Le catholicisme en Corée, son origine et ses progrès/Texte entier

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LE CATHOLICISME
EN CORÉE

SON ORIGINE
et
SES PROGRÈS.


HONGKONG
Imprimerie de la Société des Missions-Étrangères
de Paris.
1924

LE CATHOLICISME
EN CORÉE

PASTORIS ÆTERNI VICARIO
BEATI PETRI SUCCESSORI
VISIBILI TOTIUS ECCLESIÆ CAPITI
OMNIUM CHRISTI FIDELIUM PATRI ET DOCTORI
MISSIONARII OPERIS AMATORI
PIO XI
PONTIFICI MAXIMO
GLORIOSE REGNANTI
HOC "de Catholicismo in Corea" OPUS
HUMILLIMUM
DEVOTISSIMUM ANIMI PIGNUS
ANNO CXL AB INCEPTIS INEUNTE
ECCLESIA COREANA
PER SUOS PASTORES
PASTORI SUPREMO
D. D.

TABLE DES MATIÈRES.


Avant-propos. — Le pays et ses habitants. 
 1
Première partie.
Introduction du christianisme en Corée. — Premières persécutions. (1784-1831) 
 13
Deuxième partie.
Persécutions sanglantes. — Nombreux martyrs. (1831-1866) 
 23
I. — 
Érection de la Corée en Vicariat Apostolique (1831). Persécutions de 1839 et 1846. 
 23
II. — 
Travaux des Missionnaires (1847-1866). 
 35
Troisième partie.
L’église de Corée sort des catacombes. La moisson commence. 
 55
I. — 
Premières tentatives des Missionnaires pour rentrer en Corée (1867-1870). 
 55
II. — 
Épiscopats de Mgr Ridel et de Mgr Blanc. Traité de la Corée avec les puissances Étrangères (1870-1890). 
 60
III. — 
Mgr Mutel, Vicaire Apostolique de Corée (1890). La Moisson. État de l’Église de Corée en 1890. 
 68
Quatrième partie.
L’église de Corée s’organise. — Division en plusieurs territoires ecclésiastiques. 
 79
I. — 
Vicariat Apostolique de Séoul (M-E. de Paris). 
 79
II. — 
Vicariat Apostolique de Taikou (M-E. de Paris). 
 90
III. — 
Vicariat Apostolique de Wonsan (Ouensan (Pères Bénédictins de Ste. Odile. — Bavière). 
 97
IV. — 
Territoire du Hyyenganto (M-E. de Maryknoll) 
 100
Notes finales et conclusion 
 102


les quatre évêques actuels de corée.
Mgr MUTEL
Mgr DemangeMgr DevredMgr Sauer

LE CATHOLICISME EN CORÉE
SON ORIGINE ET SES PROGRÈS

AVANT-PROPOS.

Le Pays et ses habitants.

Avant de résumer l’histoire de l’église de Corée, sa fondation, ses luttes sanglantes, ses progrès, sa situation actuelle, il n’est pas inutile de dire quelques mots de ce curieux pays, jadis surnommé : « Le Royaume Ermite », parce que, hier encore, fermé aux étrangers, et que seul l’héroïsme des missionnaires catholiques, bravant les dangers des édits de proscription, put autrefois réussir à le faire connaître au monde.

Ces notes préliminaires diront surtout ce que fut la Corée avant son entrée dans la civilisation, c’est-à-dire, avant les traités qu’elle finit par conclure avec le Japon et les puissances occidentales, à la fin du XIXème siècle.

SOL ET PRODUCTIONS. — La Corée, d’une superficie de 220.000 kilomètres carrés, est avant tout un pays montagneux. Une grande chaîne, partant des Chau-yan-alin de Mandchourie, se dirige du Nord au Sud, en suivant parfois d’assez près le rivage de l’Est, dont elle épouse les contours. Les contreforts de cette chaîne, en se ramifiant à leur tour, couvrent le pays presque tout entier. On signale bien quelques plaines en quelques régions de l’Ouest, mais n’entendez pas par là une surface unie et très étendue, c’est plutôt un endroit où les montagnes sont moins hautes et plus espacées qu’ailleurs.

Les forêts furent jadis très nombreuses : les bois de construction y abondaient, les pins et sapins surtout. Mais le déboisement s’est fait de telle façon dans ces 40 dernières années, qu’il n’en reste pour ainsi dire plus. Le sol de Corée recèle des mines abondantes d’or, d’argent, de cuivre, de graphite. Le minerai de fer y est commun, et il y a actuellement plusieurs mines de charbon en exploitation qui sont très prospères. Bien que sa latitude moyenne soit celle de l’Espagne, de l’Algérie et de la région centrale des États-Unis d’Amérique, le climat de Corée, l’hiver, est plus rigoureux qu’en ces régions, et l’été y est plus chaud. Au mois de Juillet, survient la saison des pluies, qui s’étend ordinairement au delà de deux mois. C’est pour l’agriculture un grand bienfait. Car le riz formant ici la principale culture du pays, l’eau est de tonte nécessité pour la bonne venue de cette précieuse céréale. Outre le riz, on cultive en Corée l’orge, le millet, le sorgho, le maïs, le sarrasin, le soja et plusieurs espèces de haricots ; le coton y vient très bien, mais seule l’espèce annuelle, connue sous le nom de Gossipium herbaceum peut réussir. Le tabac s’y cultive en grande quantité. Les fruits indigènes n’ont ordinairement pas grande saveur. Il faut toutefois faire exception pour le kaki, qui est le meilleur des fruits de Corée. La vigne existe à l’état sauvage dans les montagnes, et avec des tâtonnements et des soins, les espèces européennes finiront par s’implanter ici. Il y a en Corée un grand nombre de plantes médicinales, parmi lesquelles il faut citer surtout le « ginseng », dont la racine est très appréciée. L’espèce coréenne est très demandée en Chine. On a réussi à le cultiver depuis longtemps, mais c’est le ginseng sauvage qui est surtout recherché et se vend son poids d’or. C’est un tonique très puissant et qui produit chez les indigènes des effets merveilleux. — Les animaux sauvages sont très nombreux en Corée. Le tigre, la panthère, avec le serpent, font chaque année des victimes. L’ours et le sanglier se trouvent fréquemment dans les montagnes. Les cerfs sont recherchés par les chasseurs coréens pour leur corne, dont on fait des remèdes très vantés. Le chevreuil et le chevrotin porte-musc abondent, ainsi que les faisans, les canards sauvages, les outardes, les grues, l’aigrette, etc. Le mouton est ici inconnu. Il paraît, au dire des botanistes, qu’une certaine herbe, du genre carex, et très abondante ici, serait on ne peut plus funeste pour l’acclimatation des ovins en Corée. En revanche le bœuf règne ici en maître. On s’en sert pour la culture et pour le transport, mais aucune vache laitière : les coréens n’aiment pas le lait de vache. Le cheval est représenté par une petite espèce ; inutile pour les travaux des champs, il ne sert, ainsi que l’âne et le mulet, que comme bête de somme. Étant donné que les routes autrefois n’existaient pas, tout autre moyen de transport eût été pratiquement inutilisable. Les autres animaux domestiques sont le chien et le porc. La chair du chien était un des plats favoris du pays. Enfin il est impossible de parler du règne animal en Corée, sans mentionner les insectes et la vermine de toutes espèces, puces, poux, punaises, cancrelats qui pullulent dans le beau pays du « Matin Calme ».

CLIMAT. — Le climat coréen est généralement sain. Dans certaines régions toutefois sévit le paludisme, et diverses fièvres attribuées à la mauvaise qualité de l’eau. Le typhus, le choléra, la dysenterie, la petite vérole exerçaient jadis chaque année de grands ravages. Depuis l’arrivée des japonais, grâce aux mesures d’hygiène introduites partout, ces fléaux sont mieux combattus, et le nombre des victimes est bien moindre.

HABITANTS. — La race coréenne est loin d’être homogène. L’élément mongolique, tongouz principalement, semble se combiner chez les coréens avec des éléments européens, ce qui fait supposer, disent certains auteurs, que les premiers habitants de la péninsule vinrent de l’ouest et de très loin. À ces éléments primaires vinrent se surajouter, tour à tour, 1) l’élément chinois, provenant des colonies chinoises qui, dans la suite des siècles, s’installèrent dans le Nord et les ports de la région ; 2) l’élément malais mêlé d’éléments indonésiens et polynésiens ; 3) l’élément japonais. Aux époques primitives, en effet, la mer mieux que la terre favorisa les migrations, (c’est un fait constaté partout). Aussi de même que le Japon a servi de refuge aux races les plus diverses : navigateurs partis du sud du continent asiatique, ou de l’archipel malais, la Corée péninsulaire vit arriver sur ses côtes à diverses époques des émigrants de races différentes. Ces apports successifs, se surajoutant les uns aux autres, ont créé enfin une population de race mixte, telle qu’elle se présente aujourd’hui à nos yeux : ce qui explique chez les Coréens les types si variables qu’on y rencontre, bien qu’en général le visage dénote un caractère mongolique assez prononcé. Il y a actuellement en Corée un peu plus de 17 millions de coréens (recensement 1923), les japonais n’y figurent que pour 350.000 et les Chinois pour quelques milliers seulement.

D’après les statistiques officielles, la moyenne des naissances en Corée est de près de 28 par 1.000 habitants. — La seule moyenne des naissances catholiques atteint 42 pour mille fidèles (année 1923).

LANGUE. — La langue coréenne diffère considérablement du chinois. Alors que celui-ci est monosyllabique, le coréen au contraire est polysyllabique et fait partie de la très nombreuse classe des langues agglutinantes. Elle voisine d’une part avec la langue japonaise, d’autre part avec les langues ouralo-altaïques (mongol, tongouz, turc, samoyède) et enfin avec les langues dravidiennes de l’Inde (tamoul, malabare), avec lesquelles elle a, paraît-il, de nombreuses analogies. Elle a maintenant à son service, depuis l’année 1443, un alphabet, imité du thibétain (disent certains) et qui se compose de 25 lettres, onze voyelles et quatorze consonnes. Auparavant la seule écriture chinoise était connue en Corée, en sorte que la langue parlée ne s’écrivait pas, et que tout se rédigeait en chinois. Aussi n’est-il pas étonnant qu’elle ait fait, quant aux mots, de larges emprunts à la langue chinoise. Sous ce rapport, le chinois joue en Corée le rôle que joue le latin avec le grec dans la formation des mots scientifiques de nos langues modernes.

La Corée, longtemps vassale de la Chine, a toujours professé pour les lettres une grande vénération. Mais la culture des esprits en Corée n’a jamais eu aucun cachet national, calquée qu’elle était toujours sur les méthodes chinoises. Bien plus, même après l’invention de l’alphabet, les livres d’enseignement et les documents officiels, loin de s’écrire en coréen, continuèrent d’être rédigés en chinois. La littérature en langue coréenne était réservée aux femmes et aux illettrés. Jadis un lettré coréen mettait même son point d’honneur à paraître ignorer l’écriture coréenne. Était-ce parce que, écriture alphabétique et d’une trop


Tombeau de KOUEN François Xavier,
dans le district de Yangkeun. (On aperçoit trois éminences couvertes de gazon, Celle du milieu, près de laquelle se tient un descendant de ce martyr, est le tombeau de KOUEN Fr. X.)
Tombeau de Ri Pierre Seung-houn-i,
Situé à 6 lieues de Séoul, non loin de Chemoulpo. (Ri Pierre est le Coréen qui fut baptisé à Pékin en 1784, et introduisit le christianisme en Corée).

grande simplicité de composition, elle ne devait pas tenter le

lettré orgueilleux, captivé par la connaissance de l’écriture chinoise, seule hérissée de difficultés innombrables et qu’il regardait comme seule digne de lui ?

CLASSES SOCIALES. — La société coréenne pouvait jadis se diviser en trois classes : la noblesse, le peuple, et les esclaves. À la noblesse étaient réservés ou à peu près tous les emplois et les dignités. Exempts de la conscription, leur domicile était inviolable. Cette aristocratie était si puissante et si orgueilleuse que, malgré ses querelles intestines, elle sut pendant des siècles maintenir ses privilèges et tenir tête tour à tour au peuple, aux mandarins, et au roi lui-même. Le noble coréen se comportait partout en maître et en tyran. Leur nombre avec le temps s’était augmenté d’une façon extraordinaire, et comme tous n’étaient pas employés au service de l’État et qu’il leur répugnait de travailler de leurs mains, beaucoup ne vivaient que d’exactions et de rapines. Aussi on peut dire, sans crainte de trop généraliser, que la noblesse de Corée fut, un certain temps, la grande plaie du pays. Le peuple, lui, n’avait aucune influence politique : il ne savait que courber la tête et subir sans trop murmurer les pires traitements. Les esclaves n’étaient pas très nombreux. Ils vivaient surtout dans les grandes familles et y étaient en général bien traités.

FAMILLE. — La vertu dominante dans la famille est le respect des enfants vis-à-vis des parents, du père surtout. La femme coréenne, en particulier chez les nobles et les lettrés, ne jouissait d’aucune considération. Ce n’était pas la compagne de l’homme, mais son esclave. Une fois mariée, sans d’ailleurs qu’on tînt compte de ses goûts et de sa volonté, elle était sévèrement séquestrée. Il faut dire que depuis vingt ans, cette situation s’est quelque peu modifiée.

ROI ET GOUVERNEMENT. — Le roi, en principe, était le maître absolu et sans contrôle de tous ses sujets. Nous avons vu toutefois plus haut que les nobles savaient à l’occasion faire échec à son autorité. On rendait à sa personne des honneurs presque divins. L’effigie du roi n’était jamais frappée sur la monnaie, car sa face sacrée eût pu tomber entre les mains du bas peuple ou rouler à terre, ce qui eût été un manque de respect. Jusqu’en 1894, le royaume de Corée, sous la suzeraineté de la Chine, était organisé sur le modèle de la Chine des Ming, Tout finalement était reporté au Roi qui prenait avis du Grand Conseil d’État, composé de trois grands personnages, l’Admirable Conseiller, le Conseiller de Gauche et le Conseiller de Droite. Sous ce Grand Conseil, il y avait le Conseil Privé, la Cour des Censeurs, la Cour des Remontrances, la Haute Cour de Justice, les six ministères du Cens, des Rites, de la Guerre, de la Justice, des Travaux publics, de l’Intérieur ou des Emplois civils. Le royaume était divisé en huit provinces, comprenant un peu plus de 300 arrondissements. À la tête des provinces et des districts, il y avait des gouverneurs et des préfets ayant en mains les pouvoirs les plus divers. Ils étaient tour à tour, ou à la fois, administrateurs, commandants militaires, juges et percepteurs d’impôts, prêtres officiels pour les sacrifices à offrir à date fixe aux Génies du Royaume et pour les Rites à accomplir envers Confucius.

Chaque année, pour reconnaître la suzeraineté de la Chine, le roi de Corée envoyait à Pékin une ambassade chargée d’aller offrir à l’empereur le tribut de la Corée et recevoir le calendrier officiel, car la fixation du calendrier était un droit impérial, exclusivement réservé à la personne du Fils du Ciel. Ce tribut d’ailleurs était, paraît-il, largement compensé par les présents que le Fils du Ciel faisait au Roi, quand toutefois il était content de lui. Les Annales de Chine rapportent, en effet, que parfois l’Empereur privait son vassal de présents pendant une ou plusieurs années. À la mort d’un membre de la famille royale, un ambassadeur chinois apportait à Séoul les condoléances et les présents de l’Empereur. Enfin, à l’avénement d’un nouveau roi coréen, une ambassade impériale venait de Pékin lui donner l’investiture ; la Chine étant pour la Corée « La Grande Contrée », c’était sous ce nom surtout qu’on la désignait. Mais à part ces marques de vassalité, la Corée était pratiquement indépendante dans la direction de ses affaires intérieures. Trop petite pour avoir jamais raison de ses puissants voisins, elle s’était résignée avant tout à fermer ses portes aux étrangers quels qu’ils fussent, et cela sous les peines les plus sévères.

RELIGION. — Les coréens honorèrent d’abord le Ciel, la Terre, les Corps célestes, les génies de la nature, et jusqu’à ce jour il est resté beaucoup de traces de ce culte primitif dans les croyances de ce peuple. À ces croyances sont venues s’adjoindre, au cours des siècles, quantités de superstitions, de vaines observances, traditions bouddhistes et confucianistes. Avant l’arrivée des Japonais, existaient deux cultes officiellement organisés : le premier, réplique du culte officiel chinois, consistait en offrandes de nourriture et d’encens devant les tablettes de certains esprits du ciel, de la terre, des montagnes, des rivières, esprits protecteurs du royaume, esprits des anciens souverains et des grands hommes. Ces rites étaient observés soit par le Roi lui-même, soit par les ministres, soit enfin par les mandarins délégués à cet effet. Dans chaque famille païenne également se faisaient des offrandes de nourriture et d’encens aux tablettes des ancêtres, mais personne ne prenait jamais part aux rites accomplis dans une autre famille, ou dans le culte officiel. Au culte des esprits, il faut joindre aussi le culte particulier de Confucius, qui, comme en Chine, avait ses cérémonies spéciales. — Le deuxième culte officiellement organisé était le Bouddhisme. Introduite en Corée vers le quatrième siècle, cette religion s’était propagée avec succès par toute la péninsule, pour de là se répandre au Japon avec un succès semblable. Sa puissance ne fit que s’accroître et ne tarda pas au moyen âge à dominer l’État, mais un changement de dynastie amena au XVème siècle le déclin de son autorité. Il fallut l’arrivée des Japonais pour rendre au Bouddhisme les libertés qui lui avaient été retirées par la dernière dynastie coréenne. Actuellement, il jouit des faveurs gouvernementales, et les statistiques nous donnent 40 temples bouddhiques principaux, 1306 temples secondaires, desservis par 7600 bonzes ou bonzesses. Les Japonais ne se sont point contentés de relever la religion bouddhique, mais ils ont encore introduit dans la péninsule le Shintoïsme avec toute leur mythologie nationale. Ils travaillent maintenant à le répandre partout et comptent déjà près de 6.000 coréens parmi leurs adeptes.

À côté de ces religions reconnues officiellement par l’état, il y a d’autres groupes religieux, sectes très diverses quant au nom, à la croyance et au but poursuivi. Sociétés plus ou moins secrètes, visant un but plus politique que religieux, mais professant maintenant une certaine doctrine en vue surtout de se mettre en règle avec les lois japonaises, elles se multiplient de plus en plus à travers le pays, se fractionnent, changent de nom et de programme suivant les intrigues de l’heure, ou le caprice du chef. La première de toutes ces sectes, en importance, est celle des Doctrinaires du Ciel, (Htyen-to-kyo) ; fondée il y a plus de 60 ans, elle est un mélange de taoïsme, confucianisme et bouddhisme, avec quelques emprunts au christianisme. Elle se prétend seule religion nationale, et s’attira jadis la haine des lettrés, ennemis jurés de toute nouveauté. Elle se donnait alors le nom de Tong-hak, ou religion de l’Orient, se mettant ainsi en opposition avec le Catholicisme, que le peuple appelait religion de l’Ouest. Son chef, Tchoi-tjyeiou, fut mis à mort comme rebelle en 1864. Avant l’arrivée des japonais et jusqu’à l’annexion, cette secte s’est surtout rendue célèbre par ses révoltes organisées, sa haine du christianisme, ses menées xénophobes. Aujourd’hui encore, le même esprit l’anime, mais assagie par les événements, elle s’est modernisée, et cherche à prendre la direction de la Jeunesse coréenne par ses œuvres d’éducation, de presse, etc. Elle compte à l’heure présente plusieurs centaines de milliers d’adhérents.

De cette secte, à l’occasion de querelles intestines, est issue une société rivale, la Si-htyen-kyo, ou la Garde céleste, qui prétend poursuivre le même but et se réclame de la même doctrine. Elle groupe autour d’elle près de 100.000 adhérents, déjà divisés en deux groupes à tendances diverses. — À noter enfin pour mémoire, la religion de l’Esprit ancestral (Tai-tchyong-kyo) et celle de Tankoun, (Tan-koun-kyo), la seconde issue de la première, voulant toutes deux raviver le culte de Tankoun, l’ancêtre légendaire de la race coréenne ; la religion de


Vénérable André Kim,
prêtre coréen et martyr (1821-1846).
(Photographie d’une peinture à l’huile, faite par un peintre coréen, Tjyang Louis, en l’année 1920.)

la Verte Forêt, (Tchyeng-rim-kyo), la religion du Grand Un,

etc. : amalgame de croyances superstitieuses, d’enseignements d’une nature dangereuse, tendant surtout à abuser d’un peuple crédule à l’excès. Tel est l’état du paganisme en Corée. Au contact de toutes ces doctrines, l’âme du peuple coréen s’est formée peu à peu à un éclectisme religieux, et cet apport divers de traditions ou morales de sources différentes a constitué dans l’esprit de la population un curieux mélange, je dirai même une sorte d’indifférence, d’insouciance absolue de la vie future, de scepticisme pratique pour tout ce qui est religion, en un mot d’athéisme. Toutefois, si les coréens sont si peu religieux, ils sont en revanche extrêmement superstitieux, voyant partout le diable, croyant aux jours fastes et néfastes, ayant recours à chaque instant aux magiciens, devins et sorcières de toutes sortes.

UN MOT SUR L’HISTOIRE DU PEUPLE CORÉEN. — À l’origine, d’abord des légendes : le fils de l’esprit créateur s’ennuyant dans le ciel, obtient de son père la permission de descendre sur la terre avec trois mille esprits. Il se fait proclamer roi de l’Univers sous un santal, dans la région actuelle de Hpyengyang. Malheureusement il n’a pas encore figure humaine, et il trouve bien des difficultés à gouverner ainsi un royaume terrestre. Bientôt il est satisfait, car il surprend le colloque d’un tigre et d’un ours qui se demandent comment faire pour devenir homme. Une voix céleste leur apprit par hasard que, s’ils voulaient voir ce désir exaucé, ils devaient se retirer bien loin de la lumière du soleil durant trois fois sept jours. Tous deux se soumirent à l’épreuve, mais seul l’ours put tenir jusqu’au bout et fut métamorphosé en femme. Le premier désir de celle-ci fut d’avoir un fils. C’est alors que le roi de l’univers accourut, porté sur le vent, tourna une fois autour d’elle, alors qu’elle était assise au bord d’un ruisseau, puis enfin répandit sur elle son souffle puissant. Bientôt elle mit au monde un fils qu’elle déposa sur la mousse, à l’ombre justement de ce santal, où le fils de l’esprit créateur s’était fait auparavant proclamer roi de l’univers. Quelques années après, les neuf tribus du pays le trouvèrent sous cet arbre et le prirent pour roi. Ainsi fut fondé le premier royaume de Chosen, le pays du Matin Calme. On était alors, nous dit la légende, en l’année 2333 avant Jésus-Christ. Ce personnage merveilleux aurait vécu plus de mille ans, pour disparaître un beau jour de la terre, sans qu’on sût où il était allé. N’empêche qu’on vénère aujourd’hui son tombeau dans le district de Kang-tong : les récits légendaires ont parfois de ces contradictions. Les successeurs de Tankoun, car c’est le nom qui lui est donné dans l’histoire, (le Seigneur du santal) eurent bientôt à subir une invasion chinoise (1122) et durent laisser la place aux envahisseurs, qui fondèrent le deuxième royaume de Chosen, tandis qu’eux-mêmes allaient fonder dans le nord-est le royaume de Pou-ye, dont les limites auraient été le Soungari en Mandchourie.

En 194 avant J-C., nouvelle invasion chinoise, qui fonda le troisième royaume de Chosen, toujours sur le même territoire, (Corée Nord-est et Mandchourie méridionale.) Ce royaume tomba en l’année 108 sous le protectorat militaire des Han de Chine, mais seulement pour quelques dizaines d’années. En 194 également, est signalée la fondation de trois Confédérations : Mahan, avec ses 54 tribus confédérées dans la Corée sud-ouest, Sinhan avec 12 tribus dans la Corée sud-est, et Pyenhan avec 13 tribus dans la Corée sud. Ces confédérations furent sans doute formées pour lutter avec plus d’avantage contre les envahisseurs. Avec l’année 57 avant J-C. nous entrons, cette fois, dans le domaine de l’histoire proprement dite. C’est l’époque des 3 royaumes de Corée : Kokourye, au nord, formé du troisième royaume de Chosen, qui a secoué le joug des Han et qui, cinq siècles plus tard, en l’an 494 de notre ère, absorba le royaume de Pouye ; Sinra, formé de la confédération des Sinhan, et bientôt de celle de Pyenhan (Corée sud), et enfin Paik-tjyei, formé de la confédération des Mahan. À noter des divisions sans fin entre ces trois royaumes, et des guerres séculaires avec la Chine et le Japon. Au IVème siècle de notre ère, introduction du bouddhisme et de la littérature chinoise dans la péninsule, qui à son tour les transmet au Japon. Au VIIIème siècle apparaît le Confucianisme, qui passe ensuite de là aux Japonais. En 681 commence la période de formation de l’unité nationale, Kokourye et Paik-tjyei sont soumis aux Tang de Chine et à Sinra, royaume qui disparaît ensuite dans une révolte du IXème siècle. En place de Sinra s’élève enfin, en 918, le royaume unique de Korye (d’où le nom européen de Corée, le pays des Monts merveilleux). Korye se mit sous la suzeraineté de la Chine, c’était le seul moyen d’être tranquille et de vivre en paix. Durant plusieurs siècles, on remarque une influence de plus en plus grande de la civilisation chinoise et du bouddhisme. À noter aussi une rivalité croissante entre officiers civils et militaires, la naissance d’une noblesse administrative, et d’une classe de lettrés confucianistes. En 1392, à la suite de la chute de la dynastie mongole en Chine, chassée par les Ming, une conspiration éclate en Corée, détrône la dynastie Korye et fonde un nouveau royaume de Chosen. On assiste alors à une violente réaction contre le Bouddhisme, et au triomphe des Confucianistes. Deux cents ans après, les Japonais envahissent la Corée, et occupent un moment toute la péninsule, puis se retirent pour ne plus garder que le port de Fousan, dans le sud-est. À partir de cette époque, le roi de Corée doit notifier son avénement à l’Empereur du Japon et lui payer tribut. En 1636, avec la dynastie Mandchoue, qui a chassé de Chine les Ming, le vasselage de la Corée devient plus étroit : le roi est tenu d’envoyer chaque année une ambassade à Pékin pour payer une redevance et recevoir le calendrier chinois. Aussi la Corée se fait de plus en plus petite. Pendant les trois derniers siècles, tout peut se résumer en trois choses : d’abord naissance et rivalités de diverses factions politiques, qui se combattent sans merci, intrigues de palais continuelles, puis à partir de la fin du XVIIIème siècle, persécutions sanglantes des catholiques. Nous verrons par après en détail ce qu’il est advenu de la Corée moderne, et comment elle s’est ouverte aux étrangers, pour finir par tomber sous la domination japonaise.

Telle est, décrite à grands traits, la physionomie de ce peuple païen. Avec ces quelques notes, le lecteur comprendra mieux tout ce que l’Église catholique a tenté, depuis un siècle et plus, pour la conversion de cette nation à la vraie foi et combien elle a dû lutter pour y implanter le Royaume du Christ.


Porte septentrionale de Euitjyou.
(à droite, la poterne par où s'introduisirent secrètement les missionnaires pour éviter les satellites.)

PREMIÈRE PARTIE

INTRODUCTION DU CHRISTIANISME EN CORÉE, PREMIÈRES PERSÉCUTIONS. (1784-1831)


L’INVASION JAPONAISE au 16ème siècle. — En 1592, Hideyoshi, plus connu sous le nom de Taiko-Sama, envoya en Corée une expédition. Son dessein était de s’emparer de la péninsule coréenne et de la soumettre aux lois japonaises. Son armée, forte de 200.000 hommes, eut tôt fait de battre les Coréens, voire même les Chinois, qui étaient accourus à leur secours. Parmi les soldats de l’expédition, on comptait un certain nombre de catholiques. (Il y avait en effet 40 ans que Saint François-Xavier était mort et l’église du Japon était alors très florissante). Le P. Grégoire de Cespédès, Jésuite, fut envoyé du Japon en Corée, afin d’exercer son ministère près des soldats chrétiens. En même temps, il essaya bien à plusieurs reprises de prêcher la doctrine chrétienne aux Coréens, mais son zèle n’eut aucun succès (1594), et l’année suivante, il fut obligé de retourner au Japon. Bientôt d’ailleurs Taiko-Sama, mourant, dut rappeler de Corée toutes ses troupes. L’armée japonaise, durant son séjour sur le sol coréen, avait fait de nombreux prisonniers, qui furent envoyés au Japon comme esclaves. Parmi eux, plusieurs ayant entendu la bonne parole, se convertirent, et lorsqu’aux premières années du 17ème siècle, la persécution éclata, ils tinrent à honneur de partager avec leurs frères japonais la gloire de confesser Jésus-Christ. Leur vie et leur martyre, il est vrai, appartiennent à l’église du Japon, mais par leur naissance, ils sont les prémices de l’église coréenne. Neuf d’entre eux ont leurs noms inscrits sur la liste des 205 martyrs que Pie IX béatifia le 7 Juillet 1867.

