Le Vote des femmes (Yver)/Texte entier

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CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS

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Copyright 1932, by Calmann-Lévy

LE VOTE DES FEMMES


PREMIÈRE PARTIE

I

Le masque de la lune, oublié par la nuit, flottait encore l’après-midi dans un ciel froid uniformément tendu au-dessus de cette Bourgogne, de cette vallée du Rhône que parcourait le train bleu. Tantôt à droite, tantôt à gauche, un soleil blême et déréglé pénétrait dans les voitures. Belle journée de janvier dans toute sa pâleur.

Hubert de Pancé, incommodé par le parfum des mandarines qu’une jeune dame ne cessait d’éplucher et qui, mélangé à la fumée de la locomotive, composait une odeur classique de voyage, se leva et vint allumer une cigarette dans le couloir.

Il s’alourdissait depuis son malheur, bien que ses trentre-quatre ans ne fussent pas encore achevés. Ses épaules épaisses et rondes, une lenteur des réflexes, un empâtement de sa figure, de son menton parfait, des ailes de son nez bourbonien marquaient la fin prématurée de sa jeunesse et accusaient ses origines bretonnes. Il n’était plus dessiné mais sculpté ; essentiellement Celte avec ses cheveux abondants et frisés. Mais il gardait du jeune homme qu’on avait connu, — et sans doute aimé, — le sourire irrésistible des yeux mi-clos, dont le regard se dirigeait sur ce voyageur cheminant instable depuis l’extrémité du couloir et qui s’avançait vers lui en manifestant de l’hésitation, puis de la surprise. Un homme haut et sec, aux lunettes d’écaille, l’air plus jeune qu’Hubert de Pancé, allumé par les cocktails qu’il avait dû s’attarder à absorber jusqu’à cette heure au wagon-restaurant en fumant des cigares. Quand il atteignit Hubert, il lui posa la main sur l’épaule. Le cercle de ses lunettes agrandissait son étonnement. Hubert abaissa l’épaule pour se défaire de ce fardeau, de cette patte d’homme heureux dont il n’avait pas besoin, sentant bien d’ailleurs que ce geste, à l’égard d’un camarade qu’on n’a pas revu depuis quinze ans, représentait toujours chez Marc Dauxerre l’irrémédiable contentement de soi connu jadis. Ils firent les calculs habituels pour supputer les années écoulées depuis leurs études chez les Pères, à Rennes ; ils échangèrent des cigares.

— Tu es à Paris aussi maintenant ?

Hubert dit :

— Non, je suis fixé dans la Campine belge où j’arrache la bruyère.

— Mais, la Campine, c’est le désert !…

Hubert fit signe que cela lui était égal.

— Marié ? demanda Marc Dauxerre.

Hubert étendit la main comme pour repousser un présent offert.

— Au fond, tu as raison, dit Marc. La Campine doit avoir ses plaisirs sauvages. Tu es toujours d’ailleurs le bel Hubert.

Hubert eut ce sourire entre les cils qui même ironique enchantait l’interlocuteur, le mettait en verve.

Marc reprit :

— Moi, mon vieux, divorcé, annulé en Cour de Rome et en route pour le Caire où je dois rejoindre ma fiancée nouvelle, une jeune veuve que j’épouse au printemps.

Hubert le vit ôter ses lunettes, les essuyer en souriant comme qui meurt d’envie de se raconter. Il s’aperçut à cet instant que Max Dauxerre avait un œil éteint et une cicatrice à l’arcade sourcilière. Ni Marc n’avait parlé de cet accident de guerre, ni Hubert de ses sept mois d’hôpital et de son dos déchiqueté par un éclat d’obus. Mais Marc ayant remis ses lunettes :

— Le mariage, une sale affaire, mon cher, si l’on ne s’entoure pas d’une garde prétorienne de précautions. On m’a uni de force à trente ans à une petite bigote qui en avait vingt. Des robes au-dessous du genou, des talons plats, des bas opaques, un chignon comme mes deux poings, des lèvres anémiques, des joues marbrées par tous les coups de vent. Une fille à qui sa mère avait fait apprendre la valse et la mazurka et qui, pour tout sport, nageait l’été à je ne sais quel Saint-Trou sur mer près de Dieppe, dans un costume de bain à falbalas qui ne plaquait pas, non sans s’assurer en sortant de l’onde qu’aucun galopin du petit port ne pouvait apercevoir ses mollets nus. Avec cela photogénique, un ovale de primitif, un de ces profils style Giotto dépourvus de santé humaine.

— À rappeler mes souvenirs, dit Hubert, ce n’était guère ton genre.

— Effectivement, mon vieux, à l’époque de notre philo, je n’avais rien d’un puritain comme toi qui te représentais l’être humain pareil à une jungle dont le grand orgueil consiste à se rendre maître. Des serpents bien insidieux circulaient dans la mienne, dont les discours m’étaient chers et m’obligeaient d’obéir. À vrai dire, toutes ces expériences finissent par constituer un danger. On devient un homme de laboratoire. Quand arrive le moment d’industrialiser sa sensibilité dans une union durable, on en est aux petites doses, au microscope, à la balance de précision. Bref, je n’ai jamais pu aimer Odile, quoique, de bonne foi, j’aie désiré de m’attacher à elle. Elle n’est demeurée pour moi qu’une expérience mémorable. Odile m’a fait souffrir, d’accord. Mais, près d’elle l’homme de laboratoire n’a pas échoué. J’ai étudié à fond cette âme intraitable, entière, aussi vaine de ses robes démodées qu’une autre de ses costumes lamés et indécents. J’étais allé à elle invité par cette mollesse, cette blancheur, cette inconsistance. Je me suis heurté à une innocence coriace et à une vertu hautaine. Dès le lendemain des noces je l’ai senti, lorsque je suis allé la nipper rue de la Paix pour remplacer la garde-robe de sécuralisée préparée par ma belle-mère. Au lieu d’une petite fille gênée d’être mal mise, souffrant devant chaque glace, devant chaque femme élégante, j’ai découvert un être sans timidité, sans ignorance, qui ne démordait pas des étoffes de laine et ricanait devant les plus adorables mannequins. J’ai exigé du crêpe de Chine, des blouses molles, des manteaux brodés de motifs égyptiens, tu sais, comme les femmes en portaient en 1924. Mais la poudre, mon cher, je ne l’ai pas obtenue, ni le rouge aux joues, ni le rouge aux lèvres, ni aucun de ces chers artifices qui avivent ineffablement un joli visage, et, mon Dieu, n’ont rien de contraire aux enseignements de l’Église dont je suis toujours le fils dévoyé mais repentant. Ainsi ne crois pas que j’aie persécuté chez Odile sa foi intime. Les grand’messes, le confesseur, les retraites de dames, les médailles en faisceau dont un mari est flagellé dès qu’il s’approche d’une épouse dévote, rien de tout cela ne m’a déplu chez elle. Je ne déteste pas dans l’âme des femmes un certain mysticisme annexe de leur sensibilité qui les agrandit et, en même temps, les limite. Ce n’est pas monsieur Homais qui parle ici. Mais l’expérience d’Odile m’a appris qu’il est des femmes en apparence inexistantes et qui se manifestent monuments granitiques de personnalité, d’entêtement et d’orgueil. Pendant un an j’ai eu la honte de traîner derrière moi une compagne fagotée, une parente de la campagne, un portrait de l’autre génération qui massacrait les plus jolis modèles des bons couturiers en les allongeant, en leur rajoutant des manches ; posée, au surplus, sur talons plats, exhaussée d’une coiffure ridicule, et dont on n’apercevait même pas qu’elle était jolie. C’était sa manière de protester contre les modes nouvelles qu’elle trouvait inconvenantes. Il y avait une arrogance, une hostilité secrète, une virulence cachée, une méchanceté sourde dans ces manifestations, — l’esprit Suffragette, Armée du salut. Une année durant, je l’ai suppliée. Je n’ai jamais rien vu de plus inexorable, de plus sourd, de plus dur. Ce n’est pas qu’elle me marchandât les témoignages d’amour. En paroles, j’étais l’homme le plus adulé. Les mots ne lui coûtaient pas. Ni les baisers. Mais enfin, elle n’aurait pas ajouté un centimètre à ses talons.

