Le Trombinoscope/Académie française

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République Française.


LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ…
ET CENSURE

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l’académie française
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ACADÉMIE FRANÇAISE (Brigitte-Angélique-Balbine), célèbre société littéraire, qui ne fait que de la politique, née le 2 janvier 1635. — Ce fut le roi Louis XIII qui lui donna le jour ; mais cette création n’était pas de son cru. Son ministre Richelieu lui fit un soir signer ce décret, comme tous les autres, sans qu’il en comprît le premier mot — Il paraît même qu’en apposant sa griffe royale sur les lettres patentes, il demanda machinalement à Richelieu : « Académie française… Qu’est-ce que c’est que ça ? — Richelieu, qui connaissait son gommeux couronné par cœur, répondit au roi : « Sire !… c’est un nouveau café-concert !… » Louis XIII n’en demanda pas davantage et signa. — L’Académie Française, avant d’être créée officiellement, existait de fait. Quelques gens de lettres distingués avaient coutume de se réunir chez l’un d’eux pour y causer des nouvelles littéraires. La, on cassait du sucre sur le d’os des confrères absents et l’on faisait la chasse aux hiatus dans leurs vers avec cette indulgence toute fraternelle qui caractérise les écrivains se cherchant des fautes de français et les femmes de trente-huit ans se cherchant des cheveux blancs. En voyant fonctionner cette association intelligente et surtout indépendante, Richelieu eut tout naturellement l’idée de la transformer en pétaudière mesquine et soumise. C’est d’ailleurs un principe élémentaire de tactique pour tout pouvoir personnel qui a souci de sa dignité et de sa conservation, d’avoir raison de toutes les manifestations généreuses et élevées qui se produisent, soit en les anéantissent par la force, soit en les englobant dans une prétendue protection administrative qui en fait disparaître l’esprit et le principe sous la livrée officielle. — Ce fut à ce dernier moyen que Richelieu donna la préférence ; et les, résultats ne se firent point attendre : à peine le petit cercle ardent et convaincu qui se groupait librement fut—il patronne par le pouvoir et classé dans les listes de la valetaille royale sous son nouveau nom de Brigitte-Angélique-Balbine Académie Française, qu’il perdit ce qui avait fait de lui un groupe d’élite, estimé et honorable : l’indépendance et le respect de soi-même. Autant Balbine, avant sa transformation, s’était montrée fière, intègre et frondeuse, autant le chiffre de la maison royale qu’elle s’était laissé broder sur sa tunique, la rendit souple, vénale et complaisante. —— En accordant son monopole à Balbine Académie, Richelieu lui assigna pour tâche d’épurer la langue française. Un travail de cette nature créait naturellement à Balbine l’obligation de ne recevoir dans son sein que des hommes d’une haute valeur littéraire ; elle accomplit ce devoir comme on était en droit de l’attendre d’elle. De 1635 à 1793 elle s’applique soigneusement à évincer les écrivains qui n’étaient pas bien en cour, fussent-ils de premier ordre, et à recueillir pompeusement des nullités blasonnées, honorassent—elles de deux H et d’un K le mot : accordéon. — Grâce a pas mal de ces choix intelligents et impartiaux, Balbine fut bientôt composée en partie d’hommes riches et titrés, attachés à l’ancien régime dont ils tenaient leurs prérogatives, et beaucoup plus propres a créer de nouveaux maux pour le pays que pour le dictionnaire. — C’est dans cet état que’la Révolution trouva Balbine ; aussi en prit—elle quelque ombrage et s’empressa—t—elle de la supprimer le 8 août 1793 par un décret spécial et d’incorporer les académiciens dans l’Institut national sous le nom de : classe de la langue et de la Page:Touchatout - Le Trombinoscope, Volume 3, 1873.djvu/53 Page:Touchatout - Le Trombinoscope, Volume 3, 1873.djvu/54