PREMIÈRES CONVERSIONS AU CATHOLICISME EN CORÉE (18ème siècle). — On voit, d’après les faits relatés plus haut, que l’évangile ne put être prêché efficacement aux Coréens durant l’invasion japonaise : la situation ne s’y prêtait guère, et les habitants du pays n’étaient pas disposés à écouter un prédicateur d’une religion nouvelle, alors qu’il se présentait à eux à la suite de leurs envahisseurs. Ce ne fut que 2 siècles plus tard que le jour du salut se leva enfin sur la Corée. Voici comment la Providence disposa toutes choses, négligeant cette fois de se servir d’instruments conscients pour la réussite de ses desseins. Car c’est un fait vraiment extraordinaire que cette Église de Corée prenant naissance sans évangélisation directe. C’est le cas de répéter le mot des Saints Livres : « Attingit a fine usque ad finem, et disponit omnia suaviter. » Le roi de Corée était tenu, nous l’avons vu dans l’avant-propos, d’envoyer chaque année à Pékin des ambassadeurs, chargés d’offrir un tribut à l’Empereur. Or, ces envoyés eurent l’occasion, durant leur séjour à la capitale chinoise, de voir les Jésuites en résidence à la cour. Ceux-ci à plusieurs reprises leur donnèrent des livres chinois, composés par eux, livres où il était traité soit des sciences naturelles, soit du catholicisme. Les Annales coréennes mentionnent que, déjà en 1631, un ambassadeur de Corée put se mettre en relation avec ces fameux Jésuites, et au commencement du 17ème siècle, l’ouvrage du Père Ricci « Véritables principes sur Dieu » est déjà connu en Corée.

Les Coréens, gens très curieux et très avides de sciences, ne tardèrent pas à avoir entre les mains plusieurs de ces livres. Les lettrés se les passaient de mains en mains. Un jour plusieurs docteurs coréens célèbres eurent l’idée de se retirer dans la solitude, et de vaquer à l’étude de la philosophie. Parmi eux se trouvaient Ri Tek-tjo, surnommé Pyek-i, c’est-à-dire l’obstiné, Kouen tjyel-sin-i et les deux frères Tyeng Yak-tjyen et Tyeng Yak-yong. Après avoir examiné diverses questions touchant la nature humaine, le ciel, le monde, ils en vinrent à parcourir ensemble les livres chrétiens tombés entre leurs mains. Or, la doctrine qui y était exposée sur la providence de Dieu, sur l’âme, sur les vertus et les vices, leur parut si belle, qu’aussitôt ils se décidèrent à conformer leurs mœurs aux préceptes divins. Ce fait date de 1777. La semence précieuse était déposée. Peu à peu, nous allons la voir germer. Le père d’un ami intime de Pyek-i ayant été nommé ambassadeur, en l’année 1783, son fils, nommé Ri Seung-houn-i, devait l’accompagner. Pyek-i eut tôt fait de se rendre compte du parti admirable qu’il pouvait tirer du voyage de son ami. Vite, il lui fait connaître la doctrine enseignée dans les livres des Jésuites, et il l’engage à profiter de son voyage pour se renseigner à fond sur elle. Celui-ci, surpris et dans l’admiration de ce qu’il entend, promet d’aller interroger les missionnaires. Il fit plus, car, grâce aux entrevues fréquentes qu’il eut avec eux et avec l’illustre évêque de Pékin, Alexandre de Govéa, de l’Ordre des Franciscains, il se décida de suite à embrasser le catholicisme, fut baptisé sous le nom de Pierre, et revint en Corée en 1784, rapportant avec lui des croix, des chapelets, des images et des livres chrétiens.

ÉTABLISSEMENT D’UNE FAUSSE HIÉRARCHIE ECCLÉSIASTIQUE. — Pyek-i se mit avec ardeur à l’étude des livres nouvellement rapportés de Pékin, et bientôt reçut le baptême des mains de Ri Pierre, son ami, qui lui donna le nom de Jean-Baptiste. Mais il ne s’en tint pas là, il voulut se faire l’apôtre enthousiaste de la doctrine nouvelle. Bientôt il réussit à convertir plusieurs de ses compatriotes, aidé qu’il était par Kouen Il-sin-i, baptisé en même temps que lui sous le nom de François-Xavier. Ces conversions se multipliant, certains coréens virent la chose d’un mauvais œil, et essayèrent de soulever une persécution. Le Roi toutefois n’osa sévir. Quelques néophytes cependant eurent à subir divers supplices ; Pyek-i eut même le malheur d’apostasier. Ri Pierre lui aussi eut un moment de faiblesse, mais de suite il se reprit et nous le voyons un peu plus tard animé d’un grand dessein : celui d’instituer en Corée la hiérarchie catholique. Il avait vu à Pékin un évêque, des prêtres, des clercs, il avait assisté au Saint Sacrifice de la Messe, avait vu aussi comment s’administraient les sacrements, il avait d’ailleurs des livres qui traitaient de l’organisation du culte divin ; que leur manquait-il donc à tous ces néophytes, pour avoir un clergé coréen ? Rien, lui semblait-il. Aussi, après plusieurs conférences entre les principaux chrétiens, Kouen François-Xavier est élu évêque, Ri Pierre et quelques autres sont faits prêtres. Tous, dans la bonne foi la plus absolue, ils commencèrent à prêcher, baptiser, confesser, confirmer et célébrer la Messe, excitant grandement la ferveur parmi les fidèles. Il y avait déjà deux ans (1789) qu’ils se livraient ainsi à ce multiple ministère, quand, examinant plus attentivement certains de leurs livrés religieux, il leur vint à l’esprit un doute angoissant sur la validité de leur élection. De suite, ils cessèrent toute fonction sacrée et par lettres ils consultèrent l’évêque de Pékin.

Celui-ci, dans sa réponse, tout en les exhortant à persévérer dans la foi, les gourmanda et leur reprocha de s’être témérairement attribué le droit d’exercer des fonctions que seule la Sainte Église avait le pouvoir de concéder par le sacrement de l’ordre. Pour les consoler, il ajoutait qu’il leur était toutefois permis de se livrer au ministère de la prédication, d’enseigner les chrétiens, de convertir et de baptiser les infidèles, œuvres qui ne pouvaient qu’être agréables à Dieu. La réponse épiscopale fut reçue avec grande joie par les coréens, qui de suite se soumirent aux ordres reçus, mais sentant combien la religion qu’ils avaient embrassée, était vide sans la présence du prêtre qui l’anime et lui donne sa vraie force par les sacrements dont il est le ministre et le dispensateur, vite ils envoyèrent à Pékin deux délégués chargés à la fois de demander des missionnaires et d’interroger sur la licéité de certains rites et sur le culte des ancêtres. (1790)

L’Évêque promit qu’un missionnaire partirait bientôt les consoler et les diriger ; en même temps, il les mit en garde contre les superstitions et le culte des ancêtres, leur déclarant que tout cela était illicite. Grande fut la joie des chrétiens en apprenant l’arrivée prochaine d’un prêtre, mais la solution du cas de conscience au sujet des rites fut pour plusieurs la pierre d’achoppement. Ri Pierre lui-même, qui une fois avait en la faiblesse d’apostasier, que nous avons vu poursuivi du saint désir d’établir en Corée la hiérarchie, fut du nombre de ceux qui ne purent se résigner à abandonner la pratique des superstitions en mémoire des parents défunts.

ARRIVÉE DU PRÊTRE CHINOIS Jacques TJYOU. SON MARTYRE. — En 1791 l’évêque de Pékin, fidèle à sa promesse, avait envoyé aux frontières de Corée un prêtre de Macao, le Père Jean Dos Rémédios, mais la persécution venait d’éclater et les fidèles n’avaient pu envoyer personne au rendez-vous fixé. d’avance pour l’introduction du missionnaire. Le prêtre, à son grand regret, dut retourner à Pékin. Durant ce temps, à Séoul et dans les provinces, beaucoup de néophytes confessaient le nom de Jésus-Christ dans les tourments et remportaient la palme du martyre. Il y eut toutefois à déplorer plusieurs défections.

Malgré cette persécution, malgré ces apostasies toujours inévitables, le nombre des chrétiens montait à plus de 4.000 en 1794, et la présence d’un prêtre était de plus en plus nécessaire. Jean Dos Rémédios sur ces entrefaites était mort sans avoir pu pénétrer en Corée. C’est un prêtre chinois, le Père Jacques Tjyou, qui fut désigné pour le remplacer. Plus heureux, il put rencontrer les chrétiens venus le guider, et au commencement de 1795 il entrait à Séoul. Avec zèle et ardeur, il se mit à administrer les sacrements, mais sa présence ne tarda pas à être connue. Il n’eut que le temps de se mettre en lieu sûr pour éviter le mandat d’arrestation lancé contre lui par ordre du Roi. Seul, le maître de maison du P. Tjyou et les deux chrétiens qui l’avaient introduits en Corée, furent arrêtés. Tous les trois subirent la mort glorieuse du martyre et leurs corps furent jetés dans le fleuve, situé à une lieue de la capitale. La persécution, qui n’était que locale, s’étant bientôt apaisée, le missionnaire, tout en prenant les précautions les plus minutieuses, put durant cinq ans se livrer avec fruit à l’administration des chrétiens. Ceux-ci, en effet, ne firent qu’augmenter en nombre, et en 1801, ils étaient plus de 10.000. Pour promouvoir la propagation de la foi et se faire aider efficacement dans un ministère trop chargé pour un seul prêtre, il avait fondé la Confrérie de la Doctrine chrétienne. Cette institution excita au plus haut degré la ferveur des fidèles, et produisit des résultats merveilleux. Aussi les chrétiens entretenaient-ils l’espoir de faire triompher enfin la vérité. Malgré l’opposition secrète des Ministres, les conversions se multipliaient, à la capitale surtout. Survint malheureusement la mort inopinée du Roi Tjyeng-tjyong. Son fils et successeur étant trop jeune, une Régence fut établie ; le parti jusqu’alors au pouvoir, et dans lequel surtout s’était propagée la religion catholique, perdit tout crédit et se vit supplanter par le parti adverse, tout dévoué à la Régente, mais ennemi du nom chrétien. Un malheureux incident suffit bientôt pour rallumer la persécution. Une caisse contenant des livres et objets religieux, avec plusieurs lettres du Père Tjyou, fut découverte par les satellites ; d’où grand émoi chez les dignitaires. Les chrétiens furent de nouveau poursuivis, arrêtés, emprisonnés ; le Père, sachant sa tête mise à prix, et désireux de faire épargner ses ouailles, alla se livrer aux juges le 21 Avril 1801. Au tribunal, il défendit éloquemment la foi catholique, et après avoir subi diverses tortures, il fut condamné à mort et exécuté le 31 Mai, jour de la fête de la Sainte Trinité.

MARTYRE DE NOMBREUX CHRÉTIENS. — En cette même année, 300 chrétiens cueillirent tour à tour la palme du martyre. Ce fut la première des quatre grandes persécutions qui ensanglantèrent l’Église de Corée. Nous verrons en effet plus loin quels nombreux martyrs elle inscrivit à son martyrologe en 1839, 1846, 1866 et années suivantes. Il serait trop long de vouloir énumérer les noms de ces vaillants qui confessèrent le nom de Jésus-Christ au cours de cette année 1801. Quelques-uns toutefois méritent une mention spéciale. Quelque temps après la mort du P. Tjyou, fut martyrisée Kang Colombe, femme intrépide et chrétienne exemplaire, qui, plusieurs années durant, et au péril de sa vie, avait donné l’hospitalité au prêtre catholique. Vers la même époque, deux princesses, alliées à la famille royale, et converties par le P. Tjyou, furent condamnées avec leurs esclaves à vider une coupe empoisonnée. À Tjyentjyou, dans le sud de la Corée, deux jeunes mariés, Ryou Jean et Ri Luthgarde, versèrent généreusement leur sang pour la foi. Luthgarde avait fait avant son mariage, le vœu de virginité. Mais en Corée, à cette époque surtout, c’était chose inouïe de ne pas marier une fille. Aussi le P. Tjyou, après mûr examen, avait-il conseillé à Luthgarde de se marier à Ryou Jean, jeune homme animé des mêmes dispositions qu’elle. Ce qui fut fait, et tous deux, lors de leur mariage, firent vœu de virginité perpétuelle. Bientôt après, ils cueillirent la palme du martyre. Luthgarde est restée en grande vénération parmi les chrétiens : elle a écrit dans sa prison des pages d’une délicatesse exquise, et son écrit rappelle en tous points les actes des martyrs de la primitive Église.

À noter, enfin, la mort du célèbre Alexandre Hoang, à la fin de l’année 1801. Cet homme, remarquable par ses talents, avait renoncé au monde pour embrasser la foi chrétienne et seconder le P. Tjyou dans la propagation du christianisme : ce qu’il fit avec un dévouement sans égal. Au début de la persécution, il s’éloigna de Séoul et, réfugié dans une fabrique de poteries à Pairon (province du Tchyoung-tchyeng-to) écrivit de là à l’évêque de Pékin une longue lettre, dans laquelle il faisait le tableau des tribulations de l’église de Corée, et demandait qu’on vînt au secours des fidèles, dit-on pour cela employer la force armée. Cette lettre, qui était datée du 29 Octobre, n’arriva jamais à destination. En effet, un chrétien, nommé Hoang Thomas, qui était venu se concerter avec Alexandre et s’était engagé à envoyer la lettre à Pékin, fut tout à coup arrêté le 2 Novembre. Le 5 Novembre suivant, les satellites découvrirent la cachette d’Alexandre Hoang, qui fut arrêté lui aussi. On ne sait au juste qui était porteur de la lettre au moment de l’arrestation. Alexandre l’avait-il déjà confiée à Hoang Thomas, ou bien, comme le raconte le P. Dallet dans son histoire de l’Église de Corée, l’avait-il encore sur lui ? Ce point n’a jamais été complétement éclairci. Ce qu’il y a de certain, c’est que la lettre tomba en ce temps-là aux mains du gouvernement, et sa lecture jeta l’épouvante à la cour ; dans un projet chimérique en somme et qui n’avait été conçu que par trois ou quatre chrétiens, on vit un complot organisé par tous les catholiques pour appeler les Européens à leur secours. N’en avait-on pas une preuve authentique ? Aussi les prisonniers furent-ils traités en criminels d’État. Déclarés coupables de lèse-majesté divine et humaine, ils furent décapités et coupés en six morceaux, le 29 Novembre 1801.

Longtemps les chrétiens coréens ne purent comprendre les accusations que dès lors le Gouvernement ne cessa de lancer contre eux : ils étaient unanimes à voir dans ces imputations une calomnie odieuse, inventée par les juges. Les missionnaires eux-mêmes n’ont pu savoir ce qu’il en était que bien longtemps après, quand ils purent obtenir une copie authentique de cette fameuse lettre. Quant à l’original, il fut conservé comme pièce à conviction dans les archives de la Préfecture de Séoul. Il y a 30 ans environ, ces archives furent dispersées, et Mgr. Mutel, par un heureux hasard, put obtenir ce précieux document. Écrit sur une pièce de soie, qui mesure 62 centimètres de long sur 38 de large et pèse 16 grammes, il est très bien conservé. C’est d’ailleurs une merveille de calligraphie et de micrographie, quand on pense que, sur un pareil espace, l’artiste a pu écrire 121 lignes, comprenant chacune en moyenne 110 caractères, ce qui fait plus de 13000 caractères en tout. Le seul fait que sa copie en caractères chinois ordinaires forme une brochure d’une cinquantaine de feuillets (format in-8), suffit pour donner une idée de ce qu’est ce travail de patience. Quand l’original fut remis à Mgr. Mutel, il y était joint un autre document, également sur soie, mais d’une espèce différente, portant un texte écrit avec des caractères plus grands, et ne donnant que quelques passages de la lettre d’Alexandre Hoang. À la fin de ce second document, figure une note qui semble indiquer qu’il s’agit d’une copie ou extrait de la lettre, et que cette copie a été envoyée à Pekin et en est revenue l’année suivante (1802). Vraisemblablement la cour coréenne avait des raisons particulières de ne pas communiquer tout ce qui figurait sur l’original. Aussi avait-elle cru bon de n’en faire copier que certains passages. Il est faux d’autre part, comme on l’avait longtemps cru et comme le rapporte le P. Dallet dans son histoire de l’Église de Corée, que cette lettre ait été écrite avec de l’encre sympathique : elle fut tout simplement écrite au pinceau et à l’encre de Chine, et les caractères sont restés jusqu’à ce jour d’une lisibilité étonnante.

ÉDIT ROYAL CONTRE LA RELIGION CHRÉTIENNE. (25 Janvier 1802) — Les ennemis de la religion, peu satisfaits que plusieurs personnages importants parmi les néophytes eussent été seulement


Le Tai-Ouen-Koun
Régent, père du roi

exilés, présentèrent une requête à la régente, demandant la mort

de tous les coupables et la confiscation de leurs biens. Le gouvernement n’y répondit pas. Plusieurs fois ils revinrent à la charge, mais le jeune roi, mis au courant, fit alors défense absolue de revenir sur les jugements rendus, et de faire désormais de nouvelles démarches pour obtenir leur révision. Dès ce moment la persécution cessa peu à peu, et l’ordre fut donné de ne plus faire de nouvelles poursuites, mais en même temps, (et la chose est bien orientale) les ministres firent préparer une proclamation royale, sous forme d’instruction au peuple, et qui était surtout une apologie de leur conduite, aussi bien qu’une condamnation de la religion chrétienne. Cette pièce officielle est un document des plus importants dans l’histoire de l’église coréenne, puisqu’elle fut regardée pendant 80 ans comme loi fondamentale de l’État, parce qu’elle a fixé la législation contre les chrétiens, et ce ne fut que lors des traités conclus avec les Puissances en 1882 et années suivantes, qu’on cessa d’en tenir compte, sans qu’elle fut toutefois jamais rapportée officiellement. Sans doute, cette loi de proscription fut appliquée avec plus ou moins de vigueur selon les circonstances, mais chacune des persécutions qui suivirent, a été motivée par elle.

L’ÉGLISE DE CORÉE SANS MISSIONNAIRES PENDANT 30 ANS. — Le Père Tjyou une fois disparu, la Corée resta sans pasteur pendant une trentaine d’années, et c’est un vrai miracle que la persévérance dans la foi montrée par la plupart de ces néophytes, alors qu’ils étaient privés de tous les secours spirituels de l’Église. Les années 1815, 1817 et 1825 furent marquées ici ou là par le martyre et le triomphe de plusieurs confesseurs de la foi. À plusieurs reprises, durant ce long espace de temps, les chrétiens coréens essayèrent d’attirer sur leur détresse l’attention de l’évêque de Pékin, et des Souverains Pontifes Pie VII et Léon XII. Hélas ! l’évêque de Pékin ne pouvait plus rien pour eux : il était mort en 1808, son Coadjuteur n’avait jamais pu obtenir la permission d’entrer dans la ville impériale et avait succombé à Macao en 1818. Depuis lors, c’était l’évêque de Nankin qui de loin gouvernait cette église, elle même troublée par contre coup par les événements d’Europe. Pie VII, lui, avait reçu la lettre des catholiques coréens, alors qu’il était en prison à Fontainebleau, et n’avait pu que pleurer et prier pour ses fils éprouvés. Léon XII reçut en 1827 la deuxième lettre adressée au Saint Siège par les néophytes de Corée. Cette fois, cette démarche amena un heureux résultat, comme nous allons le voir par après.


DEUXIÈME PARTIE

PERSÉCUTIONS SANGLANTES — NOMBREUX MARTYRS

§ I. — ÉRECTION DE LA CORÉE EN VICARIAT APOSTOLIQUE (1831) PERSÉCUTIONS DE 1839 et 1846.

LA SOCIÉTÉ DES MISSIONS ÉTRANGÈRES DE PARIS SE VOIT CONFIER LE VICARIAT APOSTOLIQUE DE CORÉE.
MONSEIGNEUR BRUGUIÈRE, Premier Vicaire Apostolique de Corée

La Congrégation de la Propagande, saisie par le Souverain Pontife de la demande des chrétiens coréens, s’adressa à la Société des Missions Étrangères de Paris. Après de longs pourparlers, le Vicariat Apostolique de Corée fut créé, et Mgr. Bruguière, alors Évêque-Coadjuteur au Siam, fut placé à sa tête (9 Septembre 1831). Un an plus tard, celui-ci se mit en route pour sa nouvelle mission, qu’il pensait atteindre en traversant la Chine. M. Maubant, jeune missionnaire désigné d’abord pour le Sutchuen, lui fut adjoint. On lui avait adjoint aussi un prêtre chinois, le Père Ryou Pacifique, ancien étudiant du collège de la Propagande. Ce dernier, devançant son évêque, réussit à pénétrer en Corée en 1834.

À cette époque, impossible à deux européens de voyager ensemble dans l’intérieur de la Chine, aussi Mgr. Bruguière et le P. Maubant durent-ils prendre chacun une route différente, se donnant rendez-vous en Tartarie. Monsieur Maubant, d’une imperturbable audace et d’un sang-froid admirable, arriva le premier, ayant même réussi à entrer en plein jour à Pékin sans diplôme impérial : ce qui ne s’était pas vu pour un européen depuis plusieurs siècles. Mgr. Bruguière mit deux ans et plus pour aller retrouver son compagnon d’apostolat à Sivang, en Tartarie. Là, durant un an, ils préparèrent ensemble leur entrée en Corée : ce ne fut pas sans difficultés, car les guides que de Séoul on avait envoyé pour les chercher, semblaient plutôt entraver leur projet, essayant de les persuader que la présence de missionnaires européens était pour le moment trop dangereuse en Corée. En réalité, on le sut plus tard, c’était le P. Ryou Pacifique lui-même, qui cherchait à empêcher leur entrée. Il espérait ainsi s’assurer à lui-même la direction de la Mission : pour ce faire, il comptait envoyer en Chine de jeunes chrétiens coréens qu’il aurait fait étudier et ordonner prêtres. Pour lui, il se serait contenté de se ranger sous la juridiction lointaine de l’évêque de Pékin. Mgr. Bruguière, devant la résistance inexplicable de ses guides qui se gardaient bien de dévoiler toutes ces raisons, ne réussit à faire admettre sa décision qu’en les menaçant de l’excommunication. Devant la menace, ceux-ci se soumirent et l’évêque, le 7 Octobre 1835, put enfin se mettre en route pour gagner la frontière coréenne, qu’il avait décidé de franchir le premier. Hélas ! le courrier, qui devait apporter à M. Maubant la nouvelle de l’entrée de l’évêque en Corée, vint, quelques semaines après, apporter l’annonce de sa mort. Mgr. Bruguière, arrivé le 20 Octobre au village chrétien de Pie-li-keou (Mongolie), était subitement tombé malade, et une heure après, il était mort, assisté d’un prêtre chinois. Ainsi, comme un autre Moyse, le premier Vicaire Apostolique de Corée expirait sur les confins de la terre promise, n’ayant pu y mettre les pieds.

ENTRÉE EN CORÉE DU PÈRE MAUBANT. — Aussitôt qu’il reçut l’annonce de la mort de son Vicaire Apostolique, M. Maubant se mit en chemin, alla rendre les derniers honneurs à son évêque et de suite poursuivit sa route pour se présenter à, temps voulu à la frontière coréenne ; il voulait en effet profiter des rigueurs de l’hiver pour traverser plus facilement le fleuve Yalou, qui était gelé à cette époque de l’année. Tout réussit comme il le désirait : Revêtu du costume de deuil coréen, il put, à la faveur de ce déguisement, surmonter des obstacles sans nombre et gagner enfin la capitale, où il arriva en Janvier 1836, pour y rencontrer le Père Ryou. De suite, il se donna avec ardeur au saint ministère. Ne connaissant pas encore la langue, il conseillait à ceux qui savaient le chinois, d’écrire leur confes


Le Roi de Corée et le Prince royal

sion, et à ceux qui ne le savaient pas, de la faire écrire par

d’autres ou de se servir d’interprète. Bientôt, d’ailleurs, il composa un examen de conscience en chinois, le fit traduire en coréen et l’étudia par cœur. Dès lors, il n’eut plus un moment de liberté, d’autant plus que le P. Ryou, qui aurait dû l’aider, était au contraire un obstacle à son dévouement. Celui-ci, en effet, depuis son arrivée à Séoul, avait refusé d’apprendre la langue coréenne, rendant ainsi impossible la réception des sacrements à de nombreux fidèles, s’enfermant à la capitale, sans vouloir faire l’administration des chrétiens de province et abusant même de son ministère pour battre monnaie. M. Maubant ne tarda pas à être mis au courant de tous ces faits, et comprit alors pourquoi le prêtre chinois avait eu tant d’intérêt à ce que les missionnaires européens ne pussent venir le rejoindre. Après avoir inutilement employé les voies de la douceur pour remettre son compagnon dans la bonne voie, il dut, en qualité de Supérieur de la Mission, se résoudre à le renvoyer en Chine. Justement il s’agissait de faire entrer en Corée un nouveau missionnaire, le Père Chastan, qui depuis longtemps déjà avait été désigné pour cette mission. Aussi les courriers qui, à la fin de 1836, furent chargés d’aller à la frontière chercher le missionnaire, reconduisirent en même temps le prêtre chinois. Ils emmenaient aussi trois jeunes coréens, en qui le P. Maubant avait cru discerner de bonnes dispositions pour l’état ecclésiastique, et qu’il envoyait à Macao faire leurs études. Nous aurons occasion de reparler plus loin de ces prémices du clergé indigène en Corée.

ENTRÉE EN CORÉE DU PÈRE CHASTAN. — Le Père Chastan, fidèle au rendez-vous, arriva à la frontière le jour de Noël 1836, et, trois jours après, les courriers coréens arrivèrent de leur côté. « Pourrez-vous marcher comme un pauvre homme, avec un paquet sur le dos », lui demandèrent-ils. — « Certainement, répondit-il, d’autant que je ne suis pas fort riche ». On se mit donc en route le 31 Décembre à minuit. Le fleuve Yalou fut franchi sur la glace, à la faveur d’une nuit obscure, et la terrible douane fut évitée. Quinze jours après, les deux missionnaires avaient le bonheur de s’embrasser à Séoul. Après qu’ils eurent consacré quelque temps à l’étude de la langue coréenne, et que le Père Maubant se fut rétabli d’une maladie qui l’avait mis à deux doigts de la tombe, ils commencèrent la visite de toutes les chrétientés, les organisant, nommant des catéchistes, donnant des règles pour les baptêmes, les mariages, les enterrements, les réunions des dimanches et fêtes.

Mgr. IMBERT. deuxième VICAIRE APOSTOLIQUE DE CORÉE. — Au milieu de ces travaux, auxquels leurs forces réunies pouvaient à peine suffire, les deux missionnaires reçurent du secours au moment où ils pouvaient le moins s’y attendre. Le 18 Décembre, vers minuit, la terre coréenne fut foulée pour la première fois par le pied d’un évêque. C’était l’ange que le Seigneur Jésus envoyait à l’église de Corée, en la personne de Mgr. Imbert, Évêque de Capse. En effet, si tôt connue la mort de Mgr. Bruguière, les Supérieurs de la Société, désireux de trouver le successeur le plus apte à recueillir la succession du défunt, avaient jeté les yeux sur le Père Imbert, missionnaire au Sutchuen depuis douze ans. Le Saint Siège avait approuvé le choix, et le 14 Mai 1837, il avait été sacré par Mgr. Fontana, Vicaire Apostolique du Sutchuen. Sans perdre de temps, il s’était mis en route pour sa nouvelle mission, comptant bien rencontrer des courriers chrétiens parmi les gens de la suite de l’ambassade coréenne annuelle. Il ne s’était pas trompé, car, arrivé vers le milieu de Décembre à la frontière, il avait vu le soir même les courriers. Comme les Missionnaires, il prit les vêtements de deuil, dont la forme particulière dissimulait même le visage, traversa le Yalou sur la glace pendant la nuit, et le soir du premier Janvier 1838, il était à Séoul où il rencontra le Père Maubant. Le Père Chastan parcourait alors les provinces méridionales et ce ne fut qu’au mois de Mai qu’il put voir son évêque. Après trois mois consacrés à l’étude de la langue, Mgr. Imbert fut en état de commencer son apostolat. À la fin de l’année, 2.000 adultes avaient été baptisés, l’église de Corée renaissait à une nouvelle vie. À l’arrivée du P. Maubant, elle ne comptait que six mille fidèles, à la fin de 1838, leur nombre avait atteint neuf mille.

PERSÉCUTION DE 1839. — Au commencement de 1839, de beaux jours semblaient donc se lever pour les missionnaires. Hélas ! sans qu’on ait pu le prévoir, la persécution éclata tout d’un coup, plus furieuse que jamais. La démission du premier régent du royaume, la nomination, comme premier ministre, d’un ennemi acharné du nom chrétien, suffirent pour faire disparaître toutes les espérances. À la fin du mois de Janvier, Mgr. Imbert, ayant appris l’arrestation de trois familles chrétiennes, s’empresse de terminer sa tournée, et revient à la capitale, où un millier de chrétiens l’attendaient pour recevoir les sacrements. Malgré la défense de l’évêque, les chrétiens eurent le tort de se réunir en trop grand nombre à la fois, et puis, il y eut parmi eux des traîtres assez vils pour vendre leurs frères. La maison, où avait lien la réunion, fut cernée un soir par les satellites ; ailleurs aussi en ville, il y eut plusieurs arrestations, on réussit même à s’emparer des ornements épiscopaux. Dès lors, les poursuites et arrestations se succédèrent, et les prisons regorgèrent de chrétiens. Sur un rapport plein de haine du premier ministre, la régente de répondre : « Si les chrétiens pullulent de nouveau dans le royaume, c’est parce qu’ils n’ont pas été complètement exterminés en 1801. Il ne suffit pas de couper les mauvaises herbes, il faut en arracher les racines ».

ARRESTATION DE Mgr. IMBERT. — Cette déclaration royale ne fit qu’augmenter l’ardeur des ennemis des chrétiens. Bientôt quarante d’entre eux furent condamnés à mort. On n’osa pas, il est vrai, en venir à l’exécution totale de la sentence. Il arriva même qu’en Juin, la persécution sembla un moment faiblir, mais en Juillet, un nouveau décret vint la rallumer, et les exécutions se suivirent de plus en plus nombreuses Mgr. Imbert, qui avait profité de l’accalmie relative pour gagner la province et visiter les chrétiens, appela à lui ses deux missionnaires. Réunis le 29 Juillet, ils tinrent conseil, et ils décidèrent de se tenir cachés jusqu’à ce que l’Évêque en décidât autrement. Ils ne devaient plus se rencontrer qu’en prison. Depuis quelque temps, en effet, la cachette de l’Évêque avait fini par être connue d’un traître. Le 10 Août, fête de St Laurent, son patron, Mgr. Imbert, qui avait été découvert par ce faux frère, comprit que c’était le moment de faire le sacrifice de sa vie. Il célébra pour la dernière fois la Sainte Messe, et sortit pour aller se livrer aux satellites qu’il savait être à l’attendre non loin de là. Il fut immédiatement arrêté et conduit à Séoul, où il eut à subir divers tourments.