» — Vous comprenez, me disait-elle, avec des vocatifs passionnés, ce n’est pas une raison si je vous aime follement pour renoncer à mes idées, à ma réaction contre l’esprit du Mal qui envahit la société.

» J’essayais de lui prouver que Île diable se moquait bien de la mode, qu’il s’était passablement arrangé des jupes longues en leur temps : que les chignons ne l’avaient jamais embarrassé, qu’Ève possédait une chevelure magnifique et qu’il n’y a pas de péché dans la poudre de riz, elle me répondait, opiniâtre :

» — S’il y avait seulement mille jeunes femmes comme moi à Paris, on reviendrait à des mœurs plus pures.

» Ou bien :

» — Qu’est-ce que cela peut vous faire, puisque je vous aime ?

» Mais, pour un homme, il ne s’agit pas seulement d’être aimé. Odile n’a jamais compris que le premier désir que j’ai près d’une femme c’est de m’épanouir en public auprès de sa beauté, de son élégance. J’adore habiller leurs formes ravissantes ; le mariage de la soie et de leur peau m’éblouit ; puis après, je suis comme un artiste, il faut que je produise mon œuvre, ma création. Avoir une femme sur le passage de qui on se retourne ! Un jeune corps dans sa robe parfaite, la grande gravité d’une toilette de marque, l’éclat d’un visage bien peint, la lumière que reflète une belle coupe de cheveux noirs, l’accent de leur pli sur une tempe nacrée, un collier d’un orient assez rose pour avoir l’air éclos naturellement sur une chair bien poudrée, posséder tout cela à ses côtés et pénétrer dans la violente illumination d’un salon, ah ! mon vieux Pancé, quelle montée dans l’enivrement, et comme j’aurais pu aimer cette petite Odile si elle s’était laissé faire !… Mais elle avait des armes pour lutter contre moi. Ne crois pas qu’avec son brevet simple, son éducation bâclée dans une petite boîte d’anciennes nonnettes habillées à peu près comme elle, où l’on réagissait contre le latin et le bachot des jeunes filles, Odile fût une ignorante et un esprit en friche. Ma digne belle-mère, n’étant pas à un non-sens près, l’envoyait à l’Institut catholique pour des cours de philosophie et des gloses sur saint Thomas. Elle l’avait ainsi formée à discuter, des heures durant, contre un mari fantaisiste comme moi. Odile était pleine d’arguments, juridique, exaspérante. J’étais à bout ; j’avais perdu le sommeil, les nerfs tendus à cran. Pendant mes insomnies je m’irritais de la voir dormir à mon côté, béate, la conscience satisfaite, avec ses chemises de nuit montantes et sa grosse tresse noire sur le drap, comme une bonne…

— Valence ! interrompit Hubert de Pancé.

On apercevait du côté vitre le château de Crussol découpé à plat comme un décor d’Opéra, violet sur un couchant jaune. Ils jetèrent leurs cigares et revinrent s’asseoir malgré l’atmosphère de tunnel et de mandarines qui s’épaississait dans le compartiment. Sous leurs pieds, la symphonie plutonesque se calmait. Le leitmotiv à cinq temps n’en eut plus que trois, puis deux. Enfin l’on s’immobilisa dans la gare ténébreuse.

— En somme, prononça Hubert à mi-voix, ce que tu lui reproches, c’est d’avoir été quelqu’un. Car, si je comprends bien, cette jeune femme n’avait rien de la première venue.

— Il y a des singularités, des étrangetés attrayantes. Les siennes, au contraire.

— Nous ne pouvons pourtant pas leur refuser une conscience différente de la nôtre, dit Hubert, assailli et blessé par ses propres souvenirs.

— Mais un homme ne peut pas non plus aimer l’obstination et l’esprit de contradiction. C’était tout l’opposé que j’attendais d’Odile lorsque obsédé, manœuvré par une vieille amie de mes parents que tu as dû connaître à Rennes, madame Legrand-Maillard, j’ai consenti.

Hubert eut un tel sursaut à ce nom qu’il se mit debout devant Marc. Il répéta :

— Madame Legrand-Maillard !

Et il dit que c’était précisément chez elle qu’il se rendait à Cannes, dans la villa Diana où cette vieille femme tutélaire, toujours enragée d’action, d’influence, de directives, d’immixtions, de gouvernement, à Cannes comme à Paris et comme à Rennes, avait entrepris de le réunir à ses deux frères, Bernard et Ignace, qu’il n’avait pas vus depuis cinq ou six ans.

— Méfiez-vous, dit Marc, elle va vous marier tous les trois, pour peu que tes frères soient encore célibataires.

