Le Véritable Métropolitain/Le véritable Métropolitain

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J. Michelet (p. 9-34).



LE
VÉRITABLE MÉTROPOLITAIN


La question du chemin de fer Métropolitain s’impose pour Paris.

Nombre de projets ont été présentés, cherchant à éviter les difficultés nombreuses et sérieuses, que comporte la solution du problème.

Aucun n’a, jusqu’à présent, paru répondre efficacement aux besoins à satisfaire, parce que :

D’une part, la question technique est difficile à résoudre, en raison des conditions présentées par le parcours de Paris ;

Que d’une autre, on s’est plus préoccupé d’un mode de transport quelconque, que des satisfactions à donner à la population parisienne. Condition, cependant, qui domine la question et qui m’est apparue avant tout comme une nécessité.

Ceci posé, disons que le nom de Métropolitain n’est pas la dénomination vraie à employer pour les projets jusqu’ici mis en avant. Cette appellation n’est, en effet, pour eux, qu’une simple imitation de celle donnée à Londres au chemin de fer souterrain.

À Londres, ce nom, au début, était applicable. Il est naturel qu’il se soit perpétué, car la première création avait pour but d’amener vers la Cité, c’est-à-dire vers la métropole, qui constitue un monde à part, la circulation.

À Paris, les choses ne sont plus identiques. Elles diffèrent, au contraire, absolument.

Il n’y a plus, en effet, comme à Londres, ce vaste courant, qui, le matin, se dirige sur la Cité, pour en être ramené le soir ;

Il n’y a pas l’afflux de gens d’affaires, qui, tout le jour, viennent vers la Banque et les grandes institutions de crédit ou de commerce existantes dans la Cité ;

Il n’y a pas, non plus, cette vaste surface que couvre Londres, et qui force la population à se centraliser et à se disséminer soir et matin.

Nos usages, ici, sont différents ; nous n’avons pas, nous, d’aussi grands centres d’attraction. Par suite, la circulation est à peu près partout active dans Paris. Pour la servir utilement, il faut dès lors se pénétrer de cette condition absolument inéluctable, qu’il est nécessaire de disséminer en tous sens les moyens de locomotion et non de les faire converger vers un seul point.

Pour finir sur ce sujet par une comparaison rapide, disons qu’à Londres c’est une concentration et une décentralisation absolues qui s’opèrent chaque jour ; tandis qu’à Paris c’est un épanouissement, pour ainsi dire permanent de la population, qu’il faut savoir favoriser. Le but à atteindre est, par suite, complètement différent.

Ce ne sera donc pas avec les trajets souterrains, forcément limités par la difficulté de leur construction et le coût en résultant, que satisfaction sera donnée aux besoins du public ;

Ce ne sera pas non plus avec les projets aériens présentés par divers ingénieurs, que le problème sera mieux résolu.

Quelques-uns de ces projets, et les plus préconisés, ont surtout en vue une ou deux trajectoires entre les grands quartiers.

Or ceci n’est pas résoudre la question.

Il faut, pour la trancher, rappelons nous le, non seulement toucher les nœuds de grande circulation ; mais en même temps atteindre tous les quartiers, même les plus excentriques, qui doivent être, eux aussi, compris dans les facilités de circulation données au public.

D’autres projets établissent leurs tracés dans l’axe même de nos rues.

Mais la nécessité de rencontrer des voies suffisamment larges pour permettre l’établissement de lignes vraiment utiles restera un obstacle. En tous cas, ces lignes gêneront toujours par leurs assises, leurs pieds droits, la circulation urbaine.

Celle-là, il faut, avant tout, la satisfaire. Si pour cela nous voulons désencombrer nos rues, ne commençons pas par les obstruer.



Puisque nous voulons imiter, au moins par l’appellation, nos voisins les Anglais, faisons comme eux, respectons d’abord ce qui existe.

