Le Volcan d’or/Partie II/Chapitre 7

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Bibliothèque d’éducation et de récréation (p. 331-344).


VII

UNE COMPLICATION INATTENDUE.


Malgré les difficultés de la route, il ne fallut pas plus de deux heures à Ben Raddle et aux siens pour franchir la distance qui les séparait du Golden Mount. Tous, sans échanger un mot, absorbés dans la contemplation du but qu’ils allaient enfin atteindre, marchaient aussi vite que le permettait la nature du terrain. Ils semblaient attirés par la montagne comme par un énorme aimant.

Il n’était pas trois heures lorsque la caravane s’arrêta au pied du volcan, dont le Rio Rubber contournait la base, à l’Est, et dont l’océan Glacial battait au Nord les dernières assises.

Contrée absolument déserte. Ni au delà de la montagne vers l’Ouest, ni du côté des bouches de la Mackensie, on n’apercevait un village indigène, ou un groupe de ces Indiens qui parcourent le littoral. Au large, pas une embarcation, pas une voile de baleinier, pas une fumée de steamer. Et, cependant, c’était l’époque à laquelle les mers septentrionales sont fréquentées par les pêcheurs de cétacés ou les chasseurs de phoques. Fallait-il en conclure que personne, en cette région lointaine, n’avait devancé Ben Raddle et ses compagnons, et que Jacques Ledun était le seul qui eût poussé ses recherches jusqu’à l’embouchure de la Mackensie, le seul par conséquent qui eût constaté l’existence du Volcan d’Or ?

Le gisement, s’il existait, appartenait bien, en tous cas, à Ben Raddle, à titre de premier occupant. Personne n’ayant pris avant lui possession du Golden Mount, aucun poteau n’en délimitant la concession, nul n’aurait désormais le droit d’intervenir, et l’administration canadienne ne pourrait exiger aucune redevance.

Ce fut au pied du flanc de l’Est, séparé du Rio Rubber par un bois de bouleaux et de trembles, que le Scout établit son campement, à moins d’une demi-lieue du littoral. L’eau douce et le bois ne manqueraient donc pas.

Au delà, se développaient, vers l’Ouest et le Sud, de vastes plaines verdoyantes, semées de bouquets d’arbres, qui, de l’avis de Summy Skim, devaient être assez giboyeuses.

L’installation s’organisa rapidement sous la direction de Bill Stell. Les tentes furent dressées à la lisière du bois. La carriole et les chariots trouvèrent place dans une clairière, et l’on mit à paître dans les prairies voisines les mules entravées. À des places judicieusement choisies, on établit des postes de grand’garde, les abords du campement devant être, par prudence, surveillés jour et nuit, bien qu’il ne semblât pas qu’aucun danger fût à craindre, si ce n’est peut-être de la part des ours, hôtes habituels des territoires du Dominion.

Personne ne doutait, d’ailleurs, que l’exploitation du Golden Mount ne fût de courte durée. Le temps de puiser au trésor accumulé dans le cratère et d’en charger les chariots, et l’on repartirait immédiatement. Ni pic, ni pioche à employer, aucun lavage à faire. L’or, d’après les dires de Jacques Ledun, existait là sous forme de poudre ou de pépites libres, tout le travail préparatoire ayant été fait, et depuis longtemps, par les prospecteurs de Pluton.

Ben Raddle ne serait exactement fixé à cet égard qu’après avoir fait l’ascension de la montagne, et lorsqu’il aurait reconnu la disposition du cratère dans lequel, d’après Jacques Ledun, il était facile de descendre.

Bill Stell fit à ce propos une observation qui ne manquait pas de justesse :

« Monsieur Ben, dit-il, lorsque le Français vous a révélé l’existence du Golden Mount, ne vous a-t-il pas parlé d’un volcan éteint ?

— En effet, Bill.

— Il l’avait, je crois, gravi jusqu’au sommet ?

— Oui. Et même il avait visité le cratère. Mais, depuis cette époque, les forces éruptives ont eu le temps de se réveiller.

— Il n’y a pas lieu d’en douter, répondit le Scout, puisque des volutes de fumée s’élèvent en ce moment de la montagne. Je me demande si, dans ces conditions, le cratère ne va pas être inaccessible.