ARRESTATION DES PP. MAUBANT ET CHASTAN.Mgr. Imbert pensant alors qu’il suffirait, pour épargner les fidèles, que les deux missionnaires se livrent, leur écrivit le billet suivant : « Le bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis ; si donc vous n’êtes pas encore partis en barque, venez avec l’envoyé Son kyei-tchyang. » C’était le nom du chef de satellites, chargé de la capture des missionnaires. Le Père Maubant, que le Père Chastan venait de quitter, fut seul à recevoir la communication du Vicaire Apostolique. Il expédia donc aussitôt un mot à son compagnon, l’invitant à revenir au plus tôt, et en même temps, il écrivit en ces termes au chef de satellites : « Ra sin-pou (le Père spirituel Ra, nom coréen et chinois du Père Maubant) fait savoir à Son kyei-tchyang qu’il ne peut se rendre de suite à Palkeimori, où il est attendu, parce que Tjyeng sinpu (le père spirituel Tjyeng, c’est ainsi qu’on désignait en coréen le Père Chastan) est à présent loin d’ici. Nous nous y rendrons ensemble dans une dizaine de jours. Je désire que ton cœur change et qu’après ta mort, tu trouves l’heureux séjour. » Le Père Chastan se hâta de rejoindre le Père Maubant ; ensemble ils écrivirent aux chrétiens, au Cardinal Préfet de la Propagande et aux membres de la Société des Missions Étrangères. Il serait trop long de citer toutes ces lettres ; qu’il suffise de donner ici le texte de celle adressée à leurs confrères. Ces quelques lignes d’adieu respirent une telle générosité, qu’elles remplissent d’admiration tous ceux qui les lisent.


Costume de deuil sous lequel les missionnaires ont voyagé en Corée de 1836 à 1890

« Corée, 6 Septembre 1839. »
JMJ
Messeigneurs, Messieurs et chers Confrères.

« La divine Providence qui nous avait conduit, à travers tant d’obstacles, dans cette mission, permet que la paix dont nous jouissions, soit troublée par une cruelle persécution. Le tableau qu’en a tracé Mgr. Imbert avant son entrée en prison, et qui vous sera envoyé avec ces lettres, vous en fera connaître la cause, la suite et les effets. Aujourd’hui 6 Septembre, est arrivé un second ordre de Monseigneur de nous présenter au martyre. Nous avons la consolation de partir après avoir célébré une dernière fois le Saint Sacrifice. Qu’il est consolant de pouvoir dire avec Saint Grégoire : Unum ad palmam iter, pro Christo mortem appeto. (Il n’est pour moi qu’un chemin vers la palme, je désire la mort pour le Christ.) Si nous avons le bonheur d’obtenir cette belle palme « quæ dicitur suavis ad gustum, umbrosa ad requiem, honorabilis ad triumphum (que l’on dit suave au goût, ombreuse pour le repos, honorable pour le triomphe) ; rendez en pour nous mille actions de grâces à la divine bonté, et ne manquez pas d’envoyer au secours de nos pauvres néophytes, qui vont de nouveau se trouver orphelins. Pour encourager nos chers confrères, qui sont destinés à venir nous remplacer, nous avons l’honneur de leur annoncer que le premier ministre Ri, actuellement grand persécuteur, a fait faire trois grands sabres pour couper des têtes. Si quelque chose pouvait diminuer la joie que nous éprouvons à ce moment du départ, ce serait de quitter ces fervents néophytes que nous avons eu le bonheur d’administrer pendant trois ans, et qui nous aiment comme les Galates aimaient Saint Paul. Mais nous allons à une trop grande fête, pour qu’il soit permis de laisser entrer dans nos cœurs des sentiments de tristesse. Nous avons l’honneur de recommander ces chers néophytes à votre ardente charité.

Agréez nos humbles adieux, etc. etc.
« Jacques-Honoré CHASTAN, Pierre-Philippe MAUBANT »

Après avoir ainsi tout disposé, les missionnaires allèrent se livrer aux satellites, qui les attendaient à une lieue de là.

MARTYRE DES TROIS MISSIONNAIRES. — Ces deux Prêtres furent immédiatement conduits à Séoul, et le lendemain de leur réunion avec Mgr. Imbert, ils comparaissaient devant les juges. Trois jours de suite les interrogatoires et les supplices se succédèrent. Ne pouvant obtenir d’eux le nom de leurs fidèles, les juges les firent transférer dans une autre prison ; de nouveau pendant trois jours, les premiers ministres du royaume leur firent subir la question, et enfin les condamnèrent à mort. Le 21 Septembre fut le jour de leur triomphe. Ce jour-là, fête de St. Mathieu, on les conduisit au supplice sur des chaises à porteur, les mains liées derrière le dos, au milieu d’un cortège de plus de cent soldats. C’était le cérémonial réservé pour l’exécution des grands criminels. À l’endroit fixé pour le supplice, à une lieue de Séoul sur les bords du fleuve Hankang, on avait planté un pieu au sommet duquel flottait un étendard, portant la sentence des condamnés. À peine arrivés, ils sont dépouillés de leurs vêtements ; on ne leur laisse que leur pantalon. Puis les soldats leur attachent les mains devant la poitrine, leur passant sous les bras de longs bâtons, leur enfoncent deux flèches de haut en bas à travers les oreilles et, leur jetant de l’eau au visage, les saupoudrent d’une poignée de chaux. Ensuite, six hommes, saisissant les bâtons, font faire trois fois aux martyrs le tour de la place, pour les livrer aux dérisions et aux grossières moqueries de la foule. Enfin on les fait mettre à genoux, et une douzaine de soldats courent autour d’eux, le sabre au poing, simulant un combat, et leur déchargent, en passant, chacun un coup de sabre.

Le premier coup que reçut M. Chastan n’ayant fait qu’effleurer l’épaule, il se leva instinctivement et retomba aussitôt à genoux. Mgr. Imbert et M. Maubant restèrent immobiles. Les têtes ayant été abattues, un soldat les posa sur une planche, et les présenta au mandarin, qui partit de suite pour donner à la cour avis de l’exécution. Ainsi moururent ces trois courageux apôtres de Jésus-Christ. En 1857, le 23 Septembre, Pie IX, de sainte mémoire, les déclara Vénérables en même temps que soixante-dix-neuf coréens. Leur cause est actuellement à Rome et tout fait espérer que, dans un avenir prochain, nous verrons leurs noms inscrits parmi les Bienheureux.

ÉDIT ROYAL CONTRE LA RELIGION CATHOLIQUE.
(24 Novembre 1839)

La persécution de 1839 eut un caractère général, et nombreux furent les martyrs à Séoul et dans les diverses provinces du royaume. Toutefois, à la fin, l’opinion publique commença à se préoccuper de ces exécutions multiples. L’on commençait à plaindre les innocentes victimes de ces boucheries. Le gouvernement coréen fit alors ce que font tous les persécuteurs, il appela le mensonge en aide à la force, et bientôt parut une proclamation royale contre les chrétiens, proclamation qui fut répandue partout en chinois et en coréen. C’est une production étrange, dans le genre de la proclamation de 1801, qui déclare la religion chrétienne, une religion exécrable et perverse ; accusant les catholiques de tous les crimes, le roi déclare pour finir qu’en sa qualité de « père du peuple, » il est tenu de combattre l’erreur par tous les moyens possibles, et de mettre à mort ses propagateurs et ses chefs.

Mgr. FERRÉOL, TROISIÈME VICAIRE APOSTOLIQUE. — La persécution qui continua à sévir jusqu’au mois de Février 1840, et puis peu à peu se calma, avait été générale par toute la Corée : les fidèles se trouvaient dispersés et réduits à la misère. Mais les ennemis de la religion chrétienne s’étaient trompés, s’ils avaient espéré la voir disparaître. Ce fut le contraire qui arriva. La doctrine évangélique fut répandue par tout le royaume. Dans les villes et les montagnes les plus reculées, du premier ministre au dernier des geôliers, tous entendirent exposer les dogmes principaux de la religion catholique ; la semence divine fut portée par la tempête aux quatre coins du ciel, et qui pourra jamais dire en combien d’âmes cette semence produisit des fruits de salut. En tout cas, c’est un fait constaté par les missionnaires : à partir de cette persécution, on cessa de mépriser les chrétiens. L’hostilité du gouvernement ne fut pas supprimée, mais l’opinion publique rendit justice à la charité, à la patience, à la bonne foi, au courage, à toutes les vertus dont nos confesseurs donnèrent alors de si beaux exemples. D’ailleurs, pour remplacer les apôtres tombés sous le glaive du bourreau, de nouveaux missionnaires accoururent. C’est d’abord le Père Ferréol qui était déjà en route pour la Corée, avant d’avoir reçu la nouvelle de la persécution. Parti de Bordeaux en Mai 1839, il était arrivé en Tartarie, à Sivang, en fin d’année 1840. C’est là qu’il commença à avoir des inquiétudes sur le sort des missionnaires et des chrétiens coréens. Car, contrairement à ce qui se passait chaque année, on n’avait reçu aucune nouvelle de la mission, aucun courrier chrétien n’était venu à Pékin, personne n’avait paru à la frontière. Deux ans durant, il essaya en vain de se mettre en rapport avec les coréens. Ce n’est pas que, de leur côté, ceux-ci n’aient rien tenté pour faire connaître à l’extérieur la situation de leur église, mais deux fois de suite leur expédition n’avait pas réussi, et ce ne fut qu’à la fin de 1842 qu’un troisième courrier plus heureux réussit à s’aboucher avec un envoyé de Mgr. Ferréol. Celui-ci, en effet, venait d’être nommé successeur de Mgr. Imbert, dont le martyre avait fini par être connu à Pékin et à Rome.

KIM ANDRÉ, PREMIER PRÊTRE CORÉEN. — Celui qui avait eu la chance de renouer des relations avec la Corée, avait nom Kim André : il n’était autre qu’un des trois jeunes gens, qui jadis, sur l’ordre du Père Maubant, étaient allés à Macao faire leurs études. Sur les trois, l’un était mort depuis longtemps. Les deux autres, déjà très avancés dans leurs cours, étaient venus, en même temps qu’un nouveau missionnaire, le Père Maistre, rejoindre Mgr. Ferréol. Celui-ci, en apprenant la misère dans laquelle était plongée l’église coréenne, n’eut plus qu’un désir : se faire sacrer et aller de suite consoler ses pauvres chrétiens. Malheureusement des difficultés de toute sorte ne lui permirent de recevoir l’onction épiscopale que le 31 Décembre 1843, et il lui faudra ensuite attendre jusqu’en 1845 pour mettre les pieds sur le territoire confié à son zèle apostolique. Durant tout ce temps, ce fut le courageux séminariste Kim André, qui fut chargé à plusieurs reprises par son évêque de rechercher le moyen de pénétrer dans la péninsule. L’entrée par le Yalou était devenue de plus en plus périlleuse, car le gouvernement coréen était sur ses gardes et faisait redoubler de vigilance les


Inscription commémorative, célébrant la destruction du catholicisme, érigée à Hpyengyang (persécution de 1866).

gardes des frontières. D’autre part, les chrétiens, rendus plus

craintifs par la persécution, s’exagéraient les difficultés de l’entreprise. Le courageux jeune homme, cherchant une autre porte d’entrée pour pénétrer dans son pays, parcourut les plaines glacées de la Mandchourie, arriva sur la frontière, à Hountchyoun, dans le nord de la Corée, non loin de la mer du Japon. Il rencontra dans cette ville à l’époque de la foire annuelle plusieurs coréens catholiques, et il fut convenu avec eux que Mgr. Ferréol se trouverait l’année suivante (1845) en face du Yalou, afin d’entrer à la suite de l’ambassade. L’évêque fut exact au rendez-vous, mais les chrétiens lui déclarèrent que son entrée était pour le moment impossible. Ils consentirent du moins à essayer d’introduire André Kim. Celui-ci, s’il parvenait à pénétrer dans le pays, devait chercher à établir des relations par mer avec la Chine. Telle était la consigne donnée par l’évêque. Ayant réussi dans son aventureuse entreprise, André Kim gagna Séoul, se rendit compte de l’état de la Mission, acheta une barque, puis accompagné de onze chrétiens, et muni d’une simple boussole, sans dire à son équipage où il le conduisait, il se dirigea vers Shanghai, où il aborda au bout de trois semaines de navigation. Grâce à sa connaissance du français, il se fait reconnaître, et Mgr. Ferréol accourt aussitôt avec un jeune missionnaire, le Père Daveluy. Quelques jours après leur arrivée, une touchante cérémonie fut célébrée dans une petite chrétienté près de Shanghai. Le 17 Août 1845, Mgr. Ferréol éleva au sacerdoce l’intrépide André Kim, qui précédemment avait reçu le diaconat en Mandchourie. Le premier Septembre, le nouveau prêtre remonta sur sa barque, prit secrètement à bord son évêque et le Père Daveluy, et fit voile vers la Corée. Après un long et périlleux voyage, le débarquement put se faire sans incident près de Kang-kyeng-ri, village situé aux confins du Tchyoung-tchyeng-to et du Tjyen-la-to. Cette région qui se trouve au sud de la capitale, est maintenant remplie de chrétientés nombreuses et ferventes.

MARTYRE DU PÈRE KIM ANDRÉ.Mgr. Ferréol n’eut qu’une hâte, ce fut de gagner Séoul, d’examiner la situation et de tout préparer pour l’entrée du Père Maistre qu’il avait laissé en Mandchourie en compagnie de l’autre séminariste, le diacre Thomas Tchoi. Ce fut encore Kim André qui fut chargé de cette mission de confiance. Malheureusement à peine le jeune prêtre avait-il commencé à s’aboucher avec des chinois, qui faisaient la pêche sur les côtes de Corée, qu’il fut arrêté. Pas un instant son courage ne se démentit. Un moment, il espéra bien se faire passer pour chinois, mais il ne tarda pas à se rendre compte qu’il était entièrement découvert. Il répondit alors avec fierté à tous les interrogatoires, déclarant hautement sa qualité de chrétien et de prêtre, et raconta sa vie entière. Sa grandeur d’âme et son intelligence séduisirent les ministres eux-mêmes qui prièrent le Roi de Ini conserver la vie. Celui-ci était sur le point d’accorder la grâce demandée, lorsqu’il reçut une lettre de l’Amiral français Cécile, qui venait demander aux Coréens raison du meurtre des trois missionnaires en 1839. Le Roi voyant les chrétiens soutenus par les étrangers, entra dans une violente colère, changea de sentiment et donna l’ordre de frapper tous les prisonniers chrétiens, de relaxer ceux qui apostasieraient et de mettre immédiatement à mort ceux qui resteraient fidèles à leur foi. André Kim garda jusqu’au bout son invincible fermeté, et fut décapité le 16 Septembre. Pendant les préparatifs du supplice, André parlait avec ses bourreaux : « De cette manière, suis-je placé comme il le faut ? » leur disait-il. « Pouvez-vous frapper à votre aise ? » — Tournez-vous un peu, voilà qui est bien. — « Frappez, je suis prêt. » Et la tête du jeune prêtre roula sur le sol. Pie IX l’a déclaré vénérable en 1857, en même temps que Mgr. Imbert et ses compagnons. Le corps du premier prêtre coréen martyr repose maintenant dans la chapelle du Séminaire de Ryongsan, près de Séoul.


§ II. — TRAVAUX DES MISSIONNAIRES (1847-1866)

LA PERSÉCUTION DE 1866 et années suivantes.

MORT DE Mgr. FERRÉOL. (1853) — L’Amiral Cécile, dans sa lettre au Roi de Corée, avait annoncé que des navires français viendraient chercher la réponse l’année suivante. En 1847, la frégate « La Gloire » et la corvette « La Victoire » se présentèrent sur les côtes coréennes, il y avait à bord le Père Maistre et le diacre Thomas Tchoi. Tout à coup, alors que rien n’annonçait la présence d’un danger, les 2 navires touchèrent à la fois, et il fut impossible de les remettre à flot ; les marins dûrent débarquer sur une île voisine, et attendre le retour de la chaloupe envoyée Shanghai pour trouver des moyens de sauvetage. Bientôt des navires anglais arrivèrent, et il fallut réembarquer sans obtenir aucun résultat. Le P. Maistre ne put même pas gagner en cachette le continent coréen. En 1849, nouvelle tentative du missionnaire et du diacre : cette fois, c’est par barque qu’ils essaient de pénétrer en Corée. Hélas ! ils durent rebrousser chemin. Retourné à Shanghai, Tchoi Thomas fut ordonné prêtre, le dimanche de la Quasimodo, et au mois de Mai, le P. Maistre avec le nouveau prêtre gagna la Mandchourie. espérant cette fois entrer par le Yalou. Mais les guides coréens refusèrent d’introduire le missionnaire : seul le P. Tchoi put les accompagner et ainsi gagna Séoul. Le P. Maistre eut pu se décourager, lui qui frappait depuis 10 ans à la porte de sa mission. Il n’en fut rien. Au printemps 1851, nouvelle expédition par mer : elle ne réussit pas. Enfin dans une tentative renouvelée bientôt, il fut plus heureux. Cette fois ce fut un jésuite du Kiang-nan, le Père Hélot, qui mit sa science nautique au service de son confrère, et réussit à le déposer sur la terre coréenne, huit jours après avoir quitté Shanghai sur une simple barque chinoise dont tous les matelots étaient païens. Quinze jours après son débarquement, le P. Maistre eut le bonheur de rencontrer son évêque et le P. Daveluy. Mais revenons un peu en arrière. Ceux-ci, dès le 2 Novembre 1846, avaient érigé l’Archiconfrérie du S. Cœur Immaculé de Marie, sous le patronage de laquelle la Corée avait déjà été placée par le Saint Siège. Une fois cimentée cette nouvelle alliance avec Marie, l’évêque et le Père Daveluy avaient repris la visite des chrétientés, pour l’administration annuelle des sacrements. Tous deux avaient une santé médiocre, et l’on se demande comment ils purent réussir à faire face à tant de labeur. L’arrivée du P. Tchoi avait été pour eux d’un grand secours, d’autant que le nouveau prêtre était arrivé, au moment où tous deux à la fois étaient tombés gravement malades.

Le missionnaire avait pu se remettre sur pied, mais il n’en était pas de même de Mgr. Ferréol, qui moins que personne ne savait s’épargner, et dont la santé désormais ne fit chaque jour que décliner. D’autre part le nombre des chrétiens ne faisait qu’augmenter et atteignait 13.000. Aussi combien l’arrivée du P. Maistre avait été désirée. Hélas ! quand le missionnaire tant attendu arriva, la joie de sa rencontre fut bien diminuée : l’évêque était irrémédiablement condamné par la maladie, et ne pouvait plus sortir de sa chambre. En vain le P. Daveluy et le P. Maistre firent une neuvaine à la Vierge Immaculée. La divine Providence en avait décidé autrement, et le 3 Février 1853, le vénéré malade rendit son âme au bon Dieu. Il avait seulement 45 ans. La même année, un nouveau deuil vint attrister la Mission pourtant si éprouvée. Ce fut le P. Jansou, qui, à peine débarqué, tomba malade et mourut le 18 Juin.

Mgr. BERNEUX, 4ème VICAIRE APOSTOLIQUE. (1855) — Il était temps que de nouveaux missionnaires arrivassent pour aider ces trois prêtres qui succombaient sous le poids du travail. En 1855, la Corée apprit qu’elle avait un nouveau pasteur. C’était Mgr. Berneux. Parti de France en 1840, il avait abordé l’année suivante au Tonkin où sévissait une cruelle persécution. Trois mois à peine après son arrivée, il est pris, conduit à Hué, et condamné à mort avec quatre autres missionnaires. Délivré heureusement par l’intervention du Commandant Favin-Lévêque, mais ne pouvant plus séjourner en Annam, il avait opté pour la Mandchourie où il était parvenu en 1844. Il y travaillait depuis


Chapelle d’un village coréen chrétien

11 ans avec grand zèle et succès, et venait d’être nommé Évêque

Coadjuteur du Vicaire Apostolique de Leao-tong, quand de nouvelles Bulles lui arrivèrent, lui donnant la succession de Mgr. Ferréol. Vite il gagna Shanghai, où il fut rejoint par deux jeunes missionnaires, les PP. Pourthié et Petitnicolas, et au printemps 1856, tous trois abordent en Corée par mer, et gagnent la capitale. Mgr. Berneux commença par payer son tribut à la maladie, mais bientôt en convalescence, il se mit à administrer les chrétiens de la capitale, tandis que les Missionnaires visitaient les chrétientés éloignées. De nombreux infidèles se convertirent et furent pour le nouvel Évêque un sujet de consolation et de grandes espérances.

Mgr. DAVELUY sacré COADJUTEUR. (1856) — Étant donnée la situation tout à fait spéciale de l’Église de Corée, Mgr. Berneux avait reçu du Saint Siège la faculté de se choisir et de consacrer un Coadjuteur, sans avoir à faire ratifier préalablement le choix par Rome. En 1856, il appela à cette dignité le Père Daveluy, qui depuis onze ans travaillait dans cette mission. C’est à Séoul, dans la nuit de la fête de l’Annonciation, qu’il reçut la consécration épiscopale, dans une petite chambre de quelques mètres carrés, en présence des missionnaires et d’un petit nombre de chrétiens : les trois jours suivants, ils célébrèrent un Synode, où furent décidées les mesures les plus appropriées pour propager la religion. Ils étaient sur le point de se séparer, quand arriva à l’improviste le Père Féron, un nouveau missionnaire. L’évêque lui avait écrit qu’aucune occasion favorable ne se présentait actuellement pour le faire pénétrer en Corée et, qu’en conséquence, il fallait attendre. Le missionnaire, avant que cette lettre ne parvienne à destination, s’était déjà mis en route à bord d’une jonque chinoise, et avait eu la chance inespérée de rencontrer dans les eaux coréennes une barque dont tous les matelots étaient chrétiens. Ceux-ci l’avaient pris avec eux et lui avaient facilité l’entrée dans le pays. Vraiment la Providence était avec ses ouvriers.

ANNÉES DE TRAVAUX FÉCONDS ET D’ÉPREUVES NOMBREUSES (1857-1863)

Les missionnaires, accrus en nombre, se partagèrent la besogne avec plus de courage. Mgr. Berneux, malgré ses forces qui diminuaient de jour en jour, garda pour lui le district de la capitale auquel il ajouta la visite annuelle de soixante chrétientés des environs. D’une grande activité, il suffisait seul à ce qui eut occupé trois ou quatre missionnaires, il avait le district le plus vaste, une correspondance très étendue avec ses prêtres et les chrétiens, il était le consulteur universel, le procureur de la mission, il donnait un temps considérable à la prière, et néanmoins, quand un missionnaire allait le voir, il semblait n’avoir rien à faire que de l’écouter, de s’occuper de lui, de le recréer par sa conversation pleine d’esprit et d’amabilité, Son Coadjuteur, Mgr. Daveluy, donnait les derniers soins à la publication de divers ouvrages importants pour l’instruction des néophytes. Entouré de livres, de traducteurs et de copistes, compulsant des manuscrits précieux et consultant la tradition orale, il put recueillir des documents du plus haut intérêt sur les martyrs et la plupart des confesseurs de la foi.

Un séminaire avait été institué, à la tête duquel fut mis le Père Pourthié, qui dans les courts moments que lui laissait le soin des séminaristes, continua le grand dictionnaire commencé par Mgr. Daveluy. Durant ce temps, le P. Petitnicolas, devenu après un court séjour en district son collègue au séminaire, s’occupait de la chrétienté voisine, et M. Féron faisait ailleurs ses débuts dans le ministère apostolique. Mais le P. Maistre n’avait plus longtemps à travailler avec eux. En 1856, comme il éprouvait depuis quelque temps une grande fatigue, son Évêque lui avait donné un district moins pénible. À la fin de Décembre 1857, Mgr. Berneux apprit que son cher confrère se mourait à huit lieues de l’endroit où il faisait mission, et il n’eut que le temps d’aller le visiter et lui rendre les derniers devoirs. Il mourut le 20 Décembre. Dieu seul sait tout ce qu’il eut à souffrir pendant dix ans de courses incessantes et inutiles pour pénétrer en Corée, et ensuite plus tard dans le cours de son ministère apostolique. Sa devise, qui résume toute sa vie, était : « Je fais tout par devoir, rien par plaisir, mais tout avec plaisir ». Les années 1857, 1858 et 1859 avaient été des années de travail et de grandes consolations, quand tout à coup, en 1860, la persécution éclata. Heureusement elle n’était pas ordonnée par le Roi, et tourna à la confusion du préfet de police, son auteur, qui eut la honte de ne pas se sentir soutenu par les ministres. De l’aveu des païens eux-mêmes, cette persécution fut un triomphe pour le catholicisme. L’opinion et le gouvernement l’avaient blâmée, et le préfet avait donné sa démission, tandis que son successeur faisait remettre en liberté les chrétiens que les tourments ou la maladie n’avaient pas emportés. Et pourtant cette persécution avait fait un mal incalculable. Beaucoup de chrétiens étaient complètement ruinés, une vraie panique s’était emparée des fidèles qui avaient fui au loin dans toutes les directions. Il s’en fallut de peu que cette panique n’amenât un désastre. Mgr. Berneux, qui était alors en province, revint en toute hâte à Séoul et sut par son sang-froid arrêter la fuite éperdue des fidèles, et faire renaître le calme parmi eux. La persécution terminée, les missionnaires se remirent à l’œuvre avec courage. Pendant que pleins d’anxiété et de tristesse, ils travaillaient à raffermir leur troupeau un instant dispersé, des événements étranges se passaient à Pékin. Le 13 Octobre, les troupes anglo-françaises étaient entrées à Pékin. Cette nouvelle fut connue en Corée vers la fin de l’année. « Les diables d’Occident, disait-on, sont venus sur de nombreux navires et vont venir envahir l’Empire du Fils du Ciel. » Grand émoi à la cour coréenne, émoi qui ne fit que s’accroître au mois de Février 1861, quand revint de Chine l’ambassade annuelle, et qu’on apprit l’incendie du palais impérial, la fuite de l’Empereur, le traité imposé par les alliés. À cette annonce, les affaires furent suspendues, les familles riches ou aisées s’enfuirent dans les montagnes, croyant voir bientôt arriver à Séoul aussi les troupes étrangères. Des mandarins se recommandaient humblement à la protection des chrétiens, d’autres se disculpaient. Le peuple tout entier semblait avoir perdu la tête, jusqu’au moment où, apprenant le départ de la flotte franco-anglaise, le calme finit par revenir peu à peu. C’est en ce moment de l’année 1861 qu’arrivèrent en Corée quatre nouveaux missionnaires, les PP. Landre, Joanno, Ridel et Calais. La joie que causa leur arrivée fut bientôt attristée par la mort du seul prêtre indigène de la mission, le P. Thomas Tchoi. Celui-ci, outre les travaux ordinaires de l’administration des chrétiens, avait achevé la traduction définitive du catéchisme, et avait envoyé tous ces ouvrages à la capitale où s’organisait une imprimerie. Tout à coup, au mois de Juin 1861, il tomba malade et s’éteignit doucement après avoir reçu les sacrements des mains du P. Pourthié. Ce fut pour la mission une très grande perte que la mort de ce prêtre pieux et fervent. Pendant douze ans, il avait visité de nombreuses chrétientés, allant dans les lieux où un Européen aurait difficilement pénétré. Ce fut Mgr. Daveluy qui se chargea de l’administration du district de ce prêtre. La fin de 1861 fut marquée par des vexations, des persécutions locales, qui ne cessèrent qu’au mois de Juin 1862, quand des émeutes populaires vinrent détourner l’attention des mandarins. En 1863 arriva le P. Aumaître, mais dans le courant de la même année, les PP. Landre et Joanno, qui n’étaient en Corée que depuis deux ans, furent inopinément enlevés par la mort. Le nombre des ouvriers diminuait au moment où la moisson devenait plus abondante. En effet, les catéchumènes étaient de jour en jour plus nombreux. Il est vrai que la persécution de 1860 et les diverses vexations des années suivantes avaient dispersé les fidèles, mais de ce fait, les provinces septentrionales du royaume, où certains d’entre eux avaient cherché refuge, et où jusqu’à présent on ne comptait aucun chrétien, s’étaient ouvertes enfin à l’évangélisation. Mgr. Berneux, toujours sur la brèche, malgré ses souffrances continuelles, voulut lui-même visiter ces pauvres réfugiés et leurs nouveaux convertis. C’est au cours d’une de ces visites dans le Nord, que, reconnu par les païens, il fut arrêté, injurié, retenu prisonnier dans une auberge, puis relâché moyennant une quarantaine de francs. Quelques années plus tôt, il eût été conduit au mandarin et de là au supplice.


