Le Vrai Livre des femmes/07

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E. Dentu (p. 63-66).


CHAPITRE VII

LA MÈRE OUVRIÈRE.


« Travaillez, prenez de la peine,
« C’est le fonds qui manque le moins. »


Ce précepte de La Fontaine, les femmes de la classe ouvrière le mettent ordinairement en pratique ; mais les mères surtout en rehaussent le prix, par une assiduité laborieuse qui ajoute leur travail de nuit aux heures actives de leurs journées. L’ouvrier, en touchant sa paie, le samedi, manque rarement d’offrir à boire au camarade qui, comme lui, a attendu chez le patron. On entre au cabaret ; le vin est versé, il faut le boire. La causerie s’anime, le cerveau se trouble, et l’argent, fruit d’une semaine de labeur, est souvent dissipé en moins d’une heure.

L’ouvrière, elle, n’a pas de ces tentations ; mère de famille, ses joyaux, ce sont ses enfants. Non qu’elle soit insensible au spectacle de la nature, aux délassements de l’esprit, mais d’autres existences la rivent au devoir. Jeune fille, la prudence de sa mère l’a arrachée aux séductions du vice, et, comme il lui a été fait, elle fera. Quel courage et quelle sérénité en cette femme ! Sa couvée est nombreuse, son zèle suffit à tout !… ses enfants l’aiment, ses voisins l’estiment, les indifférents la respectent, le travail la sanctifie !…

C’est dans une famille ouvrière honorée qu’il faut s’arrêter pour constater l’efficacité morale du travail. Si le père et la mère s’entendent, la ruche est riche en bons fruits ; si, au contraire, la désharmonie est entre eux, les garçons vont d’un côté, les filles de l’autre ; ceux-ci contractent des vices au cabaret ; celles-là sacrifient leur honneur pour quelques colifichets. Souvent les garçons encourent des peines infamantes ; les filles, elles, elles vont à l’infamie… Les apprentis voleurs, les jeunes prostituées, sortent des mains de parents insouciants. L’exemple du bien leur a manqué ; ils ont eu l’exemple du mal et personne, dans un milieu égoïste, n’a pris charge d’eux, ne s’est substitué à leur directeur naturel. Ainsi abandonnés, ils ont glissé, les pauvres orphelins, sur la pente de leurs passions !…

La femme active au travail, aimée de son mari, aimante pour ses enfants, n’aura pas besoin pour accomplir ses devoirs d’autres guides que son cœur. De ses marmots aînés, elle se fera des moniteurs pour l’éducation des cadets. Les petits useront la défroque des grands ; la réciprocité et la mutualité feront d’eux une unité multiple sous un même nom. Leurs devoirs envers Dieu, envers leurs semblables, envers eux-mêmes, ceux-là les auront compris. Leur mère n’a pas faussé les élans de leur cœur. L’orgueil qu’il est permis de caresser par le sentiment d’un devoir accompli et les autres jouissances, prix de la vertu, ils les auront dus à celle qui leur a donné la vie. Et si l’âge des études venu, le bien-être de la famille permet à ces enfants de franchir les degrés de l’école communale, l’éducation opérera en eux des prodiges. L’enseignement ne connaissant de supériorité que celle de l’application et du mérite.

Le génie humain se féconde par le travail. Si les grandes découvertes ont immortalisé tant d’inventeurs, ceux-ci dans leur enfance avaient été sans doute doucement stimulés à l’application par leur éducation première. Or, il faut rendre cette justice aux fils qu’ils sont ambitieux de glorifier leurs mères.

Heureuse l’artisane qui se fait centre et pivot de sa jeune famille, qui la pousse, non pas à s’affranchir du joug maternel, mais à l’honorer ! Les commandements disent : « Tu travailleras six jours, tu feras ton œuvre et tu te reposeras le septième jour ; car le septième jour est le repos de l’Éternel ton Dieu. »

Nous ne croyons pas que le Créateur se repose ; lui qui soumet les astres aux lois du mouvement de toute éternité ; lui qui, le dimanche, comme les autres jours, nous donne la lumière du soleil, les fruits de la terre, le cours des eaux, les bienfaits de la vie, les accidents de la mort. Souhaitons cependant à la mère ouvrière, après l’élévation de sa pensée en actions de grâce, un gain suffisant en six jours pour qu’il lui soit donné de se reposer le septième.

Réparez vos forces, créatures faibles, mais bénissez le travail, il fait l’homme créateur et l’achemine à la liberté.