Le Trombinoscope/Dupanloup

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Le Trombinoscope1 (p. 83-86).

DUPANLOUP, félix-antoine-philibert, membre de l’Académie française, malgré lui ; évêque d’Orléans, malgré moi. — Né le 3 janvier 1802, à Saint-Félix (Savoie). — Il fut élevé par son oncle, un simple curé de campagne, continua ses études au petit séminaire de Saint-Nicolas, fréquenta assidûment, pendant ses vacances, le célèbre cardinal de Rohan, membre de cette noble famille qui a feurni à la France plusieurs de ces cardinaux amateurs, qui commençaient leur carrière dans l’armée, comme officiers, et la terminaient dans l’industrie… comme chevaliers. — M. Dupanloup fut ordonné prêtre en 1824, et grâce à de hautes protections (Comment !… dans ce métier-là aussi ?…) fut bientôt nommé vicaire à la Madeleine et confesseur du duc de Bordeaux, alors âgé de huit ans. Il inculqua à son jeune client ce respect profond des traditions antédiluviennes du droit divin, qui, depuis, devaient, pendant un demi-siècle, le faire vivre d’espoir sans cesser de nous faire mourir de rire. — Il fut plus tard nommé directeur du petit séminaire de Saint-Nicolas où, comme tous ses camarades, il avait appris, étant jeune, l’art de regarder les femmes en dessous et ouvrit en 1834 les conférences de Notre-Dame, où son talent dans un autre genre, — quelques-uns disent dans le même, — contrebalança les succès des comédiens les plus en vogue de l’époque. — En 1841, M. Dupanloup fit son premier voyage à Rome, voyage qu’il devait renouveler si souvent depuis. Plusieurs opinions différentes ont été émises à propos de ces fréquentes entrevues entre M. Dupanloup et le pape ; la plus accréditée… à nos yeux est celle-ci : l’évêque d’Orléans et le descendant de saint Pierre auraient fait ensemble, dès 1839, une gageure importante. L’objet du pari serait, dit-on, de savoir lequel des deux augures regardera le plus longtemps l’autre sans rire : déjà vingt-trois rencontres ont eu lieu sans résultat ; aussitôt qu’ils s’aperçoivent, ils pouffent de rire en même temps. — En 1848, M. Dupanloup s’aperçut qu’il s’était trompé de vocation, il se sentit tout à coup l’étoffe d’un journaliste hargneux, beaucoup plus que celle d’un pasteur tolérant. Il n’abandonna pas pour cela l’état ecclésiastique qui lui rapportait plus de trois sous la ligne ; mais il se fit de son goupillon un manche de porte-plume et commença la série de ces éreintements à l’encre bénite dont seuls trouvent le secret les représentants sur la terre du Dieu d’amour et de charité. — Il prit la direction du journal l’Ami de la Religion et combattit l’Univers et les brutales franchises de Louis Veuillot, dont il partageait au fond les abrutissants principes. — Le 6 avril 1849 il fut nommé évêque d’Orléans et désigné presque aussitôt par M. de Falloux, alors ministre de l’ignorance publique, pour faire partie de la commission chargée d’élaborer un projet de loi sur l’enseignement. Comme on peut facilement le pressentir, à moins d’être un lecteur assidu et infortuné de la Patrie, M. Dupanloup, au sein de cette commission, n’employa pas exclusivement son influence à faire remplacer dans les écoles le catéchisme par un bon cours d’économie politique et morale. Du reste, il fallait s’y attendre ; tant que l’on confiera le soin de nous apprendre quelque chose aux gens qui ont intérêt à ce que nous ne sachions rien, on peut compter sur un résultat analogue à celui qu’on obtiendrait en désignant une commission d’escargots pour organiser des courses de vélocipéde. À partir de ce moment M. Dupanloup donna un libre cours à son penchant pour le journalisme et le métier de brochurier ; chaque question politique qui surgissait lui devait quelque chose. Pendant ce temps son diocèse s’administrait comme il pouvait ; cette façon de conduire l’évêché d’Orléans, en ne s’occupant que de ce qui se passait à Paris, finit par énerver tellement Henri Rochefort, qu’un beau matin du mois de mai, il écrivit à M. Dupanloup pour lui offrir d’aller confirmer les communiantes à sa place dans le cas où, ce jour-là, il aurait un article à finir sur la contrainte par corps ou l’organisation de l’armée. — M. Dupanloup s’empoigna de nouveau avec Louis Veuillot et alla jusqu’à defendre à ses séminaires de s’abonner à l’Univers, ce qui fit dire au Tintamarre : À peine nommé évêque, Mgr Dupanloup a mis l’anneau épiscopal à son petit doigt et l’Univers à l’index. — Toujours mû par ce besoin de scandale qui caractérise les hommes qui mettent des mac-farlanes violets en général, et M. Dupanloup en particulier, ce dernier ne tarda pas à trouver une nouvelle occasion d’honorer le clergé en publiant des pièces compromettantes pour son prédécesseur, M. Rousseau ; il trouva ces pièces dans les archives de l’évêche, ce qui devait les rendre, pour lui, un peu plus sacrées que la confession même ; mais il s’en servit néanmoins pour flétrir la mémoire d’un mort, avec l’aisance d’un homme qui a toujours des absolutions en blanc dans sa poche pour les cas pressants. La famille de M. Rousseau lui intenta un procès en diffamation, et le tribunal correctionnel, tout en qualifiant le procédé de M. Dupanloup de « violences que les entraînements de la lutte politique expliquent sans les excuser, » le renvoya de la plainte. Il faut vraiment être imbibé comme une éponge de tout le respect qui nous anime à l’égard des décisions de la justice pour ne pas se demander à quelle récompense a droit l’auteur d’un crime excusable dans un pays où l’on acquitte les gens dont on déclare les forfaits sans excuse. — En avril 1863, M. Dupanloup fit échouer la candidature de M. Littré à l’Académie en démontrant clairement aux immortels, si l’on en croit Pierre Larousse, que M. Littré, avec sa manie de rire du miracle de la Salette, était l’unique cause des inondations de la Loire, de la recrudescence de la variole et de l’arrivée des sauterelles dans le Midi. — Peu de temps après, M. Dupanloup s’éleva violemment contre le programme de M. Duruy qui confiait l’instruction secondaire des jeunes filles aux professeurs de lycées. Ce rapprochement des sexes scandalisait la vertu de M. Dupanloup ; cependant on passa outre, et la statistique des tribunaux a démontré depuis que la police correctionnelle juge en moyenne une vingtaine de prêtres par an pour abus de confessionnal, tandis que l’on en est encore à attendre qu’un professeur de lycée soit accusé d’avoir enseigné à ses élèves autre chose que ce qu’il était chargé de leur apprendre. — Aux élections du 8 février 1871, M. Dupanloup a été nommé député du Loiret. Depuis cette époque, il est l’un des piliers de cette honnête et vaillante cohorte de vieillards qui font un essai loyal de la République tout en préparant une restauration monarchique pour ne pas perdre de temps. Récemment M. Dupanloup a renouvelé son essai de faire fermer au nez de M. Littré les portes de l’Académie. Il a échoué, et par suite a donné sa démission d’immortel, pour ne point être exposé à respirer le même air qu’un homme qui ne croit pas que Moïse ait pu forer un puits artésien dans le roc avec une baguette de sureau, sans qu’il y ait eu une forte sonde au bout. L’Assemblée nationale vient de renouveler avec M. Dupanloup la bonne plaisanterie inventée par M. Falloux, en le nommant président de la commission chargée d’étudier la loi sur l’enseignement ; ce n’est pas encore ce coup-ci que nous verrons la grammaire et le catéchisme faire boutique à part pour les gens qui préfèrent qu’on ne leur serve pas deux plats dans la même assiette sans savoir s’il y en a un dont ils ne mangent jamais.

