Le Vieux banc (Verhaeren)

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Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 209-210).


LE VIEUX BANC


Voici le banc de bois, près des roses trémières,

Où le soleil, par les après-midi légers,
Est bon à boire et à manger
Comme du pain et du vin de lumière.

Il est luisant et vieux ; il semble las ;
Il domine la route et les plaines, là-bas,
Où respirent dans l’or les blés hauts et fragiles.
La Lys, avec ses joncs que foule un vent agile,
Avec ses bateliers et ses chalands,

S’en va, mirant au loin les hameaux blancs.


La faux des moissonneurs brille dans la campagne ;
Un bruit de moulin d’eau sourdement accompagne
Des pas que l’on entend sonner sur un chemin ;
Oh ! le vieux banc, près des roses et des ormins,

En a-t-il écouté de lentes causeries,
Quand se parlaient, entre eux, le soir, les vieux fermiers !

Ils se disaient les nids qu’abritaient leurs pommiers,
Le foin mouillé qui s’échauffait dans les prairies,
Et la taupe que trois taupiers n’ont pu saisir,
Si folle était sa route avec tous ses méandres.
Ils discutaient quel grain il leur fallait choisir
Pour qu’un seigle meilleur ornât le sol de Flandre ;
À quel quartier de lune il importait semer,
Ou bien greffer la plante, ou bien planter le chêne ;
Ils auguraient, souvent, de la saison prochaine
Et du temps du mois d’août d’après les jours de mai.

Ainsi devisaient-ils près des roses trémières,
À sourde voix et s’appuyant sur le banc vieux,
Tandis que lentement les obliques lumières
Allongeaient vers la nuit leur ombre au-devant d’eux.