du 27 décembre 1895, décret du 10 janvier et loi du 16 juillet 1896, décrets du 26 février, 31 juillet et 14 octobre 1897.
  59. Lois du 10 juin 1850, 30 janvier 1884, 20 juillet 1886, décrets des 27 et 28 décembre 1886, loi du 26 juillet 1893, décrets du 28 décembre 1893 et 14 août 1894, loi du 29 décembre 1895b, décrets du 22 février, 30 mars, 9 juin, loi du 13 juillet, décret du 22 juillet, arrêté du 23 décembre 1896, décrets des 28 avril et 22 juin 1897, loi du 13 avril 1898.
  60. Loi du 11 juillet, décrets du 10 août 1868, du 13 août 1877, 28 novembre 1890, 28 décembre 1893, 17 juillet 1897.
  61. Nous avons indiqué plus haut les dates principales de cette histoire, avant 1848 : citons à présent la loi du 24 novembre 1848, le décret-loi du 9 janvier et les décrets-lois des 2, 19, 20, 24, 28 mars 1852, le décret du 11 juillet 1836, la décision impériale du 26 février 1857, les lois du 28 juin 1862, 8 juillet 1865, 11 avril 1881, 15 janvier 1884, le décret du 10 avril 1884, les lois du 8 août 1885 et 1er mars 1888, le décret du 6 août 1888, les lois du 30 janvier 1893 et 21 avril 1896.
  62. Lettre de la Chancellerie impériale à l’ambassadeur d’Allemagne à Paris, 8 février 1890. Livre Jaune sur la Conférence internationale de Berlin, 15-29 mars 1890, p. 10.
  63. Conférence internationale de Berlin, Livre Jaune, p. 11.
  64. Livre Jaune, p. 29.
  65. Annexe à la note de l’ambassade d’Allemagne du 27 février 1890. Livre Jaune, p. 14. — Cf. le premier programme élaboré par le Conseil fédéral suisse (sur le rapport de M. Kaspar Decurtins), dans ce même Livre Jaune, p. 7.
  66. Ibid., p. 14, 15.
  67. Rapport adressé au ministre des Affaires étrangères par M. Jules Simon, premier délégué à la Conférence ; Livre Jaune, p. 17.
  68. Canovas del Castillo, Problemas contemporances, I. III, § 5, De los resultados de la Conferencia de Berlin y del estado oficial de la Cuestion obrera, p. 535.
  69. Canovas del Castillo, ouv, cite, Ultimas Consideraciones, p. 584 et 589.