— Ignace n’est pas mariable, décréta Hubert. Voilà longtemps que notre famille l’a renié pour ses dérèglements et qu’on ne le reçoit plus à Pancé. Nousignorons tous de quel métier il vit à Dakar. Quant à Bernard, il n’agit qu’à sa guise. Un peu en dehors des lois communes, Bernard ; absorbé par Rome où il vit depuis 1925 dans les Catacombes, une sorte de monsieur de Rossi. Je pense que pour lui les femmes n’existent pas.

Mais Marc revivait les images du passé, du collège des Pères à Rennes :

— Je revois ce petit Ignace fait comme un Arlequin et si acrobatique qu’il descendait en trois pas le grand escalier de pierre du dortoir des moyens. Un joli visage ; quelque chose de pointu, de rêveur, d’aguichant. Ah ! il a mal tourné ? C’est curieux.

Il concluait « c’est curieux » comme il aurait dit : c’était couru. Et ils se turent. Le concert ferroviaire déclenché à nouveau sous leurs pieds par la marche du train les pénétrait d’un rythme assez puissant pour cadencer leur respiration. Rien que des instruments de fer. Le train coulait dans le sens du Rhône sur une voie de halage. Du couloir, on voyait filer vers le Nord des coteaux de vignobles, secs et noirs comme du Châteauneuf du Pape, remarqua Marc. Puis revenant à ses affaires personnelles :

— Tu me diras que j’aurais pu ne pas me laisser faire. Cependant, madame Legrand-Maillard me répétait, à raison de deux ou trois pneumatiques par jour, le chiffre considérable de la fortune que cette enfant angélique mettait à mes pieds ; car, il faut que tu le saches, les circonstances s’aggravaient d’un sentiment déchaîné que j’aurais provoqué chez la jeune sainte au mariage du petit-fils Legrand-Maillard où on l’avait traînée, en robe blanche et en bas blancs comme pour une prise d’habit. Et si j’ai cédé aux instances de madame Legrand-Maillard, si je l’ai autorisée à des ouvertures auprès des parents d’Odile, c’est précisément que j’espérais que cet amour si rare chez une fille si timorée, se concerterait avec sa timidité apparente pour m’abandonner la volonté précaire de cette petite mal nippée, et qu’elle ne demanderait, une fois mariée, qu’à se convertir à ces frivolités qui sont pour moi le côté le plus adorable d’une femme. Certes, aurais-je su, — à ce bal, où elle m’est apparue déguisée en vierge chrétienne, et où par une sorte de jeu et d’ironie, poussé d’ailleurs par madame Legrand-Maillard, je l’ai tirée de force par la main vers un honnête tango qu’elle se flattait de ne savoir pas danser, — aurais-je su que cette douce Odile était aussi butée dans son austérité que les autres femmes sont acharnées après la mode et les chiffons, je n’aurais pas eu cette faiblesse. Ma lettre tardive et hésitante d’adhésion au vœu de madame Legrand-Maillard en fait foi, qui a permis, l’an dernier, à celle qui défit elle-même en cour de Rome l’œuvre de ses mains, d’obtenir l’annulation par non-consentement en prouvant à quel point c’était contraint et forcé et non de mon propre gré que j’allais au mariage[1]. Mais Odile m’a trompé sur son caractère, sur sa docilité apparente, sur sa prétendue bonté, sur ce phénomène d’inhibition qui est le premier effet de l’amour chez les femmes et que la mienne n’a jamais révélé.

» — Aimez donc mon âme ! me disait-elle lorsque je lui reprochais ses allures.

Hubert sourit ; il ne put retenir un mot :

— Elles le disent toutes !

— Mais je ne demandais qu’à aimer son âme, mon vieux ; seulement, son âme était comme sa défroque, sans attrait, sans aimantation, sans douceur, sans éclat. Au bout d’un an, je la détestais, au point d’avoir trouvé un goût de dédommagement à l’explication que j’eus avec elle, sorte d’intervention chirurgicale où je dus l’opérer de son optimisme, de son contentement stupide, de l’assurance où elle était que tout allait bien. Je vois encore, et c’est seulement aujourd’hui, apaisé, que la pitié me vient pour cet air d’effroi et d’angoisse, je vois encore son visage d’ange mal portant qui se décomposait sous l’explosion de mes griefs.

» — Alors, alors… vous ne m’aimez plus ?

» Et d’un seul coup de massue, je lui rendis ses milliers de coups d’épingle et tout ce qu’en treize mois elle m’avait fait endurer de vexations secrètes, d’humiliations publiques de refus, de contradictions.

» — J’ai essayé de vous aimer, ma pauvre petite, je ne l’ai pas pu.

» Ce fut pire encore quand vint l’aveu de l’impossibilité où j’étais de vivre davantage avec elle. Je te fais grâce de la scène, mon cher, cette femme par terre qui gémissait… Ah ! j’ai dû surseoir à mon projet de partir sur-le-champ. J’ai bientôt soupçonné la pauvre Odile d’être allée là-dessus consulter quelque prêtre de bon sens qui la conseilla, car elle changeait. Elle m’apparut un jour les joues enfarinées maladroitement : elle était allée acheter de la poudre sans apprendre à s’en servir ! Je la vis accomplir, comme une malade un douloureux traitement, son apprentissage de soins de beauté. Un soir que j’étais retenu au lit par la grippe, elle rentra d’une course avec un charmant petit chapeau et je reçus dans la figure une masse fraîche et légère qui m’aveugla. C’était sa chevelure superbe qu’elle venait de faire couper et qu’elle m’apportait en trophée. Mais, bien que le geste fût touchant venant d’elle, c’était trop tard. J’étais appelé ailleurs. Puis la rancune est chez moi trop opiniâtre pour qu’il me fût permis de revenir à celle qui, par une espèce de défi, m’avait porté au comble de l’irritation et de l’animosité. Cette lutte entre elle et moi, entre l’entêtement de son sentiment aussi opiniâtre que ses idées, et mon fol désir de libération dura encore une seconde année. Mais elle en vint finalement à comprendre l’inutilité, la vanité, la misère d’une vie commune pour nous. Ayant reçu l’assurance que notre mariage pouvait être annulé par l’Église, elle consentit au divorce. Je pense qu’à cette époque, elle ne m’aimait plus. — Enfin, mon vieux Pancé, voilà mon histoire. La vie n’est pas drôle.

— Surtout, on y commet des erreurs dit Hubert.

Marc Dauxerre reprit :

— Heureusement que cette fois-ci, ma fiancée.

