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Le Val de Brix/XIV

La bibliothèque libre.
Le Val de Brix (1880)
Fleurs de FranceAlfred Mame et fils (p. 86-87).

XIV

ÉPILOGUE


Six siècles ont presque effacé les traces du château d’Adam. Les descendants des barons de Brix ont donné à l’Écosse son plus grand roi, Robert Bruce, et les Stuarts eurent pour aïeule sa fille Marjory, femme de Robert II.

Les archives du Cotentin font mention d’un don assez considérable fait en 1286 à l’abbaye de Saint― Sauveur par Guillaume du Hommet, connétable de Normandie, et sa femme Luce de Brix, qui avait hérité de son grand-père, le baron Adam de Brix. Cette donation fut plus tard confirmée par leurs fils, Guillaume et Richard. Les bois qui entourent l’ancien prieuré de la Luthumière, transformés en ferme, s’appelaient encore, il y a trente ans, la forêt au Connétable. Du château féodal de la Luthumière il ne reste rien que les traces des travaux faits jadis pour en inonder les approches en cas de siège, et quelques souterrains envahis par les eaux. La faux du temps et le niveau révolutionnaire ont anéanti la plupart des forteresses construites jadis par les compagnons de Rollon et de Guillaume le Conquérant, et il faut de patientes recherches pour retrouver, dans les traditions populaires ou les travaux des archéologues, quelques souvenirs de ces barons de Brix, jadis si puissants et si fiers. Seule l’Église, gardienne vigilante des gloires de la patrie, maintient ses traditions, les garde vivantes ou les ranime. À la voix d’une pauvre religieuse, l’abbaye de Saint-Sauveur s’est relevée de ses ruines, et la tombe du bienheureux Thomas de Biville est encore un lieu de pèlerinage. À Brix, sa statue est placée dans le chœur de l’église, non loin d’une madone de bois qui remonte au temps des croisades. L’église actuelle de Brix a été construite avec les pierres du château d’Adam, et l’if gigantesque qui l’abrite a certainement vu passer le cortège nuptial de Luce de Brix et le bienheureux Thomas Hélie.

Et tandis qu’à Cherbourg rien ne rappelle aux générations présentes les rois, descendants de saint Louis, qui firent élever cette digue, saper cette montagne, creuser ce port, travaux admirables dont un autre usurpa l’honneur parce qu’il en permit l’achèvement ; tandis que pas un monument n’y porte le nom de Louis XVI, et n’y conserve le souvenir des adieux du roi qui donna l’Algérie à la France, l’image du bienheureux Thomas de Biville se voit dans toutes les chaumières du Cotentin, et les fleurs de lis exilées restent sur l’image populaire comme un mémorial de la noble France d’autrefois, comme un gage d’espérance et la promesse d’un avenir meilleur.