Ben Raddle avait pour sa part déjà réfléchi à cette éventualité. Il ne s’agissait plus d’un volcan éteint, mais d’un volcan endormi seulement, et qui se réveillait.

— C’est possible, en effet, répondit-il, mais ce contretemps peut aussi avoir son bon côté. Pourquoi une éruption ne nous épargnerait-elle pas du travail, en vidant le Golden Mount des pépites qu’il renferme ? Nous n’aurions alors qu’à les ramasser au pied de la montagne. Demain, lorsque nous aurons fait l’ascension, nous agirons suivant les circonstances. »

La surveillance du campement fut organisée par le Scout, mais la nuit ne fut pas troublée, si ce n’est par quelques lointains grognements d’ours, qui ne s’aventurèrent pas jusqu’au Golden Mount.

Dès cinq heures tous furent sur pied.

L’imagination aidant, Summy Skim ne contemplait tout de même pas sans quelque intérêt ce fameux Golden Mount.

« Sais-tu à quoi je pense, Ben ? demanda-t-il à son cousin.

— Non, Summy, répondit Ben Raddle. Mais je le saurai quand tu me l’auras dit.

— Probable, Ben. Eh bien ! je pense que, si notre oncle Josias avait fait une pareille découverte, il serait retourné dans son pays frayer avec les milliardaires du nouveau monde, au lieu de mourir au Klondike… ce qui nous aurait évité d’y venir.

— Le destin ne l’a point voulu, Summy, et cette chance échoit à ses neveux…

— Dont l’un, tout au moins, n’a jamais poussé l’ambition jusque-là… même en rêve !

— Entendu, Summy. Mais enfin, puisque nous avons tant fait que d’atteindre les rivages de la mer Arctique, tu ne trouveras pas mauvais que nous tâchions de revenir le gousset bien garni, et, par gousset, j’entends nos chariots et notre carriole chargés d’or à se rompre.

— Ainsi soit-il ! accorda Summy. Pourtant, te le dirai-je ? j’ai beau examiner cette montagne sous toutes ses faces et me répéter qu’elle est de taille à elle seule à humilier l’Australie, la Californie et l’Afrique réunies, je n’arrive pas à être impressionné. Pour moi, elle n’a pas l’air assez coffre-fort.

— À ce compte-là, Summy, il faudrait, pour te satisfaire, que le Golden Mount ressemblât aux caisses de la Banque.

— Je n’y verrais pas d’inconvénient, Ben, surtout si le caissier était à son poste, prêt à m’ouvrir la porte.

— Nous nous passerons de lui, affirma Ben Raddle, et nous saurons bien forcer la serrure.

— Hum !.. » fit Summy d’un air dubitatif en considérant le sommet empanaché du volcan.

N’en déplaise à Summy Skim, le Golden Mount était un mont comme tous les autres. Ses mille pieds d’altitude dominaient le littoral, et de la base, mesurant, autant qu’on en pouvait juger, environ deux kilomètres de circonférence, ses flancs s’élevaient en pente très raide jusqu’au plateau qui couronnait le sommet. Il affectait donc la forme d’un cône ou plus exactement d’un cône tronqué.

La raideur des pentes allait sans doute en rendre l’ascension malaisée. Mais, enfin, cette ascension ne devait pas être impossible puisque Jacques Ledun avait pu arriver jusqu’au cratère.

Le flanc le plus perpendiculaire était celui qui regardait le large, et il ne fallait pas songer à attaquer le volcan par son versant nord, que la mer battait directement. Aucune roche n’émergeait au pied de la montagne, dont la paroi verticale aurait mérité le nom de falaise si elle eût été composée de matières crayeuses ou blanchâtres et non de noirâtres substances éruptives. La première chose à faire était donc de décider par quel côté du Golden Mount on essaierait d’atteindre le sommet. Jacques Ledun n’ayant donné aucun renseignement à ce sujet, Ben Raddle et Bill Stell quittèrent le campement établi dans l’angle formé par le Rubber et le flanc de l’Est, et contournèrent la base du volcan, afin de procéder à un examen préliminaire.

