Le Triomphe du Sexe/Chapitre II

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CHAPITRE II.

Le péché n’a pas détruit cette égalité. La dépendance de la femme n’eſt pas une ſuite de ſa création.



Dieu envoie à Adam un profond ſommeil, il produit Ève d’une de ſes côtes, il la lui préſente ; Adam la voit & l’aime. Voilà, s’écrie-t-il dans le premier tranſport de ſon amour, Geneſ. 2. 21.l’os de mes os, la chair de ma chair, elle s’appellera d’un nom qui marque l’homme, Virago. L’homme abandonnera ſon père & ſa mère, il s’attachera à ſa femme, ils feront deux dans la une même chair. Quelle union charmante dans ces paroles ! Quelle parfaite égalité ! Dieu ne tire pas femme de la tête d’Adam, elle ne doit pas commander ; il ne la forme pas du pied, elle ne doit pas être ſa ſervante ; il la produit de ſon côté, parce qu’elle doit être ſa compagne. Adam dès qu’il la voit, ſe reconnoît en elle ; c’eſt l’os de ſes os, c’eſt un autre lui-même. Quelles paroles marquent une égalité plus indiſſoluble entre deux perſonnes qui ne doivent faire qu’un même eſprit, comme un même corps. Adam coupable veut-il excuſer ſon péché ? Il avoue cette égalité dans la maniere dont il s’excuſe. Il ne dit pas au Seigneur, cette femme que vous m’avez donnée pour ſervante, m’a engagé dans cette chûte ; Geneſ. 3. 12.mais la femme que vous m’avez donnée pour compagne. Le péché n’a-t-il pas changé cet ordre, m’objectera ici quelque Théologien, dévot ambigu ? Penſer autrement n’eſt-ce pas fronder la Religion & parler un langage profane ? Docteur, qui que vous ſoyez, dites-moi ; ſi le péché a détruit cette égalité, il faut que la femme ait ceſſé après ſa déſobéiſſance, d’être à l’égard d’Adam, l’os de ſes os, la chair de ſa chair ? L’indiſſolubilité de leur union & de leur égalité fondée ſur ces paroles, n’auroit donc plus dû ſubſiſter ? Mais ſi ces paroles prouvent l’égalité des deux Sexes fondée ſur leur création, leur nature réciproque eſt la fin commune que Dieu s’eſt proposée en les créant, elle ſubſiſte donc encore aujourd’hui. Le péché ne l’a point détruite, il n’a fait qu’affoiblir l’ordre extérieur de cette égalité : Il a diminué les droits civils de la femme ; mais il n’a rien changé dans les qualités eſſentielles à ſon être, ni dans ſon indépendance primitive. Il ne l’a pas rendue inférieure à l’homme : Quant aux facultés de l’ame, il l’a ſeulement ſoumiſe en donnant à l’homme une ſupériorité légale & civile ; c’eſt-à-dire, que l’homme a le droit de gouverner & de commander dans l’ordre de la ſociété, & que la femme lui eſt inférieure dans cette partie. Si celui-ci impoſe ſon nom à la femme qu’il épouſe, il n’en a pas été ainſi dès le commencement, & ce n’eſt là qu’un changement extérieur qui regarde le civil. Adam avoit dit en parlant de ſa femme & de ſa poſtérité, Geneſ. 2. 21.qu’elle s’appelleroit d’un nom qui marquoit l’homme ; il ne lui impoſa celui d’Ève, qu’après ſon péché. Changement qui loin de faire loi, n’a point été ſuivi par les plus grands hommes du peuple Juif ; dont les femmes, ſelon l’Écriture, ſe ſont toujours appellées de leur propre nom.