Au physique, M. Dupanloup est de taille moyenne, les traits sont énergiques, la voix stridente ; il aurait fait un excellent commissaire-priseur. Il aime beaucoup le luxe pour son église. Rien d’assez beau, rien d’assez riche pour glorifier Celui qui naquit dans une étable ; il sait que pour les bonnes têtes qui composent une forte partie de sa clientèle, ce qui frappe les yeux est synonyme de ce qui touche le cœur. Il est fâcheux qu’on ne lui ait pas confié le soin de monter le Roi Carotte, il eût fait des prodiges de mise en scène.

Janvier 1872.

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

M. Dupanloup, après avoir démoli le projet d’instruction obligatoire de Jules Simon, le... 18... dépose et fait adopter le... 18... un contre-projet portant qu’il ne devra y avoir dans chaque famille, quel qu’en soit le nombre, qu’un seul enfant sachant lire et écrire. — Le... 18... M. Dupanloup se reprend de bec avec Louis Veuillot à propos du port de la barbe par les prêtres ; un éditeur réunit cette polémique en une brochure qui se vend énormément aux Halles. — Et enfin, il meurt le... 19... du chagrin d’être monté dans un omnibus à la Madeleine et de ne s’être aperçu qu’à la Bastille qu’il était assis sur les genoux de Littré.