Le talus paraissait gazonné d’une herbe courte semée de touffes ligneuses qui pourraient servir de point d’appui aux ascensionnistes. Mais, dans la partie supérieure, ce gazonnage faisait place à une sorte d’humus sombre, peut-être une couche de cendres et de scories. Les deux prospecteurs ne relevèrent, d’ailleurs, aucune trace d’une éruption récente.

Rentrés au campement, Ben Raddle et le Scout firent connaître le résultat de leurs recherches. Ce serait par le flanc de l’Ouest, dont la pente était moins accusée, qu’il conviendrait d’effectuer l’ascension.

Le déjeuner, hâtivement dévoré, on se prépara au départ. Sur le conseil de Bill Stell, on décida d’emporter quelques provisions, et les gourdes furent remplies de gin et de whisky mêlés d’eau dans une proportion convenable. On se munit également d’une pioche, de piquets et de cordes, qu’il y aurait peut-être lieu d’employer sur les rampes trop raides.

Le temps était favorable à cette tentative. Une belle journée s’annonçait. De rares nuages poussés par une légère brise du Nord ne faisaient que modérer les ardeurs du soleil.

Neluto ne suivait pas les ascensionnistes. Avec le personnel, il garderait le campement, dont il ne s’éloignerait sous aucun prétexte. Bien que le pays parût être tout à fait désert, il convenait de ne point se départir d’une sévère surveillance.

Ben Raddle, Summy Skim et le Scout se mirent en route vers huit heures, accompagnés de Jane Edgerton, qui avait voulu à toute force prendre part à l’expédition, et tous quatre longèrent l’assise méridionale du mont afin de gagner le versant de l’Ouest.

De la dernière éruption — et à quelle époque remontait-elle ? — on ne rencontrait aucun indice, le long de cette base. Pas la moindre trace de matières éruptives et notamment de la poussière d’or qu’elles devaient, au dire de Jacques Ledun, contenir en si forte proportion. Fallait-il en induire que les excreta du volcan avaient tous été projetés du côté de la mer et gisaient sous les eaux profondes baignant le littoral ?

« Que nous importe ? répondit Ben Raddle à Bill Stell, qui faisait cette remarque. Il est incontestable qu’il n’y a pas eu d’éruption depuis la visite de Jacques Ledun. C’est l’essentiel. Les pépites qu’il a vues, nous les verrons aussi. »

Il était près de neuf heures lorsque les quatre ascensionnistes s’arrêtèrent à la base du versant ouest.

Le Scout prit aussitôt la tête, et la montée commença. Au début, la rampe était relativement douce, et les herbes prêtaient au pied un solide appui. Il ne fut donc pas nécessaire de recourir aux piquets et aux cordes. Bill Stell, d’ailleurs, avait la pratique des montagnes. Un sûr instinct le conduisait, et il était si vigoureux, si rompu aux exercices de ce genre, que ses compagnons avaient peine à le suivre.

« Voilà ce que c’est, disait Summy Skim, un peu essoufflé, que d’avoir traversé vingt fois les passes du Chilkoot ! Ça vous donne des jambes de chamois et des jarrets d’acier. »

Toutefois, après le premier tiers de l’ascension, un chamois, lui-même, eût peut-être été embarrassé. Les ailes d’un vautour ou d’un aigle n’eussent pas été de trop.

L’ASCENSION SE CONTINUA DE PLUS EN PLUS DIFFICILE. (Page 339.)

La pente était devenue telle, alors, qu’il fallut s’aider des genoux, des pieds et des mains, et s’accrocher aux maigres touffes d’arbustes. Bientôt, l’emploi des piquets et des cordes s’imposa. Le Scout se portait en avant, plantait un piquet entre les herbes, et déroulait la corde à l’aide de laquelle les autres se hissaient jusqu’à lui. On agissait avec une extrême prudence, car toute chute eût risqué d’être mortelle.

Vers onze heures, les ascensionnistes étaient parvenus à la moitié du versant. On fit halte afin de reprendre haleine, et l’on but quelques gorgées aux gourdes, après quoi on recommença à ramper le long des talus.

Bien que les forces souterraines fussent en action, ainsi que le prouvaient les vapeurs couronnant la cime du volcan, aucun frémissement ne faisait trembler ses parois, aucun ronflement ne se faisait entendre. De ce côté, sans doute, l’épaisseur était trop considérable, et il était à supposer que la cheminée du cratère s’ouvrait plutôt dans la partie nord, à proximité du rivage de la mer.