Or, il ne faut pas l’oublier, les omnibus et les tramways rendent de très grands services. Le méconnaître serait être injuste.

Ces services ne sont pas, je le sais, aussi complets qu’on pourrait le désirer.

Ce résultat négatif tient, moins à la nature des véhicules employés, qu’au mode d’action établi maintenant, lequel n’est autre que le développement naturel des errements acceptés lors de la création, et plus tardivement de la réfection de ce genre de circulation.

En effet, quand on a établi les premières lignes d’omnibus, on s’est évertué à chercher les voies populeuses, on a été conduit à allonger les parcours.

Ceci était alors rationnel, puisqu’il s’agissait de recueillir le plus de voyageurs possible, de rendre par suite l’entreprise meilleure.

Mais la conséquence de ce premier état de choses a été fâcheuse. Elle a habitué le public à perdre un temps précieux, et d’autant plus considérable que plus tard, en augmentant la capacité des voitures, on a espacé les départs, ce qui a nui considérablement à la rapidité de la circulation.

Cette perte de temps est beaucoup plus importante qu’elle n’apparaît tout d’abord. Il est bon de l’analyser.

En comptant :

1o Avec les détours 3 minutes.
2o La vitesse réduite 5   —
3o Le temps des correspondances 5   —
4o L’espacement des départs 6   —
5o Le contrôle des bureaux 3   —
Temps moyen, que l’on peut appliquer  
à chacune de ces causes d’arrêts. ——
On trouve que : 22 minutes

sont ainsi inutilement employées par voyage.

Pour ne pas être taxés d’exagération, admettons seulement 15 minutes en moyenne.

Ceci paraît peu de chose.

Cependant, si on applique ce quantum au mouvement quotidien dans Paris, on est effrayé en voyant la masse de temps ainsi perdue par sa population, laquelle, étant réputée la plus intelligente du monde, doit être, par conséquent, la plus avare de ses instants.

Un calcul simple peut nous permettre de préciser la valeur de la perte ainsi causée à tous.

Ce calcul, le voici :

Laissant de côté la période de l’Exposition, qui est exceptionnelle, il y a eu, ces dernières années, dans Paris, une circulation d’au moins 260 millions de voyageurs.

Multipliant ce chiffre par 15 minutes et le divisant par la durée d’une journée ordinaire de travail, soit 600 minutes, on trouvera que dans ces conditions, c’est un total de 6 millions et 500.000 journées, qui sont ainsi annuellement perdues pour l’activité parisienne. En estimant à 5 francs la moyenne de chaque journée, c’est une somme de 32 millions de francs qui disparaît ainsi de la fortune publique.

On comprend qu’à notre époque, où le prix du temps se montre, chez tous les peuples éclairés, comme étant la première des valeurs, celle qui est née avec nous, qui, par suite appartient forcément à tous, on comprend, dis-je, combien une semblable perte est fâcheuse.

Dès lors surgit la nécessité d’obvier à cet ordre de choses, et précisément la question du Métropolitain arrive opportune pour permettre d’y remédier.

Mais il y a Métropolitain et Métropolitain. Or j’ai dit, et je vais le démontrer, que le seul vrai, le seul réellement utile, c’est celui qui se combine avec un rayonnement complet d’omnibus.

Là est l’unique solution. Et pour, dès à présent, la synthétiser en quelques mots, je dis que ce qu’il convient de faire, c’est de refondre le plus grand nombre des lignes actuelles d’omnibus et de tramways en des services plus complets, plus actifs, les faisant en même temps converger avec un chemin de fer central, traversant tout Paris, qui sera alors et par conséquent le véritable Métropolitain.


Ces préliminaires posés, voici comment nous comprenons la solution du problème.

Sur toute la longueur de la Seine, dans son axe, et dans toute la traversée de Paris, serait établie, à six mètres au-dessus des ponts, une quadruple voie ferrée.