Mais Hubert ne l’écoutait plus. Un crépuscule… d’un vert limpide entre les cyprès noirs annonçait déjà la Provence. Sous le masque de la lune descendu à l’horizon, un visage ardent s’avivait. Hubert reconnaissait la transparence de l’atmosphère avignonnaise. Il sentait aussi l’anxiété de voir surgir la silhouette massive et dorée du Palais des Papes. Le leitmotiv de la symphonie infernale était à deux temps. La jeune femme aux mandarines s’était endormie. Marc posa une question directe :

— Quel âge a-t-elle aujourd’hui, madame Legrand-Maillard ?

— Soixante-huit ans, répondit Hubert.

Après un silence :

— Vous ne repasserez par ici, mon cher, que la bague au doigt.

— Moi, dit Hubert, qui cadenassait toujours furieusement sa vie intérieure et eût été fâché de laisser voir à ce Marc, si éloigné de lui, l’étincelle allumée dans ses yeux à l’apparition d’Avignon, — lumière dans la nuit tombante, — moi, j’ai épousé la terre et je suis heureux en ménage.

Comme ces femmes soigneuses de leur armoire à linge où sont rangées en piles les lourds draps de toile aussi bien que les pièces de linon, légères colonnes ; qui en gardent la clef, qui ne permettent à personne d’y jeter les yeux, tremblant d’en voir tomber un mouchoir de batiste, une serviette à thé, Hubert de Pancé défendait les secrets rangés en ordre dans son âme pleine. De peur d’en laisser choir une parcelle insignifiante, dans l’effroi qu’un intrus n’en ramassât une, parfois il mentait.

— Je connais là-bas une réussite insolente. L’argent sort tout seul de ce sable devenu terre pat des engrais, par des ensemencements dont on laisse le produit pourrir sur pied, parfois durant trois saisons. La satisfaction de gagner beaucoup d’argent comble l’essentiel des désirs humains.

Ainsi ne saurait rien de ses luttes, de ses embarras, ni de son malheur ce Marc Dauxerre sans nuances, sans retenue, qui publiait dans un train, ignorant à quelles oreilles il confiait ce dépôt tiède encore de lui-même, l’image la plus nue de sa nature, de sa vie intime. Hubert, chez les Pères à Rennes, autrefois, n’eût pas lié amitié avec Marc. Encore moins aujourd’hui. La grande intelligence de Marc lui semblait alourdie de vulgarité. Entre Valence et Marseille, la lumière étant venue rafraîchir d’une toilette neuve le compartiment fatigué, il fit mine d’y sommeiller.

— Tu t’es mis en société ? demanda Marc qui était avocat.

— Point ; je suis seul en nom.

Et on le laissa tranquille.

Alors il essaya de dormir, mais il voyait toujours cette engeance de dévote dépeinte par Marc, robe longue et souliers plats. Et Hubert se demandait si elle n’était pas au fond charmante comme le portrait d’Isabelle de Pancé, sa mère, en 1894, l’époque où elle s’était mariée. « Déguisée au bal en vierge chrétienne », avait dit ce libertin de Marc. Et Hubert imaginait des bras moulés dans un lainage blanc, les poignets serrés. Il se demandait comment cette jeune créature spiritualisée avait pu aimer ce butor. Entre ces deux pôles, Marc et Odile, il voyait tous les torts se précipiter comme de la limaille de fer au pôle Marc. Et, à la faveur de la somnolence où il coulait, Odile se dégageait, devenait une lumineuse et pure victime.

À l’Estaque, il interrogea :

— Qu’est-elle devenue ?

— Qui ça ? demanda Marc équipé pour le débarquement, chapeau désinvolte, pardessus de voyage, valise à la main.

— Ta femme ?

— Ah ! reprit Marc avec indifférence, je crois qu’elle s’est fixée à Rome, définitivement.

À la gare de Marseille, ils se séparèrent sans chagrin. La longue silhouette de Marc faisait tache parmi les voyageurs du quai à cause du pardessus clair destiné à l’Égypte. Hubert ne pouvait chasser le tableau pathétique d’une femme frèle et gémissante aux pieds de ce garçon sans subtilité. Par scrupule, par discrétion consciencieuse, par un respect spécial envers cette inconnue dont il n’avait déjà que trop surpris le mystère, par cette réserve de pensée et cette restriction de curiosité mentale que certains hommes pratiquent plus généralement que les femmes, Hubert s’efforça de détourner son esprit vers d’autres objets, la vieille madame Legrand-Maillard qu’il allait retrouver dans trois heures sur le quai de Cannes, ses frères qui seraient peut-être arrivés avant lui : son cher Bernard, si merveilleux ; le malheureux Ignace qu’il répudiait d’avance…

D’ailleurs par la vitre que baissa sur la nuit bleue la jeune dame aux mandarines, pénétra peu à peu une brise lente, envahissante, à quinze ou seize degrés centigrades, venue des lointaines chaudières de l’Afrique. Elle sentait ici la marjolaine, le pin, les essences brûlées au crépuscule au fond du parc des villas. Le leitmotiv du concert ferroviaire avait changé. Le. visage collé à la vitre mi-ouverte, la jeune dame et Hubert reconnurent les oliviers dramatiques, vert-de-grisés sous la lune. Pour la première fois depuis son malheur, Hubert se sentait faim de vivre son lendemain.

II


Cannes se boit non comme un vin, mais comme une liqueur sucrée et capiteuse. Hubert de Pancé, qui la savourait seul auprès d’une vieille femme caporalisée par l’âge, olympienne de taille et dont le visage énorme posait sur un mol coussinet d’épaules et de gorge cravatées de gazes blanches, n’avait besoin d’aucune excitation poétique pour se sentir ivre d’un bonheur sans assises ni fondement. Grande surprise pout lui qué vivre dans l’azur, — il passait une partie du jour assis sur la terrasse de la villa Diana face au ciel et à la mer, et l’air lui-même était céruléen, — pût créer un tel contentement chez un homme qui n’espérait plus rien. Il se disait parfois :

« C’est l’attente de Bernard. »

Le frère chéri d’Hubert devait arriver de jour en jour. Sa chambre était prête. À cet être mystérieux, madame Legrand-Maillard avait attribué la chambre à l’ouest qui s’ouvrait sur l’Estérel, parce que, disait-elle, Bernard devait aimer rêver devant les couchers de soleil. Mais non, ce ne pouvait être l’attenta de Bernard, puisque l’appréhension du séjour qu’Ignace, ce dévoyé, ferait dans la villa Diana, loup sauvage et crotté dans une bergerie vernissée d’Angleterre, la honte même qu’il en éprouvait d’avance, n’altéraient pas son bonheur intérieur, Et il souriait de sa paresse. Cinq heures pour lire son journal : ses yeux s’attardant aux jeux du soleil sur la villa rose, sur la flamme noire des cyprès ; son nez humant la fumée balsamique de ces herbes que brûlait le jardinier au bas du jardin.

