Le Voyage artistique à Bayreuth / IV- Analyse des Poèmes – (2/7) Tannhäuser

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Le Voyage artistique à Bayreuth (1897)
Librairie Ch. Delagrave (p. 107-118).

TANNHAUSER
PERSONNAGES
selon l’ordre de leur première entrée
en scène
1er  ACTE 2me  ACTE 3me ACTE
1er  tabl. 2me  tabl.
                                              SCÈNES : 1 2 3 4 1 2 3 4 5 1 2 3 4 5
Les Sirènes (Chœur : sopr., contr.)
Vénus (sopr.). Déesse de la beauté, qui a séduit Tannhauser, et l’a entraîné dans son domaine.
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Tannhauser (ténor). Chevalier-poète et chanteur, aime Elisabeth, qu’il a abandonnée pour Vénus.
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Un jeune Pâtre (sopr.) Personnage épisodique
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Les Pèlerins (Chœur : tén., basses)
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Le landgrave Hermann (basse). Prince de Thuringe, seigneur de la Wartburg, oncle d’Elisabeth.
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Walther (ténor). Chevalier-poète et ténor.
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Biterolf (baryt.)
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Wolfram (baryt.)
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Henri (ténor). Chevalier-poète et chanteur.
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Reinmar (basse). Chevalier-poète et chanteur
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Élisabeth Nièce du landgrave Hermann, aime Tannhauser.
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Le Peuple (Chœur : sopr., ténors, basses). .. .. .. .. .. .. ..
4 Pages (sopr., contr.). .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
Les Seigneurs (Chœur : ténors, basses).
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Les Jeunes Pèlerins (Chœur : sopr., contr.).
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TANNHAUSER

OU LE TOURNOI DES CHANTEURS À LA WARTBURG

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1er  Acte.

Scène i. — La scène représente le Vénusberg ou royaume souterrain de Vénus (près d’Eisenach). Tout au fond de la grotte, éclairée d’une lumière rose et qui s’étend à perte de vue, un lac bleu dans lequel nagent des sirènes et des naïades.

Sur les plages et sur les tertres sont étendus des groupes amoureusement enlacés ; des nymphes et des bacchantes dansent dans un mouvement de plus en plus effréné. Au premier plan, à gauche, sous un magnifique dais, un somptueux lit de repos sur lequel est étendue Vénus. À ses pieds, et la tête appuyée sur ses genoux, est Tannhauser.

Les sirènes invitent les habitants du voluptueux empire à s’enivrer des délices de l’amour ; les danses s’animent de plus en plus, puis l’apaisement se fait, les couples s’éloignent, et des vapeurs qui montent en s’épaississant devant l’arrière-plan ne laissent plus voir que le groupe formé sur le devant de la scène par Vénus et Tannhauser.

Scène ii. — Le chevalier, semblant sortir d’un songe, passe sa main sur son front comme s’il voulait chasser son rêve ; il croit entendre les cloches de son pays natal, déserté, hélas, depuis si longtemps ! En vain son amante cherche-t-elle à le calmer ; le souvenir des merveilles terrestres, du firmament étoilé, des vertes prairies, du radieux printemps, le hantent ; il regrette ces choses et voudrait les retrouver. Vénus lui rappelle quelles souffrances il endurait sur cette terre et les compare aux joies qu’il goûte à présent auprès d’elle. Elle l’engage à prendre sa harpe et à chanter l’amour, l’amour qui lui a conquis la déesse de la beauté.

Saisissant résolument l’instrument, il célèbre les enivrantes extases de la volupté que la déesse, faisant de lui l’égal des dieux, lui a prodiguées si généreusement ; mais son chant se termine par un cri de lassitude : il ne veux plus de ces ivresses et demande à s’en éloigner pour jamais. En vain l’enchanteresse veut-elle le retenir, menaçante, suppliante tour à tour. Par deux autres fois il entonne l’hymne dans lequel il exalte la beauté de sa reine et les enchantements de son empire, jurant de les chanter toujours ; mais son aspiration à voir la fraîche nature, les bois verdoyants, devient de plus en plus impérieuse ; il supplie la déesse de le laisser partir.

En proie à une violente colère, elle y consent enfin, le menaçant de toutes les douleurs sur cette terre qu’il veut absolument revoir, et souhaitant dans sa haine qu’il regrette amèrement le séjour qu’elle lui avait fait si doux et qu’elle lui ferme à tout jamais ; puis, par un prompt retour, elle cherche à le retenir encore, se faisant de nouveau séductrice et enveloppante.