Cette installation serait formée par un immense viaduc à treillis, suffisamment large, reposant de cent mètres en cent mètres sur deux ou trois piliers.

La planche I, placée en tête de cette brochure, montre dans son ensemble, comme dans quelques-uns de ses détails, la voie métropolitaine ainsi combinée.

L’espacement de chaque série de piles varierait nécessairement à chaque pont, chacun d’eux devant naturellement se trouver dans l’axe d’une arche de la voie nouvelle, mais sans être touché par elle.

Cette combinaison aurait l’avantage de n’obstruer, ni la circulation des rues, ni celle des ponts, ni celle de la navigation. Le cours de l’eau ne serait pas non plus contrarié ; car les piliers supportant l’ouvrage, prendraient moins de place dans le lit de la rivière, que les piles et retombées de voûtes des ponts existants. (Voir la planche 1re).

Aucune maison ne serait obscurcie ou gênée, le fleuve étant assez large, pour que les édifices, bordant ses quais, soient très éloignés de la voie projetée.

Quant à la physionomie générale de Paris, elle ne serait pas altérée. L’art de l’ingénieur est assez avancé aujourd’hui pour savoir harmoniser un semblable travail avec la vaste trouée formée par la Seine. Sa construction serait donc en rapport avec les exigences de grandeur comportées par la capitale.

Enfin, nulle question d’expropriation ne surgirait pour l’intérieur de la ville.

Nous avons dit que quatre voies seraient établies sur la superstructure du viaduc ainsi formé.

Sur ces quatres voies : deux seraient réservées à la grande circulation, deux aux besoins urbains.

En ce qui concerne la grande circulation, le viaduc, sortant à chaque extrémité de Paris, se relierait aux six grands réseaux existants.

Les lignes de l’Ouest (rive gauche et rive droite), celles d’Orléans, de Lyon, y viendraient naturellement.

Celles du Nord et de l’Est semblent, à première vue, moins favorisées.

Mais, si l’on examine la carte des environs de Paris, page 47, on voit, que la Seine, à son entrée en ville, arrive par le Nord-Est.

Profitant de cette circonstance, il devient possible, par un raccordement de quelques kilomètres, de faire arriver ces lignes au même point que celle de Lyon, et par conséquent de les relier à la voie métropolitaine.

Sept gares : Ivry, Bercy, Pont de Sully, Pont-Neuf, Concorde, Alma, Point-du-Jour, permettraient à tous les trains venant de n’importe quelle contrée, de déverser leurs voyageurs dans toute la traversée de Paris.

Le problème, si désiré, de la pénétration en ville des trains de voyageurs venant de la province et de l’étranger, se trouverait donc ainsi largement résolu.

La ligne parisienne partirait, elle, de Billancourt pour aller à Alfortville et réciproquement.

Les trains se succèderaient de trois minutes en trois minutes.

Vingt-six stations seraient établies pour le service des voyageurs urbains et de la banlieue.

Le prix serait de dix centimes pour n’importe quel point du parcours.

Des premières pourraient être établies à vingt centimes.

Pour celles-ci seulement on délivrerait des billets. Les places ordinaires se paieraient en passant aux tourniquets compteurs.

Aux gares extrêmes se trouveraient des embranchements correspondant, par la ceinture, avec la banlieue de Paris.

Tout cet ensemble constituerait la voie véritablement métropolitaine.

Reste à envisager maintenant la circulation complémentaire dans les rues mêmes de la capitale. C’est ce service essentiel, négligé dans les autres projets, qui m’a préoccupé. C’est lui qui doit compléter le réseau et être, à la ligne métropolitaine, ce que les artères et les vaisseaux capillaires sont à l’aorte dans la circulation du sang. C’est lui, en un mot, qui doit être l’agent disséminateur par excellence.

Pour donner satisfaction à cette partie de la question, il partirait, de chaque station de la voie ferrée, en ligne aussi directe que possible et opposée, deux omnibus ou tramways. L’un irait vers la périphérie droite de la ville, l’autre vers la périphérie gauche.

