Le Virgile travesti (éd. 1786)/À la Reine

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À LA REINE.


Madame,


Je promets à VOTRE MAJESTÉ, dès le commencement de mon épitre, qu’elle en verra bientôt la fin, et c’est peut-être ce qu’elle en trouvera de meilleur. Dieu me fasse la grâce de lui tenir parole y et que l’honneur que j’aurai d’entretenir la plus grande Reine du monde, ne me transporte pas assez pour me faire oublier qu’elle a bien d’autres choses à faire qu’à lire une épitre dédicatoire. Lorsque j’ai fait dessein de dédier mon livre à V. M. j’ai cru que je ne pouvois être pauvre de pensées en un si riche sujet, et que j’allois dire les plus belles choses du monde : et toutefois, MADAME, après avoir longtems fatigué ma rhétorique, j’ai trouvé que pour être venu des derniers, j’étois réduit à servir d’écho à ceux qui avoient parlé avant moi, et que ces beaux esprits n’ayant pas même oublié la vieille histoire du Roi de Perse, qui remercia un paysan qui lui présenta un verre d’eau de riviere, il ne me restait plus rien à ajouter, sinon qu’ils n’ont tous rien dit à la louange de V. M. qu’elle n’en mérite, et que je ne m’en imagine davantage. On me reprochera sans doute, que j’ai donc tort de me taire : mais une matière si haute s’imagine bien plus aisément qu’elle ne s’exprime, et je la dois laisser à traiter aux écrivains héroïques, qui sans doute auront besoin de tout leur Apollon pour en sortir à leur honneur ; car pour moi, humble petit faiseur de vers burlesques que je suis, et poète a la douzaine, je ne me mêle que de faire quelquefois rire, encore faut-il qu’on en ait plus grande envie que moi, qui seroit le plus chagrin de tous les hommes sans les bienfaits de V. M. et sans l’honneur que j’ai d’avoir une charge en sa maison. Cette charge n’est pas véritablement des plus importantes, mais elle est bien des plus difficiles à exercer ; et je pense sans vanité m’en être assez dignement acquitté, pour oser prier V. M. d’ajouter à l’honneur d’être son malade, celui d’être son poète burlesque. Pourquoi non, si je suis assez heureux pour avoir fait un livre qui lui plaise ? Et pourquoi ne lui plaira-t-il pas, puisque la moindre guenon peut quelquefois divertir l’esprit du monde le plus relevé ? Si mon Ænéide fait rire votre Majesté seulement du bout des lèvres, et que le fils d’Anchise ait assez plaisamment masqué ce carnaval pour la divertir, il paraîtra tous les mois sous de nouveaux masques jusqu’à la fin de l’année, qu’il épousera l’infante de Lavinium, C’est une belle et bonne princesse des meilleures maisons d’Italie ; et si la plus grande Reine de l’Europe assiste, aux noces de cette Reine de village, je n’aurai plus à me plaindre ni de la maladie, ni de la fortune, et je me trouverai sain et content dès le moment que j’aurai plû. Il ne faut qu’un souris pour faire ces deux grands miracles, etjai sujet d’espérer MADAME, que VOTRE MAJESTE, me faisant des biens plus solides, ne refusera pas ce souris à l’homme du monde qui est le plus,


MADAME,


Votre très-humble, très-obéissant ; très-obligé, et très-malade serviteur et sujet,
Scarron,
Malade de la reines