Le chevalier n’aspire qu’à la régénération, au repentir, à la mort ; animé d’une exaltation toujours croissante, il appelle à lui, dans un élan plein de ferveur, le secours de la Vierge Marie.

Sa prière, entendue sans doute de la divine protectrice, rompt l’enchantement qui le tenait asservi : un coup formidable se fait entendre ; le royaume de volupté disparaît soudain, et le pécheur, délivré, se trouve tout à coup dans la belle vallée que domine, à droite, la Wartburg.

Scène iii. — Au fond, dans le lointain, le Hœrselberg, qui donne accès à la contrée maudite. À gauche, un chemin parmi les arbres et les rochers descend jusque sur le devant de la scène ; à droite, une route dans la montagne, à mi-chemin de laquelle est une image de la Vierge.

On entend, dans les bois à gauche, les cloches des troupeaux ; un berger assis sur une haute roche chante et célèbre le printemps qui vient de renaître, puis il joue du chalumeau. Pendant ce temps on perçoit dans le lointain, à droite, venant de la montagne, des chœurs de voix d’hommes. Ce sont de vieux pèlerins se rendant à Rome pour obtenir l’expiation de leurs fautes, et chantant les louanges de Jésus et de la Vierge, dont ils implorent le céleste appui. Ils traversent lentement la scène, chantant toujours, puis s’éloignent ; le berger agite son chapeau à leur passage et se recommande à leurs prières.

Tannhauser, qui pendant toute la scène est resté debout, immobile, dans une extase muette et profonde, tombe alors à genoux, suppliant à son tour ce Dieu qu’il a si cruellement offensé ; pendant que de lointaines cloches d’églises se font entendre dans la vallée, il mêle son ardente prière à celle des pèlerins, dont le chant se perd peu à peu dans l’espace. Des larmes étouffent la voix du pécheur ; il pleure amèrement sur ses crimes et fait vœu de les expier enfuyant le repos et cherchant les souffrances.

Scène iv. — C’est dans cette pose pleine d’une douloureuse humilité que le trouvent le Landgrave et les Chevaliers chanteurs qui, revenant de la chasse, sortent des bois. Wolfram, un de ses anciens compagnons, le reconnaît ; oui, c’est bien lui le chevalier Henri Tannhauser, qui prenait si souvent et si victorieusement part aux poétiques tournois de la Wartburg, et qui disparut mystérieusement pendant sept années.

Tous lui souhaitent une bienvenue pleine de cordialité et le pressent de questions, auxquelles il répond d’une façon évasive. Ses amis, heureux de l’avoir retrouvé, veulent le retenir parmi eux ; il s’en défend, secrètement fidèle au vœu qu’il vient de formuler ; mais Wolfram prononce un nom qui a sur lui une puissance invincible : c’est celui d’Élisabeth, la nièce du Landgrave, chaste et pure jeune fille qui aimait en secret Tannhauser et qui, depuis la disparition du chevalier, languit, silencieuse et désolée, fuyant les réunions qu’elle ornait jadis de sa présence.

Tannhauser ému se laisse alors convaincre, et, entonnant avec ses compagnons un chant plein d’allégresse, demande à être conduit près de la douce créature pour laquelle il sent son amour renaître. Le Landgrave, sonnant du cor, rassemble ses chasseurs, qui montent sur leurs coursiers, et le cortège prend joyeusement le chemin de la Wartburg.

2me  Acte.

Scène i. — Le théâtre représente la salle des chanteurs à la Wartburg. De larges baies, au fond, laissent apercevoir l’enceinte du château, puis la campagne à perte de vue.

Élisabeth, émue et joyeuse, entre dans la salle qu’elle a si longtemps désertée et qu’elle salue avec allégresse, se sentant renaître à l’approche de l’élu de son cœur.

