Le bracelet de fer/09

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Éditions Édouard Garand (29p. 18-19).

Chapitre IV

LE RÊVE DE DELMAS FIERMONT


Il pouvait être onze heures, le lendemain matin, quand Paul, qui se promenait sur la terrasse entourant le « château », en fumant un cigare, vit arriver un homme assez âgé, qu’il reconnut aussitôt : c’était Georges Trémaine, l’ami intime de Delmas Fiermont.

Georges Trémaine avait donc gardé ses habitudes de jadis ?… Depuis au-delà de vingt ans, tous les jours, il venait faire la partie de dames avec son vieil ami ; il arrivait à onze heures et repartait à une heure précise.

Georges Trémaine fut très étonné, en arrivant sur la terrasse du « château », d’apercevoir un jeune homme de haute taille, bronzé par le soleil, qui lui tendait la main en souriant.

— Comment vous portez-vous, M. Trémaine ?

— Hein ! fit l’interpellé. Puis, retrouvant ses bonnes manières, il répondit : Merci, je me porte bien… Mais, à qui ai-je l’honneur de parler, s’il vous plaît ?

— Il y a si longtemps que nous ne nous sommes rencontrés ! fit Paul. Sept ans, c’est…

— Sept ans, dites-vous ?… Sept ans !… C’est… c’est donc Paul ?… Mais non, ça ne peut pas être Paul Fiermont !

— C’est Paul Fiermont lui-même, M. Trémaine !

— Oh !… Quel plaisir de te revoir, mon garçon ! Ciel ! que ton oncle doit être heureux que tu sois de retour !… C’est qu’il s’est ennuyé beaucoup, beaucoup, ce pauvre Delmas !… Dis donc, Paul, je ne t’aurais jamais reconnu ; tu as tellement…

— Grandi, acheva Paul en riant.

— Eh ! bien, oui, grandi, répéta Georges Trémaine, riant à son tour. Attends donc pourtant… Tu dois avoir vingt-deux ans maintenant, hein ? Que le temps passe vite !… Tiens, voilà ton oncle qui vient à notre rencontre. Ma foi, il est rajeuni de dix ans pour le moins !

— J’ai trouvé que mon oncle n’avait pas changé, dit Paul. Vous non plus, M. Trémaine, puisque je vous ai immédiatement reconnu.

— Écoute, Paul, mon garçon, dit Georges Trémaine, parlant rapidement et bas, ton oncle a le cœur faible. Je me hâte de t’en avertir.

— Il a le cœur faible, dites-vous, M. Trémaine ? Cela me surprend, car, je l’ai trouvé…

— Crois ce que je te dis, Paul. Moi, je sais fort bien à quoi m’en tenir. Ne le contrarie pas ; ça pourrait lui être fatal… et ne le quitte plus… il s’est ennuyé de toi… plus que tu ne serais porté à le croire peut-être.

— Je ne savais pas, M. Trémaine, que…

— Chut ! Le voilà !

— Bonjour, Trémaine ! dit Delmas Fiermont.

— Bonjour, Fiermont ! répondit Georges Trémaine. Nous venons de renouveler connaissance, Paul et moi, comme tu le vois.

— Tant mieux ! Tant mieux ! fit Delmas.

— J’ai reconnu M. Trémaine immédiatement, annonça Paul. Vraiment, l’atmosphère est bonne, ici, car vous n’avez pas changé, ni l’un ni l’autre, mon oncle ; ni vous ni M. Trémaine, je veux dire.

— Puisse l’atmosphère te plaire alors, Paul ; assez pour te retenir auprès de moi, mon neveu ! s’écria Delmas Fiermont. Je ne pourrais plus souffrir de me séparer de toi d’ailleurs, vois-tu.

— Il n’y a pas de danger que je vous quitte, oncle Delmas, répondit Paul en souriant. J’y suis, j’y reste !… Mais, je ne veux pas vous retenir, tous deux ; c’est l’heure de la partie de dames, et…

— Nous y renonçons de bon cœur, pour aujourd’hui ; n’est-ce pas, Fiermont ? fit Georges Trémaine.