Paris serait ainsi sillonné par au moins vingt-deux doubles lignes parallèles, aboutissant toutes aux gares du chemin de fer de ceinture ; lignes, qui auraient des départs toutes les trois ou cinq minutes et se croiseraient avec celles des boulevards intérieurs et extérieurs.

Par suite de ces facilités, les correspondances seraient supprimées, aussi les bureaux et leur personnel. Nous verrons plus loin que cette simplification peut se faire sans léser les intérêts, assurément fort respectables, des employés.

Le prix serait uniforme, soit dix centimes sur l’impériale comme dans l’intérieur.

Pour faire la perception et simplifier le service, ce qui serait nécessaire avec l’immense circulation qui naîtrait de ce système de transport, on paierait en montant.

Il suffirait pour cela, que le public sût qu’on ne rendra pas de monnaie.

À première vue, ce système pourra paraître un peu draconien. Si l’on considère les précédents, on verra, au contraire, qu’il n’y aura là nulle difficulté.

Le public s’est vite habitué à l’affranchissement des lettres.

Aux expositions, il sait ainsi payer.

Disons enfin, qu’en fait, il aura beaucoup moins de peine à se précautionner de monnaie, qu’à aller, ainsi qu’il y est astreint maintenant, piétiner dans la boue pour chercher un carton de correspondance.

À New-York on opère encore plus simplement.

Un tronc en cristal est placé dans l’omnibus. Le voyageur paie en montant. C’est le public qui lui-même surveille le paiement. Et il le fait régulièrement, car chacun sait, là-bas, que faciliter un service public, c’est obtenir de plus grands avantages pour tous.

Il en sera de même ici. On comprendra vite que, grâce à cette uniformité de taxe apportée par le véritable Métropolitain, de nombreux avantages surgiront pour les voyageurs.

Et en effet, plus de guichets, plus de billets à aller chercher, plus de temps perdu. Chacun portera en sa poche son ticket sous la forme d’une pièce de 2 sous jetée en passant. Et voilà la population de Paris, si pressée, si enfiévrée, qui trouvera enfin toutes barrières tombées devant son activité.

Est-ce que ce n’est pas là encore ce que veut le progrès en semblable matière ?

Tout ceci étant expliqué, il devient facile de comprendre les immenses facilités qui seront données au public, au moyen du vaste ensemble de circulation que je viens de décrire.

1o Il se croiserait, comme je l’ai expliqué, avec les lignes transversales déjà établies : boulevards intérieurs, boulevards extérieurs ;

2o Il rejoindrait toutes les gares de ceinture ;

3o En un mot, il couvrirait tout Paris, n’y laissant pas un coin qui ne soit accessible.

Ce ne serait plus alors 260 millions de voyageurs, qui seraient transportés, mais un nombre beaucoup plus considérable. Et en effet, dès qu’on ne prendra que 10 centimes par parcours isolé, et qu’on trouvera rapidement et aisément de la place, les plus petits trajets se feront en voiture.

Là est la solution vraie du problème de la circulation dans Paris ; la seule qui puisse donner satisfaction à la population, celle à laquelle on reviendra forcément plus tard, si ce projet n’est pas accepté présentement.

À l’appui de cette affirmation, qu’il me soit permis de citer un fait personnel.

Il y a 33 ans (en 1858), j’avais proposé à la ville l’emploi de l’air comprimé pour distribuer dans tout Paris la force motrice, le froid, à domicile.

Je fus repoussé par l’administration, qui ne vit pas là, alors, un progrès utile.

Aujourd’hui ce progrès est accompli. Mais c’est à un étranger, M. Popp, que l’administration a accordé le privilège, refusé au début à l’inventeur, qui, lui, était français.