Cathédrale de Séoul

MORT DU ROI DE CORÉE. RÉVOLUTION DE PALAIS. — Au commencement de 1864 survint un événement, qui eut pour la religion les suites les plus funestes, et prépara les voies à cette épouvantable persécution de 1866, qui devait ensanglanter la Corée durant plusieurs années. Le Roi Tchyel-tjong mourut le 15 Janvier, et sa mort fut cause d’une révolution de palais. La Reine Tjyo, veuve d’un des rois précédents, et ennemie, comme toute sa famille, de la religion catholique, s’empara par surprise du sceau royal et donna le trône à un enfant de douze ans, fils du Prince Heung-syen. C’est ce roi qui régna sur la Corée jusqu’en 1907, et qui, sous la pression des Japonais, dut alors abdiquer pour céder la place à son fils, dont le règne se terminal brusquement en 1910 par l’annexion de la Corée au Japon. Son coup d’audace fait, la reine confia l’administration du royaume au père du jeune roi, le prince Heung-syen, connu surtout dans l’histoire sous le nom de Régent ou Tai-ouen-koun. Ce personnage a joué un rôle capital en Corée depuis l’année 1864, jusqu’en 1882. Intelligent et rusé, il restera célèbre avant tout pour sa cruauté. Chose curieuse : la princesse Min, femme de ce Régent et mère du roi, connaissait la religion catholique, avait appris une partie du catéchisme, récitait chaque jour quelques prières et faisait demander des messes à Mgr. Berneux, par l’intermédiaire de la nourrice du roi, qui était chrétienne et continuait à habiter le palais. Cette dernière est peut-être pu rendre de grands services à la religion, si elle avait été plus instruite, mais son influence en définitive fut insignifiante.

La révolution qui venait d’éclater, écarta du pouvoir les ministres du roi défunt qui n’étaient pas hostiles au catholicisme. Ils furent remplacés par des hommes d’un caractère à prendre contre les chrétiens les mesures les plus extrêmes. Ainsi se préparaient les terribles événements qui devaient accabler de maux l’Église coréenne. Nous allons voir plus loin qu’un incident de la politique étrangère en précipita soudain la réalisation.

ARRIVÉE DE QUATRE NOUVEAUX MISSIONNAIRES. — La révolution de palais, dont nous venons de parler, n’était donc pas sans créer aux missionnaires des craintes aussi sérieuses que fondées. Malgré tout ils n’en continuaient pas moins à travailler avec un zèle qui semblait croître encore en présence du danger. Mgr. Daveluy recueillait de son travail dans les provinces du Sud de nombreuses consolations. À Séoul et dans le Nord, Mgr. Berneux obtenait de merveilleux résultats. Au séminaire, les PP. Pourthié et Petitnicolas continuaient l’œuvre si importante du clergé indigène. Les autres missionnaires, à l’exemple de leurs chefs, faisaient partout bonne besogne, et se multipliaient pour administrer les chrétientés de plus en plus dispersées. Au commencement de Juin 1865, l’arrivée de quatre nouveaux missionnaires vint les mettre au comble de la joie. Ils étaient. arrivés par mer, et avaient débarqué à 30 lieues au Sud de la capitale. Mgr. Daveluy, qui était non loin de là, accourut pour les recevoir, garda auprès de lui le Père Huin qu’il donna comme compagnon au P. Aumaître, et envoya successivement à Séoul les PP. de Bretenières, Beaulieu et Dorie.

« Je ne saurais trop vous remercier, écrivait à Paris Mgr. Berneux, de l’envoi des 4 ouvriers que vous nous avez adjoints cette année. J’espère qu’ils nous rendront de grands services. Ils sont contents de l’héritage qui leur est échu : ils étudient la langue de toutes leurs forces, et au printemps prochain, ils commenceront à travailler. Mais de grâce, ne vous en tenez pas là. Envoyez-nous le plus de renfort que vous pourrez. Pour nous mettre un peu à l’aise, il faudrait que d’ici à 2 ans, nous reçussions dix nouveaux confrères, et nous serions très occupés ».

Dans cette lettre, la dernière écrite pour l’Europe par l’Évêque, il était rendu compte de l’administration des sacrements. Voici les chiffres les plus saillants : confessions annuelles : 14.433 ; confessions répétées : 3.493 ; adultes baptisés : 907 ; enfants de païens ondoyés : 1.116 ; les catholiques étaient alors au nombre de 23.000.

LES RUSSES ET LA CORÉE.Mgr. Berneux dans la lettre signalée plus haut, ajoutait en post-scriptum l’observation suivante :

J’ai eu tout dernièrement avec le prince régent, par le moyen d’un mandarin, quelques rapports au sujet de la nouvelle instance que font les Russes pour obtenir la permission de s’établir sur le territoire coréen. Le prince


Église (style coréen) à Toitjai

a reçu avec bienveillance nos communications. Sa femme, mère du roi,

m’a fait prier secrètement d’écrire à notre ministre à Pékin de venir demander la liberté religieuse. Les grands de la capitale désirent l’arrivée des navires français. Pour moi, je persiste à ne rien faire avant d’avoir conféré avec le régent. Quoique toujours proscrite, notre position est bonne, et je crois que l’an prochain, nous serons encore plus à l’aise ».

Cette lettre était datée du 19 Novembre 1865. Ces espérances devaient être bientôt cruellement déçues, et le charitable évêque ne se doutait pas que 4 mois plus tard, lui, son Coadjuteur et sept des dix missionnaires qu’il était si heureux de posséder tomberaient tour à tour sous le glaive du bourreau. Il ne pouvait pas penser que ces quatre jeunes prêtres qui venaient d’arriver, n’auraient à confesser Jésus-Christ que par le martyre : « Non loquendo, sed moriendo confessi sunt ». Les confrères de Mgr. Berneux n’étaient pas aussi rassurés que lui.

« Le père du jeune roi, écrivait à la même époque Mgr. Daveluy, ne s’est occupé ni de nous, ni de nos chrétiens ; mais combien cela durera-t-il ? Il est d’un caractère violent, cruel, méprisant le peuple, et comptant pour rien la vie des hommes : si jamais il attaque la religion, il le fera d’une manière terrible. »

Combien avait vu juste Mgr. Daveluy en écrivant ces réflexions. Voici, en effet que tout à coup les événements se précipitèrent et réduisirent à néant les belles espérances de Mgr. Berneux. Depuis plusieurs années déjà, les Russes avaient fait en Tartarie d’inquiétants progrès et s’étaient rapprochés de la frontière de Corée, ils touchaient maintenant au fleuve Touman, qui forme la limite nord de la province coréenne du Ham-kieng. En janvier 1866, un navire russe se présenta à Ouen-san, port de commerce sur la mer du Japon, demandant la liberté de commerce et le droit pour les marchands russes de s’établir en Corée. C’est le gouvernement coréen qui fut troublé devant cette exigence. Certains chrétiens de la capitale, convaincus que de la demande des Russes pouvait enfin sortir l’émancipation religieuse de la Corée, écrivirent au régent, pour lui persuader que l’unique moyen d’éloigner leurs puissants voisins était de contracter une alliance avec la France et l’Angleterre, et que le négociateur né de cette alliance était l’évêque catholique.

Le régent reçut la lettre, mais se garda bien de dire son sentiment. Sur ces entrefaites, la princesse Min, femme du régent, avait demandé qu’on écrivît une nouvelle lettre à son mari. Un noble chrétien, le Mandarin Nam Jean-Baptiste, se mit en devoir de la rédiger et de la présenter au prince. Celui-ci lut la lettre avec beaucoup d’attention. Le lendemain il le fit de nouveau appeler, et s’entretint longuement de la religion chrétienne : il trouvait tout beau et vrai dans cette doctrine, sauf qu’il ne pouvait comprendre pourquoi les sacrifices aux morts n’étaient pas permis. Il s’informa de Mgr. Berneux, exprima le désir de le voir. L’évêque prévenu (il était alors à visiter les chrétientés du Nord) revint en toute hâte et était à Séoul le 25 Janvier, mais le régent, informé de son arrivée, négligea de l’appeler. Il avait sans doute voulu gagner du temps et prendre vent. L’horizon politique semblait d’ailleurs de jour en jour s’éclaircir pour lui. Les Russes, disait-on, venaient de partir, la crainte avait cessé et puis l’ambassade coréenne rapportait de Pékin d’intéressantes nouvelles : on proclamait que par toute la Chine on massacrait les Européens. Ces nouvelles ne firent que donner plus d’audace aux dignitaires opposés à la religion chrétienne. Leurs avis l’emportèrent bientôt, et il fut décidé que tous les Missionnaires seraient mis à mort, et que les chrétiens seraient poursuivis.

LA PERSÉCUTION ÉCLATE. — Déjà en Janvier, mais sans caractère officiel bien déterminé, ici et là au Nord et au Sud, des chrétiens avaient été arrêtés, maltraités, plusieurs même avaient été décapités. À Hpyeng-yang, en particulier, au mois de Février, lors des fêtes du 1er de l’an lunaire, plusieurs fidèles avaient été emmenés au mandarinat. Sous les coups, tous, sauf un, Pierre Ryou, avaient apostasié. Le mandarin militaire avait ordonné aux apostats d’achever eux-mêmes leur courageux compagnon, et d’aller jeter son corps à la rivière. C’était le 17 Février 1866. Un des apostats, à peine rentré chez lui, fut pris d’un tel remords, qu’il n’eut plus qu’une pensée : se faire par


Grand’place de Quelpaert, où eut lieu le massacre de 1901
(Le grand bâtiment délabré qu’on aperçoit au centre est la « Maison Commune » de la ville de Tjyeitjyou)

donner sa faute. Vite il partit pour Séoul. Nous le verrons

bientôt racheter son péché par le martyre. À la capitale, le 14 Février, des satellites se présentèrent à la maison de Mgr. Berneux, à deux reprises différentes, sous prétexte de percevoir une contribution pour le grand palais de 1.777 chambres que, dans sa folie des grandeurs, faisait construire le régent en pressurant le peuple. Cette double visite inspira des craintes aux chrétiens.

ARRESTATION DE Mgr. BERNEUX. — Vers la mi-février, deux typographes de la Mission, Tchoi Pierre et Tjyen Jean furent arrêtés à Séoul. Cette arrestation doit avoir eu lieu avant le 19 Février, comme en font foi les documents officiels coréens, que nous allons suivre dans ce récit, en les corroborant de détails que nous a laissés la tradition[1]. Le 19 Février, en effet, ces deux chrétiens ont déjà été examinés, interrogés et une première condamnation à mort est décrétée, mais en même temps un nouvel examen de leur cause est ordonné, à la requête du Ministère des Crimes. Le 25 Février, à la requête du Tribunal des Criminels d’État, un mandat d’arrestation est lancé contre le Mandarin Nam Jean-Baptiste, alors absent de la Capitale. Ce même jour, de la Préfecture de Police de gauche et de droite, arrive le rapport suivant :

« Le 23 Février, vers les 6 h. du soir, nous avons arrêté on ne sait quelle espèce d’individu étrange, haut de 7 à 8 pieds, il paraît avoir dépassé 50 ans ; les yeux sont profonds, le nez fort, il comprend notre langue : il était revêtu d’un habit long de drap doublé à l’intérieur d’une peau d’agneau ; il portait un gilet de toile de coton et un pantalon de même, et avait des souliers de satin à double piton[2] : c’étaient là évidemment des signes qui dénotent un étranger. Aussi nous l’avons examiné sévèrement et, à l’interrogatoire, il a répondu qu’il est originaire du royaume de France, il est entré dans le royaume de Corée dans le courant de l’année 1856, a voyagé ici et là à la capitale et en province pour répandre la religion[3]. »

D’après la tradition, ce fut grâce aux indications du traître Ri syen-i, le domestique de l’évêque, que Mgr. Berneux fut arrêté. Vers la fin de la journée du vendredi 23 Février, une troupe de satellites avait envahi la maison épiscopale, située dans le quartier dit Tai-hpyeng-tong, et s’était de suite dirigée vers la chambre du Prélat. Celui-ci n’offrit aucune résistance et se laissa emmener au Tribunal de police, où il fut incarcéré quelques jours avec son maître de maison, Hong Thomas, Ri Syen-i, le domestique infidèle, et les deux typographes de la Mission. L’ordre était d’attendre l’arrestation du mandarin Nam pour procéder aux interrogatoires définitifs. Ils furent toutefois interrogés plusieurs fois en cet endroit. On raconte même que le Régent avec son fils Ri tjai-myen et son neveu Ri tjai-ouen s’y serait rendu et, dissimulé dans un appartement contigu, aurait écouté l’interrogatoire de Mgr. Berneux.

Celui-ci, dans ses réponses, expliqua pourquoi il était venu en Corée : sauver les âmes ; c’est pour cela qu’il était du reste dans ce royaume depuis 10 ans. C’est pour cela aussi qu’il n’en sortira que par la force. Il est dit d’autre part que la Princesse Min, l’épouse du Régent, en apprenant l’arrestation et l’incarcération de l’Évêque, aurait manifesté la plus vive douleur et fait entendre en présence de son fils aîné, d’énergiques protestations. Mais on ne tint aucun compte de ses larmes et de ses plaintes, et les interrogatoires en règle commencèrent bientôt, comme nous allons le voir.

ARRESTATION DES PP. de BRETENIÈRES, BEAULIEU, DORIE et du Mandarin NAM Jean-Baptiste. — Bientôt trois jeunes missionnaires ne tardèrent pas à venir rejoindre leur Évêque dans la même prison. Ce fut d’abord le P. de Bretenières, qui avait été arrêté à Séoul, le 26 Février, avec le catéchiste Tyeng Marc, dans une maison sise hors de la Grande porte du Sud, au quartier Sin-tong. Ce furent ensuite, le 28 Février, les PP. Beaulieu et Dorie qui, saisis la veille à 4 lieues de la capitale, avaient été amenés de suite à Séoul. Ces trois généreux prêtres ne connaissaient qu’imparfaitement la langue coréenne. Aussi en peu de mots seulement, ils ne purent que déclarer qu’ils


Chapelle du Séminaire de Ryong-San
(Dans cette chapelle, bâtie en vue du champ d’exécution des martyrs, se trouvent les restes du Vén. André Kim.)

étaient contents de mourir pour le Bon Dieu. En retrouvant leur

Évêque bien aimé, ils purent, ce semble, se préparer mieux encore au suprême sacrifice, guidés par l’exemple d’un tel Pontife qui, pour la seconde fois déjà dans son existence, comparaissait devant les juges et confessait le Christ. Vers la fin de Février aussi (le 27 ou le 28), Nam Jean-Baptiste fut découvert dans le district de Koyang, non loin de Séoul ; il fut, sans doute en sa qualité de dignitaire, conduit directement au Tribunal des Criminels d’État.

INTERROGATOIRES DEVANT LA HAUTE COUR. — Le Mandarin Nam ayant été arrêté, on pouvait donc commencer l’examen définitif de la cause. Pour ce faire, le 2 Mars, une Haute Cour d’interrogatoires fut constituée par ordonnance royale, et reçut l’ordre de siéger immédiatement au Tribunal des Criminels d’État. Ce même jour ordre fut donné à la Préfecture de Police de transférer ensemble à ce Tribunal Mgr. Berneux et les trois missionnaires, plus Hong Thomas, Ri syen-i, Tyeng Marc, Tchoi Pierre et Tjyen Jean. De suite commença un premier interrogatoire du Mandarin Nam et de Hong Thomas, interrogatoire interrompu bientôt pour être continué le lendemain. Le 3 Mars, tandis qu’ils étaient interrogés de nouveau et soumis à une terrible question, eut lieu aussi l’interrogatoire de Ri syen-i, Tchoi Pierre, Tyeng Marc et Tjyen Jean. Le 4 Mars, l’Évêque et les trois missionnaires comparurent une première fois à leur tour, et leurs co-accusés, mis à la torture, durent subir la bastonnade. Ce jour-là Ri syen-i, le traître, ayant dans ses dépositions aux interrogatoires de la Préfecture de Police « dénoncé beaucoup de chrétiens et apostasié avec serment », fut relaxé provisoirement par ordre royal à la requête de la Haute Cour. Ce même jour, ordre est donné de brûler dans le préau de la Haute Cour tous les livres chrétiens qu’on avait pu saisir, ainsi que les planches d’impression. Un avis officiel est envoyé par toutes les provinces de rechercher partout les écrits de la « religion perverse » et de les jeter au feu. Le 5 Mars, Mgr. Berneux et Tjyen Jean sont d’abord interrogés ensemble et mis à la question, puis ce fut encore le tour des autres. Mêmes interrogatoires et mêmes tortures le 6 Mars pour tous les accusés. À la fin de cette journée, le Mandarin Nan J-B. et Hong Thomas sont condamnés à mort, et signent leur sentence. Ils sont gardés jusqu’au moment de l’exécution, dans la prison des Criminels d’État. Tchoi Pierre et Tjyen Jean sont remis au Ministère des Crimes pour nouvel examen de leur cause. Quant à Tyeng Marc, comme la Cour trouvait que dans ses réponses, il y avait beaucoup de points mal éclaircis, il est renvoyé à la Préfecture de Police pour y être soumis à de nouveaux interrogatoires. À Mgr. Berneux et aux trois missionnaires est réservé un supplice spécial. Condamnés à mort, ils sont livrés à l’Autorité militaire pour être exécutés près du fleuve Han-kang « avec suspension de la tête, afin de servir de leçon à la multitude. » Le 7 Mars, ordre est donné partout que la loi de « l’Association des maisons responsables de cinq en cinq » soit remise en vigueur. Cette loi était faite depuis longtemps pour que les Coréens pussent se surveiller et se dénoncer mutuellement ; chaque groupe de cinq maisons étant solidairement responsable de tous ses membres, les malfaiteurs et les perturbateurs de l’ordre public ne pouvaient que difficilement de ce fait trouver refuge quelque part.

MARTYRE DE Mgr. BERNEUX ET DE SES COMPAGNONS. — Le 8 Mars, Évêque et missionnaires furent tirés de leur cachot et conduits au dernier supplice. Le lieu de leur martyre fut le même que celui de Mgr. Imbert et ses compagnons. Ce fut là, sur les bords du fleuve Han-kang que, tour à tour, ils tombèrent sous le glaive du bourreau. Mgr. Berneux avait 52 ans, le P. de Bretenières, qui vint après, avait 28 ans, le P. Beaulieu 26 et le P. Dorie 27. En ce même jour, mais avec moins d’appareil et dans un endroit plus rapproché de Séoul, le mandarin Nain Jean-Baptiste fut exécuté avec un autre chrétien, Le 10 Mars, nouvelle exécution : Tchoi Pierre et Tjyen Jean, condamnés à mort la veille après de nouveaux interrogatoires et supplices supportés courageusement, furent décapités.

ARRESTATION ET MARTYRE DES PP. POURTHIÉ ET PETITNICOLAS. — Le jour même où l’évêque et ses compagnons consommaient leur martyre, on amenait à Séoul le P. Pourthié, provicaire de la mission, et le P. Petitnicolas, son collègue. Ils avaient été pris à Pairon, village de la province du Tchyoung-tchyeng-to, où se trouvait le séminaire. En route, ils annonçaient la religion et étaient remplis d’une joie si sainte que les païens en étaient dans l’admiration. Soumis devant les juges à l’interrogatoire et aux tortures, ils furent conduits le 11 Mars sur le bord du fleuve et décapités en même temps que Tyeng Marc, catéchiste et maître de maison du P. de Bretenières, et Ou Alexis, l’apostat de Hpyengyang si vite revenu à de meilleurs sentiments. Celui-ci était juste arrivé à Séoul après l’arrestation de Mgr. Berneux. Comme il stationnait devant la maison épiscopale, les satellites qui la gardaient lui demandèrent qui il était et ce qu’il venait faire. De suite, il déclara qu’il était venu voir son Maître de religion. Arrêté, immédiatement il fut conduit au tribunal et suivit les missionnaires au martyre.

ARRESTATION de Mgr. DAVELUY et des PP. AUMAITRE ET HUIN. — Le 11 Mars, alors que les PP. Pourthié et Petitnicolas étaient conduits au supplice, Mgr. Daveluy était arrêté dans le Nai-po, région située à 33 lieues de Séoul. L’évêque ayant vu que les PP. Aumaître et Huin, qui se trouvaient dans le voisinage, ne pouvaient échapper aux satellites et désirant préserver de la ruine les villages chrétiens dans lesquels ils se trouvaient, invita les deux missionnaires à venir se livrer. Ils s’empressèrent d’obéir. Quelques jours après, ils furent conduits à Séoul. Lucas Hong, servant de Mgr. Daveluy, ne voulant pas être séparé de son maître, fut emmené avec eux.

MARTYRE DE Mgr. DAVELUY ET DE SES COMPAGNONS. — À Séoul, ils furent incarcérés à la Préfecture de Police. L’évêque, qui parlait admirablement le coréen, défendit fréquemment et avec éloquence la religion catholique. Aussi, à cause de cela et parce qu’il était le chef des chrétiens, fut-il plus maltraité que les autres. Ils ne tardèrent pas à être condamnés à mort. Mais comme le roi était malade et qu’il allait bientôt célébrer son mariage, les devins consultés, il fut décidé que l’exécution n’aurait pas lieu à Séoul, mais en province. Ils furent donc conduits dans la presqu’île de Syou-yeng, à 40 lieues de la capitale. Hoang Luc, dont nous avons déjà parlé, et Tjyang Joseph, maître de maison du séminaire de Pairon, furent emmenés avec eux. Tous les cinq, déjà meurtris par les tortures qu’ils avaient endurées, furent placés sur des chevaux. Jamais ils n’auraient pu faire à pied cette longue route. Pleins de joie à la pensée d’être réunis bientôt à leurs glorieux confrères, évêque et missionnaires partaient en chantant des psaumes et des cantiques, à la grande stupéfaction des païens qui n’en pouvaient croire leurs yeux. Le Jeudi Saint, ils venaient d’arriver près du lieu du supplice, quand l’évêque entendit les satellites discuter entre eux. Ils voulaient faire un détour par la ville voisine, et les montrer au peuple. Entendant cela, Mgr. Daveluy leur dit : « Cela ne peut se faire ainsi, demain vous irez directement au lieu du supplice, car c’est demain qu’il nous faut mourir ». Les satellites obéirent et le jour suivant, Vendredi Saint, 30 Mars, ils furent tous décapités. Pour ressembler davantage au Divin Maître, Mgr. Daveluy fut complètement dépouillé de ses vêtements, et comme il venait de recevoir le coup mortel, le bourreau, avant de l’achever, s’arrêta pour discuter le prix de son travail. Cette discussion pénible entre le mandarin militaire et le bourreau enfin terminée, l’évêque reçut deux nouveaux coups de sabre et couronna ainsi son martyre. Le Père Aumaître vint après lui, puis le P. Huin, et les deux chrétiens, leurs compagnons. Mgr. Daveluy était depuis 21 ans en Corée, le P. Aumaître y était depuis deux ans et demi, et le P. Huin depuis huit mois. Les corps des confesseurs de la Foi furent exposés sur le lieu même du supplice pendant trois jours et durant ce temps ni les chiens ni les corbeaux n’osèrent toucher à leurs glorieux restes. Les chrétiens les retrouvèrent dans un bon état de conservation et purent, leur donner la sépulture dans un lieu honorable.

NOMBREUX MARTYRS DE 1866. — Il serait trop long de raconter par le détail les arrestations, les tortures et les supplices des nombreux chrétiens, qui souffrirent le martyre durant cette persécution. Qu’il suffise de citer du moins ceux dont on est en


Séminaire de Ryongsan, près Séoul

train actuellement d’instruire la cause. Le 5 Avril vit le

triomphe, à la ville de Kong-tjyou, du chrétien Son Thomas, étranglé en sa prison. Le 13 Décembre, plus au Sud, à la ville de Tjyen-Tjyou, six chrétiens subirent ensemble la décapitation. Ils avaient nom : Tjyo Pierre, Ri Pierre, Tjyeng Barthélémy, Son Pierre, Han Joseph, Tjyeng Pierre. En 1867, le 5 Janvier, c’est Joseph, fils de Tjyo Pierre, qui est à son tour martyrisé. Il avait été arrêté en même temps que son père, mais la loi coréenne ne permettant pas l’exécution simultanée du père et du fils, son exécution avait été remise à quelques jours plus tard. Le 21 du même mois, à la ville de Taikou, ce fut le chrétien Ri Jean qui fut décapité.

TROIS MISSIONNAIRES RÉUSSISSENT À ÉCHAPPER. — Des dix missionnaires qui, en dehors des deux évêques, évangélisaient la Corée, trois avaient réussi à se soustraire aux poursuites des persécuteurs. Passant tour à tour d’un lieu à un autre, ils souffrirent d’incroyables misères. Le 15 Mai, les PP. Féron et Ridel purent se rencontrer. Le mois suivant, le Père Calais, le troisième des rescapés, put lui aussi se mettre en communication avec eux. D’un commun accord ils décidèrent que l’un d’eux irait en Chine et, si la chose était possible, il essaierait de secourir la mission : le Père Féron, devenu le supérieur de la mission, confia ce soin au P. Ridel, qui en pleurant dut quitter la Corée. Une barque avait été préparée, elle était montée par onze chrétiens ; à la fin de Juin ils se mirent en route, et après une navigation laborieuse, ils abordèrent à Chefou dans la province du Chantong, le 7 Juillet suivant. Le missionnaire alla trouver l’Amiral commandant la flotte française et lui exposa la situation. Celui-ci promit de se porter au secours de la Mission coréenne.

EXPÉDITION NAVALE FRANÇAISE EN CORÉE. — C’est le 18 Septembre que l’Amiral Roze quitta Chefou avec trois navires. Il avait à son bord le P. Ridel, qui devait lui servir d’interprète. Malheureusement l’amiral n’avait aucune instruction de son gouvernement, ce fut sans doute la cause de son échec, mais n’anticipons pas. La petite flotte arriva bientôt dans les eaux coréennes. Le 20, ils reconnurent l’embouchure du fleuve Hankang, et le 25, deux des trois navires purent remonter le fleuve presque jusqu’à Séoul. Le 30, ils se réunirent de nouveau au « Primauget » resté en arrière, et le 3 Octobre, ils étaient de retour à Chefou. Il s’agissait maintenant d’agir. Le 11 Octobre, nouveau départ de Chefou : cette fois, l’Amiral a pris avec lui sept bâtiments ; le 13 ils arrivent en vue de la grande île de Kanghoa, et le lendemain, cette île est occupée sans coup férir. De là l’Amiral envoie une lettre au roi de Corée, demandant que les trois ministres qui avaient décrété la mort des missionnaires, lui soient livrés, et qu’un dignitaire, muni de pleins pouvoirs, lui soit envoyé afin de conclure un traité. À cette lettre, le Roi ne répondit pas. De son côté l’Amiral, voyant approcher l’hiver, prit le parti de retourner en Chine. Toutefois, auparavant il pilla et livra aux flammes la ville de Kanghoa et le palais royal qui s’y trouvait. Il partit ensuite pour Chefou, laissant les malheureux chrétiens sans défense exposés à la rage et aux représailles des païens, qui n’eurent plus qu’une pensée : les Français, pris de peur, s’étaient enfuis et les chrétiens devaient être tenus pour responsables de cette expédition et des pertes subies.

LA PERSÉCUTION CONTINUE PENDANT PLUSIEURS ANNÉES. — Les deux missionnaires qui étaient restés en Corée, avaient essayé, en apprenant l’arrivée des bateaux français, de se réfugier à bord, mais quand ils arrivèrent à l’endroit où ils mouillaient, ils venaient de repartir ; ils se confièrent donc à une barque chinoise et se firent conduire à Chefou. La Corée n’avait plus de missionnaires et de longues années devaient s’écouler avant qu’aucun d’eux pût remettre le pied sur son sol. Mais que devenaient les chrétiens coréens privés de leurs pasteurs ? Hélas ! Le Régent, ivre de rage, avait solennellement juré d’exterminer tous les chrétiens, ordonnant même de n’épargner ni les femmes ni les enfants. Au mois de Septembre 1866, déjà 2.000 d’entre eux avaient succombé sous les coups des persécuteurs. En l’année 1870, la rumeur publique accusait une


Cathédrale de Taikou

hécatombe de 8.000 chrétiens mis à mort, non comptés dans ce

chiffre tous ceux qui, réfugiés dans les montagnes, étaient morts de faim et de misère. Ainsi se termina dans le sang cette troisième période de l’histoire de l’Église de Corée. Encore quelques années et nous verrons se lever une aube nouvelle. Sans doute, elle sera d’abord pénible. Il y eut tant de ruines à relever, tant de plaies à guérir, tant de maux à réparer. Un moment encore elle fut troublée, mais elle ne tarda pas aussi à devenir féconde en fruits de salut. Le sang des martyrs n’aura pas cette fois encore coulé en vain.



L’église de Ryong-tjyeng, avec les enfants des deux écoles Catholiques de la ville.
(Actuellement dans le Vicariat Apostolique de Won-San.)

TROISIÈME PARTIE (1867-1991)

L’ÉGLISE DE CORÉE SORT DES CATACOMBES.
LA MOISSON COMMENCE.


