Le Triomphe du Sexe/Préface

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PRÉFACE.



Parler en faveur des Femmes, c’eſt traiter une matiere délicate. L’apologiſte du Sexe paſſera toujours pour amoureux ou pour galant. Si je dis que je ne ſuis ni l’un ni l’autre, m’en croira-t-on ? Non ſans doute, & ce ſiécle eſt trop malin pour ne pas me prêter ce caractere. Qu’on en penſe ce qu’on voudra, je ſuis libre, je réfléchis, je produis mes idées. Si la raiſon eſt de mon côté, la Religion ne me deſavoüera pas. Les uns applaudiront à mes réfléxions, pluſieurs les liront en critiques ſéveres, & les faux dévots s’en trouveront ſeuls ſcandaliſés. Les libertins diront que mon ſtile n’eſt pas aſſez voluptueux ; qu’ils ſçachent que ce n’eſt pas pour eux que j’écris. On cherchera à découvrir mon nom, on devinera ; le nom & la condition ne font rien à un ouvrage. J’aime le Sexe comme homme, & je rends hommage à la vérité. Si je décide en faveur des Femmes, la raiſon ſeule m’inſpire. Quand enveloppé comme Horace dans mon manteau philoſophique, je conſidère les Hommes, leur conduite & leurs uſages ; quel contraſte plus ridicule que celui qu’ils me préſentent ! Ils ſe font gloire d’aimer les femmes & d’en être aimés ; biens, repos, ſanté, fortune, ils ſacrifient tout à l’objet de leur amour ; ils s’y ſoumettent, ils lui obéiſſent. Sont-ils en poſſeſſion de l’idole de leur cœur ? Les perfides le regardent d’un œil indifférent, l’aſſujettiſſent à leurs caprices, & le réduiſent à une honteuſe dépendance. Les femmes, à les entendre parler, ne ſont faites que pour obéir & pour ſervir à leur amour ; ils ne leur connoiſſent plus d’autre mérite. Maître abſolu, l’homme prétend gouverner tout, diſpoſer de tout, il n’y a que la femme à qui il ne ſoit plus permis d’avoir de volonté, de liberté & d’eſprit ; l’homme ſe conſtitue le chef, & l’épouſe doit lui être ſoumiſe. On débite cette morale ſans la comprendre, & il n’eſt pas juſqu’aux Caſuiſtes, gens odieux & importuns, qui n’établiſſent cette ſoumiſſion, comme une vérité dont il n’eſt pas permis de douter. Hommes ingrats & orgueilleux, qui méconnoiſſez les loix du Créateur, qui regardez comme inférieur ce Sexe que Dieu vous a rendu égal en tout ; voyez, liſez ſans prévention ; reconnoiſſez dans les femmes, l’égalité que le Ciel & la nature leur ont donnée. Apprenez en quoi conſiſte votre ſupériorité, quels font vos droits. Aimez vous aſſez, pour regarder comme votre égale, cette partie de vous-même, qui vous doit être chère, puiſqu’elle eſt ſi précieuſe & ſi néceſſaire à l’humanité.