Madame Legrand-Maillard tournait autour de ses secrets et 1l s’amusait à se défendre. Elle arrivait gantée, le sécateur d’une main, les roses de l’autre :

— Ce que je ne comprends pas c’est que vous, l’aîné, vous ayez renoncé à cette charmante résidence de Pancé qui fait si dix-septième avec ses œils-de-bœuf, pour aller vous enterrer dans le plus triste endroit de l’Europe. Votre mère m’avait dit après la guerre que vous entriez dans la politique. N’êtes-vous pas venu à Paris comme secrétaire du député de Rennes, monsieur Daramont ? Puis vous l’avez quitté. Qu’y a-t-il eu entre vous ?

Hubert se renversait sur le « transatlantique », souriait entre ses cils, faisait des histoires dont il s’habillait dans la crainte que des yeux curieux ne saisissent la nudité de son cœur : La politique était trop compliquée pour lui. Il y faut de l’éloquence et il’n’en avait pas. Délimiter les nuances indiscernables des partis de gauche et surtout de droite : une sorte de myopie l’en privait.

Et Hubert pensait aux chèques à son nom que M. Daramont le chargeait-d’acquitter, afin qu’il n’y eût pas de traces des trafics dont vivait le député ; et à cette bourse étrange du parlementarisme, premier tableau social qui, après la guerre, eût frappé et révolté ses vingt-cinq ans.

— Pauvre Daramont, continuait madame Legrand-Maillard, c’était un homme très bien. Il a été fort malheureux. Vous savez qu’il a perdu sa femme depuis que vous vivez en Belgique ?

— Je sais, répondait Hubert, qui ramassait le journal tombé, mimait le désir de s’y replonger.

— Elle n’avait que trente-sept ans, disait encore madame Legrand-Maillard ; mais sa phrase tombait dans un puits de silence, ce qui excitait encore sa curiosité, car le bruit avait couru à Rennes des visites bien fréquentes que, vers 1924, la pauvre morte aurait reçues du bel Hubert de Pancé, l’ancien secrétaire de son mari.

En d’autres occurrences, elle s’y prenait autrement :

— Il faudrait vous marier. Vous êtes triste. Asch et ses bruyères vous rendront neurasthénique.

— Mais il n’y a plus de bruyères chez moi, chère amie. J’ai tout arraché.

— Raison de plus, alors ! Voyons, laissez-moi vous confesser. Est-ce que l’idée d’une ravissante enfant vivant à vos côtés.

Et le lendemain, en venant à table, il trouvait dans la salle à manger une « ravissante enfant ». « Ma jeune voisine des Palmiers », expliquait madame Legrand-Maillard après avoir présenté Hubert comme le descendant d’une vieille lignée bretonne, fou de l’aventure et des grandes entreprises, qui ne visait à rien moins qu’à bouleverser le sol belge tout entier. Hubert la laissait aller, amplifier, dénaturer la vérité, charmé qu’on brouillât son vrai portrait et de pouvoir, grâce à cet écran, descendre dans son château secret qu’un seul être et lui-même avaient jamais connu, Et il pensait à Marc Dauxerre qui lui avait si fortement prédit ce guet-apens. Cependant que, dans une violente odeur de jacinthe, ils déjeunaient devant des baies ouvertes sur la mer et les îles de Lérins. La jeune fille aux bras nus parlait de la fête du mimosa, de la bataille de fleurs, des feux d’artifice du casino, ce qui n’ennuyait pas Hubert.

Quand elle fut partie :

— Il ne tiendrait qu’à vous, mon cher Hubert, songeait tout haut l’hôtesse. J’en ai une pour vous, une pour Bernard, une pour Ignace…

Mais là-dessus, Hubert éclata. Qui pensait-elle donc que fût le malheureux Ignace pour le traiter en civilisé ? N’était-ce pas déjà beaucoup de l’accepter dans ce décor fabuleux, de le réagréger à la famille à la faveur de cette rencontre préparée, au besoin de l’interroger sur ses moyens d’existence, de lui imposer une vie avouable, sans aller jusqu’à l’établir en honneur et en estime dans un milieu social dont ses dérèglements l’avaient déchu définitivement ? Et cette fois Hubert déchaîné, violent et sincère puisqu’il ne s’agissait plus de sa vie sentimentale, raconta tout ce qu’il savait d’Ignace, le frère lointain vomi par les siens. Son renvoi du collège des Pères à Rennes pendant la guerre ; son renvoi du collège Stanislas à Paris. Comment avait-il vécu, alors qu’on le croyait d’après ses dires expéditionnaire au ministère du Travail où en réalité 1] n’avait jamais mis les pieds ? Leur bonne mère lui envoyait bien de l’argent secrètement. Mais puisqu’il était toujours enseveli sous les dettes, qu’en faisait-il ? Et ce service militaire à Caen, tardivement accompli à cause d’ajournements successifs commandés par sa santé, n’était-ce pas le bouquet, le couronnement avec ses cinquante-sept jours de prison et le conseil de guerre pour finir, où il n’avait dû de n’être pas envoyé aux bataillons de discipline qu’à la pitié des juges militaires pour le nom qu’il portait ? Et ensuite, quelle nuit équivoque ! Son départ pour les colonies en compagnie d’un camarade de régiment vaguement désigné dans ses lettres sous le nom de Julot. À quel commerce s’étaient-ils livrés ensemble au Sénégal, pour qu’une année durant ses parents n’eussent pas reçu de demandes d’argent, jusqu’à une certaine affaire de chèques sans provision où M. de Pancé avait été acculé aux mandats télégraphiques ?

— Ah ! dit madame Logrand-Maillard, ce pauvre enfant a toute mon indulgence. C’est un faible. Il ne fallait pas le lâcher tout seul dans la vie. N’oubliez pas que, si vous êtes ici, c’est pour son sauvetage.

— Viendra-t-il seulement ? demanda Hubert.

— Je lui ai fait tenir par Cook son billet d’embarquement.

— Il peut l’avoir vendu.

— Allons donc ! C’est bien cela. Pas un de Pancé n’a compris Ignace. Moi seule, je vous dis. J’ai confiance en son relèvement. La jeune fille que je lui destine est douce, dévouée, modeste.

