Le bracelet de fer/33

La bibliothèque libre.
Éditions Édouard Garand (29p. 56-58).

Chapitre X

NILKA AU « CHATEAU »


Le résultat de cette conversation, ce fut que, lorsque Nilka et son père arrivèrent au « château », ils y furent reçus princièrement, ce qui ne manqua pas de les étonner quelque peu, car ils ne s’étaient certes pas du tout attendus à une telle réception.

On avait conduit Alexandre Lhorians et sa fille à la bibliothèque, où les attendait Mlle Fiermont.

— Monsieur et Mademoiselle Lhorians ! avait annoncé Côme, le domestique.

Mlle Fiermont s’était avancée à la rencontre de ses visiteurs.

— Soyez les bienvenus, Monsieur et Mademoiselle Lhorians ! leur avait-elle dit, avec un aimable sourire.

— Merci, Mademoiselle, avait répondu. Alexandre Lhorians, en s’inclinant profondément devant la parente de Paul.

— Côme, avait repris « tante Berthe », tu vas conduire M. Lhorians à sa chambre ; moi, je me charge de conduire Mlle Lhorians à la sienne.

Et tandis que l’horloger suivait le domestique, Mlle Fiermont conduisait Nilka dans une chambre spacieuse, luxueuse, connue autrefois sous le nom de la « chambre verte ».

En pénétrant dans la pièce, la jeune fille eut une exclamation :

— Oh ! Quelle splendide chambre !… Et ces oiseaux bleus…

— Je suis contente que vous aimiez les pièces que je mets à votre disposition, Mlle Lhorians, dit Mlle Fiermont. Il y a aussi un petit boudoir attenant à cette chambre ; voyez !

— Je serai logée comme une duchesse ! fit la jeune fille. Mademoiselle, ajouta-t-elle, en s’adressant à Mlle Fiermont et tandis que ses yeux se mouillaient de larmes de reconnaissance, c’est infiniment trop de bonté de nous recevoir ainsi !… Mon père est venu ici pour réparer une horloge, et vous me traitez comme si j’étais… comme si j’étais… une invitée !

— Chère petite, répondit Mlle Fiermont, je vous ai aimée, en vous apercevant, tout à l’heure, et je tiens à ce que vous jouissiez pleinement de votre séjour sous ce toit : voilà !

— Merci ! Oh ! merci, chère Mademoiselle ! s’écria la jeune fille.

— Ça me fait bien plaisir que vous aimiez tant ces pièces…

— Les aimer !…

Une vision passa devant les yeux de Nilka : celle de sa minuscule chambrette, à Québec, dans la rue C…, et, malgré elle, elle sourit.

— J’espère que M. Lhorians sera satisfait, lui aussi. Sa chambre est voisine du Musée, dont il pourra faire son cabinet de travail, s’il le désire.

— Merci ! Oh ! merci, Mademoiselle ! Vous êtes infiniment bonne ! fit la jeune fille.

— Du moment que vous êtes satisfaite, ma chère enfant… commença Mlle Fiermont.

— Satisfaite ? Comment ne le serais-je pas ? J’étais si loin de m’attendre à une telle réception, à tant de délicate bonté ! Et savez-vous, Mademoiselle, ces oiseaux bleus peints sur la tapisserie… c’est une si singulière coïncidence !

— Une coïncidence, dites-vous, mon enfant ?

— Oui. À Québec, on me nomme « l’Oiseau Bleu », parce que je suis toujours vêtue de bleu, et aussi parce que je chante dans un Café Chantant. Comme on ignore mon véritable nom, on ne me désigne pas autrement que l’Oiseau Bleu.

— Vraiment ? fit la vieille demoiselle, en simulant parfaitement la surprise. Eh ! Mais ! L’Oiseau Bleu, c’est un fort joli nom, Mlle Lhorians !

— Ô Mademoiselle, dit Nilka, si vous vouliez mettre le comble à vos bontés en m’appelant Nilka, et non Mlle Lhorians !

— Avec plaisir, Nilka, répondit Mlle Fiermont en souriant. D’ailleurs, Nilka c’est un si joli nom, si rare, si… mélodieux, si je puis m’exprimer ainsi, que je serai heureuse de vous le donner.