— Certes ! s’exclama Delmas Fiermont.

— Non pas ! s’écria Paul. Moi, j’irai faire une excursion du côté des écuries, voir les chevaux.

— Il y a d’assez bons chevaux, Paul, dit Delmas Fiermont. Mais il te faudra une bonne bête de selle, et nous nous en occuperons, dès demain. Au revoir donc, mon garçon !

— À tantôt, mon oncle ! Au revoir, M. Trémaine.

— La vie aventureuse n’a pas gâté ton neveu, Fiermont ! dit Georges Trémaine, au moment où il se disposait à retourner chez lui, une heure venant de sonner. C’est un charmant garçon… Un beau garçon, avec cela !

— Qui ferait un excellent mari pour ta fille Réjanne, Trémaine ! répondit l’oncle de Paul.

— En effet ! dit Georges Trémaine.

— Cela tient-il toujours, de ton côté, le projet de marier nos deux enfants ensemble : ta Réjanne et mon Paul, Trémaine ?… Tu le sais, c’est le rêve de ma vie… Dis-moi, y tiens-tu encore à cette idée ?

— Plus que jamais, mon ami ! Espérons qu’ils sympathiseront ensemble, à première vue… Eh ! bien, à demain !

— À demain !

Sur la terrasse, Georges Trémaine rencontra Paul, et celui-ci alla reconduire l’ami de son oncle, jusqu’à la barrière ouvrant sur le grand chemin.

Au moment où ils allaient se séparer tous deux, une voiture passa, attelée à deux chevaux de sang.

— Madame Trémaine, dit Paul, en désignant une dame, qui était assise dans la voiture. Elle non plus, n’a pas du tout changé.

Mais voilà que la voiture venait de s’arrêter, et Mme Thémaine faisait un signe à son mari ; celui-ci, accompagné de Paul, s’approcha aussitôt.

— Ma chère, dit Georges Trémaine, je te présente M. Paul Fiermont.

— Paul ! cria Mme Trémaine, en tendant la main au jeune homme. Te voilà donc revenu enfin !… Je ne t’aurais jamais reconnu !… Que te voilà…

— Ne me dites pas que j’ai grandi, Mme Trémaine, je vous prie ! fit Paul, en riant de bon cœur.

— J’allais le dire ! répondit Mme Trémaine, riant, à son tour. C’est vrai que tu es grand, et bronzé, et… j’allais ajouter, joli garçon, acheva-t-elle, toujours riant.

— Salue, Paul ! intervint Georges Trémaine, d’un ton amusé. Ma femme n’est pas prodigue de ses compliments, tu sais !

— Il faut que vous veniez diner avec nous, disons… mardi soir prochain, ton oncle et toi, Paul, dit Mme Trémaine.

Madame Trémaine aurait aimé inviter Paul et son oncle pour dès le lendemain ; mais elle comprit bien que le jeune homme aurait besoin de quelques séances chez le tailleur, avant de pouvoir accepter une invitation à diner. Dans la vie aventureuse qu’il avait menée, depuis sept ans, le jeune homme avait dû porter plus souvent le costume de coureur des bois que l’habit de cérémonie.

— C’est entendu ? Vous viendrez, tous deux ? demanda M. Trémaine.

— Merci, Madame ! Merci, M. Trémaine ! répondit Paul. C’est bien aimable à vous de nous inviter, et j’accepte votre invitation de grand cœur. Quant à mon oncle…

— Ton oncle ne refusera pas de t’accompagner, Paul, fit, en souriant Georges Trémaine ; il n’aime pas à te perdre de vue, dans le moment, tant il craint que tu reprennes ton vol.

— À mardi, alors ! dit Mme Trémaine. Nous dinons à sept heures.

— À mardi, Madame ! Et encore une fois, merci !

Quand Paul eut fait part à son oncle de l’invitation de Mme Trémaine, celui-ci put à peine contenir sa joie, car il désirait, par-dessus tout, qu’une rencontre eut lieu, le plus tôt possible, entre son neveu et Réjanne Trémaine. Le rêve si longtemps caressé allait peut-être se réaliser enfin !