Le Tunnel sous-marin entre la France et l’Angleterre

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Le Tunnel sous-marin entre la France et l’Angleterre
Revue des Deux Mondes6e période, tome 17 (p. 543-575).
LE TUNNEL SOUS-MARIN
ENTRE
LA FRANCE ET L’ANGLETERRE

Un fait d’un grand intérêt, et qui marquera dans l’histoire des rapports franco-anglais, s’est produit, il y a quelques semaines, de l’autre côté de la Manche.

Le mardi, 5 août 1913, un groupe de dix-huit membres du Parlement britannique[1], et qui représentait 90 de leurs collègues de toute opinion, est allé trouver à la House of Commons le chef du gouvernement anglais, M. Asquith, pour lui rappeler qu’il existait depuis longtemps déjà un projet de tunnel sous la Manche et lui exposer, en termes d’une étonnante vivacité, la nécessité, dans l’intérêt de l’Angleterre, de réaliser enfin cette grande œuvre.

Le texte de la pétition, la réponse du Premier Ministre, la discussion qui a suivi, sont des documens qu’il faudrait pouvoir citer en entier. Nous en détachons, en les résumant, les passages les plus caractéristiques :


Notre Commission, M. le ministre, est née d’un mouvement spontané et n’a été encouragée par aucune Compagnie de chemin de fer ni par l’ancienne Compagnie du tunnel. Aucun intérêt personnel ne nous pousse...

Nous pensons seulement que la réalisation du tunnel serait une source de bénéfices énormes pour le commerce des deux pays, qu’elle augmenterait la bonne volonté de nos amis du Continent, qu’elle stimulerait enfin les échanges avec les pays étrangers.

Personnellement, nous n’avons rien à gagner à l’exécution de ce projet, mais nous estimons qu’il serait à l’avantage de notre pays et de notre commerce.

Notre Commission n’est pas une Commission de parti ; nous nous sommes efforcés de garder autant que possible une balance exacte entre les deux partis.

Notre seul but est d’obtenir la construction du tunnel, projet qui ne doit appartenir à aucun parti. Je dois appeler l’attention sur ce fait que la Commission comporte beaucoup de membres, y compris les officiers de l’armée, qui étaient autrefois opposés au tunnel et qui, maintenant, en sont partisans.


A ce point de son discours, l’orateur de la députation explique les motifs de ce revirement d’opinion :


Mes collègues, dit-il, considèrent que la question d’approvisionnement en vivres de notre pays, en temps de guerre, est beaucoup plus importante qu’il y a trente ans, lorsque, pour la première fois, on s’est occupé de cette affaire.


Puis il ajoute :


En fait, j’ai feuilleté les rapports de cette époque et j’ai remarqué que cette question d’approvisionnement en vivres n’avait pas été soulevée alors et qu’on n’avait jamais fait observer que ce tunnel pouvait être une aide puissante en assurant un supplément de vivres en temps de guerre.


Et il continue, en envisageant la question sous ses aspects nouveaux :


Nous considérons que le tunnel donnerait un supplément de vivres en cas de guerre avec tout pays, à l’exception de la France, et le fait de savoir que des vivres pourraient être obtenus du Continent si les routes commerciales maritimes venaient à être fermées à nos navires tendrait à éviter une panique et l’élévation du prix du pain. A notre avis, le développement de la navigation aérienne a modifié notre position et personne ne peut dire quelles seraient les dernières conséquences de ce fait.

Notre amitié avec la France, qui s’est maintenue pendant quatre-vingt-dix-huit ans à travers des circonstances très diverses, est assurée, et la construction d’un tunnel fortifierait encore cette amitié. Enfin, ne pas améliorer ses moyens de communication avec ses voisins et avec ses amis, par peur d’une invasion de leur part, parait indigne d’une grande Puissance.

Je ne parlerai pas des raisons stratégiques qui furent opposées avec succès il y a trente ans à la construction du tunnel, mais je sais que l’opinion des autorités militaires a bien changé à ce sujet et, comme je l’ai dit plus haut, notre Commission compte un certain nombre d’officiers fort expérimentés.

Nous demandons au gouvernement de défendre le projet sous réserve que les conditions stratégiques seront remplies par les promoteurs.

Je suis persuadé que les ingénieurs du tunnel, lors de leurs pourparlers avec le War Office, seront en état de lui donner satisfaction pour toutes les conditions raisonnables.

Nous ne nous faisons pas les avocats des intérêts de la Compagnie du tunnel, nous désirons simplement que le tunnel soit construit. On a dit que le gouvernement anglais pourrait le construire en collaboration avec le gouvernement français ou en autoriserait la construction par la Compagnie du tunnel aidée des Compagnies de chemins de fer anglaises et françaises.


Au discours de M. Arthur Fell, d’une nouveauté d’idées, d’une hardiesse de langage et d’une ampleur de vue singulières, et à la suite d’une discussion non moins intéressante à laquelle prirent part le colonel Yate, M. Russell Rea, M. O’Connor, M. Parker, sir William Byles, etc., quelle a été la réponse du Premier Ministre ?

Avec la prudence d’un chef de gouvernement, M. Asquith a déclaré qu’il ne peut faire d’emblée table rase de l’opposition, qui, dans les gouvernemens de ses prédécesseurs, a prévalu à la construction du tunnel, si activement poussée de 1875 à 1880 et brusquement arrêtée depuis lors. Le fameux antagonisme de lord Wolseley, le célèbre stratégiste anglais, qui fut l’adversaire le plus déterminé du tunnel au nom de la sécurité de la Grande-Bretagne, est resté dans sa mémoire.


Renoncer, dit-il, à la décision prise par nos prédécesseurs pendant un quart de siècle est un acte qui ne peut être fait à la légère.


Pourtant, il reconnaît aussitôt que la question a changé de face et ses paroles ne sont pas moins dignes d’être relevées que le discours de la députation :


Il y a des faits nouveaux, dit-il, j’en conviens : l’un d’eux, peut-être le plus intéressant et, à certains points de vue, le plus important, est l’établissement sur une base solide et inébranlable de nos relations amicales avec la France. L’ennemi, dans les appréhensions de lord Wolseley et de ceux qui ont adopté son opinion, l’ennemi dont la force défensive et agressive pourrait être aidée par la construction d’un tunnel, était toujours la France. La possibilité d’un pareil ennemi s’est évanouie à la suite des relations excellentes et de plus en plus cordiales que depuis 1904, c’est-à- dire depuis une période de près de dix ans, nous avons maintenues et continuons à maintenir avec nos amis de l’autre côté du Pas de Calais.

Il y a d’autres facteurs nouveaux, tels que les nouveaux modes de combats naval et militaire et la question des approvisionnemens.


Il concluait en disant qu’un nouvel examen de la question serait fait, qu’il était même déjà commencé, et que le gouvernement l’étudierait avec un esprit impartial, donnant toute l’attention voulue aux remarques faites et aux considérations soumises par la députation.


Après avoir dormi pendant de longues années, la question du tunnel sous-marin entre la France et l’Angleterre semble donc se réveiller et peut-être les lecteurs de la Revue trouveront-ils quelque intérêt à connaître l’historique sommaire du projet au point de vue diplomatique et administratif, à être renseignés sur le côté technique de l’entreprise, enfin à mesurer l’importance des résultats qu’en apporterait la réalisation au point de vue économique et commercial et même au point de vue politique et militaire[2].


EXPOSÉ HISTORIQUE

Les premières études sérieuses faites pour rétablir artificiellement, à l’aide d’un tunnel, la réunion par terre ferme qui, suivant l’expression de M. Stanislas Meunier, ne serait que la reproduction d’un état de choses antérieur, datent du milieu du XIXe siècle et furent présentées par l’ingénieur Thomé de Gamond qui, le premier, lui donna les allures d’une conception scientifique. Il soumit un premier projet en 1856 à Napoléon III en même temps qu’au prince Albert et à la reine d’Angleterre. En 1869, un comité franco-anglais fut constitué en vue de travailler de chaque côté du détroit à la constitution des sociétés définitives et d’obtenir la concession de la ligne.

En 1870, au mois d’avril, commence la phase diplomatique du projet. A l’instigation du Comité franco-anglais, l’ambassadeur de France demande au gouvernement anglais s’il est disposé à admettre le principe de l’entreprise et à régler par une convention diplomatique les conditions auxquelles la construction et l’exploitation de la voie nouvelle seraient autorisées. (Le marquis de Lavalette au comte de Clarendon, 15 avril 1870.)

Lord Clarendon répond que la bonne foi et l’honorabilité des sujets britanniques intéressés dans le projet sont indiscutables, mais que des données manquent pour se prononcer sur la possibilité d’exécuter une aussi grande entreprise et sur les dépenses d’exécution.

La guerre survient, qui interrompt les négociations, reprises d’ailleurs aussitôt la paix rétablie.

En effet, dès le 30 novembre 1871, M. de Rémusat, ministre des Affaires étrangères, renouvelle la question déjà posée au gouvernement anglais par M. de Lavalette. Le Comité franco-anglais agissait, d’ailleurs, parallèlement et le secrétaire d’Etat au Foreign Office, lord Granville, n’était pas pris au dépourvu. Le Board of Trade, consulté, donne un avis favorable, sous certaines conditions et, le 24 juin 1872, lord Lyons, ambassadeur d’Angleterre à Paris, agissant en vertu d’instructions venues de Londres, l’avant-veille, remet à M. de Rémusat une note très explicite, où il donne une adhésion formelle au principe du tunnel projeté entre la France et l’Angleterre, sous le bénéfice de quelques observations qui portent uniquement sur les conditions de la concession et de l’exécution du chemin de fer sous-marin.

