Le Trombinoscope/Victor-Emmanuel II

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VICTOR-EMMANUEL II, marie-albert-eugène-ferdinand-thomas. — C’est gentil de la part de ses parrains, qui pouvaient encore, pendant qu’ils y étaient, l’appeler : Joseph, Claude, Anatole, Léon, Jules, Célestin, Robert, Paul et Andoche. — Roi de Sardaigne d’abord, et plus tard, par suite d’agrandissements considérables de ses magasins, souverain de toute l’Italie, est né le 14 mars 1820. Il est le fils de Charles-Albert, qui a été longtemps confondu avec son homonyme, médecin célèbre, dont la spécialité était de guérir ses clients du repentir Il épousa, en 1842, l’archiduchesse Adélaïde d’Autriche. Il prit part, à côté de son père, comme le petit Sarrebruck, à la bataille de Goïto et à celle de Novare, et toujours comme le petit Sarrebruck, y reçut une balle pendant le combat. La seule différence, c’est qu’il la reçut directement dans la cuisse, tandis que le petit Sarrebruck la reçut dans le creux de la main de l’un de ses aides-de-camp, qui était allé la lui ramasser à une demi-lieue de là, sur le champ de bataille. — Complétement battu à Novare, son père abdiqua le soir même en sa faveur, pensant que Radetzki ferait des conditions plus douces au petit et se souviendrait, dans son triomphe, de la chanson de Thérésa : C’est pour l’enfant !… Radetzki connaissait ce truc par cœur ; aussi, il ne se gêna pas beaucoup, et Victor-Emmanuel monta sur le trône dans les avantageuses conditions d’un négociant qui reprend la suite d’un établissement avec un arriéré de quinze termes. — Cependant, il ne se rebuta pas ; aidé d’intelligents ministres, surtout de M. Cavour, il signa la paix avec l’Autriche et se mit immédiatement à réorganiser les fiances, l’armée et l’instruction publique. Ayant eu la chance de ne pas trouver dans ses jambes trop de Pouyer-Quertier ; de Thiers et de Jules Simon, la réorganisation put marcher assez vite. — Victor-Emmanuel resta fidèle au système de la monarchie constitutionnelle avec toutes les libertés que cette forme comporte — ce n’est pas encore le diable ; mais c’est mieux que rien. — Il ne dissimula pas ses tendances à s’asseoir, avec tout le respect auquel ils ont droit, sur les priviléges du clergé ; il enleva aux corporations religieuses le monopole de l’enseignement, et ne se crut pas obligé de faire empaler les réfugiés politiques qui se retiraient sur son territoire. Ces façons d’agir ne devaient pas tarder à donner des attaques d’apoplexie à Pie IX qui, dans un mouvement d’humeur, lui vida sur la tête toute sa fiole aux excommunications. Heureusement que depuis déjà pas mal de temps, si ça tache, ça ne brûle plus du tout. Victor-Emmanuel, se voyant excommunié d’une façon si furieuse, eût pu s’écrier en versant des larmes : Oh ! mon Dieu !… qu’est-ce que je vais devenir ?… Il se raidit, prit la chose du bon côté, et se dit simplement : c’est ça qui m’est un peu égal !… Il répondit courageusement au pape : Très-saint Père !… j’ai reçu votre honorée bulle du quinze du courant… Si vous voulez vous rendre un compte exact de l’effet qu’elle a produit sur mon âme, vous le pouvez en posant un Rigollot sur le pied de votre fauteuil quand vous aurez une douleur dans le dos. Victor-Emmanuel envoya 17 000 hommes qui combattirent à nos côtés en Crimée. C’était une petite politesse intéressée qu’il faisait à Napoléon III dont il pensait avoir besoin plus tard. À cette époque, Victor-Emmanuel perdit presque à la fois sa mère, sa femme, son père et un de ses enfants. Le parti clérical ne laissa pas échapper cette superbe occasion de crier partout que c’était l’effet de l’excommunication qui commençait à se produire ; nous n’en serions pas étonné, puisqu’il paraît que l’on peut mourir de rire. En 1855, Victor-Emmanuel visita l’empereur des Français et la reine d’Angleterre. Vapereau fait courir le bruit qu’il fut accueilli avec enthousiasme par les deux nations ; nous étions à Paris à cette époque, et jamais nous n’avons entendu parler de ça. Nous croyons sans peine que Napoléon et Victoria ne l’ont pas fait dîner à la cuisine ; mais quant au peuple de Paris, il a tout simplement fait à Victor-Emmanuel, — et il a eu raison, — l’accueil que les ouvriers d’une usine font à l’ami de leur patron quand ce dernier lui fait visiter ses ateliers, en lui expliquant avec un noble orgueil la manière de se bien nourrir en faisant turbiner les autres. — En 1859, Victor-Emmanuel, qui sentait le besoin de resserrer son alliance avec la France, donnait sa fille Clotilde en mariage au prince Napoléon (voir pour ce nom le trombinoscope 8). Jusqu’alors cette princesse avait été réputée pour ses vertus ; depuis ce jour elle l’est pour ses malheurs. — À partir de ce moment, la fortune sourit à Victor-Emmanuel. Il avait rêvé d’affranchir l’Italie tout entière pour en être seul maître, ce qui équivaut à chiper des chiens à droite et à gauche pour s’en faire une meute ; c’est toujours comme cela que les rois comprennent l’affranchissement des peuples ; les chiens, qui ne savent pas parler, ne peuvent guère s’en plaindre ; les hommes qui parlent l’endurent ; ainsi soit-il ! — Grâce à l’alliance de la France, Victor-Emmanuel conquit la Lombardie et nous donna la Savoie et Nice, qui furent d’ailleurs consultées à ce sujet par un plébiscite auquel elles ne comprirent rien du tout ; juste ce qu’il faut d’ailleurs pour répondre convenablement à ce genre de questions qui se posent toujours comme un poing sur une gorge. — En même temps, la Toscane, Parme, Modène et la Romagne s’annexaient à l’Italie, pendant que Garibaldi travaillait de son côté à l’unité italienne et y ajoutait le royaume de Naples et une grande partie des États pontificaux, en moins de temps qu’il n’en eût fallu pour coller du papier sur le nez de Pie IX, lequel augmentait de longueur au fur et à mesure que les États de son maître diminuaient de superficie. — À partir de ce moment, l’esprit chevaleresque de Victor-Emmanuel, le roi galant homme, s’affirma sous un jour tout à fait nouveau. Pendant que Garibaldi travaillait comme un nègre à lui conquérir les provinces qui lui manquaient encore, Victor-Emmanuel le désavouait officiellement, tout en lui disant en dessous : Apporte ici. — En 1866, Victor-Emmanuel dut la Vénétie à son alliance avec la Prusse ; il ne lui manquait donc plus que Rome ; mais autant la France avait mis de soins à aider l’Italie à se reconstituer, autant elle mit d’entêtement à la priver de sa capitale ; c’est à ce chef-d’œuvre d’habileté que nous devons aujourd’hui de voir un pays, à qui nous avons fait du bien dans le temps et du mal depuis, ne se souvenir que du mal et nous regarder de travers. — Garibaldi tenta un coup de main contre Rome ; deux décharges de nos chassepots à Mentana effacèrent le souvenir de Magenta, comme le reproche amer du bienfaiteur efface dans le cœur de l’obligé le souvenir du service rendu. — Bien entendu, Victor-Emmanuel continua son petit manége et protesta contre l’équipée de Garibaldi avec la véhémence d’un homme qui se dit : c’est bien mal ce qu’il a fait là !… quel dommage que ça n’ait pas réussi !… — On cite de Victor-Emmanuel un trait de dévouement splendide : les finances étant embarrassées, il consentit à une diminution de quatre millions sur sa liste civile ; si l’on nous demandait ce que nous pensons d’un acte aussi admirable, nous dirions que beaucoup de gens qui n’ont que quinze cents francs de rente n’en auraient pas fait autant ; nous refusons de pousser l’admiration plus loin. — À la suite d’une grave maladie que Victor-Emmanuel a faite en 1869, Pie IX a levé l’excommunication majeure qui pesait sur lui, et lui a permis de recevoir les sacrements. Voyant que Victor-Emmanuel n’en était pas mort, Pie IX lui a relancé son excommunication, et depuis ce temps-là le roi d’Italie vit avec son excommunication ; il s’y est habitué, comme on s’habitue à porter un bandage ; ça ne le gêne pas du tout, même pour monter à cheval. — Tout récemment, profitant de ce que la fille aînée de l’Église avait, hélas ! d’autres deniers de saint Pierre à fouetter, Victor-Emmanuel s’est emparé de Rome. Nous espérons que cette fois la France restera tranquille ; cela fera deux choses heureuses qu’elle devra à ses désastres : la mise à la retraite de Vélocipède père et l’impossibilité d’aller renouveler la bêtise de Mentana.