Hubert fut sur le point d’interroger cette terrible amie, curieux de savoir si elle avait aussi bien choisi leurs épouses respectives que celle de Marc Dauxerre. D’impondérables raisons le retinrent : l’inutilité qu’il y aurait à blesser cette femme généreuse ; la lassitude de parler ; la peur de s’éveiller lui-même de sa torpeur agréable. Marc lui était si indifférent !

Le soir même, sur une dépêche, ils allèrent chercher Bernard au train de Vintimille. De ce défilé de visages anonymes dont Hubert recevait l’image liquide, se détacha un visage devenu romain, d’une cire ardente, aux yeux bleus inspirés, qui rompit bientôt tout lien avec la foule où il était incorporé et qui, en s’avançant vers Hubert, semblait éteindre Les pâles flammes des autres figures.

Le fort Hubert se pencha sur cet être plus délicat que lui, qui ressemblait à un moine, qui annonçait une sereine délectation de pensée ; et il l’embrassa comme une jeune sœur avec une tendresse mêlée d’une émotion hésitante.

Coxalgique à quatorze ans ; soigné aux Sables d’Olonne, dans une clinique, par une jeune religieuse, sœur Cécile, qui avait à jamais imprimé sa marque dans cette âme de petit garçon ; guéri à Lourdes en 1913 ; engagé volontaire à seize ans, en 1914 ; roulé successivement dans toutes les vagues d’assaut, en Champagne, dans la Somme, à Verdun, à Reims, tendant le cou à tous les éclatements comme une jeune martyre sous le glaive, jamais blessé malgré l’offrande faite à Dieu de sa vie pour les buts militaires ; revenu au château de Pancé en 1918 ; faisant son droit à Rennes, puis à Paris, au lieu d’entrer au séminaire comme s’y attendait la noblesse bretonne ; enfin, en 1925, emporté par le sentiment religieux qui l’avait envahi, d’une façon presque matérielle, dans la pulvérisation de tout son corps au moment du miracle de Lourdes, partant pour Rome où il s’installait sur l’Aventin, chez un vieux prêtre, pour y étudier l’archéologie chrétienne des premiers siècles dans les Catacombes. Tel était limpide, correct, net comme Bernard lui-même, le graphique de sa vie en même temps rare et simple.

Son âme robuste n’arrivait pas à la villa Diana pour une convalescence comme Hubert, pour une revalorisation comme Ignace. Le mystère que lui prêtaient les incroyants comme Hubert n’était pour lui que sa propre clarté. Très homme du monde, baisant la main enrichie de pierreries de madame Legrand-Maillard, ne cessant de la remercier pour ses desseins sur le malheureux Ignace, se prêtant aimablement à toutes les questions de sa vieillesse indiscrète, hôte charmant, il enchantait l’autre, si taciturne. Il portait sur lui à l’arrivée, attaché à sa jaquette qui n’était pas de Paris, à sa chevelure noircie au soleil italien, à son front de grand mystique, _ le prestige des quatre lettres formant ce nom de Rome, abrégé de mille livres d’histoire, d’art ou de religion, Il avait publié déjà des articles ingénieux dans la Revue d’archéologie. Il sortait de la catacombe de Priscille, sous la villa Savoïa où se passait sa vie, parmi les fouilles.

— Mais oui, madame, on y retrouve encore des crânes intacts de nos frères aînés les martyrs ; et l’on retire des petites alvéoles au coin des tombes la lampe de terre sépulcrale pour y poser une ampoule de cinquante bougies.

— Hubert l’aida à s’installer dans sa chambre. Bernard tira de sa valise un crucifix, des livres de M. de Rossi, un manuscrit commencé, des pyjamas bleus, puis la photographie d’une jeune religieuse en costume d’infirmière et la même dans le costume brun et noir des franciscaines servantes de Marie, la corde blanche à la taille. Hubert s’en empara, contempla longuement ce visage et ce regard tendus vers un objet invisible.

— Ma parole, mon vieux Bernard, tu en es arrivé à lui ressembler. Tu lui as pris ses yeux.

— Ah ! tu ne les as pas vus, cher Hubert.

— Qu’est-elle devenue ?

— J’ignore. Du jour où elle m’a reconduit guéri à Pancé, je n’ai plus rien su d’elle, malgré mes lettres…

Après un silence ;

— Avoue qu’il n’y a pas eu d’autre femme dans ta vie que cette religieuse céleste.

— Ah ! vieux frère, n’effleurons pas ce sujet. Je suis un faible et Dieu n’a rien fait de plus beau que les femmes. Heureusement qu’aux catacombes on n’en voit pas.

— En tout cas, je t’avertis charitablement que madame Legrand-Maillard ne tardera pas, nouveau serpent, à te tenter sous les espèces de ce que Dieu a fait de plus beau. Elle veut te marier.

— Elle a raison, dit Bernard.

— Tu consentirais ? dit Hubert interloqué.

— Pourquoi pas ? Il est temps.

— Je comprends. Devoir sacré. Obligation de conscience. Loi de l’Église. Prendre les yeux fermés ce qu’on vous offre pour en tirer beaucoup d’enfants.

Bernard regarda son frère avec ironie et répondit :

— Voyons ! on n’aime pas uniquement Dieu !

Bernard étendit le bras et prit sur la commode le portrait de la sœur infirmière.

— Il y a des sentiments précoces chez l’enfant qui restent définitifs. Un être paraît, s’introduit en nous au début de l’adolescence et vous lègue à jamais une forme de sensibilité dans laquelle on coulera fatalement tous les amours ultérieurs. Ce sera l’insatiable et douloureux appétit de toute la vie de fondre parfaitement ce modèle impossible. Il est certain, — je m’en suis rendu compte depuis lors, — que j’ai aimé cette religieuse.

» Quand elle entrait le matin dans ma chambre pour le petit déjeuner qu’elle m’apportait sur un plateau, je défaillais de joie. Pendant mon repas, elle me lisait une page de l’Évangile. J’ai toujours recherché dans les rares femmes que j’ai rencontrées la voix de tourterelle qu’avait sœur Cécile, et je rêvais d’en aimer une qui m’émût par ce timbre en mineur, cette émission un peu roucoulante. Sœur Cécile me charmait aussi par ses mains diaphanes résillées de veines bleues. Croirais-tu que désormais je juge une femme sur ses mains et qu’une paume de sportive solide et épaisse m’écarte définitivement ? En somme, ce que je cherche, c’est la même illumination qui fit irruption dans ma vie de quinze ans et ce goût de vin nouveau que je n’ai jamais retrouvé depuis.