— C’était le nom de ma mère… murmura la jeune fille. Merci, Mademoiselle, de vous rendre à mon désir, merci !

— Qu’elle est charmante et belle cette enfant ! se disait Mlle Fiermont, le soir de l’arrivée des Lhorians au « château ». Il n’est pas du tout étonnant que Paul l’aime éperdument la gentille Nilka !

Alexandre Lhorians et sa fille furent douze jours au « château », et ces douze jours furent remplis de joies de toutes sortes pour Nilka ; pour Mlle Fiermont aussi, car elle avait tout de suite aimé excessivement la jeune fille. « Tante Berthe » avait fait de la jeune chanteuse du Café Chantant sa compagne de chaque instant. L’avant-midi, toutes deux se retiraient dans la bibliothèque ; elles lisaient, écrivaient, ou faisaient quelque ouvrage à l’aiguille. Après le repas du midi, elles se promenaient sur la terrasse un peu, ou bien elles allaient faire une longue excursion en voiture, dans les environs. La veillée se passait dans le salon. Nilka jouait du piano et chantait pour la vieille demoiselle, et celle-ci ne se lassait pas d’écouter la voix de l’Oiseau Bleu. Ou bien, ces deux personnes, malgré leur différence d’âge, causaient ensemble, comme de vieilles amies, Mlle Fiermont parlant de son cher « neveu » Paul, le modèle des jeunes gens, le parfait gentilhomme, qui s’était montré envers elle si délicat et si bon. Nilka parlait de ses simples expériences de jeune fille, du genre de vie qu’elle menait, à Québec, entre son père et Joël, leur ancien domestique, maintenant aide-joaillier et ami dévoué, s’il en était un au monde. Ces causeries duraient jusqu’à dix heures précises, heure à laquelle Mlle Fiermont se retirait pour la nuit. Alors, Nilka, seule dans les belles et confortables pièces qu’on avait mises à sa disposition, s’installait dans son boudoir et s’amusait à sa guise, soit à lire, soit à écrire, soit à broder, jusqu’à ce que, prise de sommeil, elle se couchait, pour rêver… sait-on toujours ce à quoi rêvent les jeunes filles ?…

Nilka était aimée de tous, au « château ». La ménagère, Mme Jacquin disait, un jour, à Prosper :

— Quel malheur que M. Paul soit absent, hein, Prosper ?… Lorsqu’il apprendra que M. et Mlle Lhorians sont venus ici, il regrettera de n’avoir pas été présent pour les recevoir, bien sûr !

— Vous l’avez dit, Mme Jacquin ! avait répondu Prosper. Elle est bien belle et bien gentille Mlle Lhorians ! Elle a un sourire pour tous, et c’est un vrai plaisir de la servir.

— Et pas du tout exigeante, avec cela, la chère petite demoiselle ! L’autre jour, quand je lui ai monté son déjeuner dans sa chambre, parce qu’elle souffrait d’un léger mal de tête et ne pouvait pas descendre dans la salle à manger, elle m’a dit : « Oh ! Pourquoi vous être donnée toute cette peine pour moi ? vous qui avez tant à faire déjà, pauvre Mme Jacquin ! »

— Ma foi ! s’écria Prosper, je crois bien que c’est un ange Mlle Lhorians, Mme Jacquin !

— Je le crois bien, moi aussi, Prosper ; Mlle Lhorians est, en effet, un ange !

Quant à Alexandre Lhorians, il passait tout son temps dans le Musée ; on ne le voyait qu’aux heures des repas. C’est en vain que Mlle Fiermont l’avait invité de se joindre à elle et à Nilka, dans leurs promenades en voiture, ou à partager d’autres de leurs amusements.

— Merci, Mademoiselle Fiermont, répondait-il, invariablement. Je suis venu ici pour travailler, et d’ailleurs, le travail que je fais m’intéresse grandement. Vous avez, dans ce « château », la plus belle collection d’horloges que j’aie vue encore.

— C’était aussi l’opinion de mon cousin Delmas… que sa collection d’horloges était insurpassable, je veux dire, fit, en riant Mlle Fiermont.

— J’aimerais à vous parler de mon horloge de cathédrale, Mlle Fiermont, dit Alexandre Lhorians. C’est une de mes inventions qui…

Et voilà l’horloger, à cheval sur son dada, au grand ennui de la vieille demoiselle, que le sujet n’intéressait guère. Heureusement, Nilka entrait dans le Musée, pour annoncer que la voiture était à la porte du « château » et que les chevaux piaffaient d’impatience.