Loin d’atténuer cette adhésion, ces observations ne font que préciser l’esprit dans lequel elle est donnée. Laissant déjà de côté la question diplomatique qu’il considère comme résolue, le gouvernement anglais n’a plus souci que des difficultés techniques et financières. Des premières, il croit qu’on peut triompher, mais il se demande si, financièrement, on peut mener l’œuvre à bonne fin sans l’assistance du gouvernement. Il se prononce contre la concession à perpétuité faite à une entreprise privée et il est d’avis que les deux gouvernemens s’entendent pour fixer les termes et les conditions de rachat.

Une adhésion plus formelle encore, si possible, est donnée l’année suivante au principe du tunnel et, fait bien digne de remarque, c’est, cette fois, sous l’impulsion du « Board of Trade » lui-même et par l’initiative de lord Granville que la question est reprise. Le 23 juillet, il croit nécessaire d’indiquer à lord Lyons le langage qu’il devra tenir, s’il vient à être interrogé sur les dispositions de l’Angleterre à l’égard du projet du tunnel. Dans ce cas, l’ambassadeur de la Reine devra répondre que son gouvernement verra avec plaisir toute amélioration apportée aux communications de l’Angleterre avec le Continent et qu’il serait, en conséquence, heureux d’apprendre le succès d’une entreprise destinée à rattacher les chemins de fer anglais au réseau des chemins de fer continentaux. Opposé en principe au système du monopole, le gouvernement anglais ne voit pas d’inconvénient à ce qu’une concession soit faite aux promoteurs de l’entreprise dans les conditions ordinaires des contrats de cette nature en France, moyennant que la fixation d’une durée ou de conditions de rachat conjurent l’établissement d’un monopole contraire à l’intérêt public.

On le voit, la question de principe n’était plus en jeu et le gouvernement anglais ne songeait qu’à préciser les conditions auxquelles il subordonnerait la concession de la ligne.

Enfin, le 25 juillet 1873, lord Lyons, qui s’en tient toujours à la lettre de ses instructions, demande s’il doit spontanément compléter par une note les précédentes explications qu’il a données au gouvernement français. La réponse du Cabinet britannique est affirmative et la note est remise par lord Lyons à notre gouvernement.

Ajoutons qu’une note, placée au bas de la page du Livre bleu qui contient la lettre du 23 juillet de lord Granville, explique la démarche faite par le ministre des Affaires étrangères britannique et accentue l’insistance avec laquelle il marque son adhésion au projet de tunnel et donne ses encouragemens à l’entreprise.

L’accord entre les deux gouvernemens est donc formel et complet : long échange de vues, assurances réitérées de part et d’autre, tout paraît concourir à sa solidité. Toutefois, l’année suivante, à la veille de procéder à l’acte de concession, le gouvernement français croit encore utile de prendre certaines précautions. Dans l’intervalle, le parti conservateur est revenu au pouvoir en Angleterre. On n’est plus en présence du Cabinet Gladstone, qui avait fait preuve, dans l’étude de la question, d’un esprit si large et d’une vue en quelque sorte prophétique de l’avenir. C’est pourquoi, le 27 octobre 1874, le gouvernement français communique au gouvernement anglais, par l’entremise du comte de Jarnac, notre ambassadeur à Londres, les termes mêmes de l’acte par lequel il se propose de donner la concession. Dans sa réponse, rendue dans la forme d’une note écrite remise au comte de Jarnac, le 24 décembre 1874, lord Derby, ministre du Foreign Office, donne successivement son adhésion à tous les termes de ce projet d’acte ; il rappelle les droits des deux pays pour les travaux de défense à établir aux deux extrémités du tunnel ; il stipule la faculté d’interrompre le trafic ; il pose la question de savoir si les gouvernemens auront le droit d’exercer cette faculté sans donner lieu à une réclamation d’indemnité de la part de la Compagnie, etc., etc. La lettre se termine par une approbation complète de la marche que le gouvernement français se proposait de suivre.

Un an après, on va plus loin encore. En vue de codifier l’accord établi et de le compléter sur tous les points, les deux gouvernemens instituent une Commission composée de six membres, trois désignés par le gouvernement français, trois désignés par le gouvernement anglais.

Les trois commissaires français étaient : MM. Ch. Gavard, G. Kleitz, A. de Lapparent, et ceux de la Grande-Bretagne : MM. H. W. Tyler, C. M. Kennedy et Horace Watson.

Les travaux de la Commission ont abouti à la rédaction d’un protocole signé par les commissaires des deux pays, le 30 mai 1876, et intitulé : « Projet adopté par la Commission Internationale du Chemin de fer sous-marin pour servir de base au traité à conclure entre la France et l’Angleterre. »

Ce projet de traité, appelé à devenir en quelque sorte la charte du chemin de fer sous-marin au point de vue du droit international, règle toutes les questions que pourra soulever l’existence du tunnel dans les rapports des deux pays entre eux. Il institue une frontière sous-marine, dont les effets juridiques seront limités au tunnel. Il définit le régime légal des par les française et anglaise et il prévoit le fonctionnement d’une Commission Internationale permanente consultative, appelée à donner son avis » sur toutes les questions relatives à la construction, à l’entretien et à l’exploitation du chemin de fer sous-marin. Il définit le mode de confection des règlemens d’exploitation. » Il pose les conditions d’entretien du tunnel. Il détermine la durée de la concession et institue le droit de rachat pour chaque gouvernement. Il stipule les délais d’exécution des travaux et prévoit les conséquences de l’inexécution pour cause de force majeure. Il arrête les conditions de l’exercice du droit de rachat, etc., etc.

Tout est donc réglé avec un soin minutieux et on peut dire que ce protocole ne laisse rien à l’imprévu.

Bien plus, il convient de mettre en relief la clause véritablement formidable, qui a été acceptée néanmoins par les sociétés concessionnaires et que tout le monde doit connaître parce qu’elle coupe court à toutes les discussions sur les dangers que présenterait le tunnel pour la sécurité de l’Angleterre.

Cette clause, la voici :

Droit pour chaque gouvernement, « Quand il jugera convenable de le faire dans l’intérêt de son propre pays :

1° « De suspendre l’exploitation du chemin de fer sous-marin et les passages à travers le tunnel ;

2° « D’endommager ou de détruire en totalité ou en partie les travaux du tunnel ou du chemin de fer sous-marin sur son propre territoire ;

3° « De noyer au besoin le tunnel. »

Ce droit est stipulé en termes absolus et « sans que le pays qui usera de cette clause ait aucune indemnité à payer à l’autre pays, ni à la Compagnie exploitante de l’autre pays. » Bien entendu, le gouvernement qui userait de ce droit verrait à indemniser la Société à laquelle il aurait concédé la partie du tunnel lui afférant.


Quelques mots maintenant au sujet des contrats de concession et des Sociétés concessionnaires.

C’est le 1er février 1875 que s’est constituée la Société française du tunnel sous la présidence de Michel Chevalier, avec le concours d’hommes tels que l’ingénieur réputé du canal de Suez, M. Lavelley, Fernand Raoul-Duval, Léon Say, etc., en vue d’obtenir du gouvernement français la concession d’une ligne sous-marine vers l’Angleterre.

Le 2 août 1875, une loi a approuvé la convention passée pour cet objet par le ministre des Travaux publics avec cette Société. La ligne concédée était ainsi définie : « chemin de fer partant d’un point à déterminer sur la ligne de Boulogne à Calais, pénétrant sous la mer et se dirigeant vers l’Angleterre à la rencontre d’un pareil chemin parti de la côte anglaise dans la direction du littoral français. »

La concession était donnée sans subvention ni garantie d’intérêts, pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans à partir de la mise en exploitation du chemin de fer sous-marin, l’Etat s’engageant à ne concéder pendant trente ans, comptés à partir de la même époque, aucun autre chemin de fer partant du littoral et pénétrant sous la mer dans la direction de l’Angleterre. La concession était faite à titre définitif et le chemin de fer déclaré d’utilité publique par la loi même de concession.

La Société s’engageait à faire connaître, dans un délai de cinq ans, qui pouvait être porté à huit, si elle entendait conserver la concession. Elle s’engageait en outre à exécuter, jusqu’à concurrence de 2 millions de francs au moins, les travaux préparatoires de toute sorte, tels que : recherches, puits, galeries, sondages, etc., jugés nécessaires pour fixer l’Administration et la Société sur les conditions techniques de l’opération et la possibilité de l’entreprendre avec des chances sérieuses de succès. Les concessionnaires s’engageaient enfin à se mettre en rapport avec une Société anglaise pour entreprendre le chemin de fer sous-marin partant du littoral anglais et dirigé vers la France, en vue d’exécuter et d’exploiter d’un commun accord l’ensemble du chemin de fer international.

La Compagnie française du tunnel à laquelle était donnée la concession[3] a rempli toutes ses obligations. Elle a dépensé plus de 2 millions de francs en travaux préparatoires, en puits, en sondages, et pour faire une galerie d’essai qui a été dirigée sous la mer sur une longueur de 1 849 mètres. Nous aurons l’occasion d’y revenir plus loin. Elle a aussi rempli les conditions dont l’accomplissement a rendu la concession définitive. Elle continue à payer au gouvernement français les frais de contrôle, prévus à son cahier des charges. Tous les travaux et installations qu’elle a faits sont demeurés en bon état et l’on peut dire que, du jour au lendemain, les travaux définitifs peuvent être repris, si la nation britannique veut bien rendre au projet la faveur qu’à l’origine elle lui avait accordée d’emblée.