§ I. — PREMIÈRES TENTATIVES DES MISSIONNAIRES POUR RENTRER EN CORÉE. (1867-1870)

PERSÉCUTION ET LIBERTÉ RELIGIEUSE. — Le Père Pourthié, dans une lettre datée du 20 Novembre 1865, supputant les chances prochaines et plus ou moins probables de liberté religieuse, exposait comme il suit, avec une sagacité quasi prophétique, la véritable situation des affaires :

« Non, en fait de liberté, je crois que, pour le moment, nous n’avons d’autres démarches à faire qu’auprès du bon Dieu. Il nous faut remettre tout entre ses mains, accepter de bon cœur les difficultés, les périls, les persécutions, comme et quand il plaira à sa divine Majesté, certains qu’elle nous enverra ce qui est le plus selon sa gloire ; que nous faut-il de plus ? D’ailleurs, j’entends dire assez souvent que cette liberté si désirée procure bien des déceptions, et qu’elle n’a fait que changer la nature des difficultés, sans faire avancer la conversion des peuples aussi vite qu’on l’avait espéré. Avec la liberté, entrent les marchands, gens souvent impies et de mœurs scandaleuses, les ministres des diverses sectes, plus dangereux encore. Or, c’est peu de pouvoir dépenser de fortes sommes d’argent à élever de grandes églises en pierre, si une infinité d’âmes destinées à être le temple de l’Esprit-Saint restent toujours sous l’empire du démon ; c’est peu de pouvoir marcher la tête haute dans les rues, si l’on ne peut persuader le cœur d’une population indifférente, souvent même hostile à des étrangers qui l’ont humiliée. Pour nous, nous voici sans églises, offrant le saint sacrifice dans de bien humbles cabanes, ayant pour autel un banc, ou une simple planche ; notre petite croix fixée sur un mur de boue, est le seul ornement qui brille sur l’autel ; de la main, et même trop souvent de la tête, on touche à la voûte de ces oratoires ; la nef, le chœur, les ailes, les tribunes se composent de deux petites chambres dans lesquelles nos chrétiens et nos chrétiennes sont entassés. Néanmoins, en voyant la dévotion, la foi vive et la simplicité avec laquelle ces pauvres gens viennent adorer Jésus pauvre, et lui offrir les mépris, les outrages, les vexations dont ils sont tous les jours victimes, je ne puis m’empêcher de me dire en moi-même : peut-être un jour ces mêmes fidèles s’assembleront dans de grandes et splendides églises, mais y apporteront-ils ce cœur simple, cette âme humiliée et résignée sous la main de Dieu, cet esprit souple qui ne veut connaître la loi de Dieu que pour lui obéir ? Et nous aussi, peut-être un jour, déposerons-nous l’embarrassant habit de deuil, et alors nous pourrons nous dispenser de patauger continuellement dans la boue et la neige, et les aubergistes nous offriront autre chose qu’une soupe aux algues ou du poisson pourri ; mais quand nous arriverons dans nos villages chrétiens, l’or protestant et le mauvais exemple des Européens, marchands ou aventuriers de toute espèce, n’auront-ils pas éclairci les rangs de ces bons catéchumènes, qui maintenant se pressent en foule dans les cabanes qui nous servent d’oratoires ? Cet élan vers notre sainte religion ne disparaîtra-t-il pas, lorsqu’on verra que les actions des chrétiens démentent leur doctrine ? Vous voyez qu’en cette question, comme dans beaucoup d’autres, il y a du pour et du contre, et que le mieux est de se résigner à tout, soit à la persécution, soit à la paix, soit à la liberté, soit aux coups de


Maison de Kong-so
(Maison particulière transformée en Chapelle pour le temps de l’administration des Sacrements.)

sabre. Aussi sans pencher ni pour l’un ni pour l’autre,

je dis seulement au bon Dieu : fiat voluntas tua ! »

QUE FAUT-IL PENSER DE L’INTERVENTION D’UNE PUISSANCE ÉTRANGÈRE DANS UN PAYS PAÏEN EN FAVEUR DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE ?

Nous avons vu plus haut l’insuccès de l’Amiral Roze. Un des amis de l’Amiral lui ayant exprimé son étonnement de l’insuccès de cette expédition, il répondit « J’ai obtenu ce que je voulais. » Mais jusqu’ici personne n’a pu savoir ce qu’il voulait en réalité, à moins qu’il n’ait voulu détruire la ville ouverte de Kang-hoa, aussi innocente que l’amiral du meurtre des missionnaires. En somme et humainement parlant, il fit trop ou trop peu. Son indécision et ses hésitations, qu’il est permis d’imputer à l’absence d’instructions précises de la part du gouvernement français, ne firent que nuire à la cause qu’il croyait servir. Sans doute il est facile de comprendre que, dans des temps de persécutions sanglantes, quand des chrétientés entières sont noyées dans le sang, les pauvres victimes ne reculent pas devant l’appel à l’intervention d’une force armée en leur faveur. En cas de succès, la liberté religieuse est assurée aux nouveaux convertis, rarement cependant avec des garanties suffisantes ; du moins les missionnaires peuvent se livrer avec moins d’entraves à leur ministère apostolique, néanmoins, même dans cette hypothèse, les avantages de l’immixtion d’une puissance étrangère sont bien problématiques, parce qu’elle fortifie chez les païens la fausse opinion qu’ils se font sur le rôle des missions, en regardant les missionnaires simplement comme des explorateurs chargés de préparer les voies à leur nation, et les chrétiens convertis comme de mauvais citoyens, hostiles à l’indépendance de leur patrie. D’autre part, les relations commerciales, qui sont habituellement la conséquence d’une intervention armée, mettent les nouveaux convertis en relation avec d’autres Européens. Or la grande force des missionnaires repose sur la beauté de la doctrine qu’ils enseignent et sur la conformité de leur vie avec cette doctrine, sur leur désintéressement, leurs vertus poussées jusqu’à l’héroïsme. Mais quand le commerce amène dans le pays d’autres étrangers qui ne sont chrétiens que de nom, dont les mœurs sont parfois suspectes, qui ne respectent ni la religion ni ses ministres ; quand l’or de certaines sociétés vient apprendre aux néophytes que des confessions dissidentes disputent le terrain à la vérité, ces âmes simples sont troublées et leur foi commence à chanceler.

Ces réflexions ne sont pas ici un hors d’œuvre, car elles vont aider à comprendre la période moderne de l’histoire de Corée, en même temps qu’à leur tour elles seront éclairées par les faits précis que nous allons relater. Tout eu montrant les progrès incessants de la foi sur cette terre arrosée du sang de tant de martyrs, nous dirons aussi la lutte soutenue ici sous une forme nouvelle par l’Église Catholique. N’est-ce pas, en effet, en tout lieu et en tout temps la destinée de l’Église Catholique d’être sur cette terre en guerre continuelle avec Satan qui, lui, de son côté emploie tour à tour tous les moyens pour entraver l’action divine dans les âmes.

VAINES TENTATIVES DES MISSIONNAIRES POUR RENTRER EN CORÉE. Leur séjour en Chine. — Le Séminaire de Paris en apprenant le martyre de deux Évêques et de sept missionnaires, n’eut qu’une hâte, celle de remplacer au plus tôt les vaillants qui avaient succombé dans l’arène. Trois nouveaux missionnaires furent désignés pour aller prendre leur place, c’étaient les PP. Blanc, Richard et Martineau, qui, partis de Paris en 1867, allèrent rejoindre en Chine les missionnaires survivants. Ceux-ci, les PP. Féron, Calais et Ridel, loin de se décourager, s’efforçaient déjà de trouver le moyen d’entrer en Corée. En attendant l’heure propice, le Père Ridel se livre à Shanghai à des travaux de linguistique, fait l’éducation coréenne de ses nouveaux confrères et se rend au Japon dans l’espoir d’y rencontrer des Coréens naufragés, avec qui il espérait forcer l’entrée de la Corée, mais c’étaient des gens de Quelpaert qui ignoraient complètement les graves événements de Séoul. La prudence ne permit pas au missionnaire de se confier à eux. Le Père Calais, de son côté, s’installe en 1867 en Mandchourie, recevant de Mgr. Verrolles une généreuse hospitalité et essayant déjà une première fois, mais en vain, de rentrer dans sa pauvre Corée. Il est rejoint en 1868 par deux nouveaux missionnaires arrivés de France l’année précédente, les PP. Richard et Martineau, tandis qu’en Juin, le P. Ridel essaie de Tchefou d’entrer en Corée en compagnie du P. Blanc ; mais la tentative reste infructueuse, ils ne peuvent même pas se mettre en route et gagnent la Mandchourie. De son côté, le P. Féron fait, la même année, au mois de mai, sur les côtes Ouest de Corée, et en Juin, du côté de la baie de Posiette, deux tentatives restées sans succès. De retour à Chefou, le Père Féron dut prendre le chemin de France, où, après un séjour d’un an environ, il se fit agréger à la mission de Pondichéry. Son départ mit la direction du Vicariat entre les mains du Père Ridel. À la fin de l’année 1868, nous trouvons réunis en Mandchourie, les PP. Ridel, Calais, Blanc, Richard et Martineau : le P. Ridel, en effet, avait pris soin de convoquer tous ses confrères à une réunion générale, afin de rechercher avec eux quelles mesures il conviendrait de prendre pour l’avenir de la mission. Sans retard, il s’était dirigé vers Tcha-kou, petit village de la Mandchourie que les missionnaires ont baptisé du nom de Notre-Dame des Neiges. C’est là, sur les frontières de la mission, qu’ils attendront désormais l’heure et l’occasion favorables de remplacer les martyrs et de reprendre leurs travaux interrompus. C’est dans cet humble village, encaissé entre deux montagnes, dont les sommets s’élèvent à pic vers le ciel, au milieu des neiges, sur le bord du Sa-heu, glacé par une température de 22 degrés et plus au-dessous de zéro, que se tinrent les assises du second synode de l’Église de Corée. Les séances de la petite assemblée manquèrent d’éclat mais non d’importance. Les règles d’administration que M. Ridel avait déjà rédigées furent examinées en détail et approuvées. On rechercha ensuite les différents moyens d’arriver le plus vite possible au secours des chrétiens, et l’on décida que, dès le printemps, deux missionnaires se présenteraient sur les côtes de la Corée, sous la conduite du chrétien François Kim. Celui-ci débarquera seul et ira aux informations. Si les nouvelles sont bonnes, si elles offrent toutes les garanties exigées par le Conseil, les Pères pourront descendre à leur tour. Le 8 Décembre ils signent un contrat de communauté qu’ils font approuver par Mgr. Verrolles et qui dura jusqu’en 1874. Entre divers travaux de linguistique, les missionnaires continuent à se livrer à l’étude non seulement de la langue coréenne, grâce à quelques chrétiens coréens qu’ils ont avec eux, mais ils apprennent aussi la langue chinoise, ce qui leur permet de s’occuper des chrétiens chinois de N-D. des Neiges, où ils sont installés, voire incidemment d’autres chrétientés. C’est ainsi que nous les voyons non seulement à Tchakou, mais aussi parfois à Yang-mou-lin-tse, qu’ils appellent les Saules ; fréquemment l’un ou l’autre se rend à Yangkoan, la Passe aux Cerfs, ou à Saint Hubert, où habite Mgr. Verrolles.


§ II. — ÉPISCOPATS DE Mgr. RIDEL ET DE Mgr. BLANC.
TRAITÉ DE LA CORÉE AVEC LES PUISSANCES ÉTRANGÈRES. (1870-1890)

Mgr. RIDEL 6ème VICAIRE APOSTOLIQUE DE CORÉE.MM. Calais et Martineau s’étaient vus avec bonheur choisis pour la périlleuse tentative que le Synode coréen avait décidé. Tandis que ceux-ci se préparaient à cette expédition apostolique, le P. Ridel gagna Chefou. Le 24 Avril 1869 il se trouvait à Shanghai pour y régler plusieurs affaires de la mission, quand il apprend que M. Calais n’avait pu acheter, ni louer de barque pour gagner la Corée. Il retourne à N-D. des Neiges, mais c’est pour y apprendre une douloureuse nouvelle. M. Calais, malade et découragé, venait de s’embarquer pour la France. Que faire ? Fallait-il abandonner la partie ? M. Ridel, loin de reculer, n’hésite pas et quelques jours plus tard, en compagnie du Père Blanc, se confie à la grâce de Dieu et s’embarque pour tenter l’aventure. Mais les deux apôtres ne purent qu’approcher des côtes coréennes et, sans pouvoir s’aboucher avec les chrétiens,


Tombeau du régent et de la princesse Min Marie
(Ce tombeau était situé à une demi-lieue de Séoul. Depuis quelques années, les restes du prince et de la princesse ont été transportés ailleurs.)

durent reprendre le chemin de la Mandchourie. C’est là que, le

18 Juillet, le P. Ridel apprit sa nomination de Vicaire Apostolique. Au commencement de l’année 1870, pour obéir à l’invitation du Souverain Pontife, le nouvel Évêque se mit en route pour prendre part au Concile du Vatican. C’est à Rome qu’il est sacré, le 5 Juin, par le Cardinal de Bonnechose, en présence de nombreux évêques.

L’EXPÉDITION AMÉRICAINE DE 1871.NOUVELLES TENTATIVES DES MISSIONNAIRES POUR ENTRER EN CORÉE. — 1871 ramène Mgr. Ridel en Mandchourie. Les missionnaires purent un moment espérer voir la Corée s’ouvrir aux étrangers. En effet, les années précédentes divers navires des États-Unis, échoués sur les côtes coréennes, ayant été brûlés et leurs équipages massacrés, une petite flottille américaine vint se porter près de l’île de Kang-hoa, afin de négocier un traité pour la protection des naufragés. Or il arriva que le 1er Juin, alors que deux canonnières faisaient des sondages entre l’île et le continent, les coréens ouvrirent le feu sans avertissement. Les canonnières répondirent, et firent taire les forts. L’Amiral Rodgers attendit d’abord des excuses, pensant que c’était une erreur d’officier subalterne. Les excuses ne vinrent pas. Le 10 Juin, il s’empara des forts de l’île de Kang-hoa. On entra en pourparlers, mais rien n’aboutit. Le seul moyen d’imposer un traité eût été sans doute d’aller plus avant dans l’intérieur du pays et de s’emparer de la capitale. N’ayant pas les forces suffisantes, il dut se retirer et tout en resta là. Plusieurs années durant, évêque et missionnaires cherchèrent de nouveau à forcer la dangereuse barrière qui défendait la Corée. Dans une de ces courses, faite avec le P. Blanc en 1875, ils essuyèrent une tempête telle qu’ils purent se croire à leur dernière heure. Ils firent alors un vœu à la Vierge de Lourdes, et purent, sinon aborder en Corée, du moins regagner la Chine. On peut remarquer dans l’une des chapelles de la basilique de Lourdes, un ex-voto en marbre qui rappelle la protection accordée par Marie à l’Évêque et au missionnaire. Enfin, en 1876, la tentative fut plus heureuse, Mgr. Ridel, s’étant mis en route avec les PP. Blanc et Deguette, (ce dernier nouvellement arrivé de France), avait réussi à atteindre en mer le lieu du rendez-vous avec les guides coréens venus à leur rencontre, mais ceux-ci ne voulurent conduire en Corée que les deux missionnaires, prétendant que, pour le moment, la présence de Mgr. Ridel serait plus utile en Chine pour l’église coréenne. L’évêque céda à leurs instances et reprit encore une fois le chemin de la Mandchourie, tandis que ses deux prêtres parvenaient heureusement à mettre les pieds sur le sol coréen et gagnaient en grand secret la Capitale.

Mgr. RIDEL ENTRE à son tour EN CORÉE. Son ARRESTATION et sa LIBÉRATION.Mgr. Ridel n’eut qu’une hâte, celle d’aller rejoindre ses deux missionnaires ; aussi en automne 1877, il prend avec lui les PP. Doucet et Robert arrivés de France en Mandchourie au printemps précédent, et après dix-huit jours de fatigues et de dangers, il aborde heureusement sur la terre coréenne et va s’installer à Séoul. Au Père Robert, il confie le soin de commencer un séminaire ; les autres sont chargés de continuer à relever les ruines accumulées par la persécution et par la longue absence de tout prêtre. Pour lui, il se propose de préparer des livres d’instruction religieuse. Hélas ! au mois de Janvier 1878, un chrétien chargé d’aller en Chine porter les lettres des missionnaires et de l’évêque, fut arrêté. Mis à la torture, il révéla la présence des prêtres, et le 18 Janvier Mgr. Ridel fut appréhendé et jeté en prison. Des satellites furent envoyés dans toutes les directions pour se saisir des missionnaires, mais ils ne purent les découvrir. D’ailleurs bien perplexe était le gouvernement coréen. Il sentait que les temps étaient changés. Déjà en Février 1876, mais à son corps défendant, il avait dû signer à Kanghoa un traité avec les Japonais. Aussi la question se posait pour lui de savoir s’il fallait user des mêmes sévérités qu’autrefois en ce qui regarde les étrangers. Anxieux de savoir ce qu’il fallait faire de l’évêque, il hésitait, lorsqu’en Juin vint de Pékin l’ordre impérial de reconduire en Chine le Prélat. Cet heureux résultat était dû à l’intervention du ministre de France auprès du Tsong-li-yamen. Mgr. Ridel venait à peine de quitter Séoul, reconduit avec honneur jusqu’à la frontière, que le Japon, lui aussi, venait demander sa liberté. Décidément les temps étaient changés ! Et c’étaient des gouvernements païens eux-mêmes qui intervenaient cette fois pour protéger les missionnaires. Malheureusement les chrétiens qui avaient été arrêtés avec l’évêque, ne bénéficièrent pas de ces interventions, et presque tous moururent en prison. Parmi les chrétiens qui donnèrent à cette époque leur vie pour Jésus-Christ, il faut signaler en particulier Tchoi Jean, le vieux maître de maison de Mgr. Ridel. Arrêté avec le Prélat, il mourut de misère en prison, le 14 Juillet. Ce bon serviteur avait fait depuis 1866 plusieurs voyages en Chine, et avait préparé activement la rentrée des missionnaires. Calligraphe habile, c’est lui qui écrivit les caractères coréens, qui servirent de modèles pour la fonte des types mobiles lors de l’impression à Yokohama de la grammaire et du dictionnaire coréen-français, dont il va être question un peu plus bas. Entre ses voyages en Chine, il présidait à la résurrection de l’Église coréenne, encourageant les uns, conseillant les autres, écrivant régulièrement à l’obsèques alors en résidence à Tchakou, comme nous l’avons vu, donnant les renseignements les plus circonstanciés sur la pauvre Mission en ruine. Lors de sa mort, un fait curieux se produisit, qui est à relater, étant donné les témoins qui le racontent. Le P. Blanc était alors provicaire. C’était le matin, il venait de se lever, et était en train de mettre ses bas, quand, levant les yeux, il aperçut Tchoi Jean dans un coin de la chambre. Tout impressionné par cette vision, alors qu’il le savait malade en prison, le Père instinctivement ferme les yeux : quand il les rouvrit, il n’y avait plus personne dans la chambre. De suite, la pensée lui vint que le courageux chrétien était mort, et il célébra la messe à son intention. De fait quelque temps après, on apprenait la nouvelle de sa mort. Ce fait est raconté par Mgr. Mutel, lui-même, qui, bien des fois, l’a entendu de la bouche de Mgr. Blanc.

GRAMMAIRE ET DICTIONNAIRE CORÉEN. — Nous avons vu que l’exil forcé des missionnaires en Chine pendant 10 ans avait eu au moins pour résultat de leur permettre, entre deux courses en mer ou aux frontières, de se livrer à un travail sérieux de la langue coréenne. Ils avaient eu avec eux à Shanghai et à Tchakou plusieurs coréens qui leur rendirent de grands services sous ce rapport. Il faut citer surtout Kim François, Tchoi Jean et Kouen Thaddée. Il était temps de publier ces travaux. Le Père Coste qui, dès 1876, avait quitté le service des procures pour se mettre à la disposition de la mission de Corée, avait été chargé par Mgr. Ridel, en 1877, de s’occuper de l’impression d’une grammaire et d’un dictionnaire coréen-français, et dans ce but, était allé s’installer au Japon, à Yokohama. Grâce à son habileté et à son inlassable dévouement, la grammaire put paraître en 1880 et le dictionnaire en 1881, c’étaient les premiers ouvrages européens parus sur la langue coréenne.

ARRESTATION de deux Missionnaires. — L’arrestation de Mgr. Ridel en 1879 avait arrêté pour un temps les travaux des missionnaires, qui avaient dû rechercher dans les montagnes un abri sûr. En automne toutefois, ils s’étaient remis au travail, et le P. Blanc, qui depuis 1876 tenait les pouvoirs de provicaire, avait pris la direction de la Mission. L’hiver s’était passé sans incidents notables, lorsque le 15 mai 1879, le P. Deguette et 14 chrétiens furent tout à coup arrêtés dans le district de Kong-tjyou, grâce à la traîtrise d’un faux frère, et conduits à Séoul. Cette fois, le roi, en apprenant cette arrestation, parut irrité. On lui mettait sur les bras une fâcheuse affaire, où ne manqueraient pas d’intervenir le Japon, la Chine et les autres puissances. C’est ce qui arriva en effet. Le Ministre de France à Pékin, averti de l’arrestation du missionnaire, avait fait d’actives démarches et le 7 Novembre, sur l’ordre de la Chine, le P. Deguette quittait Séoul, reconduit à la frontière du Nord, comme l’année précédente Mgr. Ridel. Trois missionnaires seulement restaient en Corée. Il leur fallait des aides ; ils ne tardèrent pas à arriver. Au printemps 1880, MM. Mutel et Liouville, (le premier en Mandchourie depuis 1877, et le second depuis 1878,) essayèrent une expédition qui échoua, mais en automne, ils se mirent de nouveau en route


Napaoui
(La barque d’André Kim, introduisant en Corée Mgr. Ferréol et le Père Daveluy longea ce village, maintenant entièrement chrétien, le 12 Octobre 1845.)

et réussirent à débarquer le 12 Novembre dans la province du

Hoang-hai-to, et s’installèrent à Tjyang-yen. Au mois de Janvier 1881, Mgr. Mutel gagne Paik-tchyen, ville plus rapprochée de Séoul, où il doit se rencontrer avec le P. Robert. Il était encore dans cette région au printemps, lorsqu’une alerte vint l’obliger à gagner Séoul pour s’y cacher. En effet, au mois de Mars, des allées et venues fréquentes autour de la maison où se trouvait le P. Liouville, avaient fait naître des soupçons dans l’esprit des satellites. Ils ne tardèrent pas à l’arrêter. Seulement ils avaient fait la chose sans mandat, et le gouverneur de la province, qu’on était allé prévenir, craignant sans doute une nouvelle affaire désagréable, fit donner l’ordre de rendre la liberté au prisonnier. La chose était nouvelle, et l’étonnement fut grand partout. Les missionnaires avaient enfin, semble-t-il, remporté la victoire, et conquis le sol coréen.

On savait désormais qu’ils étaient en Corée, et on les laissait tranquilles, mais c’est à partir de l’année suivante seulement (1882) que la liberté de pénétrer en Corée s’affirma cette fois d’une manière plus officielle, comme nous allons le voir plus loin.

DERNIER ÉDIT ROYAL CONTRE LA RELIGION CATHOLIQUE (12 Juin 1881)

Tandis que le gouvernement et le peuple semblaient incliner vers la tolérance et manifestaient même le désir d’établir des relations avec les peuples occidentaux, les lettrés et plusieurs mandarins faisaient de leur côté tous leurs efforts pour continuer cette politique aveugle et égoïste, qui avait tenu depuis toujours le peuple coréen à l’écart des autres nations. Au cours de l’été, les lettrés des huit provinces présentèrent force requêtes contre les Japonais et contre les chrétiens. Le roi, peu porté aux moyens violents, ne voulut pas entrer dans leurs vues. Ceux-ci recommencèrent. À la fin, le gouvernement ennuyé fit prendre les principaux meneurs, un par province, et les envoya en exil ; bien plus, l’un d’entre eux, s’étant montré plus récalcitrant, et ayant même osé accuser le roi et la reine d’être chrétiens, pour sa peine, on lui cassa les dents, et la nuit suivante, il fut condamné à mort.

Toutefois, et c’est bien la manière orientale, pour donner une petite satisfaction aux plus irrités d’entre les lettrés, et aussi leur imposer silence, le roi fit paraître un édit, le 12 Juin 1881, dans lequel, après avoir outragé notre Sainte Religion, et avoué l’impuissance de ses prédécesseurs à l’anéantir, il indiqua, comme seul moyen de la faire disparaître, de s’appliquer de plus en plus à suivre la doctrine de Confucius, et « l’erreur, dit-il, tombera d’elle-même. » En même temps, il défendait au préfet de police d’inquiéter les chrétiens. En vérité les temps étaient changés.

LES TRAITÉS ENTRE LA CORÉE ET LES PUISSANCES ÉTRANGÈRES. — L’expédition française de 1866, et l’expédition américaine de 1871, n’avaient pas réussi à ouvrir la Corée. Le Japon commença, nous l’avons vu, à lui imposer, en Février 1876, le traité de Kang-hoa, et de ce fait les Japonais s’introduisirent peu à peu dans le pays, à Séoul surtout.

En 1882, le 22 Mai, ce fut le tour des États-Unis de signer un traité avec la Corée. Sur ce, l’Angleterre et l’Allemagne entamaient des négociations, imitées en cela par la France et les autres puissances, les années suivantes. Mais ces négociations n’étaient pas du goût de bien des coréens : c’était, en particulier, la faillite de la politique du fameux Tai-ouen-koun. Celui-ci, furieux, essaya d’une révolution contre le roi et les Japonais. (Juillet 1882) Mal lui en prit ; le Japon le prit de haut, et voulut s’en venger. Les coréens, pour échapper aux horreurs d’une guerre, ne purent que faire de plates excuses et ils signèrent un nouveau traité bien dur pour leur orgueil. Désormais les troupes japonaises auraient droit de résider à Séoul. Cette clause du traité surtout mit les Chinois en fureur. Ils ne pardonnèrent pas au régent de n’avoir pas réussi dans sa tentative, et un beau jour d’automne, ils attirent le Régent dans leur camp et l’emmènent en Chine à Paoting-fou, où il subit un exil de plusieurs années, avant qu’il lui fût permis de revenir en Corée. Les païens eux-mêmes n’ont pas manqué de voir eu tous ces événements une punition du ciel, qui vengeait le sang de milliers d’innocents tombés jadis sous les coups du bourreau sur l’ordre de ce fameux Tai-ouen-koun.

L’ouverture de la Corée par les traités fut le signal de l’entrée du Protestantisme dans la Péninsule coréenne. Jusqu’alors, les ministres de l’erreur ne s’étaient pas risqués à pénétrer dans le Royaume Ermite, et pour cause. Ils ne tardèrent pas à rattraper le temps perdu. Le P. Pourthié avait vu juste en 1866 en redoutant cette concurrence. Elle va se montrer bientôt puissante, et le tableau publié à la fin de cette étude montrera les résultats obtenus ici en 40 ans par les Protestants.

Mgr. BLANC, 7ème VICAIRE APOSTOLIQUE DE CORÉE. — En l’année 1882, le Père Blanc, qui déjà était provicaire, fut nommé Évêque-Coadjuteur de Mgr. Ridel. Celui-ci, en effet, ne pouvait de son lieu d’exil gouverner directement l’Église de Corée. De plus, brisé par les travaux apostoliques, malade, frappé en 1881 d’une première attaque d’apoplexie, il avait dû gagner la France où il ne tarda pas à mourir en 1884. De ce fait, Mgr. Blanc lui succédait de plein droit. Le nouveau Vicaire Apostolique donna d’abord tous ses soins à l’œuvre si importante du Clergé indigène. Déjà, vingt élèves avaient pu être envoyés en cachette au Collège Général de Pinang. Mais, voulant donner à cette œuvre un plus grand développement, l’évêque fonda dans son Vicariat un petit séminaire où pourraient être préparés d’autres élèves. Le 21 Septembre 1887, Mgr. Blanc promulgua le Directoire de la Mission, sorte de coutumier composé surtout des notes laissées par Mgr. Ridel, augmenté d’un extrait du Synode du Sutchuen. Mgr. Ridel, depuis son retour du Concile du Vatican, avait toujours rêvé de pouvoir consacrer solennellement la Corée au Sacré-Cœur de Jésus. Ce que le vaillant prélat n’avait pu faire, son successeur s’empressa de l’accomplir, et le 8 Juin 1888, le Vicariat Apostolique de Corée fut consacré au Divin Cœur de Jésus. Déjà depuis deux ans, la France avait signé un traité avec le gouvernement coréen, désormais tous les espoirs étaient permis. Cette même année 1888, les Sœurs de Saint Paul de Chartres firent leur entrée à Séoul. Ces vaillantes religieuses purent aussitôt fonder une maison à la capitale, et prendre la direction de l’orphelinat installé depuis plusieurs années déjà par les missionnaires. Ceux-ci, de leur côté, profitant du traité, peuvent enfin abandonner les vêtements de deuil coréen qui jusqu’alors les avaient dérobés à la vue des indiscrets, et se montrer peu à peu partout en habit ecclésiastique. L’imprimerie de la mission, que le Père Coste, après un séjour de deux ans à Yokohama, avait établie à Nagasaki depuis plusieurs années, fut transférée à Séoul et put continuer un travail sérieux et fécond en résultats. Il s’agissait maintenant de construire des églises, car la vie des catacombes était finie pour les chrétiens coréens. À Séoul un emplacement superbe, dominant la ville avait pu être acheté, non sans peine. Le gouvernement coréen essaya bien de s’opposer à cette installation, mais après de longs pourparlers, les droits de l’évêque furent reconnus et le 2 Février 1890, Mgr. Blanc put célébrer en l’honneur de la Sainte Vierge une messe solennelle d’actions de grâce pour la remercier de l’heureuse issue de cette affaire. Hélas ! il n’eut pas longtemps jouir des heureux résultats de ses travaux. Quelques jours plus tard, il tombait malade et le 21 du même mois, il s’éteignait au milieu de ses missionnaires.


§ III. — Mgr. MUTEL, Vicaire Apostolique de Corée.
(1890) LA MOISSON.
ÉTAT DE L’ÉGLISE DE CORÉE EN 1890.

Le nombre des Catholiques, à la mort de Mgr. Blanc, était de 17.577 et le nombre des missionnaires de 22. Aucun prêtre indigène n’avait encore été ordonné, mais une quarantaine de séminaristes se préparaient au sacerdoce, soit à Pinang, soit en Corée. Aucune église n’avait pu encore être construite. Mais elles ne vont pas tarder à s’élever et à prêcher aux païens le nom du Seigneur du Ciel. On comptait alors 319 chrétientés. Chaque année une moyenne d’un millier d’adultes païens recevaient le baptême : aussi ne tarderons nous pas à voir l’Église de Corée


Séminaire de Taikou

grandir et s’embellir. Malheureusement à côté de la vérité,

l’erreur peut s’introduire désormais, et c’est le nouvel obstacle que vont rencontrer les missionnaires, en attendant que les Japonais viennent par leur civilisation matérialiste en créer encore un nouveau.