Ce jour-là, en revenant de leur promenade en voiture, elles passèrent en vue du promontoire, et Nilka de dire à sa compagne :

— La première, et la seule fois que je suis venue à la Banlieue, Mlle Fiermont, j’ai été témoin d’un accident sur ce promontoire : un jeune homme venait de tomber et de se frapper la tête sur un fragment de rocher… J’avais pu lui donner quelques soins… Chose curieuse, je l’ai revu, à Québec ce jeune homme. Il m’a même remis un médaillon, que j’avais perdu sur le promontoire ; un médaillon auquel je tiens infiniment, car il contient un portrait de ma mère ; voyez !

Nilka ouvrit le médaillon qu’elle portait suspendu à son cou et montra à « tante Berthe » le portrait qu’il contenait.

— Oh ! Quelle ressemblance il existe entre vous et votre mère, Nilka ! s’écria la vieille demoiselle.

— Oui, répondit la jeune fille. Père dit que la ressemblance est extraordinaire… Ma mère… je l’ai à peine connue… Je n’avais que quatre ans lorsqu’elle est morte…

— Pauvre chère petite ! fit Mlle Fiermont en entourant de ses bras la taille de Nilka. Mais, ajouta-t-elle, ce jeune homme dont vous me parliez tout à l’heure, celui qui était tombé, sur le promontoire, l’avez-vous rencontré souvent ?

— Deux ou trois fois seulement, répondit Nilka, en rougissant légèrement. Il se nomme M. Laventurier… Il venait souvent diner au Café Chantant, où j’étais engagée comme cantatrice.

M. Laventurier ?…

Mlle Fiermont fronça légèrement les sourcils. Pourquoi Paul s’était-il donné un nom qui n’était pas le sien ?… Assurément, ça n’avait pas été dans l’intention de tromper la naïve enfant qui, « tante Berthe », le devinait bien, l’aimait, sans trop s’en rendre compte ?…

— Ah ! Vous savez son nom alors, à ce jeune homme, Nilka ? demanda-t-elle. Est-ce lui qui vous l’a dit ?

— Non, Mlle Fiermont. Son nom, je l’ai appris dans d’assez… comiques circonstances. Il faut que je vous raconte la chose, dit Nilka, en éclatant de rire.

Elle raconta à Mlle Fiermont l’incident Anatole Chanty, mais sans nommer ce dernier, puisqu’elle ne savait pas son nom. La vieille demoiselle eut un soupir de soulagement ; évidemment, Paul n’avait pas essayé de tromper la jeune fille ; elle avait, elle-même, fait erreur, voilà tout.

— Tout de même, réfléchissait-elle, Paul aurait dû détromper Nilka, la première fois qu’elle l’a nommé M. Laventurier. C’est de l’enfantillage de sa part, et souvent, ces sortes d’enfantillages ont d’assez graves résultats !

Mlle Fiermont fut tentée de détromper la jeune fille ; cependant elle résista à la tentation. Elle n’allait pas mettre « les pieds dans les plats » et risquer de déplaire, fortement peut-être, à Paul, si bon, si délicat, si gentil pour elle.

— Mais, je lui donnerai un conseil, aussitôt que je le verrai, se dit-elle. La farce a assez duré, selon moi, et Paul doit des explications à cette petite. Oui, j’y verrai !

Les douze jours que Nilka passa au « château » s’envolèrent bien trop vite au gré de ses désirs. Combien elle eut voulu pouvoir accepter l’offre de Mlle Fiermont : celle de devenir sa compagne ! Mais c’était impossible. Elle ne pouvait quitter son père, dont elle seule venait à bout lorsqu’il avait ses « crises de visions et de rêves », pour parler comme Joël.

C’est donc le cœur gros que la jeune et la vieille demoiselle se séparèrent, les douze jours étant écoulés, et l’horloger ayant terminé sa besogne à sa satisfaction. Il était entendu, cependant, qu’on se verrait, dans peu de temps.

Pourtant, un bien long temps devait s’écouler et bien des évènements devaient se passer, avant qu’elles se rencontrassent toutes deux !