L’ascension se continua, de plus en plus difficile à mesure qu’on s’élevait, toujours possible cependant. Et d’ailleurs, ce que Jacques Ledun avait fait, pourquoi le Scout et ses compagnons ne le feraient-ils pas ?

La montre de Ben Raddle marquait exactement midi treize lorsque les ascensionnistes se trouvèrent réunis sur la section de cône qui formait le plateau du mont.

Tous plus ou moins éreintés s’assirent sur les roches de quartz qui entouraient ce plateau, d’une circonférence de trois à quatre cents pieds environ. À peu près à son centre s’ouvrait le cratère, d’où s’échappaient des vapeurs fuligineuses et des fumerolles jaunâtres.

Avant de se diriger vers cette cheminée, Ben Raddle et ses compagnons, tout en reprenant haleine, observèrent le vaste panorama développé devant leurs yeux.

Vers le Sud, le regard parcourait les plaines verdoyantes que la caravane venait de traverser, et s’arrêtait aux lointaines ondulations derrière lesquelles Fort Mac Pherson commandait la contrée environnante.

Vers l’Ouest, le littoral de l’océan Arctique se dessinait en une suite de grèves sablonneuses, et, dans l’intérieur des terres, apparaissait la masse sombre d’une vaste forêt, distante d’une lieue et demie environ.

À l’Est, au pied du Golden Mount, s’entremêlait le réseau hydrographique de l’estuaire de la Mackensie, dont les multiples branches s’épanchaient dans une large baie défendue par un archipel d’îlots arides et d’écueils noirâtres. Au delà, la côte se relevait droit au Nord, terminée par un promontoire, sorte de morne colossal qui fermait l’horizon de ce côté.

Au Nord du Golden Mount, à partir de la falaise verticale dont la base disparaissait sous les eaux, la mer n’avait d’autre limite que la ligne géométrique du ciel.

L’atmosphère purifiée, nettoyée par la brise, était alors d’une parfaite clarté. La mer étincelait sous les rayons du soleil.

Le rivage était désert. Aucun pêcheur, étranger ou indigène, ne se montrait, bien que les bouches de la Mackensie soient riches en mammifères marins et en amphibies de plusieurs espèces.

Mais il n’en était pas ainsi au large. La lunette aidant, le Scout signala quelques voiles et quelques fumées qui se détachaient sur l’horizon septentrional.

« Ce sont des baleiniers, dit-il, qui viennent du détroit de Behring. Dans trois mois, ils reprendront la même route en sens inverse. Les uns relâcheront à Saint-Michel à l’embouchure du Yukon, les autres à Petropolawsk du Kamtchatka, sur la côte d’Asie, puis ils iront vendre dans les ports du Pacifique les produits de leur pêche.

— N’en est-il pas qui vont jusqu’à Vancouver ? demanda Summy Skim.

Jane Edgerton demeurait immobile au bord du cratère. (Page 343.)

— En effet, répondit Bill Stell, mais ceux-là ont tort, grand tort, car il est bien difficile de retenir les équipages, et la plupart des matelots désertent pour se rendre au Klondike. »

Ce n’était que trop vrai. La proximité des mines d’or affole littéralement ces matelots, qui reviennent pourtant d’une pénible campagne. Aussi, pour les sauver de l’épidémie, les capitaines baleiniers évitent-ils autant que possible les ports de la Colombie anglaise et préfèrent-ils ceux du continent asiatique.

Après une halte d’une demi-heure, dont ils avaient grand besoin, Ben Raddle et ses compagnons se mirent en devoir de visiter le plateau du Golden Mount. C’était, non point au centre, comme ils l’avaient cru, mais dans la partie nord-est que se creusait le cratère, dont l’orifice mesurait de soixante-quinze à quatre-vingts pieds de circonférence. En ayant soin de se tenir au vent, afin d’échapper aux tourbillons de fumée âcre qui s’en échappaient, ils purent s’approcher jusqu’à l’extrême bord et plonger leurs regards dans l’intérieur du gouffre.