Mgr. MUTEL, 8ème VICAIRE APOSTOLIQUE DE CORÉE. — Le successeur de Mgr. Blanc fut le P. Mutel qui, dès l’année 1885, avait été rappelé à Paris comme Délégué des Missions du Japon, de Corée et de Mandchourie ; il fut sacré par le Cardinal Richard, de sainte mémoire, dans l’église du Séminaire des Missions Étrangères de Paris, le 21 Septembre 1890, jour anniversaire de la mort glorieuse de Mgr. Imbert et des Pères Maubant et Chastan. Mgr. Blanc avait pris pour devise : « Albæ ad messem. » Le nouveau Pontife reçoit du vénérable Père Delpech une devise qui devait être comme la prophétie du long pontificat qui, grâce à Dieu, dure encore : « Florete, flores Martyrum, » lit-on sur son blason. En vérité, elles ont fleuri, ces fleurs ! Les pages suivantes vont le redire en partie du moins, car il serait trop long de raconter dans cette simple brochure tout ce que furent les années qui vont suivre.

Séditions de 1891. Guerre SINO-JAPONAISE de 1894.

Mgr. Mutel arrive en Corée dans les premiers jours de l’année 1891. À cette époque la péninsule est troublée par des séditions. Une secte, fondée une trentaine d’années auparavant sous le nom de Tonghak ou religion de l’Est, ne rêvait pour le moment qu’une chose ; chasser les étrangers du pays. De là, en 1891 et années suivantes, des troubles dans les diverses provinces. Les Chinois et les Japonais voulurent se mêler des affaires coréennes et bientôt la guerre éclata entre le Japon et la Chine.

Les chrétiens par milliers eurent beaucoup à souffrir en divers lieux, et durent chercher leur salut dans la fuite. La situation des missionnaires du Sud-Ouest surtout devint bientôt intolérable. Le 24 Juillet, Mgr. Mutel reçut d’eux la dépêche suivante : « Missionnaires et chrétiens nous allons tous mourir. » Il leur fut répondu, ou de fuir ou de venir se réfugier à Séoul. Le P. Jozeau, le plus menacé de tous, se mit en route pour la capitale. Le 29 Juillet, il rencontrait près de Kong-tjyou l’avant-garde de l’armée chinoise que les Japonais avaient battue. Le général le fit arrêter et exécuter par ses soldats. Les deux missionnaires du Tjyen-la-to, les PP. Baudounet et Villemot purent s’échapper à temps, mais ils coururent pendant six semaines les plus grands dangers. Un bateau de guerre français, « L’Inconstant, » fut envoyé à leur secours, mais quand les prêtres avertis purent arriver à la côte, la date du rendez-vous était passée depuis quelques jours et le bateau était reparti dans une autre direction. Les deux missionnaires néanmoins réussirent à gagner Séoul, où ils arrivèrent exténués de fatigue, ayant fait une partie de la route en barque, et 40 lieues à pied. Par prudence tous les autres missionnaires de l’intérieur furent rappelés eux aussi à la Capitale pour un certain temps.

TRAVAUX DES MISSIONNAIRES ET PROGRÈS DE L’ÉVANGÉLISATION.

1o SÉOUL. — Malgré ces séditions, malgré la guerre et les troubles qui s’en suivirent, malgré les événements qui en furent la conséquence, les Missionnaires purent néanmoins travailler efficacement dans le champ du Seigneur, jadis ravagé. À Ryongsan, près de Séoul, un séminaire avait été construit en 1891, non loin du lieu des supplices, où autrefois missionnaires et chrétiens avaient confessé Jésus-Christ. Dans les faubourgs de Séoul, à Yak-hyen, une première église en briques fut édifiée par le P. Doucet, sur les plans du P. Coste, et solennellement bénite en 1893. La Princesse Min, mère du Roi, épouse du fameux Tai-ouen-koun (Régent du royaume) et catéchumène depuis le temps de la persécution, fut baptisée en secret à Séoul par Mgr. Mutel et reçut le nom de Marie.

Bientôt l’Église Cathédrale, commencée par le P. Coste et finie par le P. Poisnel, s’éleva sur l’endroit tant disputé jadis par le gouvernement coréen et put être solennellement consacrée en 1898, au milieu de milliers de chrétiens accourus de tous côtés, en présence aussi des ministres coréens et des représentants des Puissances étrangères. La même année mourut le Régent ainsi que son épouse, la Princesse Marie. Ce célèbre persécuteur de la religion catholique était depuis longtemps déjà troublé, et pris de remords, au souvenir de ses anciennes tueries. Il est même certain qu’il fit offrir, par l’entremise des bonzes, des sacrifices aux âmes des chrétiens mis à mort depuis 1866, « afin, dit-on, de consoler ces pauvres âmes du regret qu’elles ont dû éprouver de quitter ainsi la vie. » C’était déclarer publiquement que les chrétiens étaient innocents, qu’on ne pouvait leur reprocher aucun crime.

2o DANS LES PROVINCES. — Tout est en train de s’organiser désormais, on profite des demi-libertés concédées si parcimonieusement par les traités. Mgr. Mutel, prêchant d’exemple, et infatigable dans ses courses apostoliques, parcourt annuellement une partie ou l’autre de son immense vicariat. Il n’y avait pas alors de chemin de fer, pas de routes, rien que des pistes muletières, étroites et peu ou point entretenues. Les voyages étaient longs, peu rapides, il fallait dix ou quinze jours à cheval pour gagner certains districts éloignés. Peu importe, le vaillant Vicaire Apostolique voit en détail, non seulement les résidences de ses prêtres, mais toutes les stations chrétiennes sans eu omettre une seule, se montrant ainsi à tous les chrétiens, heureux de pouvoir enfin recevoir leur Évêque en grande pompe et au grand jour, sans avoir comme jadis à se cacher des païens. Encore une fois l’Église triomphait et le Christ régnait en Corée. Les postes de missionnaires commencent à se fonder et à se multiplier. Avant 1890 aucune résidence fixe n’existait à l’intérieur du pays. Les missionnaires stationnaient ici ou là, évitant les villes, se cachant surtout dans de profondes vallées, habitées seulement par des catholiques. Insensiblement le régime de liberté s’accentuant, ils purent sortir de l’ombre eux aussi. C’est ainsi, que pour ne parler que des centres les plus importants, Chemoulpo se fonda en 1890. En cette même année le Père Robert s’implante, mais non sans peine, dans la ville importante de Tai-kou. En effet, il avait été un beau jour chassé de cette ville par la populace, mais y avait été ramené ensuite de Séoul solennellement, escorté d’une garde d’honneur et ce par ordre du Gouvernement central. En 1890 aussi le P. Jozeau fixe sa résidence à Fousan, et en 1891, le P. Baudonnet s’établit à Tjyen-tjyou, tandis que dans le Nord, à Hpyeng-yang, où le P. Poisnel avait déjà séjourné un an en 1884-1885, le P. Legendre s’installe définitivement en 1895, et y est remplacé par le P. Le Merre en 1898. Peu à peu, ici ou là, mais timidement d’abord pour ne pas éveiller la susceptibilité des autorités provinciales, toujours très défiantes malgré tout, des chapelles de style coréen surgissent du sol. Je dis timidement, car le séjour des missionnaires à l’intérieur du pays n’est pas permis par les traités, si on prend ceux-ci à la lettre. En effet, sauf les villes de Séoul et Yanghoatjin, et les ports de Chemoulpo, Wonsan et Fousan avec une zone de dix lis autour de ces localités, où l’achat de terrains et la construction d’édifices étaient permis aux étrangers, en même temps que leur était concédé le libre exercice de leur religion, il n’était permis à personne de se fixer à demeure dans l’intérieur du pays. Pour voyager dans toutes les parties du territoire coréen, il fallait être muni de passeport et encore n’y pouvait-on « ouvrir des magasins, ni créer des établissements commerciaux permanents. » C’est sous le seul couvert de ces clauses de plus en plus toutefois libéralement interprétées que les missionnaires purent peu à peu se montrer au grand jour dans tout le pays. Comme on peut le voir, on était encore loin de la liberté religieuse absolue. Aussi les résidences possédées en province par les missionnaires étaient-elles mises toutes sous le nom d’un catholique coréen. Il fallut 1904 et l’arrivée des Japonais pour que l’on puisse se hasarder à construire des églises de style européen en dehors de la capitale et des ports ouverts. Et ce ne fut qu’en 1910, lors de l’annexion de la Corée au Japon, que la liberté religieuse fut proclamée d’une façon officielle par toute la péninsule. Malgré ces incertitudes des traités, non seulement les résidences se fondent, non seulement les districts se multiplient surtout dans le Tchyoung-tchyeng-to, le Kang-ouen-to, et Kyeng-keui-to ; mais aussi, grâce d’un côté à l’arrivée de plus nombreux ouvriers apostoliques, grâce aussi aux prêtres coréens qu’à partir de 1896


À Katteungri, près de Syou-ouen, Résidence d’un missionnaire
(Maison coréenne.)

commence à fournir le séminaire de Ryongsan, le champ d’action

s’élargit et la bonne nouvelle est portée dans des régions jusqu’alors inabordées.

3oKANTO (en territoire chinois). — Nous voyons dès lors le P. Bret, installé à Wonsan en 1894, prendre contact de là avec une région située aux confins Nord-Est de la Corée, sur les bords du Touman, région dite du Kanto, (Chientao) et que les Chinois et Coréens se disputent depuis longtemps. Un jour de 1896, un païen de cette région, poussé par un secret désir de connaître ce qu’était la religion catholique dont il venait d’entendre parler, entreprend de faire le voyage de Séoul, afin de s’éclairer. Arrivé à Ouensan (Wonsan), il y rencontre des chrétiens, un missionnaire. On le reçoit, on l’instruit. Deux mois après, il est baptisé et peut retourner dans son pays, où il va annoncer à son tour la bonne nouvelle. Un an après, plus de cent catéchumènes étaient prêts au baptême dans cette lointaine région. Le P. Bret ne veut pas laisser passer si bonne occasion et se met en expédition en automne 1897, car c’est une véritable expédition, que ce voyage de treize cents lis, rien que pour aller de Wonsan au Touman. Néanmoins, sauf une fois durant la guerre russo-japonaise, le P. Bret la renouvelle chaque année, jusqu’en 1908, année de sa mort. À cette époque, on compte au Kanto plusieurs milliers de catholiques, et aujourd’hui ils sont près de dix mille. En 1909, deux résidences de missionnaires furent fondées dans cette région, et les premiers titulaires furent le P. Curlier, à Ryong-tjyeng-tchon, et le P. Larribeau à Sam-ouen-pong. L’année suivante, le P. Tchoi Pierre, prêtre coréen, y fut aussi envoyé pour fonder la résidence de Tjyo-yang-ha.

4oQUELPAERT. (Massacres de chrétiens) — Si nous passons maintenant au Sud de la Corée, nous y trouvons une grande île, que les géographes européens appellent Quelpaert et que les Coréens nomment Tjyei-tjyou. C’est le P. Peynet, en 1899, puis le P. Lacrouts en 1900, qui se dévouent pour aller prêcher l’évangile à ces insulaires. Les catéchumènes furent bientôt nombreux. Au printemps 1901, on comptait déjà 242 baptêmes et 700 catéchumènes. Ceci ne pouvait durer, et le démon s’en vengea d’autant plus qu’il régnait en maître dans cette île particulièrement superstitieuse. Les sorciers, en effet, voyant leurs clients passer à la religion catholique, répandirent sur elle les calomnies et mensonges habituels. D’autre part un collecteur d’impôts, venu de Séoul, lever de nouveaux impôts, avait attiré sur lui la colère du peuple. Sentant naître un mouvement insurrectionnel, le très prudent percepteur se hâta de regagner le continent. Le peuple excité se tourna alors contre les chrétiens, On les pourchassa, ils se réunirent à la ville de Tjyei-tjyou près des missionnaires, les PP. Lacrouts et Mousset. La ville fut cernée par l’émeute. Il fallut se défendre, mais les mandarins pactisèrent bientôt avec l’ennemi, firent ouvrir les portes de la ville et le massacre des chrétiens commença. Cinq à six cents furent ainsi mis à mort. Les deux missionnaires, réfugiés au mandarinat, étaient loin d’être en sécurité, quand le trente et un Mai deux navires français, la « Surprise » et « l’Alouette », envoyés par l’Amiral Pottier, vinrent leur apporter secours et délivrance.

5oHPYENG-AN-TO et HOANG-HAI-TO. — Enfin si nous jetons les yeux sur le Nord-Ouest de la Mission, nous y trouvons de nouveaux progrès dans le Hpyeng-an-to et le Hoang-hai-to. Dans cette dernière province toutefois le résultat final fut loin de correspondre aux espérances du début. L’année 1897 et les suivantes avaient dans cette région donné de nombreux baptêmes. Le mouvement vers la religion catholique paraissait superbe. Malheureusement, il y eut parmi ces nombreuses conversions un tel mélange d’éléments humains et de vues de foi, que les missionnaires eux-mêmes eurent peine à distinguer de suite l’ivraie au milieu du bon grain. Toujours est-il que des circonstances assez complexes dans leurs causes vinrent bientôt changer le cours heureux des choses et jeter le trouble dans ces chrétientés naissantes. Ce furent tout à la fois l’imprudence de certains néophytes, faisant montre d’un prosélytisme intempestif, l’entrée de certains éléments malsains parmi les fidèles, une action sourde et un mauvais vouloir mal déguisé de l’autorité coréenne à l’égard de la religion


La procession du St. Sacrement
au monastère St. Benoît à Séoul, le jour de la Fête-Dieu

catholique, la haine des païens, des démêlés entre catholiques

et protestants, démêlés auxquels se mêlèrent ensuite les pasteurs américains eux-mêmes, qui trouvaient depuis longtemps bien dure la concurrence à eux faite par notre propagande. Des catholiques furent arrêtés, battus, emprisonnés. Les catéchistes et les chrétiens influents furent recherchés. Des villages entiers furent dispersés et leurs biens pillés. C’était une vraie persécution, car on offrait liberté et sauf-conduit à ceux qui voulaient apostasier. Le résultat fut que quatre missionnaires sur huit durent céder momentanément à l’orage et quitter la province, car c’était aussi à eux qu’on en voulait. (1903) Un moment on put tout craindre, vu la tournure que prenaient les événements. Puis le calme se fit peu à peu. Mais que de défections eurent à constater les ouvriers apostoliques, lorsqu’ils purent retourner à leur poste ! Quoiqu’il en soit de cet insuccès relatif, que nous signalons dans cette province du Hoang-hai-to, malgré aussi les révoltes fréquentes de rebelles qui s’attaquaient aussi bien aux étrangers, malgré les complots ourdis ici ou là dans d’autres régions contre les néophytes, malgré les voies de fait, les violences, dont chaque année un missionnaire ou un autre est la victime, et nonobstant le temps perdu en démarches pour obtenir justice et réparations, on peut dire que la poignée d’apôtres qui se partageaient alors le sol coréen a fait du bon travail. Dans toutes les provinces, l’Église catholique gagne peu à peu du terrain, les catéchumènes sont plus nombreux à cette époque, et de vieux chrétiens, qui s’étaient encore tenus cachés et éloignés de la religion soit par peur, soit par un mariage conclu contre les règles de l’Église, reviennent chaque année an bercail. C’est vraiment l’époque de la grande moisson. Aussi alors qu’en 1876, on compte à peine 10.000 fidèles, l’année 1900 compte déjà 24, 000 chrétiens, et l’exercice 1910-1911 se clôt avec le chiffre de 77.000.

LA GUERRE RUSSO-JAPONAISE. Le PROTECTORAT JAPONAIS en CORÉE. — Après la victoire des Japonais sur la Chine, en 1894, la vassalité de la Corée envers la Chine avait pris fin, ébranlée qu’elle était déjà depuis les traités conclus avec les Puissances Étrangères. En Octobre 1895, la reine Min est assassinée. Elle avait eu le grand tort de s’opposer à la politique japonaise. Le roi de Corée, espérant sans doute échapper à l’emprise du Japon victorieux, avait cherché refuge en 1896 à la légation de Russie, où il resta de longs mois. En Octobre de cette même année, il crut affermir son pouvoir et l’indépendance de son royaume en se proclamant Empereur de Taihan, (le Grand Han, nom nouveau donné à la Corée en souvenir des anciennes tribus des Sinhan, Pyenhan et Mahan) Mais ce nouvel empire ne devait être qu’éphémère. Petit pays, situé entre 2 empires puissants, voisins et rivaux, il était destiné à devenir la proie de l’un ou de l’autre. En effet, la rivalité née jadis entre japonais et chinois et qui avait été la cause de la guerre de 1894, ne tarda pas à poindre cette fois et pour les mêmes causes entre Russes et Japonais. Tout le monde a suivi et connaît les péripéties de cette lutte et son issue. Les Russes vaincus dans la campagne de Mandchourie, ont néanmoins remporté un succès diplomatique à Portsmouth, en réussissant à ne payer aucune indemnité ds guerre, mais ce fut la malheureuse Corée qui en supporta les conséquences. N’était-elle pas d’ailleurs l’enjeu de cette guerre ? Ainsi perdit-elle son indépendance. C’était fatal. Les Russes auraient été victorieux, qu’elle eût passé sous leur domination. Ceux-ci ne s’en cachaient pas du reste. Le protectorat japonais fut donc proclamé en Corée le 18 Novembre 1905. Et puis en 1907, comme l’empereur Coréen en tutelle ne se montrait pas assez souple aux directions. japonaises, on lui imposa l’abdication. Son fils le remplaça sur le trône, mais ce ne fut pas pour longtemps. En 1910, en effet, l’empire coréen était annexé purement et simplement au Japon et l’empereur relégué au fond de son palais, fut rangé ainsi que sa famille parmi les princes de la famille impériale du Japon, avec les titres de roi pour lui et de princes pour ses proches parents.

Mais que devenait la Mission catholique durant ces années de guerre et de troubles ? Grâce à Dieu, les catholiques n’eurent pas plus à souffrir que leurs compatriotes païens, et les missionnaires purent continuer leurs travaux dans un calme


Vue de Séoul
Au centre on aperçoit la Cathédrale

relatif et sans être inquiétés personnellement. Avec l’entrée

définitive des Japonais, entrée consacrée par le traité de Portsmouth, c’était un changement radical dans la situation politique de la péninsule. Ceci ne fut pas sans créer durant plusieurs années des troubles assez graves en plusieurs provinces, un certain malaise partout. Chacun, selon ses préférences, ou ses espérances, se crut mission de conduire le pays. Quantité d’associations diverses surgirent de tous côtés. Les membres des unes, sous le titre de conservateurs, soldats de la justice, etc. étaient pour le maintien de l’ancien état de choses ; d’où lutte ouverte contre les Japonais durant plusieurs années. Les membres des autres sociétés, sous le titre de progressistes, néo-Bouddhistes, Éducationistes, Doctrinaires du Ciel luttaient au contraire pour amener le pays à des réformes radicales soit dans l’administration, soit dans les méthodes d’éducation, ou imposer leurs rêveries comme religion nationale, seule capable de sauver le pays. À noter aussi durant cette période l’acharnement de la propagande protestante, avec des ressources illimitées et l’emploi de tous les moyens possibles pour la faire réussir. Tantôt les pasteurs anglais ou américains vantaient les bonnes relations de leur pays avec le Japon, ce qui leur permettait de faire espérer à leurs adeptes la bienveillance du Protectorat. Tantôt, au contraire, ils continuaient à se servir d’un leit-motiv déjà employé avant la guerre et qu’ils employèrent longtemps encore dans la suite : « Faites vous protestants, si vous ne voulez pas devenir Japonais. Vous trouverez l’Amérique derrière vous ». Tantôt, là surtout où il y avait des catholiques, ils lançaient contre l’Église des accusations cent fois réfutées ailleurs. N’allaient-ils pas jusqu’à faire croire qu’en Amérique la religion catholique est chose inconnue et qu’il n’y a que des protestants, que d’ailleurs le catholicisme a fait son temps et qu’il a cessé partout d’avoir quelque valeur.

FONDATION À SÉOUL D’UN MONASTÈRE BÉNÉDICTIN. (1909) — Ce serait le lieu ici de parler de la fondation à Séoul du Monastère St. Benoit par les Moines Bénédictins de Ste. Odile de Bavière, puisque c’est durant cette période que ces missionnaires sont arrivés en Corée, mais dans le but de mieux grouper les œuvres de chaque congrégation travaillant an salut du peuple coréen, nous renvoyons le lecteur au §. III de la IVe partie. (Vicariat Apostolique de Wonsan.)



Église de Ryong-syo-mak, province du Kang-Ouento
(Vicariat Apostolique de Séoul.)

QUATRIÈME PARTIE

L’ÉGLISE DE CORÉE S’ORGANISE.
DIVISIONS EN PLUSIEURS TERRITOIRES ECCLÉSIASTIQUES.

§ I. — VICARIAT APOSTOLIQUE DE SÉOUL.
(M-E. de Paris).

Mgr. MUTEL, PREMIER VICAIRE APOSTOLIQUE DE SÉOUL. Sacre de Mgr. Demange. — En 1911, le chiffre des catholiques en Corée avait atteint 77.000, soit un gain de 60.000 en vingt ans. Le Saint Siège décréta la division de ce territoire en deux Vicariats. Le tiers environ de la Mission de Corée, d’une superficie de 53.700 kilomètres carrés avec une population totale de plus de 7.000.000 d’habitants, dont 26.001 chrétiens, le tout compris dans les 4 provinces méridionales (Kyeng-syangto Nord et Sud, Tjenlato Nord et Sud) devint le Vicariat Apostolique de Taikou. Le reste de l’ancienne Mission, comprenant les neuf provinces suivantes : Hamkyengto Nord et Sud, Hpyengan-to Nord et Sud, Hoanghaito, Kyengkeuito, Tchyoung-tchyengto Nord et Sud, soit un territoire d’une superficie de 114.700 kilomètres carrés, avec une population d’environ 8.000.000 d’habitants, dont 51.996 catholiques, devint le Vicariat Apostolique de Séoul. Mgr. Mutel, jusqu’alors Vicaire Apostolique de Corée, fut nommé Premier Vicaire Apostolique de Séoul. Le Père Demange, à qui l’on doit la création en 1906 d’un Journal Hebdomadaire qui, supprimé en 1910 par les Japonais, lors de l’annexion de la Corée, se transforma en Bulletin exclusivement religieux ayant maintenant encore près de six mille abonnés, fut créé Évêque d’Adras, et nommé premier Vicaire Apostolique de Taikou. Il fut sacré à Séoul le 11 Juin 1911 par Mgr. Mutel, assisté de NN. SS. Choulet et Lalouyer.

ACCROISSEMENT DU SÉMINAIRE DE LA MISSION DE SÉOUL. — En cette même année 1911, le Séminaire de la Mission de Séoul, bâti seulement pour 40 élèves, est obligé de s’agrandir une première fois, et en 1914 une seconde fois, car le nombre de ses élèves est porté à la centaine, chiffre qui à chaque rentrée triennale s’est maintenu toujours depuis. Accroissement providentiel d’un heureux résultat pour l’avenir ! Les ordinations vont bientôt de ce fait pouvoir se succéder d’une manière régulière et fournir des ouvriers plus nombreux.

MIGRATION DE CATHOLIQUES. — Les coréens sont très migrateurs. Pour beaucoup, leur domicile n’étant pour ainsi dire qu’un campement, ils l’abandonnent sous le moindre prétexte pour aller chercher fortune ailleurs.

Hawai, le Mexique, la Sibérie, le Japon depuis 1904 surtout ont pris bien des âmes, qui sans doute n’ont pas su conserver la foi. Le Kanto, dont nous avons déjà parlé, et dont le premier apôtre avait été le regretté Père Bret, avait lui aussi attiré depuis quelques années bon nombre de coréens : l’annexion de la Corée au Japon en 1910 ne fit qu’accroître cette émigration et bon nombre de nos chrétiens y furent attirés d’autant plus facilement. qu’ils étaient sûrs d’y retrouver des missionnaires parlant leur langue. Aussi en 1920 comptait-on dans cette région près de 8.000 catholiques, administrés par trois missionnaires ou prêtres envoyés de Séoul, après entente avec le Vicaire Apostolique de la Mandchourie septentrionale, dont relevait ce territoire.

ÉCOLES PRIMAIRES. — Après la guerre russo-japonaise, ç’avait été par toute la péninsule, et cela sous l’influence du Japon, un véritable engouement pour les écoles, engouement qui ne fait que s’accentuer avec les années. Les missionnaires de Séoul auraient bien voulu avoir sous la main les maîtres catholiques capables de donner l’instruction aux enfants chrétiens ; malheureusement ces maîtres étaient rares et les écoles de garçons, malgré de lourds sacrifices, n’ont pu jusqu’à présent être fondées en nombre suffisant. Un meilleur résultat fut obtenu pour les écoles de filles, grâce aux Sœurs de Saint Paul de Chartres, qui surent former quelques religieuses enseignantes. En 1923, dix écoles de filles sont ainsi dirigées par ces dévouées maîtresses. Parmi ces écoles, celle de Chemoulpo a attiré l’attention du Gouvernement Général, à tel point qu’une distinction honorifique a été accordée au P. Deneux, son fondateur et directeur.

VIE RELIGIEUSE PLUS INTENSE. — Le Jubilé de 1912 avait porté en Corée d’heureux fruits, en augmentant dans tous les districts le nombre des confessions et des communions de dévotion, et ces fruits n’ont fait désormais qu’augmenter. Les centres où résident les missionnaires et les prêtres coréens ont continué à se multiplier, les églises ou chapelles ont continué à se bâtir par toute la contrée. Alors qu’en 1890, il n’y avait aucune église en Corée, en 1923, le seul Vicariat de Séoul compte une vingtaine d’églises de style européen, 23 chapelles publiques et 114 oratoires.

Parmi ces églises, non seulement celles de Séoul et de Chemoulpo, mais aussi plusieurs de celles bâties en province ont un certain cachet, et pourraient avec avantage figurer dans les petits villages d’Europe. Telle l’église de Ryong-syoumak, construite par le P. Chizallet, telle celle de Euitjyou (du prêtre coréen Sye Paul), celle de Ouen-tjyou (du P. Jaugey), celle de Kong-syeiri (du P. Devise), celle de Keum-sari (du P. J. Gombert), etc. etc. D’autres missionnaires ont construit leurs églises dans le style coréen, telles celles du P. Bouyssou à Hponai, celle du P. A. Gombert à Ansyeng, celle du P. Bouillon à Tjyang-eo-ouen, du P. Polly à Katjai, etc. Les prêtres, obéissant fidèlement aux décrets du Souverain Pontife sur la Communion fréquente et la Communion des Enfants, se sont mis à confesser de plus en plus souvent, étant donné que leur résidence était de plus en plus fixe, et la dévotion des fidèles ainsi aidée a fait de sensibles progrès. Un simple rapprochement de chiffres permettra de constater le progrès réalisé dans ces dernières années. Si nous prenons le chiffre des catholiques de l’année 1904, la Mission de Corée avait alors 59.593 catholiques, or nous trouvons un chiffre à peu près égal en 1921 pour la seule population du Vicariat de Séoul, soit 59.761. D’autre part, l’exercice 1904 donne 99.946 communions de dévotion, celui de 1921 en donne 316.583. Le nombre des communions a donc plus que triplé et la moyenne arithmétique serait de onze communions par an et par chrétien en âge d’y participer. Certaines stations chrétiennes sont particulièrement remarquables sous ce rapport. Je n’en citerai qu’une pour exemple : c’est la chrétienté de Tjyang-ho-ouen, où réside le P. Bouillon et où vivent un millier de chrétiens. Cette chrétienté à elle seule a eu en 1923 plus de 36.000 communions.

LES CHRÉTIENS JAPONAIS EN CORÉE. — Depuis l’ouverture de la Corée aux Européens, ce furent surtout les Japonais qui vinrent s’installer dans la péninsule. Leur nombre augmenta peu à peu au fur et à mesure que le Japon y prenait une plus grande influence. Sur ce nombre se trouvèrent bientôt plusieurs centaines de Catholiques, venus en majeure partie de Nagasaki. En 1910-1911, un premier recensement dénombrait 653 chrétiens japonais dispersés sur tout le territoire. Pour administrer ces chrétiens, dont la langue était inconnue des missionnaires de Corée, Mr Kleinpeter fut cédé à la Mission par le diocèse de Nagasaki. Il se construisit, avec l’aide de ses ouailles, un presbytère et une maison de réunion non loin de la Cathédrale de Séoul, et de là rayonna un peu partout pour exercer son ministère. Depuis 1920, c’est le P. Poyaud qui est chargé des Japonais de Séoul seulement. Les Japonais disséminés en province ont maintenant l’avantage de rencontrer des prêtres coréens, voire même des missionnaires qui peuvent les comprendre en leur langue. Il faudrait avoir des ressources suffisantes pour pouvoir payer un catéchiste japonais capable, car il y aurait beaucoup de bien à faire parmi les japonais païens qui viennent en Corée, et qui, de ce fait, auraient plus de facilité à se faire catholiques que s’ils étaient restés au Japon, où le respect humain et les relations de famille les retiennent plus fortement éloignés de la vérité.

REVUE LATINE POUR LES PRÊTRES INDIGÈNES. — En 1912, un bulletin mensuel, rédigé en latin, prit naissance au Séminaire de la Mission de Séoul, et était composé en vue des


Groupe de chrétiens coréens à Séoul

prêtres indigènes des deux vicariats de Corée. Outre les nouvelles

générales, il contenait des plans de sermons, des articles de controverse, des cas de conscience, en un mot tout ce qui pouvait intéresser les prêtres coréens. Les premières années, cette revue était seulement polycopiée, puis la guerre l’interrompit. Reprise ensuite et perfectionnée par le P. Guinand, supérieur du Séminaire depuis 25 ans, elle émigra enfin à Hongkong, où elle se publie actuellement, afin de lui assurer une plus grande diffusion dans toutes les Missions d’Extrême-Orient.