La situation est identique du côté anglais, tant au point de vue technique qu’au point de vue administratif.

Comme en France, la Compagnie du South Eastern and Chatham Ry, qui exploite les lignes de chemin de fer mettant Londres en relations avec Douvres et Folkestone, a obtenu, le 16 juillet 1874, un bill en vertu duquel elle a fait, à Douvres, au pied de la falaise dite Shakspeare Cliff, une galerie d’étude de 2 kilomètres de longueur, dont 1 600 mètres sous la mer. Cette galerie d’étude, pendant de la galerie française de Sangatte, est toujours en bon état, comme la galerie française. La même Compagnie du South Eastern and Chatham Ry a aidé à la fondation, le 8 décembre 1881, de la Submarine Railway C° au capital initial de 6250 000 francs, avec laquelle la Compagnie française du chemin de fer sous-marin est en accord étroit.

On comprend comment, avant la réception par M. Asquith de la délégation du Parlement anglais conduite par M. Fell, le très distingué président de la Compagnie du South Eastern Ry, M. Bonsor, ait pu affirmer à ce dernier que tout était prêt du côté anglais, et que sa Compagnie et la Suhmarine étaient en parfait accord pour déposer un bill lors de la prochaine session parlementaire, pourvu que le gouvernement voulût bien leur donner son appui.


TECHNIQUEMENT, LE CHEMIN DE FER SOUS LA MANCHE EST-IL RÉALISABLE ?

Au point de vue technique, le problème de la construction du tunnel sous la Manche se pose d’une façon toute différente de celui qu’il a fallu résoudre pour exécuter les tunnels connus, tant sous les fleuves que pour traverser les montagnes. Le problème sera à la fois plus facile et plus difficile : plus facile parce que le terrain à traverser, si le tracé est bien établi, sera percé avec une grande tarière, comme on perce le bois avec un vilebrequin ; plus difficile, parce qu’il s’agit d’un tunnel d’une longueur de plus de 50 kilomètres, fait sans précédent, et, surtout, parce qu’il faudra cheminer dans la bonne couche à la hauteur la plus convenable, c’est-à-dire dans le tiers inférieur.

Dans l’antiquité, on voit peu d’exemples de construction de tunnels. On cite celui qui a été créé par les Assyriens sous l’Euphrate, mettant en communication les deux palais assis de part et d’autre du fleuve. On trouve à Carthage des aqueducs, à Rome des égouts. On connaît deux tunnels percés par les Romains pour le passage des routes, l’un pour la Voie Flaminienne à travers les Apennins, l’autre en Suisse près de Soleure. Au moyen âge, c’est à l’art de la fortification que se rattachent les galeries souterraines, qui atteignent souvent plusieurs kilomètres de développement. Mais, au point de vue des communications, on peut dire que les souterrains n’existent guère qu’à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle. C’est qu’en fait, les souterrains, et a fortiori les tunnels, qui sont de grands souterrains, ne datent guère que des chemins de fer. Auparavant, on ne trouait pas les montagnes, on passait par-dessus en les contournant. Quand on construisait des routes ordinaires, destinées à recevoir des voitures à chevaux, et, encore aujourd’hui, comme il s’agit toujours de tramer des poids relativement faibles, même avec des automobiles, on construit des routes avec de fortes déclivités qui atteignent jusqu’à 100 et 150 millimètres par mètre. On les construit avec des courbes dont les rayons descendent à 15 ou 20 mètres, de telle sorte qu’avec des lacets répétés et bien combinés, on peut arriver à contourner sans les traverser les montagnes les plus abruptes. Mais, quand il s’agit des chemins de fer, le problème est tout à fait différent ; il faut traîner des poids considérables qui, comme les trains de Paris à Calais, dépassent souvent 400 000 kilos, avec un moteur unique, très puissant, par cela même très lourd et très rigide. On ne peut plus admettre que des déclivités relativement faibles qui, sur les lignes à grand trafic, ne dépassent guère 5 millimètres, et, quand il s’agit de traverser des montagnes comme le Simplon, le Saint-Gothard, etc., etc., on n’ose guère dépasser les déclivités de 20 à 30 millimètres par mètre. En outre, comme la courbe augmente aussi les difficultés de traction et s’oppose au passage en vitesse, aux courbes de 15 à 20 mètres d’une route ordinaire il faut substituer des courbes ayant un rayon minimum de 250 à 300 mètres qui, pour les grandes lignes, doivent s’élever à 800 et 1 000 mètres pour permettre les grandes vitesses.

On conçoit que, dans ces conditions, il faut absolument traverser les montagnes au lieu de les contourner ; c’est de cette difficulté qu’est né ce qu’on pourrait appeler l’art des souterrains et des tunnels.

Aujourd’hui, on en fait un peu partout. Après les premiers tunnels qui ont été construits, vers 1840, par Brunel, sous la Tamise, les premiers chemins de fer ont donné lieu à la construction d’un nombre considérable de souterrains. Quelques-uns d’entre eux ont donné lieu à des travaux énormes et extrêmement difficiles, non seulement par suite de la longueur du souterrain, mais encore par suite de la nature des terrains traversés ; tel le Semmering, dont la longueur est de 1 430 mètres, celui du Mont-Cenis qui a une longueur de 12 kilomètres, celui du Saint- Gothard qui en a 15, celui de l’Arlberg qui en a 11, celui du Simplon qui en a près de 20, celui du Loetschberg qui en a près de 14.

Une fois le tracé du tunnel déterminé, il faut passer dans le terrain tel qu’il existe. On le connaît plus ou moins bien ; on s’y avance d’abord par une petite galerie, appelée galerie d’avancement, derrière laquelle on élargit le tunnel pour l’amener à sa section définitive par échelons successifs ; on se heurte aux difficultés les plus variées et souvent considérables par suite de la nature du terrain, de l’invasion des eaux, de la température, etc.

Le problème sera tout différent pour le tunnel sous la Manche. C’est qu’en effet la première question à résoudre est d’adopter un tracé qui place le tunnel dans une couche de terrain solide et imperméable dans laquelle on n’ait pas à redouter l’invasion de la mer. On savait depuis longtemps que des tunnels de cette nature et d’une longueur même considérable avaient été créés sous la mer.

Les mines d’étain ou de cuivre de Cornouailles s’étendent loin sous la mer, sans que les flots les envahissent. Sur la côte de Cumberland où s’exploitent des couches de charbon, plusieurs galeries se sont avancées à plus de 5 kilomètres de la plage et les voies transversales qui les relient entre elles ont avec elles un développement aussi grand que celui du tunnel projeté sous la Manche. Jamais l’eau n’a pénétré sous ces mines et la confiance des mineurs de la contrée contre l’invasion de la mer est telle qu’ils se vantent d’atteindre quelque jour la côte d’Irlande qui est à 100 kilomètres de distance, et quoique la mer qu’il faudrait traverser soit infiniment plus profonde que la Manche.

Mais mieux que par comparaison, nous avons maintenant par expérience des données beaucoup plus précises en ce qui concerne la possibilité de creuser le tunnel sous-marin.

Les études géologiques qui ont été faites par les géologues des deux pays, les nombreux forages et sondages qui ont été exécutés des deux côtés du détroit lui-même ont complètement éclairci la nature du sol et fait connaître minutieusement la composition de chaque couche et l’agencement des assises entre elles.

Si nous remontons un peu plus loin que l’époque actuelle, nous nous rendrons mieux compte des vicissitudes qu’a subies le détroit du Pas de Calais, pendant les temps géologiques, et nous comprendrons mieux ce qu’il est aujourd’hui et comment il est constitué.

Le détroit, comme le monde lui-même, est loin d’avoir eu dans le passé la physionomie qu’il a actuellement. Il se transforme sans cesse par des actions plus ou moins lentes, mais suffisantes pour que nous en soyons les témoins : nous constatons, par exemple, que le détroit actuel ronge de chaque côté environ 20 mètres par siècle, c’est-à-dire au total 40 mètres environ par siècle.

A l’origine et sans remonter au delà de l’époque géologique qu’on appelle l’époque crétacique, c’est-à-dire l’époque de la couche de craie dans laquelle les études actuelles indiquent qu’il faut placer le tunnel, la région du détroit était toute différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Une mer, qu’on appelle la mer cénomanienne, couvrait tout le Sud-Est de l’Angleterre, tout le Nord de la France jusque bien au delà de Paris et du Mans ; seule une partie du Cotentin et le pays de Galles émergeaient, ainsi que le massif de l’Ardenne et la Belgique qui ne s’était pas encore affaissée.

Après cette époque, c’est-à-dire bien après l’époque cénomanienne, une partie de l’Angleterre se relève et la mer lutécienne qui couvrait encore Paris laisse apparaître une sorte de promontoire anglo-français dont la falaise de Douvres et la falaise de Blanc-Nez sont les témoins. La transformation se continue à la fin d’une période qu’on appelle la période miocénique ; le moument de relèvement s’accentue, et la soudure se fait entre la France et l’Angleterre par un isthme en dehors duquel la Manche d’un côté baignait à peu près les côtes actuelles et la mer du Nord, de l’autre, s’étendait sur une grande partie des Pays-Bas. Cet isthme formait une espèce de pont très large, sur lequel la plupart des animaux de l’époque quaternaire ont passé du continent sur la presqu’île anglaise.

