Le Trombinoscope/Lachaud

La bibliothèque libre.
Le Trombinoscope3 (p. 3-6).

LACHAUD (Charles-Alexandre), avocat français, né à Treignac en 1818. — Dès l’âge le plus tendre, il annonça de remarquables dispositions pour la spécialité de lessivage dans laquelle il devait plus tard se faire une grande réputation. Il recherchait les choses les plus sales et les blanchissait de son mieux. Un jour il se précipita sur un monsieur qui passait dans la rue, l’inonda de potasse et se mit à le frotter de toutes ses forces avec une brosse. Questionné sur cette escapade, l’enfant répondit que cet homme était un bonapartiste. — Quand un de ses camarades s’était exposé a une punition, il allait trouver le professeur et se livrait à une défense éloquente du coupable. Tout lui servait pour faire naître les circonstances atténuantes, et quand il avait ébranlé le juge, il faisait donner le truc à l’attendrissement qu’il maniait déjà avec habileté. « Oui, m’sieur, disait-il, Bidalot est un grand coupable. Il vous a mis des hannetons dans la coiffe de votre calotte, c’est vrai ; mais qui donc peut se flatter de faire dans la chute d’un élève de sixième jusqu’ici honorable la part exacte de la responsabilité humaine et celle de la fatalité ?… Si mes forces ne trahissaient pas mon courage (ici, le jeune Lachaud simulait à ravir un grand épuisement), je vous dirais : Rendez Bidalot a sa famille en pleurs qui l’attend demain dimanche. Vous ne voudrez pas que ce jour de fête soit un jour de deuil pour une tendre mère, pour une tendre sœur de huit ans, créature innocente et pure que le déshonneur de son frère tuerait. Pour moi, j’en ai la conviction, Bidalot n’est qu’un égaré, victime de la démoralisation qu’ont amenée dans nos mœurs les hommes du 4 Septembre ; et si, malgré mes efforts, votre verdict le flétrissait, je m’honorerais de me compter au nombre de ses amis et de lui offrir la main de ma tante. » — Nous avons donné presque in-extenso un spécimen des plaidoiries du jeune Lachaud afin de ne plus avoir à y revenir. Maintenant que son procédé est connu, on se rendra facilement compte de la façon dont il l’appliqua dans les nombreuses causes qu’il eut a plaider depuis. Ce fut toujours la même note, la note lacrymale ; le même système, l’amollissement des jurés par l’humidité. — Après avoir terminé ses études, M. Lachaud vint faire son droit à Paris et retourna se faire inscrire au barreau de Tulle où il débuta par la défense de Mme  Lafarge, cette aimable épouse qui, s’étant aperçue que son mari dormait la bouche ouverte, avait eu l’idée d’utiliser cette trappe comme piège à rats, en lui introduisant des gâteaux à l’arsenic dans l’estomac. — Ce procès, fit d’emblée une grande réputation au jeune avocat : plus de quarante mille femmes mariées prirent secrètement son adresse tout hasard. — Après avoir plaidé en province plusieurs causes importantes, entr’autres l’affaire Marcellange de Lyon, il vint a Paris, s’y maria, et fut bientôt une des vedettes les plus en vogue de la cour d’assises. — Nous n’entreprendrons pas d’énumérer ici les innombrables causes dans lesquelles il plaida. Ce qu’il arracha d’assassins à l’échafaud, ce qu’il rendit de brigands à leurs familles, est inouï. On a calculé que si l’impôt sur les factures avait été créé à cette époque, Me  Lachaud eût eu chaque année pour au moins quatre mille francs de timbres mobiles de deux sous à coller sur ses clients acquittés. — Citons seulement quelques-uns des principaux procès qui augmentèrent la renommée de l’illustre avocat : L’affaire Bocarmé (1851), celle de Mme  Pavie, accusée de bigamie, et qu’il fit acquitter. — Me  Lachaud défendit aussi le fameux Troppmann. — Depuis les événements de 1870, sa brillante carrière est entrée dans une nouvelle phase. Il faut rappeler qu’en 1869, Me  Lachaud, piqué de la tarentule politique, s’était porté candidat au Corps législatif dans une des circonscriptions de la Seine. Ses tournées dans les réunions électorales avaient été autant de vestes corsées qui, le jour du vote, s’étaient traduites par un nombre de voix si minime, que ses électeurs eussent très-bien pu entrer dans l’urne avec leurs bulletins sans gêner les opérations. — Ce résultat n’eut, d’ailleurs, rien de surprenant pour les gens qui avaient eu la bonne fortune d’entendre Me  Lachaud exposer ses théories politiques. Autant cet orateur pouvait être entraînant faisant l’apologie d’un homme qui avait coupé sa concierge en onze morceaux, autant il était antipathique cherchant analyser, dans une conférence froide, fadasse et ampoulée, les vieux