Scène ii. — Il ne tarde pas à paraître, accompagné de son loyal compagnon Wolfram, qui demeure à l’entrée de la salle, tandis que Tannhauser, dans un élan impétueux, se précipite aux pieds de la princesse. Éperdue, elle le relève et lui demande d’où il vient. — D’une contrée lointaine qu’il a déjà oubliée, répond-il, et d’où seul un miracle l’a fait s’échapper. — Elle s’en montre radieuse, mais se reprend, confuse de cet élan profane, tout en laissant, avec une grâce empreinte d’une pudeur exquise, échapper le secret de son cœur virginal,

Tannhauser rend grâce au dieu de l’amour qui lui a permis de trouver, à l’aide de ses mélodies, le chemin de cette âme pure. Élisabeth mêle son hymne de bonheur à celui de son chevalier, tandis que Wolfram, qui aimait la jeune fille d’une tendresse discrète et profonde, contemple avec tristesse l’écroulement de son propre espoir.

Scène iii. — Pendant que les deux chevaliers s’éloignent ensemble, le Landgrave paraît, tout heureux de voir sa nièce revenir à la gaieté et à la vie ; il sollicite une confidence, que lajeune fille, émue, ne lui fait qu’à demi, mais il respecte son secret : le concours qui se prépare se chargera de le dévoiler peut-être !

Entendant les trompettes annoncer les seigneurs qu’il a conviés, il va, ainsi qu’Élisabeth, à l’entrée de la salle, recevoir ses invités, qui arrivent en masse.

Scène iv. — Les chevaliers, donnant la main aux nobles dames et conduits par des pages, saluent d’abord leur hôte le Landgrave et prince de Thuringe, puis se rangent sur des estrades disposées autour du siège surmonté d’un baldaquin, que vont occuper le Landgrave et sa nièce.

Scène v. — Les chanteurs, auxquels des tabourets ont été réservés en face de l’assemblée, entrent à leur tour et s’inclinent avec grâce et dignité, Tannhauser est à une extrémité, et Wolfram à l’autre.

Le Prince alors se lève, rappelle à l’assistance les mélodieux concours qui ont eu lieu déjà dans cette même salle et les glorieuses couronnes qui y ont été disputées, alors que ses armées combattaient, victorieuses, pour la majesté de l’Empire allemand.

Mais ce que le Landgrave propose de fêter en ce jour heureux, c’est le retour d’un vaillant poète que des destinées mystérieuses ont longtemps retenu éloigné de la Wartburg. Peut-être ses chants révéleront-ils son odyssée… Et le généreux prince termine en proposant comme sujet de tournoi la définition de l’amour, engageant le vainqueur à oser briguer la plus haute et la plus précieuse récompense, que sa nièce Élisabeth sera heureuse d’accorder comme lui.

Les chevaliers et les dames applaudissent à sa décision, et quatre pages s’avancent pour recueillir dans une coupe d’or les noms des candidats, afin de décider de l’ordre de l’épreuve.

Le nom de Wolfram d’Eschenbach sort le premier. Tandis que Tannhauser, appuyé sur sa harpe, semble perdu dans sa rêverie, le chevalier se lève et développe sa conception de l’amour. Il le comprend pur, éthéré, respectueux, et le compare à une belle source d’eau limpide qu’il craindrait de troubler par son approche. Sa seule vue remplit son âme d’ineffables voluptés, et il préférerait verser jusqu’à la dernière goutte du sang de son cœur, plutôt que de la souiller de son contact.

Son discours terminé, il reçoit de chaleureuses approbations de l’assemblée. Mais Tannhauser, se levant vivement, combat cette définition de l’amour, qui n’est pas la sienne ; il conçoit la passion moins idéale et sous une forme plus matérielle, plus charnelle. Élisabeth, qui dans sa candeur accepte aveuglément la manière de voir de Tannhauser, fait un mouvement |)our applaudir, mais s’arrête timidement devant le maintien grave et froid de l’assemblée. Walther de la Wogelweide, puis après lui Bitterolf, prennent part au débat, exprimant les mêmes idées que Wolfram. Tannhauser, répondant avec vivacité, défend de plus en plus chaleureusement ses théories de l’amour païen, fait de voluptés et de jouissances, qu’il oppose à la pure et respectueuse extase célébrée par les autres chevaliers. La discussion s’envenime, les épées sortent de leurs fourreaux ; le Landgrave fait de nobles efforts pour apaiser le tumulte ; Wolfram appelle l’assistance du Ciel pour faire triompher la vertu par son chant, mais Tannhauser, au comble de l’exaltation et de la démence, évoque le souvenir des jouissances passées, de la déesse qui les lui a fait connaître, et engage les mortels ignorants de ces ardeurs brûlantes à se rendre au Venusberg, où elles leur seront révélées !