C’est ainsi qu’on retrouve en Angleterre, dans toutes les cavernes quaternaires, les dents et les os d’ours, d’hyène, de mammouth, de rhinocéros, etc., qui peuplaient la France : la gerboise et le renne y ont été aussi constatés, ce qui montre que ces animaux, essentiellement terrestres, ont franchi le détroit à pied sec par l’isthme dont il vient d’être question.

Mais une nouvelle transformation se prépare sous les assauts répétés de la mer ; les flots de la Manche d’une part, ceux de la mer du Nord de l’autre, corrodent l’isthme pour se frayer une communication dont la coupure verticale des falaises actuelles accuse l’origine maritime.

Ce n’est qu’au commencement de l’époque géologique actuelle que le phénomène de transformation de l’isthme en un détroit s’est produit sans violence et sans secousses, par une action lente, analogue à celle qui se produit sous nos yeux et qui est, comme il vient d’être dit, à peu près de 40 mètres par siècle. Le commencement de la période ne veut pas dire que c’est hier, car, à supposer que l’érosion se soit faite avec la même vitesse que celle d’aujourd’hui, l’ouverture du détroit dans sa forme actuelle n’aurait pas nécessité moins de cent siècles. Le temps qu’elle a pris, nous n’en savons rien en vérité, et les géologues les plus distingués sont divisés sur ce point. En géologie, comme en politique, il y a deux écoles : l’école des gens pressés et l’école de ceux qui pensent que les phénomènes d’autrefois se sont faits avec une vitesse qui ne diffère pas beaucoup de celle d’à présent.

Les premiers, qu’on appelle les Plutoniens, veulent que le temps très court dans lequel se sont déroulées les formations géologiques n’ait été que de quelques milliers d’années. Les Neptuniens ne veulent pas attribuer aux agens d’érosion plus d’énergie qu’ils n’en manifestent actuellement sous nos yeux.

Quoi qu’il en soit, et qu’il ait fallu cent mille ans, ou plus, ou moins, pour que le phénomène s’accomplisse, ces études géologiques prouvent qu’une communication terrestre existait jadis entre la France et l’Angleterre, qu’elle n’a disparu que par suite d’une érosion très lente, supprimant la communication dans sa partie supérieure et laissant comme témoins les falaises de Douvres et du Blanc-Nez, mais en conservant au-dessous du niveau de la mer tous les terrains qui réunissaient auparavant les deux pays.

Dans l’état actuel des choses, le détroit entre Douvres et Calais est dominé par de hautes falaises crayeuses coupées à pic : en France celle du Cap Blanc-Nez, en Angleterre celle de Douvres à Folkestone.

Quand on étudie les transformations géologiques de ces deux régions, il est impossible de ne pas être frappé du parallélisme complet des deux formations au point de vue de la structure des terrains qui partent du jurassique, à la base, pour finir par les terrains tertiaires. Des deux côtés, la composition du massif crayeux est identique. En haut, la craie blanche avec des silex ; plus bas, les silex disparaissent et la craie se charge d’argile ; enfin, à la base, près de Wissant comme à Folkestone, se trouve une couche de craie argileuse, compacte, très uniforme, qui donne lieu aux grandes exploitations de pierre à ciment. La craie est assez tendre pour se laisser travailler, assez résistante pour ne pas s’ébouler et l’argile qu’elle contient la rend imperméable.

On ne peut pas imaginer un meilleur ensemble de qualités de terrain en vue du creusement d’un tunnel.

En présence de ces deux grands témoins de l’identité géologique des deux sols anglais et français, on est en droit d’espérer que les couches qui se trouvent de chaque côté des falaises se prolongent d’une falaise à l’autre sur toute l’étendue du détroit, et de penser que cette couche plonge très régulièrement des deux côtés, au Nord-Nord-Est, pour affleurer dans le détroit lui-même.

Cette hypothèse vraisemblable, la Société française du Tunnel a tenu à la vérifier, et, grâce à d’admirables travaux. qui ont été poursuivis sur ses ordres et pour son compte par une mission composée de deux éminens ingénieurs géologues du corps des Mines, MM. Potier et de Lapparent, grâce aussi à la complaisance de la nature, qui, par les violens courans de marée parcourant le détroit, s’est chargée d’entretenir le fond de ce détroit dans un état de propreté remarquable, on est arrivé à vérifier l’hypothèse de la façon la plus complète.

En 1876 et 1877, MM. Potier et de Lapparent ont effectué dans ce détroit plus de 7 000 sondages, dans lesquels le plomb de sonde a été remplacé par un tube à arête coupante, chargé d’un poids suffisant pour qu’en tombant sur le fond de la mer, le tube prélevât sur ce fond un échantillon, — une carotte, comme on dit, — de 7 à 8 centimètres de longueur, suffisant dans la plupart des cas pour permettre d’identifier géologiquement le terrain aux dépens duquel l’échantillon a été prélevé.

Grâce à ces sondages, dont plus de 3 000 ont fourni une certitude géologique, MM. Potier et de Lapparent ont pu continuer la carte géologique sous le détroit avec une précision presque aussi grande que celle que leurs collègues anglais et français avaient mise à dresser les cartes géologiques des sols anglais et français. Les courbes de cette carte marquent l’affleurement des divers terrains sur le fond du détroit et sont continues sans aucune cassure dans toute la traversée. L’ordre de succession des couches s’est reproduit partout : l’épaisseur même des diverses couches s’est révélée relativement constante. En un mot, tous les faits constatés ne cadrent qu’avec une seule hypothèse, celle où le Pas de Calais a été creusé a une époque relativement récente par des érosions puissantes et non pas par des dislocations des terrains.

On a constaté que, parmi les couches géologiques rencontrées, il s’en trouvait une, celle de la craie argileuse sans silex, dite craie cénomanienne ou craie grise de Rouen, qui convenait particulièrement au passage du tunnel en raison de son homogénéité, de son absence complète de fendillemens, de son imperméabilité presque parfaite et de sa dureté. C’est dans cette couche, dont l’épaisseur moyenne est de 60 mètres environ, que les études géologiques ont fait apparaître, au fur et à mesure qu’elles avançaient, la conviction de plus en plus nette qu’il fallait creuser le tunnel. La Société française a voulu aller plus loin, elle a voulu faire un essai direct de pénétration sous-marine dans cette couche et, sous la direction de son éminent directeur des travaux, M. Breton, qui s’est fait une si grande réputation, tant comme géologue que comme exploitant de mines, et dont on peut dire que la structure des terrains boulonnais n’a plus de secret pour lui, elle a, de 1875 à 1883, poursuivi des études directes destinées à la renseigner sur la position et sur la nature des couches sous-marines.

Ces travaux ont consisté à creuser à Sangatte, sur le rivage, jusqu’à une profondeur de 60 mètres environ au-dessous du niveau de la mer, un puits de grand diamètre, et à faire partir du fond de ce puits une galerie d’études de 2m, 14 de diamètre pénétrant dans la couche de craie grise jusqu’à une longueur qui a atteint 1 840 mètres sous la mer. On ne connaît pas assez l’importance de ces travaux : il y a encore aujourd’hui, à Sangatte, une véritable usine, en excellent état, comprenant deux machines à vapeur de 300 chevaux, des compresseurs d’air, un puits avec chevalement, des pompes d’épuisement puissantes, etc. C’est avec tout cet outillage, religieusement gardé, qu’a été creusée cette galerie d’études qui a démontré : d’une part l’imperméabilité à peu près complète de la couche, sa dureté, sa position avec son inclination vers le Nord-Nord-Est ; et d’autre part la possibilité d’y pénétrer avec un avancement qui s’est constamment accru jusqu’à atteindre près de 400 mètres par mois, au moyen de la machine perforatrice imaginée par le colonel Beaumont. Ce chiffre serait certainement dépassé de beaucoup encore avec les nouveaux perfectionnemens qui ne manqueront pas d’être apportés aux machines perforatrices.

J’ajouterai que les belles et consciencieuses études poursuivies par M. Breton depuis plus de vingt-cinq ans, dans le Boulonnais et dans le Kent, ont constamment montré des couches de craie sans dislocation et sans faille, des ploiemens à grande courbure et jamais de cassures.

Cette opinion est confirmée par les études si intéressantes et si remarquables de MM. Barrois, Olry, Gust. Dollfus, Gosselet, etc.

C’est l’opinion très nette des géologues anglais Prestwich, Topley, Jukes Browne, et aussi de l’un des plus illustres d’entre eux, sir Archibald Geikie, le savant directeur de la carte géologique d’Angleterre, qui me disait, — en examinant avec moi le plan en relief du détroit que la Société française du Tunnel a fait faire et a envoyé à l’Exposition de Gand, — qu’il considérait comme certaines les prévisions faites, en 1876 et en 1877, par MM. Potier et de Lapparent, et qu’on pouvait considérer comme indiscutable la présence régulière dans tout le détroit, avec une épaisseur uniforme de 60 mètres environ, de la couche de craie grise dure et imperméable, dans laquelle le tunnel pourrait cheminer sans aucun mécompte.

Dans ces conditions, il est permis de dire que le problème de la création du tunnel consiste, à partir de chacune des falaises du Blanc-Nez et de Douvres, du point situé à l’air libre au-dessus du niveau de la mer où apparaît la couche de craie grise et imperméable, à suivre cette couche dans son plongement et dans ses divers contournemens. Tout le problème consiste à ne pas sortir de cette couche et à se tenir suffisamment loin de ses surfaces inférieure et supérieure en restant à une distance toujours suffisante des formations placées en dessus ou en dessous, qui amèneraient au tunnel des venues d’eau capables de troubler sa construction et son exploitation futures.