Au physique, Victor-Emmanuel ferait un assez joli marchand de chevaux. Fidèle à ses habitudes, ce roi, qui n’a jamais rien su faire qu’à l’aide d’alliances, n’a même pas pu se faire une paire de moustaches sans appeler ses favoris jusqu’aux oreilles dans la combinaison. En somme, Victor-Emmanuel est un de ces rois libéraux par nécessité, qui savent faire la part du feu pour conserver leur place ; un de ces rois, enfin, qui se font tolérer un peu plus longtemps que d’autres, parce qu’ils sont moins gênants, mais qui finissent toujours par se faire remercier, parce qu’ils sont aussi inutiles.

Avril 1872.

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

Victor-Emmanuel continue pendant quelque temps à régner sur l’Italie ; cette dernière renonçant au principe monarchique le... 18... essaie de lui faire comprendre qu’un roi et sa suite dans une république, sont tout juste aussi indispensables qu’une nichée de souris dans un fromage de gruyère. — Il fait semblant de ne pas comprendre ; le peuple insiste en lui portant ses bagages au chemin de fer. — Il se retire à Londres le... 18... et y trouve pas mal d’anciens confrères sans emploi. — Enfin, il meurt le... 19... après avoir vendu sa collection d’excommunications à un marchand de couleurs de Régent’street qui en fait du papier de verre.