Il ajouta, en replaçant délicatement le cadre sur le marbre :

— … Bien que beaucoup de femmes m’aient plu.

Hubert redescendit sensiblement plus heureux qu’il n’était en pénétrant dans cette chambre. Un mur venait de tomber entre son frère mystique et sa propre âme rationaliste.

Cependant Ignace n’arrivait toujours pas. À chaque visite du facteur, les deux frères voyait madame Legrand-Maillard imposante, auréolée d’un immense et noir chapeau de soleil, le grand papillon blanc de sa cravate de gaze voilant son cou de déesse vieillissante, qui guettait à la grille la lettre de l’enfant prodigue. Elle disait :

— Si le Côte d’Ivoire avait fait naufrage, ça se saurait.

— Il ne viendra pas, disait Hubert.

— Il viendra, affirmait madame Legrand-Maillard.

— Oui, mais ilarrivera en retard, concluait Bernard.

Le soleil était sans lassitude. À midi, de la terrasse on voyait l’arc si sensible de la plage de Cannes avec son front oriental de villas crayeuses bouger dans la lumière, et des voiles blanches, seules taches dans le bleu universel, rentraient au port.

Dès quatre heures, des orchestres éclataient dans les thés, dans les pâtisseries, dans les restaurants. De-ci, de-là, on attrapait au passage une rentrée langoureuse de banjo, un accord grave de violoncelle. Et la société anglaise déferlait sous la Croisette : des jeunes femmes, fleurs d’aristocratie, gainées de tailleurs blancs, des vieillards au profil byronien, à croire que toute la Chambre des pairs s’était déversée sur ce petit kilomètre de promenade mondiale, — et ne manquaient pas non plus ces demoiselles britanniques toujours âgées, toujours deux par deux. Le soir, le Casino s’allumait comme un incendie.

Madame Legrand-Maillard mit sous les yeux d’Hubert la photographie dégradée, stylisée d’une jeune fille en blouse de tennis.

— C’est l’Enfant de Marie que vous destinez à Bernard, paria Hubert.

— On ne peut rien vous cacher, car, en effet, c’est-la piété même.

— Eh bien ! il faut la lui montrer.

— J’attends les batailles de fleurs. Je compte sur ce ciel, sur les musiques troublantes, sur les mimosas capiteux, sur l’action de cette ville pour amollir un peu l’austérité de Bernard.

Les deux frères ne se retrouvaient vraiment seuls que dans les soirées. Ils venaient cheminer, fourmis solitaires, sur l’arc de la Croisette dénudé par la nuit. Dès neuf heures, l’air s’attiédissait. Les senteurs de la montagne descendaient, thym, résine, mimosa. Enfouies dans les fourrés des parcs, là-haut, on devinait des fêtes. Au Casino sévissaient le baccarat, les plus belles perles d’Europe, les robes fluides de la rue de la Paix. Des fêtards revenaient des îles en des canots crépitants, dont les lanternes vénitiennes semaient des chenilles de feu sur l’indigo défunt de la mer. Les vagues battaient régulièrement comme la respiration de cette ville ivre de santé.

Hubert et Bernard se disaient des choses insignifiantes.

— Tu te rappelles, Hubert, les jours de réception à Pancé quand nos parents recevaient les Chateauloup et que tu prenais la clef des champs dès le souper pour échapper à ces mortels voiPage:Yver - Le Vote des femmes.djvu/50 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/51

III

Hubert et Bernard en vinrent à goûter plus délicatement l’extraordinaire féerie de cette ville dans les heures nocturnes, lorsque le soleil implacable laissait aux yeux un répit, que le bleu s’était éteint, que les jazz vous faisaient grâce et que sous un ciel de velours noir, écrin des constellations, voisinaient leurs deux âmes.

Un soir, Bernard tira de son portefeuille une photographie. C’était la seconde fois qu’Hubert voyait cette image : l’Enfant de Marie en question. Madame Legrand-Maillard, mystérieusement, avait entraîné ce matin-là le Romain à l’apéritif d’onze heures d’un certain thé des Galeries Fleuries. Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/53 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/54 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/55 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/56 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/57 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/58 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/59 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/60 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/61 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/62 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/63 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/64 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/65 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/66 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/67 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/68

IV

Rien n’avait été plus facile à Ignace que de se conformer au conseil de ses frères et de ne pas mettre au clair devant les yeux de madame Legrand-Maillard le détail du mémoire dramatique dont ils avaient été favorisés. Mieux que n’importe qui, Ignace pouvait revêtir un personnage et le jouer avec une sincérité absolue. Ressemblant à ces femmes galantes qui, du jour qu’elles sont épousées, se font une conscience neuve et se débarrassent à tout jamais de l’ancienne, Ignace, marié avec un monde où les raffinements de l’honneur sont la forme même des habitudes, oublia Dakar et l’hôpital, Conakry et sa boutique, Caen et le conseil de guerre, Paris Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/70 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/71 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/72 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/73 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/74 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/75 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/76 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/77 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/78 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/79 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/80 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/81 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/82 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/83 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/84 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/85 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/86 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/87 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/88

DEUXIÈME PARTIE

I

Au premier déjeuner, le lendemain, manquaient madame Jacquelin et Bernard. On eut beau frapper à la porte de leurs chambres respectives, personne ne répondit. Vers neuf heures, Ignace, qui voyait tout, dit qu’il les apercevait sur le chemin qui sinue entre les parcs orientaux. de la Californie jusqu’à la villa Diana. Ils rentraient tous deux un livre de messe à la main. Il s’agissait sans doute d’un complot ourdi la veille au soir dans un coin du salon. Madame Legrand-Maillard lança quelques propos voilés sur une entente si naturelle entre ces deux mystiques. Ignace, qui entendait tout, conta que madame Jacquelin s’était informée d’une église, et qu’alors Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/90 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/91 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/92 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/93 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/94 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/95 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/96 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/97 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/98 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/99 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/100 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/101 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/102 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/103 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/104

II

La danse impromptue d’Ignace ouvrit aux hôtes de la villa Diana une période nouvelle comme s’il avait, dans son acrobatie, crevé une mince cloison de papier les séparant d’un mode de vie plus naturel. Une imprécise rigueur fondit. Bien que madame Jacquelin, semblant regretter le geste un peu tendre qu’elle avait osé près du danseur anéanti, eût l’air de se surveiller davantage, de ne plus sourire complaisamment à toutes ses paroles, de ne plus exiger ce service continuel dont elle et lui s’amusaient jusqu’ici, bien qu’elle réclamât par exemple son ombrelle à Hubert, son livre à Bernard, il y eut moins de cérémonie et Ignace fut davantage introduit dans la conversation généPage:Yver - Le Vote des femmes.djvu/106 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/107 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/108 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/109 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/110 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/111 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/112 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/113 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/114 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/115 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/116 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/117 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/118 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/119 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/120 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/121 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/122

III

Le lendemain jusqu’à l’heure où Odile revint de la messe matinale, seule et sans avoir vu Bernard, tout le monde eût juré qu’il l’y avait accompagnée.