Un cri dhorreur s échappe de toutes les poitrines à cette évocation criminelle ; tous s’écartent du maudit, échappé du royaume de Vénus, et qui ose les souiller de sa présence !

Seule Elisabeth, dontle visage a revêtu une expression de douleur effrayante, demeure à sa place, en s’appuyant d’un geste égaré à son siège.

Le Landgrave et les chevaliers se réunissent pour punir le réprouvé, qui est resté immobile, extasié. Ils se précipitent sur lui l’épée en main, mais Elisabeth se jette devant eux, faisant au coupable un rempart de son corps : — Que vont-ils faire, quel mal leur a-t-il causé ? Vont-ils, en plongeant le pécheur dans l’abîme de la mort, au moment où son âme est sous l’influence d’un charme maudit, le condamner sans rémission à la pénitence éternelle ? Ont-ils le droit d’être ses juges ? — Elle, la pure et triste fiancée, si cruellement désabusée, s’offre à Dieu comme victime d’expiation ; c’est elle qui, souffrant pour le criminel, implorera le Ciel afin qu’il envoie au pécheur le repentir et la foi nécessaires à sa rédemption.

Tannhauser, qui peu à peu est revenu de son égarement et a entendu la prière d’Élisabeth, tombe à terre, vaincu par la douleur et le remords. Le Landgrave et les chevaliers, touchés par la généreuse supplication de la miséricordieuse princesse, remettent leurs épées au fourreau ; le Landgrave engage alors celui dont l’âme est chargée d’un forfait si lourd, à aller implorer son pardon à Rome, se joignant pour cela à une troupe de jeunes pèlerins qui, partant de tous les points de la Thuringe, entreprennent en ce moment le saint voyage. S’il revient absous par le Souverain Pontife, les siens oublieront à leur tour sa faute. Tous se joignent au Landgrave pour lui promettre alors l’oubli de son crime.

Les chants pieux se font entendre dans le lointain : c’est la troupe des jeunes pèlerins déjà en marche pour la cité bénie. Tous écoutent avec émotion, et Tannhauser, maintenant soutenu par la divine espérance, se précipite avec exaltation à la suite des pécheurs repentants.


3me  Acte.

Scène i. — Le paysage est le même qu’à la fin du 1er  acte, mais avec un aspect automnal. Le jour est à son déclin ; on aperçoit dans la montagne Élisabeth qui, prosternée aux pieds de la Vierge, prie avec ferveur. Wolfram descend des bois à gauche et s’arrête en l’apercevant ; il contemple la sainte créature qui implore jour et nuit le Ciel pour celui qui l’a si cruellement trahie. Déjà, pense Wolfram, l’automne s’approche, annonçant le retour des pèlerins. Sera-t-il parmi les élus qui ont reçu l’absolution de leurs fautes ?…

Absorbé dans ses réflexions, il continue à descendre, lorsqu’on perçoit dans le lointain un chœur de vieux pèlerins qui s’approchent ; il s’arrête de nouveau. Élisabeth a entendu les chants ; elle supplie les bienheureux du ciel de l’assister dans ce moment plein d’angoisse, et se lève pour voir passer les pieux voyageurs, qui célèbrent le Seigneur et les grâces qu’il a bien voulu leur prodiguer.

Élisabeth cherche anxieusement Tannhauser parmi la sainte cohorte ; ne l’apercevant pas, elle s’agenouille dans une attitude de douloureuse résignation, pendant que la procession s’éloigne, et, dans une ardente invocation à la Mère de Dieu, où elle s’accuse des désirs profanes et des pensées mondaines qui ont jadis occupé son cœur, elle supplie la Divine Consolatrice de la rappeler à elle, de lui ouvrir le séjour des bienheureux, d’où elle pourra plus efficacement prier pour celui qui porte toujours le fardeau de son crime. Son regard illuminé est tourné vers le ciel ; elle se relève lentement, et quand Wolfram, qui l’a contemplée avec une émotion profonde, s’approche d’elle et lui demande la grâce d’accompagner ses pas, elle lui fait comprendre par un geste affectueux et reconnaissant que la route qu’elle doit prendre est celle qui mène au ciel, et que personne ne doit l’y suivre. Elle gravit lentement le sentier se dirigeant vers le château.