clichés démocratiques mitigés de rengaines réactionnaires qui formaient le fond de ses déclarations de principes. Piteux, sans entrain, sans franchise, mariant cauteleusement dans ses phrases incolores l’argument de confection des libertés nécessaires au vieux pont neuf des restrictions indispensables, il faisait de ses péroraisons une espèce de pot-pourri qui pouvait se chanter sans danger au dessert sous tous les régimes, mais qui, au beau milieu d’un réveil politique comme celui de 1869, devait fatalement produire sur des esprits avides de mouvement l’effet d’une berceuse en la bémol mineur, jouée par un harmoniflûte en plein bal de mi-carême. — Quoique cet échec fùt trés-mérité, il n’en eut pas moins pour effet de renverser sens dessus-dessous la poche au fiel du célèbre défenseur de la veuve… par empoisonnement de son mari, et de l’orphelin… par strangulation de ses parents. C’est ce qui explique que Me  Lachaud, depuis la chute de l’empire, affectionne les causes qui peuvent lui permettre de casser beaucoup de sucre sur le dos des hommes du 4 Septembre. — Il a défendu avec véhémence les virements du préfet de l’empire Janvier de la Motte, et le Figaro, dans l’affaire du général Trochu. — Disons, à cette occasion, que Me  Lachaud est l’avocat attitré du Figaro. Il l’a tiré de bien des mauvais pas, et l’on raconte même qu’une fois ou deux il est parvenu à obtenir jusqu’à… un franc de dommages-intérêts en réparation de l’atteinte portée a l’honneur de cette feuille par de vils diffamateurs. Il est impossible de ne pas voir là la preuve d’un immense talent. — Son dernier triomphe a été l’affaire Bazaine. Il n’a pas sauvé son client ; mais il a failli faire condamner Gambetta à la déportation, ce qui paraît être son rêve, et a trouvé le moyen d’intercaler l’éloge de l’ex-impératrice dans le récit du siège de Metz. — La première partie de la plaidoirie de Me  Lachaud dans cette dernière affaire a été un véritable chef-d’œuvre. Le compte rendu imprimé de l’audience ressemblait à une annonce de la douce Revalescière du Barry, tant les certificats délivrés au maréchal se succédaient drus et serrés. Il y avait pas mal de ces pièces qui étaient écrites en allemand et dont le sens était à peu près celui-ci : « Che zertivie que le maréchal Passaine il afre gommandé l’armée de Metz bentant tut le demps que chien afre vait le siége, et gue che n’ai chamais eu gu’a me louer te lui en tutes zirgonsdances. Signé : FRÉDÉRIC CHARLES.» — Ces attestations de bonne conduite, jointes à un fort éreintement du gouvernement de la Défense nationale, et renforcées d’un panégyrique de Mme de Montijo ne parvinrent pas à convaincre le conseil de guerre de l’innocence du maréchal. On sait le reste. On sait même la suite du reste.
Au physique, Me Lachaud est un homme rondelet à la figure. large… mais pas ouverte. Une irrégularité de son regard tend à augmenter encore cette inquiétude qu’il vous inspire et dont se sentirent saisis les électeurs du département de la Seine en 1869, lorsqu’il brigua leurs suffrages. — De la place de la Concorde, il pourrait regarder en même temps dans une lunette braquée sur Frosdhorff et une autre dirigée vers Ghislehurst. — Comme avocat, nous l’avons déjà dit, il n’a qu’une note et en joue bien : c’est la note de l’attendrissement à outrance. Son but est d’émouvoir le jury et de le faire pleurer. Il y arrive souvent. Ce n’est pas à proprement dire de l’éloquence ; c’est une aptitude spéciale a chatouiller jusqu’au déluge les glandes lacrymales de douze bonnetiers réunis. Un jour que Lachaud serait indisposé, le premier violoncelliste de l’Opéra ferait acquitter aussi bien que lui Jean Hiroux en allant jouer au jury, à la place de sa plaidoirie, un air bien douloureux. Me Lachaud ne convainc pas les jurés, il les fait fondre.

Décembre 1873.
Séparateur


NOTICE COMPLÉMENTAIRE
DATES A REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE
Séparateur

Me Lachaud, toujours en quête des procès qui peuvent lui fournir l’occasion de débiner les hommes du 4 Septembre, laide le… 18.., pour le Figaro, dans le procès en diffamation intenté par Villemessant au Tintamarre. — Il obtient cinquante centimes de dommages-intérêts ; mais il éreinte Jules Favre pour au moins dix-sept mille cinq cents francs. — Enfin, il meurt le… 19…, empoisonné par sa femme qui, dans un moment de distraction impardonnable, s’était dit : Qu’est-ce que je risque ?… Il me fera acquitter.

Séparateur
LA BIOGRAPHIE. 15 CENTIMES - PROVINCE, SOUS BANDE, 20 CENTIMES.

Paris. — Imprimerie F. DEBONS et. Ce 16 rue du Croissant.