Au moment où les premières études ont été faites, vers 1880, le problème de rester dans ces couches se présentait dans des conditions qui donnaient quelques inquiétudes.

Pour pouvoir faire du tunnel un chemin de fer donnant passage à des trains lourds et très rapides, il fallait, avec le mode de traction connu à cette époque, c’est-à-dire avec la traction à vapeur et à eau surchauffée, adopter des pentes très faibles et des courbes de grand rayon, qui rendaient beaucoup plus difficile le moyen de se tenir constamment dans la couche de craie grise dure et imperméable. L’emploi de la traction électrique, — en nous permettant d’obtenir les mêmes puissances et les mêmes vitesses avec des courbes qui peuvent descendre à 250 mètres ou 300 mètres de rayon, et avec des pentes qui peuvent aller jusqu’à 10 ou 15 millimètres, — rend le problème infiniment plus facile et ne laisse plus aucun doute sur la possibilité que le tunnel suive toutes les inflexions et toutes les dénivellations qu’on pourra rencontrer en se tenant dans la couche de craie cénomanienne.

Etant donné cette possibilité, qu’on est en droit de considérer comme démontrée, que nous trouverons entre la France et l’Angleterre une couche d’épaisseur suffisante de craie dure, imperméable et sans failles, dans laquelle on pourra loger le tunnel sans aucune crainte d’inondation ; étant donné que la nature même de la couche rencontrée rendra le percement facile, beaucoup plus facile qu’il ne l’a été lorsqu’on a percé les souterrains du Saint-Gothard, du Simplon, du Mont-Cenis, etc., les seules difficultés réelles consisteront ici, surtout et d’abord, dans les moyens à employer pour tracer le tunnel et le maintenir dans la couche où il doit être placé, ensuite pour exécuter l’attaque avec les évacuations des déblais dans des conditions de rapidité et de prix qui ne soient pas trop considérables.

La première chose à faire est de déterminer le profil en long du tunnel. Le tunnel partira de la côte en un point situé au-dessus du niveau de la mer, pour descendre, vers le milieu du détroit, à une profondeur qui le placera à environ 95 mètres au-dessous de ce niveau.

La nécessité d’adopter ce profil entraînerait de graves inconvéniens si, malgré l’imperméabilité de la couche, des infiltrations se produisaient. Les eaux viendraient s’accumuler au milieu du détroit, et il serait très difficile de les évacuer malgré les moyens puissans de pompage dont on dispose aujourd’hui.

C’est pour éviter cet inconvénient que nous avons pensé, avec M. Breton, qu’il convient d’adopter une galerie d’écoulement indépendante du tunnel lui-même. Cette galerie d’écoulement partirait de la côte, en un point bas situé à environ 120 mètres au-dessous du niveau de la mer, pour remonter vers le milieu du détroit et y rencontrer le tunnel lui-même. Les eaux seraient conduites tout naturellement dans cette galerie, viendraient s’accumuler au fond du puits ou des puits creusés près de la côte et seraient remontées et rejetées à l’aide de pompes puissantes.

La galerie d’écoulement d’un côté, la galerie formant le tunnel de l’autre, qui se rencontrent vers le milieu du détroit, s’éloignent de plus en plus, en plan et en hauteur, au fur et à mesure qu’on se rapproche de la côte, la galerie plongeant pendant que le tunnel remonte et, en raison de la pente générale des couches vers le Nord, le tracé de la galerie s’infléchissant de plus en plus vers le Nord, pendant que le tunnel s’infléchira de plus en plus vers le Sud.

Cette galerie d’écoulement aura d’ailleurs bien d’autres avantages : non seulement elle permettra d’évacuer les eaux quand le tunnel sera en exploitation, mais elle aura deux autres résultats, qui sont peut-être plus importans encore : celui de permettre de tracer le tunnel avec sûreté, celui de le construire avec le minimum de temps et le maximum de facilités.

Si nous savons que les couches souterraines de craie grise existent avec une épaisseur suffisante, nous ne sommes pas fixés, avec une certitude absolue, sur la position exacte, à quelques mètres près, de ces couches souterraines. La galerie d’écoulement va nous permettre, entre autres avantages considérables, de tâter cette position. On choisira la position des puits sur terre en s’inspirant surtout des facilités à ménager pour leur fonçage. On forera ces puits jusqu’à la base de la craie grise ; on reconnaîtra à nouveau, aux points choisis pour le fonçage, l’épaisseur de la craie ; de là, on percera, en cheminant selon le tracé et le profil de la galerie d’écoulement, mais, quand on aura fait 100 ou 150 mètres de galerie, c’est-à-dire au bout du travail d’une semaine environ, on fera des sondages rayonnant en dessus et en dessous de la craie, pour savoir exactement comment on est placé dans la couche. Huit jours après, on refera des sondages analogues, et ainsi de suite, de huit jours en huit jours, c’est-à-dire tous les 150 ou 200 mètres. Si quelques-uns de ces sondages consécutifs indiquent que l’on se rapproche trop des limites, soit inférieure, soit supérieure de la couche de craie, on infléchira le tracé de façon à se remettre dans les conditions où il faut se placer. La galerie d’écoulement sera plus ou moins sinueuse. Peu importe. Les eaux ne s’y écouleront pas moins ; mais, avant d’attaquer le tunnel proprement dit, on aura ainsi reconnu la couche, et cette reconnaissance se continuera par des rameaux transversaux qu’au fur et à mesure de l’avancement de la galerie d’écoulement, on lancera vers le tunnel, dont on déterminera ainsi par tâtonnemens chaque point d’attaque intermédiaire, de manière que ce point soit exactement à la hauteur où il faut être pour réaliser un bon profil.

En lançant un certain nombre de ces rameaux qui, partant de la galerie d’écoulement, aboutiront à l’axe du tunnel, on constituera autant de chantiers qu’il y aura de rameaux par lesquels on pourra attaquer le tunnel lui-même, bien entendu en le creusant toujours en remontant pour éviter aux ouvriers les venues d’eau qui pourraient survenir. Le nombre des rameaux variera d’ailleurs selon la vitesse de creusement du tunnel ; on aura besoin d’un nombre d’autant moins grand de ces rameaux que la vitesse d’avancement de la galerie d’écoulement sera plus grande ; mais, quel qu’en soit le nombre, on comprend facilement que, grâce à eux et grâce à la galerie d’écoulement, on pourra non seulement tracer le tunnel avec sûreté, mais évacuer rapidement et facilement les déblais qui proviendront de son creusement.

On installera, dans les rameaux comme dans la galerie d’écoulement elle-même, un petit chemin de fer électrique à double voie, à voies de 60 centimètres de largeur, qui prendra les déblais dans le tunnel lui-même, les conduira par les rameaux et par la galerie d’écoulement au fond du puits d’où ils seront ramenés à la surface, à l’aide de machines élévatoires.

Ce ne sera d’ailleurs pas une petite affaire que l’organisation de ces transports, car on n’aura pas à évacuer moins de 4 000 tonnes de déblais par jour, représentant une centaine de trains quotidiens dans chaque sens et un transport de 1 200 voyageurs au minimum, correspondant aux voyages du personnel se rendant aux divers fronts de taille et en revenant. Transporter 4 000 tonnes de déblais et 1 200 voyageurs par jour, à la distance moyenne de transport de 10 kilomètres, représente un trafic que bien des lignes de chemin de fer, même d’intérêt général, envieraient à ce petit chemin de fer souterrain.

Cela n’excédera pas la limite de sa capacité, mais il y aura certainement là, comme dans les mouvemens verticaux de ces déblais et de ce personnel dans le puits d’origine, un problème d’exploitation intensive qui sera très intéressant à résoudre.

On peut espérer, grâce aux progrès industriels réalisés depuis vingt ans, grâce à la méthode que je viens de décrire, grâce aux progrès qu’on ne manquera pas de réaliser dans la machine perforatrice, grâce à l’utilisation de la traction électrique, grâce aux pompes rotatives à grande vitesse actionnées électriquement, grâce aux progrès de détail, tels que l’emploi du téléphone et de la lumière électrique ; on peut espérer, dis-je, que l’exécution de la galerie d’écoulement et du tunnel ne nécessitera pas plus de quatre à cinq ans après l’achèvement des travaux auxiliaires et préparatoires, dont les principaux seront la construction des voies d’accès pour l’évacuation des déblais et le fonçage des puits de grand diamètre, analogues aux puits des houillères.

Il n’est pas douteux d’ailleurs que le fonçage de ces puits sera une des plus grosses difficultés que rencontreront les ingénieurs chargés de la direction des travaux. Mais ces difficultés seront vite vaincues, parce qu’on emploiera les mêmes méthodes qui ont déjà si bien réussi à M. Breton pour le fonçage des deux puits du siège de l’Ouest. On pourra, comme il l’a prévu, avoir recours à la congélation et peut-être à la cimentation, et avec une dépense qui ne dépassera guère 2 à 3 millions par puits, on viendra à bout de l’œuvre entreprise après un délai qui ne sera sans doute pas supérieur à deux ans.

Il est à peine besoin de dire que, du côté anglais, les travaux seront conduits d’une façon tout à fait identique. Les conférences que j’ai eues à ce sujet avec l’illustre ingénieur anglais Douglas Fox, qui a construit le tunnel de la Mersey, plusieurs des tubes métropolitains de Londres, et qui a une expérience toute particulière dans la question des tunnels, conférences dans lesquelles il m’a confirmé son intention d’adopter, du côté anglais, les méthodes que nous préconisons pour le côté français, peuvent donner toutes garanties sur le succès de l’entreprise.