GUERRE DE 1914-1918. LA POUSSÉE PROTESTANTE. — Avec le mois d’Août 1914 commencèrent pour la Mission de Séoul des années d’épreuves. Plus d’un tiers des missionnaires (13 sur 30) sont mobilisés et envoyés en France. Leur absence se fait cruellement sentir. Il fallut assurer l’administration de toutes les chrétientés. Mais, malgré tout, les stations furent visitées deux fois l’an comme en temps normal. Bientôt aussi le Séminaire fournit de nouveaux collaborateurs indigènes, six prêtres coréens purent en effet être ordonnés en 1917 et 1918, et ainsi prirent la place d’une partie des absents. Malheureusement le Père Doucet, Provicaire de la Mission, vétéran des années de la persécution, disparaît en 1917 après avoir travaillé quarante ans avec un zèle magnifique à la Propagation de la foi. Le Père Poisnel, curé de la Cathédrale, lui succéda comme Provicaire. Durant la guerre, ce ne fut pas seulement le personnel missionnaire qui se trouva réduit, mais il faut signaler aussi la diminution des ressources de la Sainte Enfance et de la Propagation de la Foi, heureusement et providentiellement compensée par des aumônes reçues des catholiques d’Amérique. Le ministère apostolique fut encore entravé durant cette période par la propagande shintoïste et bouddhique, très favorisée par les autorités. La poussée protestante de son côté ne perdait rien de sa vigueur, au contraire. Alors que nos moyens étaient si diminués, les diverses sectes nous étaient de plus en plus supérieures, et à quel degré, soit en personnel, soit en ressources ! Enfin les missionnaires mobilisés revinrent en 1919. Trois toutefois, les PP. Meng, Guillot, Boulo, tombés au champ d’honneur, manquaient à l’appel, et un quatrième, le P. Bodin, à peine revenu à Séoul, mais toujours souffrant des suites d’intoxication par les gaz, dut s’en éloigner bientôt et chercher à se rendre utile dans un climat plus chaud. Il est maintenant au Collège Général de Pinang.

LES JAPONAIS ET L’ÉGLISE CATHOLIQUE EN CORÉE APRÈS L’ANNEXION. — L’annexion de la Corée au Japon se fit en 1910, nous l’avons dit plus haut. De cette situation politique nouvelle, la Mission Catholique n’a pas eu à souffrir matériellement, et a joui depuis lors d’une plus grande sécurité, c’est incontestable. Mais il est impossible de ne pas constater aussi que c’est depuis cette date que les conversions de païens sont moins nombreuses. À la suite du mouvement insurrectionnel pour l’indépendance en Mars 1919, mouvement qui secoua un temps toute la péninsule, plusieurs catholiques furent enveloppés dans des sévices immérités, mais c’est généralement pour avoir été confondus par la police avec les adhérents des sectes protestantes, qui avaient trempé dans le mouvement. Les hautes autorités japonaises d’ailleurs n’ont pas manqué de rendre justice à l’Église Catholique en constatant le loyalisme dont les fidèles ont fait preuve dans ces circonstances. En 1920, le Gouvernement général de Chosen (nom actuel de la Corée) accorda à la Mission Catholique de Séoul le bénéfice de la personnalité civile, pour les biens ecclésiastiques de la capitale seulement, mais bientôt, en 1921, cette mesure fut généralisée pour toute la Corée et pour toutes les sociétés de Mission.

BRIGANDAGES ET TROUBLES AU KANTO. Captivité du P. Tchoi Pierre. — La Chine, comme chacun sait, est un pays charmant. Si charmant qu’il soit, il n’a pas su encore se défendre des brigands qui y pullulent. Un prêtre coréen du Kanto, le P. Tchoi Pierre, fut leur victime. Le 19 Juillet 1919 une bande de brigands chinois envahit tout à coup le village de Tjoyangha, pilla toutes les maisons et, après avoir saccagé la chapelle, emmena le prêtre comme otage. Il serait trop long de conter ce qu’il eut à souffrir, et à quelles épreuves il fut soumis. Obligé de suivre partout jour et nuit la horde qui le détenait, il dut


Mandarin Coréen en costume ordinaire

assister à plusieurs combats entre brigands et soldats réguliers,

vit tomber des morts à ses côtés ; sa coiffure fut même effleurée d’une balle, mais heureusement il n’avait pas été touché.

Pendant ce rigoureux hiver de Mandchourie, il ne put une seule fois durant six mois coucher dans une chambre chaude, et dans la crainte qu’il ne s’évadât, les brigands lui avaient percé l’oreille afin de l’attacher comme on ferait d’un vil animal. Les autorités françaises et japonaises s’essayèrent longtemps en vain à le faire élargir, mais les chrétiens coréens furent plus heureux dans leurs démarches, ils se cotisèrent pour essayer de racheter leur Père, et quand la somme parut assez forte aux brigands, liberté fut donnée au P. Tchoi de regagner sa résidence de Tjyoyangha. C’était en Février 1920. Il dut faire à pied, et par quels chemins ! 600 lys, soit 60 lieues, et put enfin se retrouver sain et sauf au milieu de ses généreux chrétiens. À côté du brigandage, qui ne cesse pour ainsi dire jamais dans cette région, de grands troubles survinrent là aussi, causés par les menées des Indépendants coréens. Sous prétexte de lever des subsides pour le soi-disant gouvernement provisoire de Corée, leurs agents firent de véritables coupes réglées dans toute la région. Mais à l’automne 1920, les choses se gâtèrent. Les japonais intervinrent, et ils le firent avec une justice sommaire qui malheureusement atteignit parfois des innocents. Nos chrétiens, à qui les missionnaires avaient conseillé de se tenir à l’écart du mouvement, s’aperçurent alors combien ils avaient eu raison.

30ème ANNIVERSAIRE DE LA CONSÉCRATION ÉPISCOPALE DE Mgr. MUTEL (1920). — Lorsque la guerre éclata, la Mission de Séoul se préparait pour 1915 à fêter solennellement les noces épiscopales d’argent de son Vicaire Apostolique, mais les événements vinrent interrompre tous ces projets, et ce ne fut qu’en 1920, le 21 Septembre, que le clergé, prêtres coréens et missionnaires de nouveau au complet, et les chrétiens coréens purent fêter le trentième anniversaire de la Consécration épiscopale de leur premier pasteur. Plus de 70 prêtres étaient réunis : parmi eux, il y avait 30 prêtres coréens, tous ordonnés par l’heureux jubilaire. En l’année 1921, le Souverain Pontife, à la prière de S. Ex. Mgr. P. Fumasoni-Biondi, alors Délégué Apostolique au Japon et qui en automne 1920 avait fait la Visite apostolique des Missions de Corée, accorda au vénéré Vicaire Apostolique le titre de Comte Romain et d’Assistant au Trône Pontifical.

CRÉATION DU VICARIAT APOSTOLIQUE DE WONSAN (1920) et DOUBLE SACRE ÉPISCOPAL À SÉOUL (1921).Mgr. Mutel, désireux, vu son grand âge, de se voir déchargé d’une partie du fardeau à lui imposé par l’administration de son immense vicariat, vit en 1920 ses désirs comblés, et par l’élection d’un Coadjuteur en la personne du Père Devred, et par la création du Vicariat de Ouensan dans la partie Nord-Est de sa Mission. À la tête de cette nouvelle région ecclésiastique, le Saint Siège plaça le Révérendissime P. Abbé Boniface Sauer de la Congrégation des Moines Bénédictins de Sainte Odile, (Bavière). Le jour de la Consécration du Coadjuteur de Séoul avait été fixé au premier Mai 1921, et toutes les pièces nécessaires arrivèrent à temps pour permettre à Mgr. Sauer de se faire sacrer le même jour. Comme l’a écrit un missionnaire : « L’hiver des persécutions a passé, les pluies des afflictions se sont écoulées, les fleurs des martyrs ont paru sur notre terre de Corée, exhalant leur parfum et émettant de généreux rameaux. C’est ainsi que pour la Mission de Séoul s’ouvrit en 1921, le beau mois de Marie. » Mgr. Mutel était le prélat consécrateur, assisté de Mgr. Demange de Taikou et de Mgr. Castanier d’Osaka. Mgr. Choulet et Mgr. Combaz honoraient la cérémonie de leur présence. À ce double sacre, les autorités japonaises et le corps consulaire tinrent à assister, et au déjeuner qui suivit la cérémonie, le Gouverneur Général l’Amiral Baron Saito prononça un discours très significatif et très remarqué, rendant hommage à la modestie et au courage des missionnaires catholiques.

SYNODE DE SÉOUL DE 1922 et PROMULGATION D’UN NOUVEAU DIRECTOIRE POUR LE CLERGÉ DU VICARIAT. — Le coutumier promulgué jadis par Mgr. Blanc étant devenu incomplet et désuet, un nouveau directoire fut


Bonzes coréens

préparé en 1921 et distribué à tous les missionnaires et prêtres

coréens, qui eurent six mois pour le travailler et transmettre leurs observations, et le texte définitif ayant été établi pendant les mois d’été, Mgr. Mutel promulgua le nouveau directoire le 21 septembre 1922. À la retraite de cette année là, l’officialité fut installée à Séoul avec quatre juges synodaux européens et quatre juges synodaux coréens.

JEUNESSE CATHOLIQUE. — Depuis une quinzaine d’années et plus, ici ou là, en divers districts, des sociétés de Jeunesse catholique s’étaient formées sous la direction de plusieurs missionnaires. En 1922, un réglement général leur fut donné, de nouvelles sociétés se fondèrent et se groupèrent toutes en fédération. À l’heure actuelle, cette fédération réunit 19 sociétés avec 1018 membres actifs, 269 membres auxiliaires et 75 aspirants. À ne considérer que le nombre, on pourrait conclure à un beau résultat, mais il ne faut pas exagérer la valeur présente de cette association, qui est encore loin d’être entrée dans une période d’activité vraiment organisée.

MAISON DE FAMILLE pour étudiants et essai de fondation d’une ÉCOLE COMMERCIALE. — Le P. Krempiff, en 1922, avait lancé dans la revue religieuse des Missions de Corée, l’œuvre de la Maison de Famille pour étudiants. Les catholiques coréens, malgré leur pauvreté, souscrivirent plus de 6.000 yens, ce qui permit de construire une maison provisoire où une cinquantaine de jeunes catholiques peuvent recevoir l’hospitalité. La fondation d’une École supérieure de Commerce a été aussi lancée, mais les charges sont tellement grandes, que la Mission n’a pas encore pu prendre cette œuvre à son compte. Un comité catholique coréen a pu, aidé par la Mission, trouver quelques fonds, qui ont permis à cette école de végéter, mais il manque pour la faire vivre et un personnel capable et des ressources suffisantes.

DIRECTOIRE DES CATÉCHISTES. — L’œuvre des catéchistes est d’une importance que proclament de plus en plus tous les missionnaires, malheureusement les ressources actuelles ne permettent pas d’entretenir un personnel rétribué. Les jeunes catholiques s’essaient d’une part à se constituer catéchistes volontaires, d’autre part, il y a à la tête de chaque chrétienté un chef, dont le rôle est de remplacer le missionnaire absent pour la direction des chrétiens. Pour aider ces précieux auxiliaires, qui sont au nombre de plus de 600, le P. Legendre a rédigé un Directoire, résumé de tout ce qu’il est nécessaire de savoir pour la bonne administration des Chrétiens. Dans ce but aussi, une retraite annuelle de catéchistes, dont l’initiative est due au P. Polly en 1910 et qui se faisait depuis plus ou moins régulièrement dans diverses résidences, a été instituée pour tous les catéchistes de tous les districts. Ceux-ci doivent désormais se réunir chaque année près du missionnaire, et durant 3 ou 4 jours, écouter ses avis et se retremper dans la ferveur par les exercices spirituels.

IMPRIMERIE DE LA MISSION DE SÉOUL. — Nous avons vu plus haut comment l’imprimerie fut fondée à Séoul ; depuis lors, elle a poursuivi son travail chaque année pour toute la Corée. Outre une Revue religieuse, qui tire chaque quinzaine à six mille exemplaires de 28 pages, cette imprimerie a imprimé au cours de l’année 1933 quarante mille volumes ou brochures, soit environ un million cinq cent mille pages. Même l’œuvre des tracts a été inaugurée, suivant en cela l’initiative de Mgr. Demange qui l’avait commencée dans son vicariat.

SŒURS DE S. PAUL DE CHARTRES. — Ces dévouées religieuses ont à Séoul un noviciat, un orphelinat et une crèche, plus une classe de français pour les enfants européens. À Chemoulpo, elles ont un orphelinat et une crèche également. Dix écoles soit à Séoul, soit à Chemoulpo, soit ailleurs ont pour maîtresses des religieuses indigènes de cette congrégation. À l’heure actuelle, ces religieuses comptent dans le vicariat de Séoul : 11 sœurs françaises, 40 professes coréennes, 17 novices, 14 postulantes et 9 aspirantes. Les orphelinats de Séoul et de Chemoulpo depuis leur fondation ont élevé et nourri plus de


Le poney coréen

cinq mille enfants. Deux dispensaires à Séoul et à Chemoulpo

essaient de faire quelque bien, malgré leurs faibles ressources.

CAUSES DES MARTYRS DE CORÉE. — Il y a pour la Corée deux causes de martyrs actuellement traitées en cour de Rome. La cause des Martyrs de 1839 et 1846, qui comprend 82 Martyrs, parmi lesquels les Vénérables Imbert, Maubant Chastan et Kim André. Cette cause est sur le point de se terminer, puisque la Congrégation générale s’est tenue à Rome le 18 Mars dernier (1924). La cause de 1866 comprend 26 martyrs, soit Mgr. Berneux, Mgr. Daveluy, les PP. de Bretenières Dorie, Pourthié, Petitnicolas, Aumaître, Huin, plus 17 martys coréens. Le Procès apostolique de cette cause est en train de se terminer à Séoul. Mgr. Mutel a été heureux en 1921-1922 de trouver enfin dans les archives coréennes (Annales de la Cour de Corée et Journal du Royaume) des documents très intéressants pour les deux causes. Ces documents donnent soit les sentences des martyrs Confesseurs de la foi, soit l’énoncé des motifs de leur arrestation et de leur condamnation à mort.

Le NORD-OUEST DU VICARIAT APOSTOLIQUE DE SÉOUL EST ATTRIBUÉ AUX MISSIONNAIRES AMÉRICAINS DE MARYKNOLL. — Après avoir divisé son immense vicariat une première fois en 1911 (création des 2 Vicariats Apostoliques de Séoul et Taikou) et une 2ème fois en 1920, (création du Vicariat Apostolique de Wonsan, cédé aux Bénédictins), Mgr. Mutel eut encore la joie en 1922 de voir la S. C. de la Propagande attribuer la région du Nord-Ouest aux Missionnaires américains de Maryknoll. Comme nous le dirons plus loin (§. IV — Territoire du Hpyenganto), cette attribution n’aura que d’heureux résultats, étant donné la nécessité toujours plus grande de s’opposer à la propagande protestante sans cesse plus active, particulièrement dans cette région.

PERSONNEL DE LA MISSION AU DÉBUT DE 1924. — 1 Évêque Coadjuteur, 1 Provicaire, 23 Missionnaires français (M-E de Paris). 3 Missionnaires américains et 1 frère de la Société de Maryknoll, 30 prêtres coréens, 18 catéchistes rétribués, 614 catéchistes volontaires, (chefs de chrétienté), 112 femmes catéchistes, 143 maîtres et 64 maîtresses d’école, 26 grands séminaristes, 61 petits séminaristes, 25 élèves au cours préparatoire, soit au total 112. — 11 Sœurs françaises de Saint Paul de Chartres, (en 2 communautés : Séoul et Chemoulpo) et 80 religieuses indigènes (professes, novices, etc). Nous parlerons plus loin du Monastère des Moines Bénédictins de Séoul. (voir § III. — Vicariat Apostolique de Wonsan.)


§ II. — VICARIAT APOSTOLIQUE DE TAIKOU.
(M-E. de Paris).

Durant les 12 premières années de son existence, (1911-1923) comme Mission distincte, le Vicariat de Taikou n’a rencontré aucun événement extraordinaire qui lui soit particulier. Sur 4 missionnaires mobilisés, un, le P. Maurice Canelle, fut tué en 1918.

La nouvelle Mission avait à organiser les œuvres générales nécessaires à une Mission distincte et qui justifient sa séparation, tout en continuant l’œuvre d’évangélisation.

TRAVAIL D’ORGANISATION. — Au point de vue matériel tout était à faire et la crise mondiale, qui commença trois ans après la naissance de Taikou et continue, rendait cette création laborieuse. Néanmoins, par une protection très spéciale, dont une grotte votive à Notre Dame de Lourdes perpétue le souvenir reconnaissant, on put construire l’évêché en 1913, le séminaire en 1914, le couvent des religieuses en 1915, la maison de réunion de la Jeunesse catholique en 1916. L’église autrefois bâtie par le P. Achille Robert devenait cathédrale ; elle fut notablement agrandie, et, pour garder les proportions, les flèches furent surélevées, en 1918. Le séminaire avait été conçu sur un plan d’ensemble ; en construisant, comme il est dit plus haut, la première partie qui pouvait loger 70 élèves, et la chapelle, Monseigneur Demange pensait bien laisser l’achèvement de ce plan à ses successeurs. Les vocations augmentant au delà de toute prévision, on dut bâtir de nouveau et le plan total fut réalisé en 1919. Et comme la santé des séminaristes laissait souvent à désirer, pour leur procurer un changement d’air régulier et complet, une villa assez spacieuse est la dernière construction qui ait été faite, terminée pour la rentrée de 1923.

La première retraite qui suivit la création de la Mission fut un quasi-synode. Un projet de Directoire avait été établi par le Vicaire Apostolique et son Conseil ; polycopié en français pour les missionnaires et en latin pour les prêtres indigènes, avec pages blanches intercalées, et envoyé à chacun, plusieurs mois à l’avance, pour être retourné avec les observations et desiderata de tous. Ces observations furent étudiées en neuf séances et le projet, définitivement fixé, devint Directoire promulgué le jour de la Pentecôte 1912 et obligatoire depuis cette date. Les innovations apportées par ce nouveau règlement entrèrent en exercice cette même année. On peut signaler, parmi elles, celle des retraites annuelles des catéchistes, qui réunissent entre les deux administrations ces collaborateurs, autour de leur propre missionnaire, aidé d’un confrère, et établissent plus d’unité, d’entrain et de constance dans le travail de ces 400 ouvriers si utiles. Le principal exercice de cette retraite consiste dans l’explication du Règlement des catéchistes, publié également en 1912, et qui contient les extraits du Directoire, les règles qui concernent les catéchistes. Des résultats visibles, notamment le chiffre des baptêmes de moribonds, qui doubla presque, à la suite de ces retraites, montrèrent l’utilité de cette initiative, qui se continue, avec une régularité dont missionnaires et catéchistes doivent être loués.

TRAVAIL D’ÉVANGÉLISATION. — Une nouvelle Mission peut l’être de deux façons : ou parce qu’elle s’établit dans un pays qui n’a pas été évangélisé précédemment, ou parce qu’elle continue dans un cadre ecclésiastique nouveau, l’évangélisation qui existait déjà. C’est dans ce second sens seulement que Taikou est une Mission nouvelle. Bien que ses parties extrêmes n’aient jamais vu le missionnaire, dans sa majeure partie, elle fut évangélisée dès les débuts du christianisme en Corée. Dans les causes des Martyrs qui sont en cour de Rome, elle est représentée, bien que, pour un trop grand nombre des témoins qu’elle a fournis à Jésus-Christ, l’éloignement de Séoul n’ait pas permis les enquêtes qui auraient donné, sur la terre, le titre que ces martyrs possèdent auprès de Dieu.

En 1911, Taikou recevait 26.004 chrétiens, dont un millier appartenaient radicalement à la Mission de Séoul et devaient lui retourner. Après avoir rendu, en 1922, ces fidèles, au nombre alors de 1115, la Mission compte, dans les statistiques de 1923 : 31.457 fidèles, sur lesquels 755 sont inscrits comme non-pratiquants. Cela représente donc un accroissement de 6500. En fait, les baptêmes d’adultes, ajoutés à l’excès des naissances sur les morts, devraient donner un nombre plus fort. La différence est due, partie à l’émigration, partie à des défections. Pour ces dernières, en effet, nous cessons de compter, dans le nombre total des chrétiens, ceux qui ont définitivement abandonné la pratique de la religion. En vérité, ce nombre n’est pas très considérable : avant l’annexion de la Corée par le Japon, les néophytes pouvaient espérer que leur qualité de fidèles d’un missionnaire étranger les soustrairait aux vexations des mandarins et certaines conversions, étant intéressées, n’étaient pas solides ; depuis l’arrivée des Japonais, qui a précédé, d’un an, la création de la Mission de Taikou, les Coréens n’ont aucun avantage à se convertir et trouvent même, dans leur entrée dans une église réputée étrangère, plusieurs inconvénients, aussi les défections des nouveaux baptisés sont-elles peu nombreuses. Se conformant au triple but qui est indiqué, dans le Règlement de la Société des Missions Étrangères de Paris, comme le programme de l’apostolat, la Mission nouvelle s’est efforcée de continuer le travail des missionnaires de Corée : 1o. l’établissement d’un clergé indigène ; 2o. la solide formation chrétienne des fidèles existants et 3o. la conversion des infidèles.

1oŒUVRE DU CLERGÉ INDIGÈNE. — Quatre prêtres


Dignitaire coréen
(Costume de cérémonie)

indigènes, ordonnés depuis plusieurs années, firent en 1911

partie du clergé du nouveau Vicariat, dont ils étaient originaires. Il n’y avait alors, au grand séminaire de Séoul, aucun élève des provinces méridionales, dont tout l’espoir se réduisait à l’avenir de 6 latinistes, dont le plus avancé devait, à la rentrée suivante, commencer la philosophie, les 5 autres terminant seulement leur 3ème année de latin. La nouvelle Mission souffrit longtemps de cette pénurie des débuts. Dès l’automne de cette première année, 15 enfants commencèrent le latin, encore au séminaire de Séoul, qui voulut bien les garder, jusqu’au moment où Taikou aurait son séminaire. La question d’un séminaire unique pour plusieurs Missions, a ses partisans et ses adversaires, qui ont sans doute raison les uns et les autres, suivant les conditions des pays où la question se pose. En Corée, les faits sont clairement favorables à la création de séminaires dans chaque Vicariat. Il semble bien que le principal avantage de la division de la Corée a été la multiplication des vocations religieuses indigènes. Taikou qui, par suite de l’éloignement de Séoul, était resté si en arrière, a montré que les vocations ne lui manquaient pas. À la rentrée de Septembre 1923, il y avait, au séminaire de St. Justin 105 séminaristes, dont 15 à la section préparatoire. Huit prêtres sont sortis de ce séminaire, depuis 1918, mais c’est seulement à partir de 1926, que l’on pourra moissonner un peu largement. Le principal obstacle à cette œuvre s’est révélé, les dernières années surtout, dans les santés, qui, on ne sait trop pourquoi, s’accommodent mal de l’internat, dont les conditions matérielles sont cependant telles que les inspecteurs Japonais les ont, à l’occasion, trouvées supérieures à celles de beaucoup d’établissements similaires. Deux séminaristes de Taikou ont été envoyés à Rome, en 1919. Tous deux sont morts : un à Rome même, l’autre quelques mois après son retour : tous deux de maladie de poitrine, dont cependant l’examen médical, fait avant leur envoi, n’avait pas trouvé de germe.

2oFORMATION CHRÉTIENNE DES NÉOPHYTES. — On n’a eu, pour l’administration des chrétiens, qu’à continuer les excellentes méthodes léguées par les premiers évêques et missionnaires de Corée. Il n’est pas téméraire d’attribuer à ces méthodes, assez sévères, (tout fidèle doit, chaque année, quel que soit son âge, réciter devant le missionnaire son catéchisme et ses prières, comme ses enfants et petits enfants) le maintien dans une ferveur, que bien des pays catholiques nous envieraient, de ces pauvres gens, pour la majorité desquels les secours de la religion sont encore réduits au minimum. Le Directoire s’est surtout préoccupé de donner à la résidence, dans laquelle le missionnaire passe la plus grande partie de l’année, une forme se rapprochant, autant que possible, de celle de la paroisse : instructions religieuses de la messe dominicale, catéchismes d’adultes et d’enfants, cérémonies liturgiques expliquées, vie eucharistique plus intense. Les deux décrets de S. S. Pie X, sur la communion des enfants et la communion fréquente, ont été d’un grand secours dès le début. Alors que la population catholique n’a augmenté que d’un sixième environ en 12 ans, le chiffre des communions est passé de 57 mille à 209 mille. Le nombre des chapelles était de 19 au début de la Mission, il est actuellement de 73. La plupart sont très modestes, mais donnent cependant au bon Dieu le plus bel édifice de la localité, et permettent la vie sociale catholique, impossible quand chaque famille doit célébrer les fêtes dans sa petite maison particulière. Les missionnaires, seuls ou à peu près, pendant longtemps, puis avec une meilleure collaboration de leurs chrétiens, ces derniers temps, ont donné le plus clair de leurs ressources et de leurs ennuis à la question des écoles, pour un résultat souvent négatif. Les règlements japonais, de plus en plus exigeants, et ne s’accommodant que d’un budget public, nous amèneront, vraisemblablement, dans un avenir peu éloigné, à la condition de nos confrères du Japon qui ont dû renoncer aux écoles primaires. Elles ne nous seront pas interdites par la loi, tant que le gouvernement se trouvera incapable d’assurer l’instruction obligatoire dans ses écoles à lui, mais elle le sera, en fait, à nos ressources qui, mises en entier à cette seule œuvre, n’y suffiraient pas. Quant aux écoles secondaires, toutes les démarches faites auprès des congrégations enseignantes sont restées infructueuses. En confier la direction à des missionnaires de la Mission, étant possible en théorie, ne l’est pas en pratique, vu le nombre vraiment trop limité des missionnaires apostoliques. Vouloir les mettre sous une seule direction indigène, serait les vouer, non seulement à l’insignifiance absolue en matière d’éducation morale, mais à la ruine. C’est qu’en effet, la difficulté matérielle n’est pas celle qui donne le plus de soucis aux missionnaires ; l’esprit des écoliers, dont les grèves presque journalières, dans les établissements protestants et même du gouvernement, indiquent la tendance, sans aller jusqu’à ces excès dans nos écoles, y pénètre largement, de sorte que l’on se demande, non sans raison, si ces écoles ne nous préparent pas des générations de tièdes. Le même esprit a empêché Monseigneur Demange de donner à l’œuvre de la Jeunesse catholique, dont il s’occupe personnellement depuis son arrivée à Taikou, les développements qui étaient dans son plan. Il voulait étendre cette œuvre dans tous les districts. En fait il y a des sociétés particulières, dans beaucoup de districts ; les unir serait les mettre, toutes, en présence des dangers, que l’inconstance et l’esprit utopique de la jeunesse actuelle leur ferait courir, tandis que ces dangers localisés peuvent ne pas exister partout en même temps.

L’évolution de la Jeunesse Coréenne est le point noir de l’avenir. Dans combien d’années, ou de générations, le mouvement, venu d’outre-mer, se tassera-t-il ? C’est le secret de Dieu.

3oCONVERSION DES INFIDÈLES. — Les écoles et l’œuvre de la Jeunesse catholique, voulaient être, en même temps que des œuvres de préservation des fidèles, des instruments d’apostolat. La Jeunesse catholique a obtenu et obtient encore quelques résultats, mais très limités. L’École des Sœurs de S. Paul de Chartres, à la paroisse de la Cathédrale, amène, chaque année, de nombreux baptêmes, non seulement des fillettes qui la fréquentent, mais de leurs familles. C’est la seule. On pourrait développer, avec les mêmes avantages, ces écoles des Religieuses et les autres œuvres de l’excellente Congrégation de Saint Paul, mais, pour cela, la Mission de Taikou, par son éloignement de Séoul, se trouve dans une situation analogue à celle dans laquelle elle se trouvait avant la division, pour l’œuvre du séminaire. Le Vicaire Apostolique a fait bien des appels pour des catéchistes, persuadé que c’est le seul moyen de faire, à proprement parler, de l’évangélisation chez les paiens. Les résultats de ces appels sont modestes. Il y a actuellement 10 catéchistes prédicants, dont 3 seulement sont définitivement établis. Il ne faut pas les confondre avec les 400 catéchistes résidents qui sont chargés des chrétiens, et, ne recevant aucune rétribution, ne s’occupent qu’accidentellement des païens. L’œuvre des Tracts a été inaugurée en 1921. Elle a donné des résultats et semble devoir en donner davantage, mais il est difficile d’attribuer à tous les éléments des conversions, la part qui leur revient, et cela a, du reste, peu d’utilité, du moment que la semence est jetée. Il reste que, comme par le passé, le double agent des conversions le plus assuré est la multiplication des districts ayant un prêtre en résidence et l’action personnelle des chrétiens, de sorte que, en travaillant aux deux premiers buts, on travaille au troisième. Le chiffre le plus bas de baptêmes d’adultes instruits, en un an, a été 397 ; le plus élevé, cette année, 557 ; celui des adultes, baptisés à l’article de la mort a été, cette année, de 343 ; celui des enfants de païens moribonds de 1471. On doit ajouter en terminant ces considérations sur le travail des conversions, que le prêtre indigène ne le cède pas pour l’esprit missionnaire à son confrère européen, et n’a pas l’idée de se considérer comme simple curé des fidèles. À un moment où l’avenir du recrutement européen promet si peu et où, heureusement, l’œuvre du clergé indigène semble en bonne voie, il y a dans cette considération, une raison d’optimisme justifié.

PERSONNEL DE TAIKOU AU DÉBUT DE 1924. — 1 Évêque, 15 missionnaires français, 12 prêtres indigènes, 12 sœurs dont 9 indigènes, 10 catéchistes prédicants, 400 catéchistes résidents.