Je n’entends pas ici faire un procès de tendance à M. Popp, qui n’est d’ailleurs pas responsable de cette situation. J’entends seulement constater un précédent et dire : que si le projet que je présente est aujourd’hui refusé, avant trente ans, l’envahissement des gares, déjà débordantes les jours fériés, (voir la gare de l’Ouest) les besoins de circulation qui s’accentueront, la nécessité d’une voie centrale pour les lignes de province, forceront à ouvrir les yeux et à voir que la Seine est la seule percée, qui reste libre, pour centraliser, véhiculer, disperser par des moyens accessoires, l’immense besoin d’action qui régit et régira de plus en plus la capitale.



Voyons, maintenant, le côté économique de la question. Considérons d’abord la voie ferrée.


Le trajet à parcourir en ville est d’environ 12 kilomètres, ci 12 kilomètres.
Celui des approches en dehors des fortifications, de 5 kilomètres.

Ensemble 17 kilomètres.


D’après une évaluation sommaire, le coût de chaque kilomètre doit être estimé de 10 à 12 millions.

Admettons ce dernier chiffre, puisqu’il est le plus élevé.

Ce sera donc pour 17 kilom. 204,000,000 fr.

Ajoutons à cela :

Construction des gares 15,000,000 fr.
Voies de raccordement avec les lignes de province, environ 36,400,000 fr.

Nous trouverons pour l’ensemble 255,400,000 fr.

Ce coût est assurément élevé.

Mais il s’agit de Paris, ville exceptionnelle, et dans laquelle on ne peut appliquer les prix de construction des voies ferrées ordinaires.

Du reste, si nous considérons celui des chemins de fer souterrains proposés, celui des chemins de fer aériens dans les rues également proposé, nous verrons, que tous, avec de bien moindres avantages, reviendront à un prix infiniment plus élevé.

À l’appui de ceci, rappelons que les dernières voies du Métropolitain de Londres ont coûté dans la Cité jusqu’à quarante millions par kilomètre. C’est dire jusqu’où peut conduire l’imprévu dans ces sortes de travaux.

Le réseau d’Omnibus et de Tramways, que la Compagnie actuelle des Omnibus est d’autant plus apte à établir qu’elle est déjà organisée et qu’une vaste exploitation est nécessaire à cet état de choses, demandera très probablement un capital de 150 millions. Mais ce capital existe en très grande partie, représenté, qu’il est, par le matériel de la Compagnie existante.

Admettons qu’il se fonde avec celui nécessité par la construction du véritable Métropolitain, ce serait un capital total de 406 millions, dont il faut trouver le rapport. Il est déjà fourni, en partie, par le trafic actuel des omnibus.

Nous devons admettre qu’avec la circulation réalisée comme il vient d’être expliqué, le chiffre des voyageurs sera augmenté en de telles proportions, que nous serions conduits, nous le verrons plus loin, à transporter 925 millions de voyageurs ; ce qui, avec la progression naturelle de 3 1/2 0/0 existant annuellement dans les transports, nous amènera en deux ans à un milliard de voyages.

Cette estimation n’est pas forcée, par la raison simple, que les correspondances étant supprimées, il y aura beaucoup plus de voyageurs ; et que, d’autre part, les facilités données de tous côtés amèneront à voyager plus fréquemment.

Un exemple de cette situation est fourni par les bateaux-omnibus. Quand ils prenaient 20 à 25 centimes, les voyageurs étaient peu nombreux ; quand ils se sont réduits à 10 centimes, leur trafic est devenu considérable. En fait, il faut qu’il ait au moins triplé, pour que cette administration ait eu avantage à maintenir un prix réduit de 50 0/0.

Le bénéfice, par voyageur, sera beaucoup plus grand avec le nouvel état de choses, que maintenant, par la raison simple que, les correspondances étant supprimées, tous les frais de locations de bureaux, d’employés, etc., etc., n’existeront plus ; qu’ensuite la traction, faite par des moyens meilleurs, coûtera moins cher.

