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Le Triomphe du Sexe/Chapitre IX

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CHAPITRE IX.

Eſt-il permis d’aimer les femmes ? Quelles ſont les régles & la fin qu’on doit ſe propoſer dans cet amour ?



On condamne ordinairement comme criminel ou comme dangereux l’amour des hommes pour les femmes, & celui des femmes pour les hommes, parce qu’on le regarde comme une ſuite du péché, & un des effets funeſtes de la concupiſcence. Faux principe ſur lequel s’appuient nos Caſuiſtes, qui comme bien d’autres, n’ont pas toujours écrit comme ils penſoient, ou n’ont pas toujours penſé juſte. Parlons avec vérité ; Dieu a gravé dans le cœur de nos premiers parens, cette inclination mutuelle des deux Sexes, qu’ils nous ont tranſmis comme une ſuite de la création & comme le lien divin par lequel Dieu a voulu unir toutes les créatures raiſonnables. Il eſt donc permis aux deux Sexes de s’aimer réciproquement. Dire qu’on ne doit qu’eſtimer les femmes c’eſt abuſer des noms, pour déguiſer la vérité des choſes. L’eſtime & l’amitié ne regardent que les personnes d’un même Sexe ; mais l’amour est proprement l’inclination naturelle que les deux Sexes ont l’un pour l’autre. Qu’est-ce donc que cet amour qui naît & qui ne meurt qu’avec nous ? On la définit, Un je ne sçai quoi, qui vient de je ne sçai où, & qui s’en va je ne sçai comment. Parlons plus clairement. L’amour est la voix du cœur, l’expression, le cri de la nature pour son semblable ; c’est un sentiment de l’ame, que la grace régle en nous ; mais qu’elle ne détruit pas, parce que cet amour est un don de la nature, un bienfait de la création. Ainſi penſe tout homme raiſonnable, Qu’a-t-il donc qui puiſſe exciter le zéle des Docteurs qui le condamnent ? Quand cet amour conduit par la Religion, ſe borne aux bienſéances, que la proximité du ſang ou le bien de la ſociété civile exigent de nous, alors il eſt juſte, tel que Dieu nous l’inſpire, & permis indifféremment à tous, fondé ſur ce principe écrit dans notre cœur par la main de la nature, que tout animal aime ſon ſemblable. Il eſt même autoriſé par la Religion, qui nous dit : Que nul homme ne hait ſa propre chair. Qu’on ne m’objecte pas que ces paroles ne regardent que les perſonnes mariées. C’eſt ſur ces paroles, qu’eſt fondé cet amour mutuel que nous nous devons. Ce n’eſt pas préciſément par le Mariage ; mais par la création, que la femme eſt la propre chair de l’homme. Adam la regarda comme ſa propre chair avant qu’il la connut. Le commerce du Mariage ne fait que cimenter, que rendre cet amour plus précieux & plus reſpectable. Comme l’amour tend naturellement à une union & à une poſſeſſion mutuelle, qui n’eſt pas également permiſe à tous ; voilà en quoi il peut être dangereux dans ſes ſuites, quoiqu’il ſoit innocent dans ſon principe. Pur & légitime en lui-même, permis également à tous ; ſa fin accordée aux uns, refuſée aux autres, les rend même déſobéiſſans à la loi, qui leur en défend juſqu’au déſir, quoiqu’elle ne puiſſe leur faire un crime du ſentiment. Ce n’eſt donc pas cet amour en lui-même ; mais le déſir de la poſſeſſion de l’objet aimé, que la loi interdit. Il eſt permis aux deux Sexes dans tous les états, de s’aimer ; mais il ne leur eſt pas permis de s’unir entr’eux. Les loix civiles ont établies ſur ce ſujet, des loix juſtes & invariables. Aimons-nous mutuellement, prouvons-nous par nos complaiſances, par nos attentions reſpectueuſes, l’amour qui nous attache les uns aux autres ; rien de plus légitime, de plus agréable dans le commerce de la vie, que cet amour réciproque ; mais reſtons en à ces devoirs extérieurs, qu’éxige de nous la ſociété civile ; prenons garde de franchir le terme ſacré que la Religion nous preſcrit & que le Sacrement ſeul peut lever. Mais hélas ! qu’il eſt difficile de réprimer la nature toujours rebelle à la loi qui lui preſcrit des bornes. Qu’une femme qui joint l’eſprit à la beauté eſt éloquente ! Qu’elle eſt aimable ! Qu’elle eſt dangereuſe ! Qu’il eſt difficile de s’en défendre ! Ne voit-on pas tous les jours, les hommes les plus auſtères, leur accorder ce qu’ils auront conſtamment refuſé à d’autres hommes ? Eſt-ce par foibleſſe ou par paſſion qu’ils ſe laiſſent prévenir ? Je fuis convaincu que non, & qu’ils ſeroient fâché de violer l’intégrité de leur vertu : Mais la préſence d’une femme agréable & ſpirituelle, excite en eux ce ſentiment de la nature, qui décide ſi ſouvent malgré nous en leur faveur. La femme est comme une fleur brillante & délicate dont l’éclat frappe & réjouit. Y touche-t-on imprudemment, elle perd de son éclat, elle se flétrit. C’est dans ses vuës, qu’on nous recommande tant de veiller sur notre cœur, dans le commerce des femmes de crainte qu’il nous échappe sans y penser. Nous sommes tous dans ce monde semblables à des personnes obligées de marcher dans un chemin étroit & glissant. Elles se prêtent la main, se soutiennent mutuellement ; mais souvent la plus foible, ébranlée par le mouvement de l’autre qui chancelle, fait un faux pas avec elle, & l’accompagne dans ſa chute. Heureux ! s’il nous étoit permis de marcher toujours ſeul dans une voye ſi lubrique.

FIN.