Le Vigneron dans sa vigne/Le Coq

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Le Vigneron dans sa vigneMercure de France. (p. 219-221).
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LE COQ


I

Chaque matin, au saut du perchoir, le coq regarde si l’autre est toujours là, — et l’autre y est toujours.


II

Le coq peut se vanter d’avoir battu tous ses rivaux de la terre, — mais l’autre, c’est le rival invincible, hors d’atteinte.


III

Le coq jette cris sur cris : il appelle, il provoque, il menace, — mais l’autre ne répond qu’à ses heures, et d’abord il ne répond pas.


IV

Le coq fait le beau, gonfle ses plumes, qui ne sont pas mal, celles-ci bleues, et celles-là argentées, — mais l’autre, en plein azur, est éblouissant d’or.


V

Le coq rassemble ses poules, et marche à leur tête. Voyez : elles sont à lui ; toutes l’aiment et toutes le craignent, — mais l’autre est adoré des hirondelles.


VI

Le coq se prodigue : il pose, çà et là, ses virgules d’amour et triomphe, d’un ton aigu, de petits riens ; — mais justement l’autre se marie et carillonne à toute volée ses noces de village.


VII

Le coq jaloux monte sur ses ergots pour un combat suprême ; sa queue a l’air d’un pan de manteau que relève une épée. Il défie, le sang à la crête, tous les coqs du ciel. — mais l’autre, qui n’a pas peur de faire face aux vents d’orage, joue en ce moment avec la brise et tourne le dos.


VIII

Et le coq s’exaspère jusqu’à la fin du jour. Ses poules rentrent une à une. Il reste seul, enroué, vanné, dans la cour déjà sombre, — mais l’autre éclate encore aux derniers feux du soleil, et chante, de sa voix pure, le pacifique angélus du soir.