Tout concourait à rendre de plus en plus vraisemblable l’histoire racontée par Jacques Ledun. Le cratère se creusait en pente douce, et la descente eût été des plus aisées sans les gaz irrespirables qui en interdisaient maintenant l’entrée.

La poudre d’or dont le sol était semé confirmait encore les dires du Français. Mais cette poudre impalpable, toute mélangée de terre et de scories, ne pouvait donner qu’un profit dérisoire au regard du prodigieux amas de pépites que l’on était venu chercher si loin.

« Il est évident, dit Ben Raddle, que Jacques Ledun ne s’est pas heurté à l’obstacle qui nous arrête. Quand il est venu ici, le volcan était complètement endormi, et il a pu, sans danger, descendre au fond du cratère. Attendons que le mouvement éruptif se calme, que les vapeurs se dissipent, nous y descendrons à notre tour, et nous y puiserons à pleines mains comme il y a puisé lui-même.

— Et si les vapeurs ne se dissipent pas, demanda Summy Skim, si toute descente est impossible ?

— Nous attendrons encore, Summy.

— Nous attendrons… quoi ?

— Que l’éruption fasse ce que nous n’aurons pu faire, et qu’elle rejette les matières contenues dans les entrailles du Golden Mount.

C’était, en effet, le seul parti qu’il fût possible d’adopter, bien qu’il ne manquât pas de sérieux inconvénients. Pour des gens qui n’auraient pas eu à compter avec le temps, qui auraient pu affronter la terrible saison froide aux embouchures de la Mackensie comme à Dawson City, oui, ce parti était tout indiqué. Mais, si les choses traînaient en longueur, si avant deux mois et demi le volcan n’était pas retombé dans le sommeil ou s’il n’avait pas de lui-même vidé son trésor de pépites, ne serait-on pas contraint de quitter le campement, de battre en retraite vers le Sud, où l’on arriverait juste pour être bloqué par l’hiver ?

Cette pensée, les quatre prospecteurs l’avaient, mais chacun d’eux l’accueillait selon son tempérament particulier.

Bill Stell souriait dans sa barbe d’une manière un peu narquoise. C’était une fameuse leçon pour lui. Après avoir résisté tant d’années à la contagion de l’or, il s’y était laissé prendre à son tour, et voilà quel résultat il obtenait ! Il était guéri du coup ; et, revenu à sa philosophie ordinaire, il envisageait son échec avec sérénité, en se disant qu’il n’en pouvait pas être autrement dans le métier de prospecteur.

Jane Edgerton, les sourcils froncés, demeurait immobile au bord du cratère, les yeux fixés sur l’amas de vapeurs tourbillonnantes qui s’en échappaient. Elle constatait qu’il est des cas où l’énergie et la décision sont insuffisantes, et elle s’irritait d’être arrêtée par des forces naturelles contre lesquelles sa volonté était impuissante.

Summy Skim était le plus malheureux de tous. Passer un nouvel hiver dans la capitale du Klondike ! Il ne pouvait songer à cette éventualité sans frémir.

Ce fut lui qui répondit à son cousin :

— C’est parfaitement raisonné, Ben, mais à la condition qu’il y ait une éruption. Or, y aura-t-il une éruption ? Tout est là. Ne trouves-tu pas que ce volcan est bien calme ? Il ne rejette pas de cendres, pas le plus petit caillou. On n’entend pas la moindre détonation. Il fume, à coup sûr, mais il fume en silence, et j’en ferais autant, ma parole ! Cela ne te donne-t-il pas à penser ?

Ben Raddle eut un geste évasif.

— Nous verrons, » dit-il.

Après une station de deux heures sur le plateau, les ascensionnistes commencèrent à dévaler les flancs du Golden Mount. Une heure suffit à la descente. Avant trois heures de l’après-midi Ben Raddle et ses compagnons, passablement fatigués mais sains et saufs, étaient de retour au campement.

Dès qu’ils furent seuls, Summy, poursuivi par son idée fixe, s’approcha de son cousin et revint à la charge.

« Voyons, Ben, dit-il, je te parle sérieusement. Que ferons-nous, si elle tarde, cette éruption… si elle n’a pas lieu avant l’hiver ? »

Sans répondre, Ben Raddle détourna la tête, et Summy n’eut pas le courage d’insister.