En résumé, on peut estimer le bénéfice être, non pas de 50 à 60 0/0 comme dans les chemins de fer, mais de seulement 33 0/0, sans préjudice des 32 millions perdus annuellement par le public en temps, et qui seront regagnés, au grand profit de l’activité des affaires.

Or, ce bénéfice sera vite dépassé ; car l’augmentation normale de la circulation apportera une augmentation constante des gains, tandis que les frais généraux progresseront dans une proportion beaucoup moindre.

En ces conditions, ce sera, pour une recette brute de 100,000,000 de francs : 33,500,000 fr. de bénéfices, soit 8,25 0/0 du capital engagé ; étant admis, que ce capital comporterait le rachat de la Compagnie d’Omnibus et de ses privilèges, ce qui constituerait, rappelons-le, un actif déjà considérable.



Dans ce qui précède, j’ai esquissé à grands traits l’étude du véritable Métropolitain.

Je vais maintenant discuter les objections que l’exposé du projet aura pu faire naître.

La première objection a trait au coup d’œil général de la Seine.

Il est facile de répondre à cette objection.

Ce côté de la question préoccupe si peu, à notre époque, que, non seulement on a garni d’arbres nos quais, mais encore qu’on en plante sur la berge même de la Seine. Cette disposition fait que la ramure de ceux placés ainsi en contre-bas vient justement boucher les échappées laissées par les plantations supérieures.

C’est donc un rideau de verdure, qu’on substitue au coup d’œil général de la Seine, et personne ne se plaint de cet état de choses.

Du reste, si, aux divers âges, cette question avait aussi largement préoccupé, il n’aurait pas été possible de donner aux habitants, lors du développement des cités, les facilités nécessaires.

Ainsi, à Paris, il n’aurait pas fallu bâtir autour de Notre-Dame, pour n’en pas dissimuler les lignes grandioses.

Il n’aurait pas fallu enclaver la Sainte-Chapelle, ce modèle exquis de l’art du moyen âge. Il n’aurait pas fallu construire les ponts et les quais ; les anciens bacs ayant l’avantage de ne pas rompre les lignes du fleuve et de lui laisser sa primitive beauté.

En un mot, il faudrait faire céder les nécessités de la vie au seul besoin de la contemplation.

Ceci ne peut être, du moins en proportion aussi exclusive. D’autant mieux qu’il est facile de combiner les choses de telle façon que satisfaction soit donnée aux exigences de luxe, de grandeur, d’une ville comme Paris, mais aussi aux besoins de sa population.

La deuxième objection, et la plus importante de toutes, est relative à la traversée de la place de la Concorde.

Là, il ne faut pas se le dissimuler, gît la plus grande difficulté du projet.

La place de la Concorde est assurément la plus belle du monde ; il faut donc absolument, que rien ne vienne altérer sa splendeur. Il faut, de plus, que l’œil, en rencontrant l’horizon, ne puisse s’arrêter que sur des constructions en rapport avec la Madeleine et les bâtiments l’encadrant. Il faut, enfin, que MM. les Membres de la Chambre des Députés conservent la vue qui se déroule actuellement devant leur Palais.

Deux moyens se présentent de résoudre la question.

Le premier consiste à passer au niveau du pont de la place de la Concorde, lequel deviendrait une station principale, et à dériver la circulation générale par deux autres ponts en contre bas, jetés à

Figure 1. — Vue de la gare de la Place de la Concorde.
gauche et à droite de celui de la Concorde ; ponts auxquels on accèderait par des rampes monumentales habilement ménagées et en harmonie avec la décoration générale de la place.

Le nivellement de la Seine et de cette partie des quais permettrait cette inflexion de la ligne métropolitaine sans employer de pentes anormales.

Elle reprendrait au pont des Invalides et au pont Royal son niveau général.