Hubert se rendit sur-le-champ à la chambre de son frère. La porte en était entrebâillée ; il la poussa et du premier coup s’aperçut que les deux photographies de la religieuse n’étaient plus sur la commode. Toutes les choses du jeune homme avaient été enlevées, le lit non défait. Il y avait une lettre pour madame Legrand-Maillard.

Celle-ci, d’une voix que l’indignation faisait flageoler, lut une seconde fois, pour ses hôtes rassemblés au billard autour des journaux, la Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/124 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/125 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/126 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/127 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/128 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/129 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/130 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/131 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/132 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/133 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/134 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/135 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/136 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/137 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/138 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/139 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/140 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/141 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/142

DERNIÈRE PARTIE

I

Odile, de sa chambre, entendit la voix d’Ignace grave, chaude, mâle, lancer sur la terrasse au-dessous du balcon ce mot de « madame ! madame ! » à deux tons dont il l’appelait de telle façon qu’on était sûr qu’il ne s’agissait pas de madame Legrand-Maillard. Il l’appelait sans vergogne, continuellement, comme un compagnon de jeu sans lequel il se serait ennuyé. La première impulsion d’’Odile fut de bondir au balcon, tant ce besoin qu’Ignace avait d’elle lui semblait précieux et charmant. Puis le second mouvement lui vint d’une certaine prudence chrétienne, d’une réserve de son éducation pieuse qui la mettait en garde contre ce grand sensuel d’Ignace dont les Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/144 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/145 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/146 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/147 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/148 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/149 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/150 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/151 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/152 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/153 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/154 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/155 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/156 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/157 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/158 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/159

II

— Écoute, Ignace, dit Hubert, le matin de son départ pour Bordeaux, je t’avoue qu’il me devient pénible de me représenter sans cesse ta dette envers cette femme de cinéma qui a pourvu un temps à ta subsistance, comme tu me l’as confessé. Tu sais que je te fais crédit et te prépare une situation convenable. Il eût peut-être été mieux de te laisser gagner par ton travail, afin de te réhabiliter à fond, l’argent que tu lui dois. Mais cette attente s’accompagne pour moi de nausées qui nuisent à l’amnistie totale que, de grand cœur, je désire t’accorder. Je préfère payer dès à présent. À combien se monte cette dette ?

— Mais je n’ai jamais calculé, dit Ignace déconPage:Yver - Le Vote des femmes.djvu/161 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/162 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/163 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/164 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/165 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/166 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/167 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/168 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/169 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/170 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/171 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/172 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/173 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/174 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/175

III

Dès le premier déjeuner du lendemain, Ignace s’informa près d’Odile s’il était toujours entendu qu’ils allaient le soir au gala du Casino.

Odile réfléchit. Sa première pensée de femme fut pour les robes qu’elle avait apportées : des formes lamées, pailletées, des scintillations passèrent devant ses yeux.

— Mais… oui, je pense, dit-elle, plus hésitante déjà que la veille.

Et jamais Ignace ne lui donna la certitude d’un être plus fondé en bonté native, en sentiments raffinés que pendant ce quart d’heure où, assis à ses pieds, il lui soumit son idée d’emmener aussi Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/177 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/178 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/179 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/180 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/181 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/182 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/183 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/184 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/185 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/186 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/187 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/188 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/189 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/190 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/191

IV

Soit que la terre friable et morte des hypogées se quitte plus aisément que la surface d’un sol ensemencé de vie, soit qu’un horaire ferroviaire à Rome se prêtât mieux au voyage qu’à Arcachon ou à Mont-de-Marsan, Bernard arriva le premier un soir à la villa Diana, alors qu’on n’avait encore reçu qu’un télégramme annonçant Hubert. Lui, n’avait même pas pris le temps d’avertir. Il ouvrit un soir la porte du salon ; les deux étoiles bleues de ses yeux brillèrent tout à coup dans la ’pénombre, et ce furent des cris de joie. Odile surtout, — une Odile transfigurée qui venait le même jour de conclure ces tendres et définitifs accords d’une femme qui se couvre de chaînes aussi aiséPage:Yver - Le Vote des femmes.djvu/193 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/194 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/195 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/196 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/197 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/198 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/199 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/200 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/201 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/202 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/203 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/204 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/205

V

Un levier d’acier : huit roues motrices ; c’est le personnage de fer vautré sur le ballast dans une fureur stupide, qui enlève Hubert de Pancé au rêve de Cannes.

Parfaitement organisé, être complet avec ses ressorts, ses roulements sur billes, ses membres de métal, il reçoit de quelque cœur pneumatique le rythme de sa vie : d’où ses halètements titaniques, ses coups d’épaule réguliers, ses mouvements excentrés à plusieurs temps. Le ballast est toujours pareil ; peu lui importe. Nuit ou jour, pluie ou soleil, Provence ou Bourgogne, plaine ou tunnel, pourvu qu’il couvre des kilomètres, tout lui est égal. Cependant, au passage des ponts Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/207 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/208 Page:Yver - Le Vote des femmes.djvu/209 de la main, comme un monarque. Voici le bois des Trois Pipes. Hubert a envie de ce sol, il le toise, l'évalue, le force de son désir. À peine son auto garée, avant de pénétrer dans la villa où le valet de chambre l'attend sur le seuil avec des yeux de chien heureux, il se détourne vers la remise des tanks. Ils sont trois, monstrueux, agressifs, barbares, leurs chaînes rouillées, leur blindage défoncé, leur capot crevé. Hubert déclare aux hommes qui l'entourent :

— Avant tout, qu'on téléphone aux mécaniciens de me remettre ces outils en état.

FIN

16710. — BRODARD ET TAUPIN, Coulommiers-Paris. — 1-32.
3005-1-32.

TABLE DES MATIÈRES

(ne fait pas partie de l’ouvrage original)

Première partie
Deuxième partie
 107
Dernière partie
 127
 144
 160
 176
 190
  1. L’auteur n’est pas théologienne et ne pose pas comme absolument authentique ce motif d’invalidation.