La campagne Coréenne

§ III. — VICARIAT APOSTOLIQUE DE WONSAN
(Ouensan)
(Pères Bénédictins de Ste. Odile. — Bavière)

LES PÈRES BÉNÉDICTINS DE Sainte ODILE EN CORÉE. — (Février 1909). — En 1908 Mgr. Mutel, voulant doter son Vicariat de professeurs habiles, était allé en Europe, pour trouver une congrégation, qui voudrait bien se charger en Corée des Œuvres scolaires. Après bien des démarches, et ne trouvant pas en France de sociétés qui puissent s’y dévouer, il réussit à intéresser à ce projet les Bénédictins de la Congrégation de Sainte-Odile de Bavière. Plusieurs moines arrivèrent bientôt et fondèrent un monastère qui, prieuré d’abord, fut érigé en Abbaye en 1913. Le Père Prieur Boniface Sauer en fut nommé premier Abbé. L’œuvre pour laquelle ils étaient venus en Corée, semblait au commencement donner les plus belles espérances. Le but poursuivi par les Bénédictins était de former des maîtres chrétiens pour les petites écoles de province. En dehors de cette œuvre principale, les Pères avaient ouvert un atelier de menuiserie et de peinture, une forge, et des cours de jardinage, embryon d’une future école industrielle. On y voyait déjà 60 apprentis. Mais bientôt des difficultés spéciales, nées de la législation japonaise, forcèrent les Bénédictins à interrompre les cours de l’École Normale. Seule l’École industrielle prospérait encore, quand la guerre de 1914 éclata et arrêta tout progrès dans cette voie.

CRÉATION DU VICARIAT APOSTOLIQUE DE WONSAN (Ouensan). — La Divine Providence, qui avait appelé les dignes fils de Saint Benoit en Corée, les réservait pour une autre œuvre. En effet, la guerre finie, les Bénédictins, jusqu’alors confinés à Séoul, exprimèrent à Mgr. Mutel le désir de se rendre utiles, demandant une partie du Vicariat de Séoul pour exercer leur zèle. L’affaire fut portée devant la S. C. de la Propagande, qui en 1920 accorda aux Bénédictins la partie Nord-Est de la Corée, soit les deux provinces du Hamkyengto Nord et Sud, avec la région du Kanto en territoire chinois, région habitée surtout par des émigrés coréens et où, comme nous l’avons vu plus haut, se trouvaient déjà trois prêtres du Vicariat de Séoul. À cette région le Saint Siège adjoignit en 1922 les deux intendances de Yenki et Ilan, appartenant jusqu’alors à la Mandchourie septentrionale. Tout ce nouveau territoire ecclésiastique est désigné sous le nom de Vicariat de WONSAN ; (Ouensan), Mgr. Sauer, (nous l’avons déjà signalé) en est devenu le premier Vicaire Apostolique, avec le titre épiscopal d’Appiaria.

ORGANISATION ET CRÉATION D’ŒUVRES DIVERSES. — Sacré en même temps que Mgr. Devred, le 1er Mai 1921, Mgr. Sauer se rendit immédiatement après à Changchoun pour régler avec Mgr. Gaspais, Coadjuteur alors du Vicariat Apostolique de la Mandchourie Septentrionale, l’affaire des chrétiens du Kanto. Cette région, nous l’avons vu plus haut, quoiqu’en fait administrée par les Missionnaires de Séoul, ne l’était que par délégation de juridiction, et pourtant formait la partie principale du nouveau Vicariat Apostolique de Wonsan, étant donné qu’en Corée proprement dite, les deux provinces Nord et Sud du Hamkyengto, cédées aux Pères Bénédictins, ne renfermaient qu’environ cinq cents chrétiens. Il fut entendu entre les deux Évêques que, après avoir obtenu l’approbation du Saint Siège, le Vicariat apostolique de la Mandchourie Septentrionale céderait définitivement à celui de Wonsan les deux intendances chinoises de Yenki et Ilan. Un décret de la S. C. de la Propagande, daté du 19 Mars 1922, sanctionna cette convention. De par cette décision du Saint Siège, le Vicariat de Wonsan est devenu le plus grand, comme superficie, des trois Vicariats Apostoliques de Corée. Il s’étend maintenant du 30°8 lat. jusqu’au 48°4 lat., c’est-à-dire presque du centre de la Corée jusqu’à Habarosk, et compte 204.000 kilomètres carrés avec une population d’environ 3.000.000 d’habitants, dont plus de 2.000.000 sont coréens, les autres chinois et japonais, (ces derniers environ 100.000). Au 1er Mai 1923, le Vicariat comptait 10.875 catholiques, dont 9.032 coréens, 1843 chinois et 100 japonais.

Pour créer un mouvement chrétien plus fort et pour empêcher les enfants catholiques de fréquenter les écoles protestantes ou païennes, les Bénédictins ont essayé de fonder le plus possible d’écoles primaires, là où elles n’existaient pas déjà. Grâce à ces efforts, le Vicariat compte actuellement une trentaine d’écoles avec plus de 2.000 élèves. Pour développer encore cette œuvre si importante, il faudrait avant tout des Religieuses : c’est seulement une question d’argent qui a empêché jusqu’à présent les Sœurs Bénédictines de Sainte Odile de venir en Corée, pour prendre la direction des écoles de jeunes filles dans le Vicariat de Wonsan. La première œuvre que Mgr. Sauer commença, fut la création, en automne 1921, d’un petit Séminaire, qui provisoirement fut installé dans l’Abbaye de Saint Benoit de Séoul. Plus tard, quand les circonstances le permettront, il sera transféré à Wonsan en même temps que le monastère. Il compte actuellement 31 élèves. Mgr. Sauer a songé aussi aux chrétiens chinois si dispersés dans son grand vicariat. La station chinoise de Yenki, depuis 14 ans sans titulaire, fut rouverte à la fête de Noël 1922. Une autre station sera fondée cette année 1924 au bord du Sungari. Dans cette région se trouvent beaucoup d’immigrants, parmi lesquels un certain nombre de chrétiens du Shantung, disséminés pour la plupart dans les immenses friches de ce pays jusqu’alors à peu près désert. Deux missionnaires destinés à cette mission particulièrement difficile, se préparent maintenant, l’un dans la Mission de Kirin, l’autre dans celle du Shantung méridional.

PERSONNEL DE LA MISSION DE WONSAN (1924). — Le personnel de cette Mission compte actuellement, en y comprenant celui de l’Abbaye de Séoul : 1 Évêque, 18 prêtres bénédictins, 12 frères européens, 7 frères coréens, 4 catéchistes prédicants, 110 catéchistes chefs de chrétientés, 54 maîtres d’écoles et 12 maîtresses d’écoles. Pour cette grande Mission un personnel triple de celui-ci serait nécessaire pour fonder aisément les œuvres que comporte tout territoire ecclésiastique organisé et pour assurer leur progrès dans l’avenir.


§ IV. — TERRITOIRE DU HPYENGANTO
(M-E. de MARYKNOLL)

LA RÉGION NORD-OUEST DU VICARIAT APOSTOLIQUE DE SÉOUL EST ATTRIBUÉE AUX MISSIONNAIRES AMÉRICAINS DE MARYKNOLL. — En l’année 1922, la S. C. de la Propagande jugea opportun d’augmenter le nombre des ouvriers apostoliques en Corée, et fit appel cette fois à la Société américaine des Missions Étrangères de Maryknoll (N. Y.) Cette Société, fondée aux États-Unis en 1911, administre déjà un territoire chinois, que lui ont cédé les missions de Canton et du Koangsi. Elle a bien voulu accepter la direction d’une mission nouvelle dans la région Nord-Ouest du Vicariat apostolique de Séoul, soit les 2 provinces nord et sud du Hpyenganto. Cette région est d’une superficie d’environ 43.300 kilomètres carrés : ce qui fait le 1/5 de la Corée. Sa population totale est de 2.300.361 habitants, dont 4890 catholiques, administrés jusqu’à ce jour par 5 prêtres de la Mission de Séoul. Cette double province est travaillée depuis longtemps par les Protestants Américains, qui y sont fortement installés. On y compte, en effet, plus de 50.000 adeptes de l’erreur. C’est dire le travail qu’il reste à faire aux nouveaux Ouvriers apostoliques : c’est signaler aussi les difficultés particulières qu’ils y vont rencontrer.

ARRIVÉE EN CORÉE DES PREMIERS MISSIONNAIRES CATHOLIQUES AMÉRICAINS. — Au mois de Mai 1923, le Rév. P. J. B. Byrne, supérieur de la future Mission du Hpyenganto, arriva à Séoul, et au mois de Septembre suivant il alla s’installer à l’ancienne ville de Euitjyou, où une résidence, déjà depuis plusieurs années assez confortablement installée, permettait de réunir plusieurs missionnaires. Quelques mois après, deux autres missionnaires et un frère de la même Société viennent rejoindre leur Supérieur. En Avril 1924, l’un d’eux a pris la direction de la chrétienté de Euitjyou. Un autre est allé s’établir à Yeng-you, près de Hpyengyang. Le P. Byrne compte bientôt aller prendre position dans la nouvelle ville de Euitjyou (Sin Eui-tjyou) située à 4 lieues de l’ancienne, sur les bords du


Une famille Coréenne

Yalou, et gare frontière du chemin de fer Coréen. Il a déjà pu

acheter en cet endroit un terrain assez grand pour y fonder dans un avenir prochain une résidence avec toutes les œuvres que cela comporte.

En automne 1924, des renforts plus sérieux sont promis soit en missionnaires, soit en religieuses de la société affiliée à celle de Maryknoll. Ils travailleront un certain temps encore sous la juridiction du Vicaire Apostolique de Séoul, puis, quand le Saint Siège jugera le moment opportun, il sera créé définitivement un nouveau territoire ecclésiastique indépendant.



NOTES FINALES ET CONCLUSION.

OBSTACLES ACTUELS À LA PROPAGATION DU CATHOLICISME EN CORÉE. — Nous l’avons déjà signalé dans notre avant-propos : nombreuses sont les religions diverses, qui en Corée travaillent chacune de leur côté avec plus ou moins d’activité l’esprit de la masse. Bouddhisme et Shintoïsme jouissent d’une protection spéciale du Gouvernement. Ce sont les religions officielles. Le Confucianisme également se voit soutenu et protégé. Les Doctrinaires du Ciel, la Garde Céleste, la Religion de Tankoun, etc. etc. se donnent comme religions strictement coréennes, et conséquemment, seules nationales, et à ce titre se font fort de captiver de nombreux adeptes par leurs rêveries mi-politiques, mi-religieuses, par le secret aussi dont plusieurs d’entre elles savent entourer leurs cérémonies et surtout leurs visées. Nous avons fait remarquer également, en parlant de toutes ces religions, le particulier état d’âme que cette confusion de croyances hétéroclites a créé chez le Coréen païen : tout cela a fini par l’amener à un éclectisme religieux, où les rites extérieurs seuls ont quelque importance, et où les croyances peuvent varier sans inconvénient au gré d’un chacun et suivant les circonstances, de telle sorte que chez un certain nombre cela se traduit en fin de compte par une sorte d’athéisme pratique. Avec cette mentalité, le Coréen païen fait facilement montre de tolérance : pour lui toutes les religions sont bonnes. À chacun de suivre celle qui lui plaît, dira-t-il à celui qui discute avec lui, surtout s’il est étranger. Mais au fond du cœur, il penche surtout vers une des religions de son pays, parce qu’elle est de son pays, et en même temps, il ne lui répugne pas de suivre les rites de plusieurs de ces religions, fussent-elles contradictoires dans leur doctrine. De cela, il n’a aucun souci. Aussi, grand est son étonnement, quand après avoir admiré parfois les beautés du dogme et de la morale catholique, et avoir même manifesté le désir plus ou moins ferme de suivre cette religion si pleine d’espérances, on lui fait voir les sacrifices qu’il y a à faire, pour mettre sa conduite en conformité avec les préceptes divins, les vaines observances qu’il faut abandonner, le culte des ancêtres


Noble Coréen

qu’il est nécessaire de laisser à tout prix de côté. Si la grâce du

bon Dieu ne l’a pas touché complètement, il lui est impossible alors de se résoudre à embrasser une doctrine si exclusive dans ses principes, si intolérante aussi à ses yeux dans ses prescriptions. Tel est le premier obstacle que rencontre le Catholicisme en Corée.

Le second, c’est le matérialisme, qu’apporte ici la civilisation nouvelle. Inutile de le décrire. Cette civilisation a partout produit les mêmes fruits. Mais pour un peuple, encore hier si fermé aux relations extérieures, est-il étonnant qu’il se laisse facilement prendre et dominer par le seul côté matériel de la culture moderne ? Est-il étonnant qu’à ses yeux ce côté brillant soit le seul qui compte ? Tout n’est-il pas fait pour le fasciner et l’entraîner ? Quels principes modérateurs a-t-il en lui pour le retenir dans ses désirs et appétits ?

À signaler aussi la grande vogue des idées socialistes et bolchevistes, qui envahissent la péninsule à l’heure actuelle, et qui trouvent chez le peuple coréen, grand amateur de nouveautés, un champ particulièrement fécond.

Le troisième obstacle, c’est le Protestantisme, dont nous allons parler plus longuement.

LE PÉRIL PROTESTANT EN CORÉE. — Avant 1883, il n’y avait aucun pasteur protestant dans le « Royaume Ermite », d’accès si sévèrement défendu aux Étrangers. Mais une fois les traités conclus avec les diverses nations, ils ne tardèrent pas à arriver nombreux. Aujourd’hui Méthodistes, Presbytériens, Congrégationalistes, Adventistes, Sabbatistes, Armées du Salut, Anglicans, etc. y sont installés. Les statistiques suivantes en disent bien long sur leur travail en Corée depuis 40 ans :

Année
1921 1923
Stations protestantes 3 426 3 890
Temples ou maisons de prières 2 718 3 114
Ministres protestants étrangers 470 542 dont plus de 100 à Séoul
Ministres Coréens 265 611
Catéchistes et porteurs de bibles 1 197 1 449

Écoles de théologie et de catéchistes 6 7
Élèves dans ces écoles 350 802
École de médecine 1 1
Élèves à l’école de médecine 48 63
Hôpitaux 25 19
Lits dans ces hôpitaux 834 681
Écoles primaires de garçons 32 827 45 302
Écoles primaires de filles 14 763 20 595
Adeptes 204 650 295 698 dont 103 957 baptisés
Budget : plusieurs millions de Yens chaque année.

Quand on considère attentivement les chiffres donnés plus haut, une question se pose de suite tout naturellement.

Pourquoi un tel succès, chez les protestants en un laps de temps relativement court ? Car, il ne faut pas se faire illusion, et croire et dire comme autrefois, que les protestants ne font rien en pays de mission, qu’ils exagèrent leurs succès, et qu’en définitive, rien n’est à craindre pour nous de ce côté. Ce serait agir en aveugle et refuser de voir la réalité : le succès existe, je dirai même qu’il est énorme, et qu’il constitue un danger véritable pour la propagation de la religion catholique. Les raisons de ce succès sont multiples.

Les pasteurs protestants ont d’abord sur les Missionnaires catholiques un avantage incomparable : ils sont pourvus de ressources pour ainsi dire illimitées. Voyez leur budget actuel en Corée : Deux millions de Yens au minimum. Comparez-le avec la maigre allocation reçue de la Propagation de la Foi pour les Missionnaires des 3 Vicariats coréens : cette allocation n’atteint pas actuellement 200.000 frs, soit à peine 30.000 Y. ou 15.000 dollars. Les ministres protestants sont plus nombreux : on en compte 542 contre 60 missionnaires catholiques. D’autre part, grâce à leurs ressources, ils ont à leurs services de nombreux pasteurs indigènes (611) et de très nombreux catéchistes (1449) qu’ils peuvent rétribuer largement. L’Église catholique en Corée, au contraire, n’a encore que 42 prêtres indigènes et une trentaine de catéchistes rétribués. Inutile de poursuivre la comparaison ; il faudrait de la même façon comparer les chiffres respectifs des écoles, des dispensaires, des hôpitaux, imprimeries, journaux, revues, et toujours reviendrait la même explication pour le succès obtenu : personnel considérable d’un côté au service de l’erreur ; maigre budget et rareté des ouvriers apostoliques au service de la vérité. De plus, autre raison : les protestants demandent beaucoup moins de leurs adeptes que les Missionnaires catholiques n’exigent de leurs fidèles. Le Christianisme qu’ils prêchent est très élastique, et les prescriptions imposées se réduisent à bien peu parfois : il n’est pas rare de rencontrer des coréens, protestants actifs et zélés, qui ont encore des concubines, ou observent le culte des ancêtres. Ajoutons enfin une remarque qui a sa grande importance : c’est qu’avec les moyens financiers dont ils disposent, avec leur organisation méthodique et complète, avec leur personnel nombreux, les protestants s’efforcent avant tout d’exercer leur influence sur les classes dirigeantes. C’est ici que nous découvrons leur grande force et une des raisons de leur succès.

Oui, disons-le bien haut, ils cherchent avant tout à jeter l’emprise sur les classes moyennes et supérieures de la société. Pour cela, ils ne se contentent pas de poursuivre leur but religieux, ils ont aussi un but éducateur, qui paraît même chez eux primer le premier : éducateur par leurs écoles de tout degré, soit littéraires, soit scientifiques, soit industrielles ou commerciales, éducateur par leurs journaux, revues, tracts et périodiques, éducateur par leur célèbre Association de la Jeunesse Chrétienne, par le culte des sports, qu’ils propagent partout. Que sais-je encore ? En poursuivant ce but éducateur, les pasteurs protestants, d’une part admirablement organisés, il faut le reconnaître, d’autre part, anglo-saxons d’origine, par conséquent servis à la fois par un idéalisme et une vue pratique des choses, veulent avant tout, bien que déclarant faire œuvre religieuse, (ce qui cadre avec leur idéalisme) veulent avant tout, dis-je, éduquer les hommes, leur infuser leur propre mentalité, et ainsi les avoir sous leur influence : ceci répond à leur réalisme. Qui sait ce que nous réserve l’Extrême-Orient dans un avenir prochain ? Quand on songe à la manière dont il évolue actuellement ? On devine et l’on peut prévoir facilement les avantages que retireront ceux qui maintenant auront su prendre la direction de ce mouvement. Les avantages du reste ne seront pas seulement religieux, mais aussi politiques et économiques. Les Anglo-Saxons, gens pratiques, le savent très bien. La justesse de ces réflexions se vérifie de plus en plus en Corée, comme ailleurs du reste : aussi il n’est pas inutile de signaler d’une manière spéciale cette propagande protestante et ces succès dangereux pour la cause catholique. Ce n’est pas notre rôle de signaler ce danger au point de vue politique et économique. Passons, après avoir fait la simple remarque suivante, dont la vérité est déjà vérifiée par l’expérience. C’est que le protestantisme, avec sa mentalité particulière et son système d’éducation, est forcément révolutionnaire : il arrive même à dénationaliser ses élèves, tandis que le catholicisme, essentiellement conservateur, s’accommode très facilement des habitudes du peuple chez qui il s’implante. Nous voulons seulement signaler le danger protestant au point de vue de l’avenir du Catholicisme en Corée. Il est un fait, que tous les missionnaires ont expérimenté, là où les protestants ont jeté la semence de l’erreur, c’en est fait pour le moment de l’espoir de conversions sérieuses à la religion catholique. Les théories du libre examen, de la self-éducation, du self-government, font leur travail dans les esprits. Le principe d’autorité, autrefois en honneur parmi ces peuples, est battu en brèche. Aussi peut-on dire que les Coréens une fois protestants sont moins que jamais préparés à recevoir notre doctrine, doctrine qui se présente justement avec ce principe d’autorité qui fait sa force, et principe indiscutable et intangible. Telle est la situation. Faut-il malgré cela désespérer ? se décourager ? Non, certes. Malgré sa grande prospérité, malgré ses succès énormes, le protestantisme, partout où il se trouve, porte en lui et contre lui un germe de mort, de division, de désagrégation. « Un mauvais arbre ne peut pas produire de bons fruits ». Voilà sa faiblesse.

Déjà en Corée nous voyons les sectes se fractionner, se diviser, se rendre indépendantes. La théorie du self-government se retourne contre ceux qui la prônent : ici ou là nous voyons des groupes indigènes protestants rejeter le contrôle des pasteurs


Intérieur de l’église d’Ansyeng

étrangers. Ils veulent à leur tour se diriger et se gouverner eux-mêmes.

En réponse aux pasteurs américains qui leur reprochent leur défection, certains adeptes ne craignent pas de dire : « Mais nous suivons en tout point la doctrine par vous enseignée : si vous étiez investis d’une autorité spirituelle comme le sont les prêtres catholiques, la question se poserait autrement pour nous, et avant de vous rejeter, nous attendrions que parmi nous il y ait l’élément nécessaire et suffisant pour vous remplacer. Mais vous, qui êtes-vous ? et qu’avez-vous de plus que nous ? » N’est-ce pas une réponse de grand bon sens. Gardons-nous bien d’autre part de nous laisser impressionner outre mesure par les seuls chiffres de la statistique protestante. Il faut d’abord savoir faire la distinction entre la qualité et la quantité. La doctrine que prêchent les protestants est bien différente de celle prêchée par les catholiques, et n’exige pas beaucoup de ceux qui la suivent. Ne voit-on pas, par exemple, des polygames admis au baptême protestant, sans qu’il y ait pour cela aucune modification dans leur genre de vie ! Aussi, quand vous lisez une statistique d’une mission protestante, ne prenez pas les chiffres donnés dans le même sens que ceux donnés par une Mission catholique. Celle-ci, en effet, en déclarant tel ou tel nombre de chrétiens, désigne par là des gens déjà baptisés et remplissant leur devoir de chrétien. Dans les statistiques protestantes, au contraire, beaucoup de païens sont déjà comptés parmi les adeptes, alors qu’ils ont simplement donné leur nom à la secte, ou accepté une Bible. D’ailleurs, les Protestants eux-mêmes font parfois la distinction, en donnant leurs chiffres, et désignent par « communicants » ceux qui ont été baptisés, les autres n’étant qu’adorateurs. C’est ainsi que le tableau donné plus haut donne 295.698 adeptes, dont seulement 103.957 baptisés.


CONCLUSION.

Que ces dernières constatations ne fassent pas pour cela diminuer à nos yeux le succès considérable du Protestantisme en Corée. Il est malheureusement trop grand, et pour cette raison ce serait une grossière erreur de paraître l’ignorer, ou de vouloir le mépriser. Il faut au contraire le voir dans sa réalité, tel qu’il est, et une fois constaté et dénoncé, il appartient aux catholiques, à tous les vrais catholiques, de faire leur devoir, tout leur devoir pour l’œuvre de la Propagation de la Foi : s’ils faisaient les sacrifices que s’imposent les protestants, que ne pourraient pas faire les missionnaires catholiques malgré leur petit nombre ? Eux du moins, malgré tout, ne désespèrent pas, ne se découragent pas. Ils savent qu’un jour viendra où le triomphe sera de leur côté. L’Église catholique a connu ce triomphe à toutes les époques de son histoire. Elle l’a connu déjà plusieurs fois en Corée. Le Régent, ce cruel persécuteur, dont nous avons conté plus haut la barbarie, avait, en 1866, cru pouvoir la noyer dans le sang de ses fils. Quinze ans après, le Roi, son fils, avouait publiquement dans son édit de 1881 l’impuissance de ses prédécesseurs à lutter contre elle, « Au temps où florissait le Roi Tjyeng-tjong (1776-1800), dit l’édit royal, l’on s’est gardé de ses humbles commencements, et on l’a empêchée de se propager : en vérité, on a bien arraché la racine et coupé les branches, mais contre toute attente, sous la plante abattue, la plante est née : on l’anéantissait, et elle revivait plus plantureuse, et pourtant dans cet intervalle, de grandes exécutions ont eu lieu, et pas une ou deux fois seulement ! » Cet Édit royal ne semble-t-il pas à sa façon enregistrer la victoire de l’Église, victoire qui n’a fait que grandir. Si on jette en effet les yeux sur les tableaux qui vont suivre, l’Église catholique en Corée est plus florissante que jamais.

Pourquoi devrait-elle s’arrêter là dans son triomphe et dans son progrès ? Pourquoi le sang de tant de martyrs aurait-il été versé en vain ? Non, l’Église catholique a pour elle les promesses éternelles de vie, aussi malgré tous les obstacles, peut-elle encore et toujours espérer de nouvelles victoires. Aux catholiques zélés, d’aider efficacement les missionnaires du Christ, et de hâter l’heure des nouveaux triomphes et par leurs prières, et par leurs aumônes, et par leurs sacrifices.



LES DOUZE MARTYRS CORÉENS
de la Société des Missions Étrangères de Paris

ÉTAT DU CATHOLICISME EN CORÉE.
(Année 1923)

Il y a en Corée trois Vicariats Apostoliques : Séoul, Taikou et Wonsan[4]. Voici pour chacun d’eux la population totale et la population catholique :

Séoul M-E de Paris 8 679 120 habitants, dont 54 979 catholiques
Taikou M-E de Paris 7 116 653 habitants, dont 31 457 catholiques
Wonsan B. de S. O. 1 849 988 habitants, dont 10 815 catholiques[5]
Corée entière Total 17 626 761 habitants, dont 96 151 Catholiques,

I. — PERSONNEL DES TROIS VICARIATS APOSTOLIQUES DE CORÉE[6].

Total Séoul Taikou Wonsan
Évêques, Vicaires Apostoliques 3 1 1 1
Évêque-Coadjuteur 1 1
Provicaires 3 1 1 1
Missionnaires 59 27[7] 14 18
Prêtres Coréens 42 30 12
Frères Bénédictins coréens 7 7
Frère de la S. des M. E. de Maryknoll 1 1
Religieuses européennes 14 11 3
Religieuses coréennes 89 80 9
Catéchistes rétribués 32 18 10 4
Catéchistes volontaires, chefs de chrétientés et femmes-catéchistes 1 236 726 400 110
Maîtres d’école 257 143 60 54
Maîtresses d’école 106 64 30 12

II. — ÉTABLISSEMENTS, ŒUVRES DIVERSES ; ASSOCIATIONS.

Total Séoul Taikou Wonsan
Districts 68 43 18 7
Églises ou chapelles 235 157 73 10
Stations 1 134 635 390 109
Séminaires 3 1 1 1
Total des Élèves dans ces Sémin. 248 112 105 31
Théologiens et philosophes 56 26 30
Latinistes 152 61 60 31
Élèves du cours préparatoire 40 25 15
École commerciale supérieure 1 1
Professeurs 9 9
Élèves dans cette école 188 188
Écoles primaires (garçons) 122 52 42 28
Élèves dans ces écoles 5 977 2 994 1 357 1 646
Écoles primaires (filles) 44 15 22 7
Élèves dans ces écoles 2 742 1 760 548 434
Orphelinats 3 2 1
Orphelins 268 212 56
Orphelins dans les familles chrét. 128 101 27
Orphelins adoptés 47 47
Jeunesse Catholique (Fédération) 1 1
Sections de cette fédération 19 19[8]
Membres de la Jeunesse Cath. 1 362 1 362
Imprimerie 1 1
Typographes 9 9
Volumes édités en 1923 40 000 40 000
Revue religieuse (pour toute la Corée) 1 1
Abonnés à cette revue 5 505 3 619 1 217 669
Associés de la Propagation de la Foi 589 361 228
Dispensaires 2 2
Malades soignés au dispensaire 7 772 7 772
Malades visités à domicile 816 816

III. — FRUITS SPIRITUELS.

Total Séoul Taikou Wonsan
Baptêmes d’adultes 1 629 749 557 323
Baptêmes d’adultes in art. mortis. 863 470 343 50
Baptêmes d’enfants de païens 3 384 1 838 1 471 75
Baptêmes d’enfants de chrétiens 4 077 2 382 1 274 421
Total des baptêmes 9 953 5 439 3 045 869
Conversions d’hérétiques 69 64 5
Confirmations 3 126 2 211 858 57
Confessions annuelles 62 611 35 195 21 202 6 214
Confessions répétées 218 288 132 618 60 655 25 015
Communions pascales 58 999 32 312 20 939 5 748
Communions de dévotion 569 108 336 018 188 363 44 727
Extrêmes-Onctions 1 369 756 470 143
Saints Viatiques 867 570 247 50
Ordinations 3 1 2
Mariages 1 016 605 312 99
Décès 2 391 1 455 721 215


  1. Les documents officiels, dont il s’agit ici, sont les Annales du Grand Conseil et le Journal de la Cour. Mgr. Mutel les a découverts en 1921-22 aux archives Coréennes, grâce à la bienveillance du Gouvernement Japonais, qui facilita toutes les recherches.
  2. Il s’agit de souliers chinois inconnus alors en Corée.
  3. C’est Mgr. Berneux, qui est ainsi designé dans ce rapport.
  4. Ce Vicariat comprend en outre 1 200 000 habitants en Mandchourie.
  5. Sur ces 10 815 catholiques, il y en a 9 500 environ en territoire chinois, mais comprenant surtout des Coréens émigrés.
  6. Outre ces trois Vicariats, il y a un nouveau territoire ecclésiastique en formation, savoir les deux provinces Nord et Sud du Hpyeng-an-to, encore sous la juridiction du Vicaire Apostolique de Séoul, mais attribué depuis 1922 à la Société des M. E. de Maryknoll (États-Unis). Ce territoire a une population de plus de deux millions d’habitants, dont près de 5 000 Catholiques.
  7. Dans ce chiffre sont compris les trois missionnaires de la S. des M. E. de Maryknoll, déjà arrivés en Corée pour prendre en mains la direction du territoire de Hpyeng-yang.
  8. N. B. — 1. Dans le vicariat de Taikou, il y a aussi plusieurs sociétés de Jeunesse Catholique, mais non encore réunies en fédération.