Bien entendu le passage du pont de Solférino ne serait pas affecté par cet état de choses, qui doit avant tout respecter ce qui est le Paris actuel.

Le deuxième moyen consisterait à établir sur le pont de la Concorde une gare absolument monumentale, digne en un mot de tout ce que l’art de l’ingénieur, comme le savoir de nos artistes, peut concevoir de grand.

La planche 1re, qui nous présente un plan panoramique du véritable Métropolitain, nous laisse voir la gare de la Concorde telle qu’elle pourrait être établie, de manière à donner satisfaction à toutes les exigences que nous venons de signaler. La figure 1re ci-contre reproduit cette gare.

En étudiant cette planche 1re, il est, en effet, facile de constater que, sous le rapport de la décoration, du luxe, tout peut être combiné de façon à harmoniser le progrès à réaliser avec les magnificences existantes dans Paris. Cette gare, jetée en travers du pont de la Concorde comme le pont des Soupirs sur un des canaux de Venise, laisserait sous elle une large ouverture, qui, tout en permettant la circulation, prêterait de nouveaux effets à la perspective.

Cette ouverture ne serait plus comme à Venise de quelques mètres. Elle aurait une envergure d’au moins cinquante mètres de largeur sur six de hauteur. Par suite de cette ampleur, tout le péristyle de la Chambre des Députés serait dégagé.

La vue, pour MM. les Députés, ne serait donc pas obstruée et de ce chef nulle objection ne peut surgir.

Quant aux parties élevées du Palais, la place de la Concorde serait, c’est vrai, cachée pour elles. Mais elles ne comportent pas de jours, simplement des pierres, il n’y a donc pas à s’attacher à cette circonstance.

La façade de la gare du côté du Corps législatif étant identique à celle de la Concorde, l’harmonie voulue, entre cette façade et celle de la gare la regardant, serait conservée.

L’ensemble resterait donc complet, soit du côté de la Concorde, soit du côté du Palais législatif.

De plus, comme l’indique la planche 1re, il y aurait assez d’espace entre les deux monuments pour que ni l’un ni l’autre ne soient écrasés.

Il convient de faire remarquer que, la gare de la Concorde étant une gare principale, MM. les Députés, ainsi que le personnel administratif de la Chambre trouveraient, dans la présence de cette gare, d’extrêmes facilités de circulation, soit pour Paris, soit pour les environs, soit pour la province.

En résumé, au lieu des lignes un peu abaissées du Palais législatif, qui limitent au sud la place de la Concorde, nous aurions dans ce cas un bâtiment élevé, beaucoup plus riche, qui, par des escaliers monumentaux serpentant au milieu de balustres, de candélabres, de décorations élégantes, se trouverait, des deux côtés de la Seine, relié avec les quais.

L’imagination cherchera vainement une plus belle situation, une occasion plus appropriée de décoration. Et, si le véritable Métropolitain n’était pas, avant tout, une œuvre utilitaire, on pourrait dire (laissant de côté le modèle présenté, qui peut être modifié en bien des sens), qu’il conduit à l’une des plus belles et des plus grandioses créations qu’il soit donné à l’homme de réaliser.

Loin donc de redouter, au point de vue de l’esthétique, la construction du véritable Métropolitain, il faut l’appeler avec ardeur ; car il y a là une œuvre considérable à accomplir, digne de notre époque de progrès, digne de tous les talents appelés à l’embellir.

Disons à ce sujet que MM. Noel et Sollier, dont les œuvres statuaires sont connues de tout le monde, ont bien voulu nous prêter leur concours pour indiquer le parti, au point de vue artistique, qu’il est possible de tirer d’une semblable construction.

Si maintenant nous voulons examiner le reste du projet dans sa traversée de Paris, considérons la figure 2, ci-après, et reportons-nous pour l’ensemble à la planche 1re en tête de la brochure.