Pour compléter les renseignemens qui précèdent sur la construction du tunnel, il reste à dire, d’une part, quelle sera la section du tunnel lui-même ; d’autre part, comment il sera raccordé aux lignes existantes.

Nous avons dit que la galerie d’écoulement aurait une forme circulaire d’un diamètre de 3 mètres environ. Le tunnel lui-même sera constitué comme les Métropolitains électriques de Londres, avec deux galeries circulaires parallèles de 5m, 50 à 6 mètres de diamètre chacune, distantes de 15 mètres l’une de l’autre, ne réagissant pas, par conséquent, l’une sur l’autre au point de vue de la résistance de la couche, et créant dans cette couche la cause minima de dislocation du fait de la forme circulaire qui est, par excellence, celle de la résistance, aux pressions intérieures ou extérieures. Cette forme circulaire est d’ailleurs pour ainsi dire commandée par la nature des perforatrices agissant par action circulaire aussi. Les deux galeries communiqueraient, en outre, de distance en distance par des rameaux transversaux très rapprochés, tous les 100 mètres par exemple, qui feraient des deux galeries un ensemble en rapport étroit.

En ce qui concerne les raccordemens avec les lignes existantes, les études nouvelles que nous avons faites nous ont montré qu’on pouvait améliorer considérablement les tracés étudiés en 1881 sur le territoire français.

Grâce au nouveau point choisi pour l’entrée du tunnel, un peu au Sud du cran d’Escalles au-dessus du niveau de la mer, la ligne de raccordement se détachera à Beuvrequent de la ligne de Boulogne à Calais, passera tout près de Marquise et aboutira presque en ligne droite à Wissant, joli petit village, bien connu des peintres et en particulier de Jules Breton (le frère de l’ingénieur de la Compagnie française du tunnel). Wissant est situé à peu près à mi-chemin entre le Cap Gris-Nez et le Cap Blanc-Nez. C’est là, au pied du monticule où fut le camp de César s’embarquant pour l’Angleterre, que se placera la gare de douane et de triage commune au chemin de fer sous-marin et au chemin de fer du Nord. C’est là que se fera le rebroussement nécessaire pour le changement des machines, la machine à vapeur du train du Continent venant au fond de l’impasse, la machine électrique venant s’atteler en queue du train qui deviendra la tête, sans manœuvre ou perte de temps.

La partie de voie au jour après la sortie du tunnel ne nécessitera pas des travaux difficiles ou coûteux, sauf le viaduc qui précéderait l’entrée du tunnel et qui serait établi, si, — bien à tort d’ailleurs, — subsistaient les préoccupations militaires[4] qui le faisaient exiger par lord Wolseley, de manière à être battu par les canons d’une flotte maîtresse du détroit. Elle aurait une longueur de 14 kilomètres seulement et ses déclivités ne dépasseront pas 6 millimètres par mètre, de telle sorte que, dans le sens de Paris, on ne rencontrerait nulle part les grandes et longues déclivités de 8 millimètres que l’on rencontre sur la ligne de Boulogne à Calais, à partir de la rampe dite de Caffiers.

Pour les relations avec la Belgique et avec l’Allemagne, un raccordement, exécuté entre la nouvelle ligne et la ligne de Boulogne à Calais, permettra l’acheminement direct des trains au sortir du tunnel vers la direction du Nord.

Du côté anglais, les dispositions analogues seront réalisées et permettront, par conséquent, d’assurer le passage direct des trains entre deux pays, non seulement entre Paris et Londres, mais encore entre tout le Continent et toute l’Angleterre.

La largeur des voies anglaises est, à quelques millimètres près, la même largeur que celles des voies continentales ; les voitures et les wagons pourront par conséquent circuler sans transbordement et, sauf quelques différences dans le gabarit plus étroit de l’Angleterre, qui nécessiteront quelques spécialisations de voitures, les échanges pourront se faire entre l’Angleterre et le Continent comme ils se font aujourd’hui entre les différens pays du Continent, sauf la Russie et l’Espagne qui ont adopté des voies plus larges que les voies ordinaires.


Il reste à indiquer à quelles dépenses conduira cette construction.

La dépense de construction du tunnel a donné lieu à des évaluations très diverses. Il y a une trentaine d’années, lors des premières études, on évaluait la dépense à des chiffres très faibles : un ingénieur français, M. Bergeron, parlait de 125 millions de francs ; un grand ingénieur anglais, M. John Hawskaw, donnait le chiffre de 250 millions. Les études nouvelles donnent à penser que ces chiffres seront dépassés et qu’en tout cas, il est prudent, pour éviter tout aléa, de compter sur une dépense plus importante.

Les ingénieurs anglais, parmi lesquels sir Douglas Fox, avaient estimé la dépense pour la partie anglaise, c’est-à-dire pour la moitié du tunnel, à 6 millions de livres, soit 150 millions, et avaient arrondi à 6 millions et demi de livres, soit 162 millions de francs.

Les entrepreneurs américains, que j’ai eu l’occasion d’entretenir aussi, se font fort avec ces méthodes d’exécuter le tunnel à forfait pour une somme bien inférieure.

Les études que nous avons faites de notre côté nous ont amené à penser qu’il était pourtant prudent de tabler sur un chiffre de 180 millions et, pour tenir compte des imprévus, des intérêts pendant la construction, etc., nous avons cru devoir fixer le chiffre des dépenses à 200 millions pour la partie française. Il nous semble que, pour éviter toute incertitude et tenir compte de tous les imprévus, de toutes les dépenses accessoires, il est sage de compter sur une dépense totale de 400 millions environ. La distance entre gares étant de 54 kilomètres et le tunnel proprement dit ayant une longueur de 48 kilomètres, c’est une dépense de plus de 8 millions par kilomètre de tunnel, qui peut paraître élevée. Mais, dans ces sortes de choses, mieux vaut avoir des surprises agréables que des surprises désagréables.

Il est difficile de rapprocher ce chiffre de dépenses de celles qui ont été faites pour des souterrains exécutés dans des conditions très différentes. Le grand souterrain de 4 kilomètres qui va de la place Valhubert à la gare du quai d’Orsay, a coûté beaucoup moins cher puisqu’il n’est pas revenu à 4 ou 5 millions de francs. Le Métropolitain souterrain de Paris varie de 1 500 000 à 2 millions par kilomètre ; le viaduc métropolitain va jusqu’à 4 millions. Les tunnels du Saint-Gothard, du Simplon, etc., n’ont pas non plus atteint ce chiffre ; mais il faut reconnaître que les travaux se présentent ici dans des conditions tout à fait différentes.

Assurément, très probablement au moins, on ne rencontrera pas, dans le percement du tunnel sous-marin, les difficultés considérables, les dangers même, qu’on a rencontrés dans le percement de tunnels comme celui du Simplon ; on n’aura pas à lutter avec une température très élevée qui rendait le travail des ouvriers très difficile et presque dangereux ; on n’aura pas à lutter avec les véritables trombes d’eau qui ont inondé les chantiers ; on trouvera des terrains beaucoup plus homogènes, plus faciles à percer et plus réguliers, toutes conditions favorables à une exécution plus économique du tunnel.

En revanche, on aura à creuser un tunnel d’une longueur beaucoup plus grande, et on sera en présence de difficultés spéciales pour l’organisation de chantiers d’évacuation des déblais qui seront plus considérables.

Si on trouve des terrains plus homogènes, plus imperméables, plus faciles à percer, une température uniforme de 4 ou 5 degrés au-dessus de zéro, en revanche, on n’aura pas à évacuer, de chaque côté du milieu du détroit, moins de 1 300 000 mètres cubes qu’il faudra porter à une distance d’au moins 10 kilomètres de longueur, et qu’ensuite il faudra élever du fond des puits à l’aide de chaînes à godets pour les transporter loin des chantiers.

Enfin, les sondages divers et nombreux qu’il faudra faire pour reconnaître le terrain et rester dans la couche imperméable donneront lieu à des recherches et à des dépenses qui sont loin d’être négligeables.

Il est possible, pour ne pas dire probable, que les dépenses, à moins d’événemens inattendus, n’atteindront pas le chiffre de 400 millions dont nous venons déparier ; mais nous avons pensé qu’il était prudent de s’y arrêter, afin d’éviter des surprises pénibles.


Nous venons de décrire les procédés d’après lesquels devra se faire le tracé et être réalisée la construction du tunnel. Nous n’ajouterons plus au point de vue technique que quelques mots sur le mode d’exploitation qui doit être envisagé. Nous avons dit que la traction serait électrique entre les deux gares communes à la Société du Tunnel et aux Compagnies terrestres de chemin de fer, Douvres (ou Maxton, tout près de Douvres) pour le côté anglais, Wissant pour le côté français. Emploiera-t-on le système par courant monophasé, biphasé, triphasé ? Les expériences qui se font un peu partout dans le monde fixeront à cet égard la meilleure solution à adopter pour les trains de transit qui parcourront le tunnel. Tout ce qu’on peut dire, c’est que les trains directs entre le Continent et l’Angleterre seront repris par de puissantes locomotives électriques, suffisantes pour leur faire franchir la longueur du chemin de fer sous-marin (54 kilomètres environ) en 40 minutes pour des trains de voyageurs pesant 400 tonnes et plus ; en 1 h. 20 ou 1 h. 30 pour les trains de marchandises pouvant peser 8 à 900 tonnes. Si les besoins de la Douane ne s’y opposent pas, le trajet des voyageurs entre Londres et Paris s’effectuera en 5 heures et demie environ, permettant d’aller de Paris à Londres et de revenir dans la même journée en faisant ses affaires à Londres ou à Paris dans l’après-midi ainsi qu’il se pratique aujourd’hui entre Paris et les grandes villes du réseau du Nord et même Gand, Bruxelles et Liège dont les habitans peuvent venir passer l’après-midi ou vice versa et repartir le soir à des heures qui respectent les habitudes de la vie ordinaire.