Scène ii. — Wolfram la regarde tristement s’éloigner, puis, resté seul, il prend sa harpe et, après avoir préludé, fait entendre un chant plein d’une mélancolique poésie, dans lequel il salue la suave étoile du soir, dont la pure lumière, éclairant la nuit profonde qui enveloppe la vallée, monlre son chemin au voyageur angoissé. À cette douce étoile, il confie celle qui va quitter à tout jamais la terre pour s’élancer dans le séjour des bienheureux.

Scène iii. — Pendant son chant la nuit est survenue ; un pèlerin excédé de fatigue, les vêtements déchirés, le visage défait, s’avance, péniblement appuyé sur son bâton ; c’est Tannhauser, en qui Wolfram reconnaît avec effroi le pécheur non pardonné. Comment ose-t-il reparaître dans la contrée ?

Tannhauser, d’un air sinistre, lui demande le chemin, qu’il connaissait si bien autrefois, mais qu’il ne retrouve plus, du Vénusberg. À ces mots, Wolfram est frappé d’épouvante ; son ancien compagnon n’a donc pas été à Rome implorer la grâce divine ? La colère de Tannhauser éclate alors, et, dans un récit d’une poignante désespérance, il retrace les étapes de son douloureux voyage, son humilité, son désir de souffrance qui lui faisait multiplier les épreuves et les difficultés de la route ; puis son arrivée à Rome, son immense espoir à la vue du Pontife qui promettait la rédemption à tous les repentirs, et enfin l’effondrement de tout son être après qu’ayant confessé, éperdu, ses crimes passés, il s’est vu, seul parmi des milliers de pécheurs, repoussé impitoyablement par le représentant de Dieu, par le Souverain Pontife, qui l’a déclaré à jamais maudit et lui a prophétisé les souffrances d’une fournaise infernale dans laquelle l’espérance ne refleurirait pas plus que ne reverdirait jamais son bâton de pèlerin.

Tel fut à ce moment l’excès de son désespoir, qu’il tomba inanimé, expirant, sur le sol ; mais maintenant, revenu à lui, il mesure l’étendue de sa misère ; une seule issue lui reste, vers laquelle il se précipite avec l’âpreté de la douleur : à lui Vénus, à lui l’enchantement corrupteur de ses ardentes voluptés !

Scène iv. — En vain Wolfram veut-il arrêter l’évocation maudite sur les lèvres du malheureux et l’entraîner avec lui : Vénus a entendu l’appel qui lui a été fait, elle s’empresse d’accourir. Un nuage léger envahit la vallée, de délicieux parfums emplissent les airs, on aperçoit dans l’atmosphère voilée de rose les dansée des nymphes séduisantes ; bientôt on distingue dans la lumière brillante la déesse étendue sur un lit de repos. Elle appelle à elle Tannhauser enivré, lui rappelant les plaisirs sans nombre qui l’attendent de nouveau dans son royaume. Wolfram lutte désespérément, voulant arracher son ami à ces fatales séductions ; mais Tannhauser résiste à toutes les vertueuses exhortations du chevalier. Encore un instant, et sa perdition va être consommée, Vénus va s’emparer à tout jamais de sa proie, lorsque, pour la seconde fois, le nom d’Élisabeth, cet ange de pureté, prononcé par Wolfram, produit son effet béni. En l’entendant, Tannhauser reste comme foudroyé, immobile.

Scène v. — À ce moment un chœur d’hommes venant du lointain annonce la fin des souffrances de la pieuse martyre. Son âme, affranchie désormais des douleurs terrestres, s’est élancée, radieuse, dans les sphères célestes, où elle prie pour le pèlerin au pied du trône de Dieu.

Vénus, comprenant enfin qu’elle est vaincue, disparaît avec tout son entourage magique.

De la vallée descendent alors les longues théories de nobles accompagnant le Landgrave, puis les pèlerins qui portent sur un brancard le corps de la sainte en chantant un cantique d’actions de grâces. Sur un signe de Wolfram, ils déposent la mortelle dépouille d’Élisabeth au milieu de la scène ; Tannhauser tombe à côté, invoquant le secours de la Bienheureuse, puis il meurt accablé par la douleur et le repentir.

À ce moment s’avancent les jeunes pèlerins portant la crosse reverdie et couverte de fleurs, miraculeuse manifestation du pardon divin, et tous les assistants, saisis d’une émotion profonde, font entendre un alléluia de reconnaissance pour Celui qui, prenant en pitié les souffrances du pécheur et exauçant les prières de sa douce protectrice, a accordé au coupable sa suprême miséricorde.

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