Cette figure 2 nous montre, en élévation, un tronçon du viaduc traversant Paris. On voit, par la hauteur des personnages figurés sur le quai, que ni la vue de la Seine, ni celle des quais opposés, ne serait en rien cachée pour le promeneur.

Figure 2. — Vue du viaduc traversant Paris.


La planche 1re d’ensemble déjà désignée nous présente, à vol d’oiseau, une partie de ce même viaduc. Elle permet de comprendre comment il peut s’établir dans l’axe de la Seine et dans toute la longueur de Paris, sans gêner qui que ce soit et quoi que ce soit.

Dans l’angle supérieur de cette planche nous retrouvons en élévation la gare de la Concorde, si l’on admet l’établir ainsi. Dans l’angle inférieur de la même planche se trouve le tracé d’une des 22 gares à établir sur chacun des ponts de Paris. La fig. 3 d’autre part reproduit l’une de ces gares.

La vue d’ensemble, ainsi présentée, démontre que la construction du véritable Métropolitain, dans aucun de ses détails, ne déparera en rien la capitale ; que toujours, au contraire, elle pourra s’allier aux conditions d’élégance et de luxe nécessaires à Paris ; qu’en somme, c’est une immense gare, rayonnant sur le

Fig. 3. — Vue d’une des gares du véritable Métropolitain.
monde entier, ayant pour longueur le développement des quais, qu’il s’agit de créer au centre même de la ville, apportant là une vie, une activité sans précédents.

Les autres objections, que nous avons à traiter, sont d’un ordre plus secondaire. Nous y répondrons succinctement.

L’une d’elles est relative aux courbes formées par la Seine. En étudiant à fond la question, on se rend compte que le plus petit rayon sera de 435 mètres. Dans un précédent projet, adopté par l’Administration, on avait admis un rayon minimum de 200 mètres. Donc point d’inconvénients.

Une autre objection est relative à l’établissement des piles dans le lit du fleuve.

Disons d’abord, que le plafond de la Seine est des plus favorables à ce genre de travail. Ainsi, tandis qu’à Kehl, sur le Rhin, il a fallu fonder les piles à 20 mètres de profondeur au-dessous de l’étiage, le pont au Change n’a exigé, lui, que 4 mètres.

L’écartement des piles a été indiqué, dans l’exposé précédent, être de 100 mètres environ. Cette dimension est nécessairement variable, car l’espacement irrégulier des ponts force à prendre aussi des écartements différents.

Ce qu’il importe seulement de noter, c’est qu’une envergure de 75 à 100 mètres n’a rien d’extraordinaire aujourd’hui pour de semblables travaux. Le pont de Kuilenburg, sur le Lek, possède une arche de 150 mètres d’ouverture. Sans aller jusqu’à l’amplitude présentée par le pont de Forth, qui est de 521 mètres, disons que bien d’autres travaux présentent des dimensions analogues.

Les merveilles de l’Exposition de 1889, telles que la grande nef de M. Contamin et autres constructions, nous ont habitués à toutes les hardiesses de la science appliquée. Disons donc que, de ce côté, de grandes facilités nous sont laissées, sans pour cela toucher au domaine de l’imprévu.

Pour en finir avec cette question de piles, ajoutons que tantôt elles seront au nombre de deux, tantôt au nombre de trois, de façon à coïncider avec l’axe des piles des ponts existants. De cette façon le lit de la Seine ne sera pas obstrué. La navigation trouvera en effet partout de larges chenaux, qui assureront sa circulation, puisque les piles présenteront entre elles des écartements de 100 mètres environ, ce qui permettra l’évolution en tous sens de toutes espèces de bateaux. (Voir la planche 1re).

Étudions maintenant les avantages apportés par le véritable Métropolitain, et, tout à la fois, livrons-nous à une étude comparative entre les résultats par lui rendus possibles et ceux présentés par les autres projets.

En ce faisant, nous aurons occasion de répondre à d’autres objections qu’il est dès lors inutile de traiter ici spécialement.