Ce ne sera pas le seul progrès dû à l’ouverture du tunnel. Aujourd’hui, les vingt-deux trains qui amènent les voyageurs à Boulogne et à Calais, ou les en ramènent, sont tracés à des heures qui permettent de verser les voyageurs sur 6 paquebots seulement. Le prix de ces paquebots, la dépense d’une traversée simple qui n’est pas inférieure à 2 500 francs sont si élevés, qu’on réduit au minimum le nombre des traversées maritimes et qu’on s’ingénie à faire coïncider les arrivées et les départs des trains de Paris, de la côte d’Argent, ou de la côte d’Azur, de la Suisse, de l’Italie, de la Belgique et de l’Allemagne et par suite à choisir des heures qui ne sont pas toujours très commodes et qui allongent la durée du trajet total.

Avec le tunnel, les trains de toutes directions continueront avec le matériel, sans autre arrêt que pour le changement de machine et le service de la Douane. Ce sera un progrès considérable pour le public. On peut envisager que, si le tunnel était exécuté dans 8 à 10 ans, tout le trafic pourrait être assuré avec une cinquantaine de trains donnant une recette d’une quarantaine, peut-être d’une cinquantaine de millions. Le tunnel à double voie, par son caractère de chemin de transit, sans trafic local intermédiaire, pourra sans difficulté absorber quatre à cinq fois davantage, et cela avec des frais d’exploitation relativement bas, aucune part du trafic ne devant s’égrener en route, tout le trafic étant du trafic à distance entière acquittant la totalité de la taxe correspondant à la totalité des parcours. Il n’y aurait aucune difficulté à envisager le passage annuel d’une dizaine de millions de voyageurs et de pareil chiffre de tonnes de marchandises, sans avoir à se préoccuper des difficultés techniques d’acheminement et d’une utilisation intensive des voies du tunnel, qui deviendrait comparable aux utilisations que le chemin de fer du Nord par exemple réalise couramment sûr ses grandes artères aboutissant à Paris.


LES CONSEQUENCES ÉCONOMIQUES DE L’OUVERTURE DU TUNNEL

Pour beaucoup de gens, le tunnel sous la Manche doit surtout servir à supprimer le mal de mer... ce qui n’est pas déjà si négligeable. Il y a quelques années, le journal Punch publiait une caricature mettant en présence la maritime Albion et le père Neptune. Le père Neptune disait : « Regardez, madame, j’ai toujours été votre protecteur et maintenant j’entends dire que vous avez l’intention de miner mon empire, » et l’Angleterre qui tenait dans sa main un trident, « le sceptre du monde, » répondait : « Eh bien ! le fait est que je désire voir un plus grand nombre de mes amis et que je ne suis jamais très bien quand j’ai eu le mal de mer, »

C’était au fond la pensée qu’exprimait la grande reine Victoria, alors qu’on lui parlait du projet de tunnel et qu’elle répondait : « Vous pouvez dire à l’ingénieur français que s’il parvient à faire cela, je lui donne ma bénédiction en mon nom personnel et au nom de toutes les ladies de l’Angleterre. » Si le tunnel supprime le mal de mer, il aura pour résultat plus important d’augmenter dans des proportions considérables les relations qui existent non seulement entre l’Angleterre et la France, mais encore entre l’Angleterre et le reste du Continent. Les grands tunnels comme ceux du Semmering, comme le Mont-Cenis, le Saint-Gothard, etc., correspondaient à une idée économique d’une portée plus considérable que les tunnels ordinaires. Il s’agissait, non plus de permettre à un chemin de fer de traverser plus ou moins économiquement des obstacles naturels, mais encore de créer des relations entre les deux pays qui en étaient privés. Quand le Semmering a été construit, en 1850, c’était pour relier l’Italie à l’Autriche. Quand le Mont-Cenis fut construit vers 1870, il s’agissait surtout de réunir la France et l’Italie et de faciliter entre elles des échanges qui ne se faisaient guère. Lorsque le Saint-Gothard fut à son tour percé, il s’agissait moins de créer une concurrence au Mont-Cenis que de mettre en relation l’Italie avec l’Allemagne du Nord, comme le Mont-Cenis l’avait mise en contact avec la France. Les tunnels du Simplon et du Loetschberg ont une portée économique moins considérable et ont plutôt pour but de desservir des relations locales très intéressantes et de concurrencer les chemins de fer existans. Le tunnel sous la Manche a, dans un ordre beaucoup plus élevé, ce caractère des tunnels du Mont-Cenis et du Saint-Gothard, puisqu’il est destiné à faciliter non seulement les relations de deux pays comme la France et l’Italie, comme l’Italie et une partie de l’Allemagne, mais à réunir l’Angleterre avec le Continent tout entier. C’est une œuvre qui, par sa grandeur et son importance économique, peut être assimilée aux plus grandes œuvres humaines, telles que le canal de Suez.

En ce qui concerne la France et l’Angleterre seules, une entente cordiale s’est établie, qui est un bienfait pour la paix du monde. Les grands événemens qui se sont produits depuis quelques années, ont fait apparaître clairement l’intérêt supérieur qu’il y avait pour les deux pays à vivre en bonne intelligence et en pleine confiance. La politique, qui a réussi à supprimer entre eux les causes de méfiance et de conflit, a fait ressortir nettement les avantagea d’une entente qui maintient l’équilibre des forces en Europe. Si, au point de vue politique, l’entente a montré son utilité et son efficacité, il s’en faut de beaucoup qu’elle ait encore donné pour la richesse des deux peuples les résultats qu’on est en droit d’en attendre. Examinons brièvement et successivement ce que peuvent être les échanges de voyageurs et les échanges de marchandises.

Dans l’état actuel des choses, le nombre des voyageurs entre la France et l’Angleterre n’est guère, par toutes voies, que de 1 100 000 en 1912. La progression, très lente avant l’entente cordiale, s’est accentuée depuis, mais ce chiffre paraîtra encore bien faible si on le rapproche des 6 millions de voyageurs environ échangés entre la France et la Belgique, l’Allemagne du Nord et la Russie. Si on considère les relations de l’Angleterre avec tout le Continent, on constate que 160 millions d’habitans environ ont donné en 1912 moins de 1 700 000 passagers échangés entre l’Angleterre et les principaux ports de la mer du Nord, de la Manche et de la Baltique.

Le rapport du nombre des voyageurs à l’effectif total de la population n’est guère que de 1 pour 100. Il est presque quadruple entre la France, la Belgique, la Hollande et l’Allemagne. Chez lui, c’est-à-dire dans l’intérieur du Royaume-Uni, l’Anglais fait en moyenne plus de trente voyages par an. Au contraire, en ce qui concerne le passage des Anglais sur le Continent, à supposer que les voyageurs ne comprennent que des Anglais, on ne trouve plus qu’un voyageur par 30 habitans. Si l’Anglais quitte son île un peu plus souvent qu’au temps où existait le pont naturel que formait l’isthme de l’époque quaternaire, ce chiffre ne suffit-il pas à caractériser l’isolement du Continent de la population anglaise, isolement dont la seule explication possible réside dans la barrière de mer créée par des bouleversemens géologiques ? Le jour où cette barrière sera supprimée, où on pourra circuler entre Londres et le Continent comme entre la France et la Belgique, la Hollande et l’Allemagne, le nombre des voyageurs s’augmentera dans des proportions considérables qui, en peu d’années, atteindront le double, le triple et le quadruple du mouvement actuel, et le mouvement d’affaires suivrait une progression analogue.

En ce qui concerne les marchandises, le commerce entre la Grande-Bretagne et la France ne progresse qu’avec une regret- table lenteur. C’est ce que constatait récemment M. Yves Guyot, en comparant le commerce de la France avec l’Angleterre depuis une trentaine d’années, et c’est aussi ce que confirment les statistiques douanières. De 1904 à 1911, dernière année dont les résultats statistiques aient été publiés par le directeur général des Douanes, le commerce général entre la France et l’Angleterre est passé de 2 219 millions à 2 923 millions, en progression de 30 pour 100, soit en moyenne de 4,2 pour 100 par an[5]. Pendant cette même période, notre commerce avec l’Allemagne passait de 1 177 millions à 2 035 millions, en progression de 60 pour 100, soit en moyenne de 8,5 pour 100 par an.

Ces chiffres font apparaître nettement l’influence qu’exerce la facilité des communications sur le développement des rapports commerciaux. Et cependant, comme le disait notre éminent ambassadeur à Londres, M. Paul Cambon, la nature a doté magnifiquement, mais de façon différente, les deux pays de France et d’Angleterre. N’ayant ni les mêmes qualités de sol, ni les mêmes productions, ni le même climat, ils peuvent se compléter en prenant l’un chez l’autre ce qui manque à chacun d’eux.

J’ajouterai qu’il en est ainsi parce que les deux pays sont sur le même méridien, et que, pour aller de l’un à l’autre, on va du Nord au Sud ou du Sud au Nord au lieu d’aller de l’Est à l’Ouest ou de l’Ouest à l’Est. Comme le disait M. Cambon, la nature travaille en quelque sorte automatiquement à favoriser nos échanges et, pourtant, nous constatons que, tant au point de vue des voyageurs qu’au point de vue des marchandises, les échanges sont loin d’avoir l’importance qu’ils devraient avoir entre deux pays si riches, si intelligens et, si j’osais me servir de cette expression, si complémentaires.


