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Le Vigneron dans sa vigne/L’Homme dinde

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Le Vigneron dans sa vigneMercure de France. (p. 195-197).



L’HOMME DINDE


À force d’observer le vol de ses dindes, Jacques Feï se dit un jour :

— Qui m’empêche de voler aussi ? Ce n’est pas malin quand on a des ailes, et si je veux, une de mes bêtes me prêtera les siennes.

Mais il s’exerça d’abord à battre l’air de ses bras, tellement vite qu’il faisait autour de lui du vent et de la poussière.

Quant aux pieds, ils marcheraient d’eux-mêmes et Jacques s’en servirait comme un nageur.

Puis il cassa les deux ailes d’une dinde qui allait bientôt crever, et les ayant solidement fixées à ses coudes, il commença de prendre son essor.

Il courait et bondissait à travers le pré, au milieu des dindes folles, dont l’une, mutilée, tournoyait, rouge de sang, et parfois il se laissait tomber sur le derrière, pour voir.

— Ça va, dit-il, maintenant je peux me risquer.

Il choisit un vieux saule au bord de la rivière. On y grimpait sans peine par les nœuds du tronc, et la tête ébranchée se découvrait ainsi qu’une petite plateforme naturelle.

En bas, la rivière trouble semblait dormir d’un sommeil profond, et par de légers plis vite effacés, sourire à des rêves.

— Si je manque mon premier coup, se dit Jacques, il ne m’arrivera que de prendre un bain, et j’aurai, ma foi, bien à souffrir d’une chute au creux de ce bon lit.

Il était prêt.

Les dindes glouglotantes allongeaient le col vers lui, et la dinde aux ailes brisées finissait de se mourir dans une touffe d’herbe.

— Une ! dit Jacques debout sur le saule, les coudes écartés, les talons réunis, les yeux aux nuages qu’il rejoindrait peut-être.

— Deux ! dit-il encore, avec une longue aspiration.

Sans dire trois, résolument se jeta dans l’air, entre le ciel et l’eau, Jacques Feï qui gardait les dindes et qu’on n’a pas revu.