LES CONSÉQUENCES POLITIQUES DU TUNNEL

Il ne nous reste plus que quelques mots à dire sur les conséquences du tunnel au point de vue politique et militaire. A ce double point de vue, il ne semble pas que le dogme de l’insularité et de l’isolement puisse continuer longtemps encore à s’opposer à l’entreprise. Ainsi que l’écrivait avec sa haute autorité M. Paul Leroy-Beaulieu dans l’Économiste Français du 30 août 1913 : « Ici interviennent des faits nouveaux, qui sont favorables au tunnel : l’un, c’est le développement de l’aviation, qui portera prochainement une atteinte chaque jour plus sensible à la complète insularité et au splendide isolement de la Grande-Bretagne.

« L’autre fait, qui n’est pas strictement nouveau, mais qui s’est considérablement développé depuis vingt ou trente ans, c’est le péril immense que court la Grande-Bretagne, en cas de guerre maritime, d’être privée de ses approvisionnemens de nourriture, d’être littéralement affamée. Un certain nombre de corsaires résolus pourraient détruire ou entraver et arrêter la flotte marchande, qui apporte à l’Angleterre les vivres quotidiens dont elle a absolument besoin.

« Avec sa population toujours croissante, qui s’élevait à 45 365 599 habitans sur une surface de territoire inférieure aux trois cinquièmes du territoire français, soit 314 628 kilomètres carrés, le Royaume-Uni ayant à nourrir environ deux fois plus d’habitans au kilomètre carré que ne l’a la France, ne peut produire directement sa consommation alimentaire ; il faut qu’il se la procure dans le reste du monde, par voie d’échange, d’autant que les Anglais sont de beaucoup plus gros consommateurs que les Français. Aussi l’Angleterre importe-t-elle une quantité prodigieuse de produits alimentaires : ainsi, en 1911, environ 6 millions de tonnes de blé ou farine (118 628 696 cwt), 1 900 000 tonnes de maïs (38 239307 cwt), 400 000 tonnes de riz (8 161253 cwt), 2 15 000 tonnes de beurre (4 267195 cwt), 120 000 tonnes de fromage (2 391770 cwt), 415 000 tonnes de bœuf frais ou réfrigéré, 270 000 tonnes de mouton, 215 000 tonnes de lard ou jambon,. 150 000 tonnes d’autres viandes, et 150 000 tonnes de pommes de terre, etc.[6].

« C’est ainsi une dizaine de millions de tonnes au moins d’articles d’alimentation que l’Angleterre fait venir régulièrement de l’étranger et faute des apports desquels elle peut être tout aussi bien affamée que Paris le fut au cours de l’année 1870-1871.

« C’est là le plus gros risque actuel auquel est exposée l’Angleterre en cas de guerre : l’arrêt des apports de nourriture dont elle a impérieusement besoin. Le tunnel sous la Manche la mettrait à couvert de cet énorme risque : les produits alimentaires lui arriveraient par la voie du tunnel ; alors même que l’on supposerait la France engagée dans la même guerre que la Grande-Bretagne, la France aurait toujours ses relations libres avec l’extérieur, sinon par la voie de l’Allemagne et de l’Italie, puissances tripliciennes, du moins par la voie de la Belgique et surtout de la Suisse, pays neutres, et plus encore de l’Espagne, à laquelle trois voies ferrées, dont l’une toute centrale, la rattachent ou vont la rattacher. »

D’un autre côté, si les circonstances conduisaient l’Angleterre, comme il y a cent ans, à envoyer un corps expéditionnaire sur le Continent, soit pour protéger des indépendances menacées, soit pour secourir un allié et maintenir l’équilibre européen, ces forces expéditionnaires pourraient être transportées sans inquiétude par le tunnel, sans immobiliser une partie de la flotte à la protection des transports. Enfin, comme l’écrivait sir Arthur Conan Doyle dans un article très intéressant et très remarqué publié dans The Fortnightly Review : « Si, malgré son invraisemblance, une attaque soudaine était tentée et si les forces du pays paraissaient insuffisantes, un renfort franco-anglais pourrait être amené du Continent. Les Allemands ont fait le canal de Kiel en prévision de la guerre. Notre réponse doit être le canal sous la Manche qui nous liera davantage à notre alliée. »

Au double point de vue politique et militaire, l’exécution du tunnel sous-marin est une œuvre de sécurité nationale en même temps que d’influence politique dans le concert européen.

Aussi, pouvons-nous espérer que l’Angleterre ne fera pas attendre trop longtemps son adhésion à cette grande œuvre dont les conséquences commerciales, économiques, politiques et militaires seront très considérables. L’isolement ne convient pas plus aux nations qu’aux individus. Les peuples ont tout intérêt à se connaître, à se comparer, à se pénétrer. C’est la plus sûre garantie de leur développement matériel, intellectuel et moral et, nous pouvons peut-être le dire, de leurs sentimens pacifiques.


ALBERT SARTIAUX.

  1. La députation était composée des membres du Parlement ci-après : MM. Arthur Fell, Russell Rea, O’Connor, James Parker, Charles Schwann, Bart, Rawlinson, William Bull, colonel Yate, major Dalrymple, White, William Byles, Gershom, Stewart, Arthur Lynch, John O’Connor, Cecil Beck, colonel Greig.
  2. Voyez, dans la Revue du 15 août 1892, la Traversée de la Manche, par M. J. Fleury et, dans la livraison du 1er juin 1904, la Traversée du Pas de Calais, par M. Charles Lenthéric
  3. Le capital de cette Société formé de 400 parts était fourni pour moitié par la Compagnie du Chemin de fer du Nord, pour un quart par MM. de Rothschild frères, et pour un quart par une trentaine de personnes appartenant à d’importantes maisons de banque ou industrielles et par quelques personnalités scientifiques.
    Le Comité qui représente cette Société et qui n’a jamais été dissous est aujourd’hui composé de la façon suivante :
    Comité : MM. Caillaux (Joseph) ; Demachy ; Griolet (V. P.) ; Johnston (Raoul) ; Leroy-Beaulieu ; Mirabaud (Gustave) ; Raoul-Duval (Maurice) ; Raoul-Duval (René) (A.-D.) ; Sartiaux (Albert) ; Schneider (Paul) ; Vernes (Félix).
    Sous-Comité de direction : MM. Griolet (V. P.) ; Raoul-Duval (René) (A. D.) ; Leroy-Beaulieu ; Sartiaux (Albert).
    M. Breton (Ludovic), ingénieur de la Société.
  4. Nous n’insisterons pas sur la vanité du risque d’invasion qui, non fondé il y a quelque vingt ans, doit être regardé comme absolument chimérique. L’ennemi que redoutait lord Wolseley est devenu l’ami et, dans l’état de l’Europe, rien ne fait prévoir que l’entente cordiale soit destinée à disparaître. En fût-il autrement, peut-on admettre qu’un long boyau comme le tunnel, sans voies de dégagement à l’arrivée, sans quais de déchargement, pourrait donner passage à un corps de troupe un peu important comprenant non seulement des hommes, mais du matériel ? Peut-on supposer que, par un coup de main, une troupe d’hommes peu nombreuse, si déterminée fût-elle, pourrait se rendre maîtresse des trois forts qui, à 1 200 mètres, à 1 600 mètres et à 3 200 mètres pourraient être édifiés et battre l’entrée du tunnel dont le débouché a été étudié au fond d’un vallon d’où elle serait dominée par les trois forts ? Enfin le tunnel, tel qu’il est conçu avec ses 54 kilomètres de longueur, ne pourrait recevoir des locomotives à vapeur qui n’y respireraient pas ; on a prévu la traction électrique qui pourrait être réalisée avec deux usines ; l’usine anglaise alimentant les trains venant de France, l’usine française alimentant les trains venant d’Angleterre. La simple coupure du câble d’alimentation rendrait la traction impossible et suffirait à elle seule pour empêcher l’ennemi de pénétrer en Angleterre, d’atteindre la tête du tunnel, puis de conquérir Douvres et ses forts et de s’y établir pour envahir l’Angleterre.
    Si on veut bien peser tout cela, songer à la variété et à la puissance des moyens à l’aide desquels on peut interdire l’accès du tunnel ; si on veut bien se rendre compte de l’impossibilité de transporter en Angleterre même une faible troupe sans risquer de la faire anéantir aussitôt, on comprendra l’opinion exprimée par le célèbre maréchal de Moltke qu’il ne faut pas faire le tunnel, qui ne pourrait pas servir à attaquer l’Angleterre, mais qui serait funeste à l’Allemagne en cas de conflit.
  5. Il n’est pas inutile de faire remarquer que, sur les 12 543 000 tonnes de marchandises échangées en 1911 entre la France et l’Angleterre, il y avait 10 152 000 tonnes de houille, qui d’ailleurs continueront à prendre la voie maritime et seulement 2 millions et demi de marchandises diverses dont une partie prendra la voie du tunnel. Faute de moyens de communication et d’entrevues fréquentes, on se réduit au strict nécessaire.
  6. Ces chiffres sont tirés par M. Leroy-Beaulieu de The Statesman’s Yearbook, 1912, p. 81. Il considère le cwt ou quintal britannique, pour la conversion en tonnes, comme valant 50 kilogrammes ; sa valeur est exactement de 50k, 802.