Le chant de la paix/X

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Joseph Labarre
(p. 39-42).

CHAPITRE X

L’APPEL DE LA PATRIE. L’HÉROÏQUE DÉCISION.


Le lendemain, lorsque Rita s’éveilla, la nature aussi semblait attristée. Le vent qui soufflait à travers feuillages et la pluie qui tombait par torrents, n’étaient pas, on le comprend facilement, un tableau qui pouvait atténuer le désespoir de la pauvre martyre. La nuit qu’elle venait de passer n’avait pas été pour elle une nuit de repos, son sommeil ne fut qu’un cauchemar affreux, qui avait plutôt contribué à augmenter son extrême épuisement. Plus faible que jamais, elle commençait à prévoir la funeste conséquence de toutes les fatalités qui s’accumulaient sur son chemin. Ce fut avec beaucoup de difficultés qu’elle parvint à se lever, mais le vertige et la douleur qu’elle ressentit lui tirent croire un instant qu’elle allait mourir. Force lui fut donc de se jeter de nouveau sur son lit. La baronne qui vint lui rendre visite fut toute surprise de la trouver dans cette attitude et si pâle. Ne voulant pas l’alarmer inutilement, elle ne laissa rien paraître de son émoi et lui dit :

— Pardonne-moi, Rita, si je me suis permis de troubler d’aussi bonne heure ton repos. Forcée de m’absenter probablement jusqu’à demain, je n’ai pas voulu partir sans te prévenir ; surtout sans te féliciter, car. sais-tu, ma chère enfant, que ton triomphe d’hier soir est considéré comme insurpassable.

— Merci, madame, murmura la pauvre Rita défaillante. je suis bien heureuse que mon dernier concert ait produit cette favorable impression.

— Que signifient ces paroles ? reprit la baronne, crois-tu vraiment que la science ne pourra vaincre le mal dont tu es atteinte ? C’est précisément pour obtenir d’elle ce secours nécessaire que je m’absente. Te sachant incapable d’accomplir ce voyage sans trop de fatigues, j’ai décidé d’aller supplier moi-même ce médecin éminent qui demeure en dehors de Paris de venir au Château te donner les soins urgents que requiert ton état.

— Hélas ! vos démarches sont tout à fait inutiles, mon mal est sans remède.

— Tu exagères, tu n’as pas le droit de désespérer ainsi ; as-tu donc oublié que le désespoir ne sert qu’à aggraver nos maux ? Chasse, je t’en prie, bien loin de toi ces sombres pensées qui sont causées par le surmenage, et ta grande faiblesse. Il te faut réagir et promptement, ma chérie.

— J’essayerai, madame, crut-elle bon de répondre afin de ne pas trahir son secret, mais j’ai bien peur de ne pas y parvenir.

— Encore une fois, ne crains rien, je t’assure que des soins vigilants te ramèneront à la santé ; Je ne négligerai rien pour obtenir ce résultat. Donc du courage et à demain.

De nouveau seule, l’esprit un peu plus calme, Rita examina la situation dans laquelle elle se trouvait. Alors elle se rendit compte qu’elle n’avait pas encore atteint le paroxysme de sa douleur, et que le nouveau sacrifice qui s’imposait dépassait en horreur tout ce qui avait précédé. Hésitant à mettre à exécution cr projet qui la torturait, elle s’était levée afin de chercher un dérivatif à sa peine quand tout à coup son attention fut attirée par la lettre qui était restée sur sa table de toilette. Évidemment, se dit Rita, c’est la baronne qui a fait cet oubli. Il faut absolument que je la lui fasse remettre avant qu’elle ait quitté le château. Saisissant la lettre en question, elle allait sortir, quand elle s’aperçut que c’était bien à elle qu’était destiné ce pli cacheté. L’ouvrant aussitôt, toute surprise, elle lut : Ma chère Rita,

Ce petit mot écrit à la hâte va suffire, sans doute, pour te faire comprendre les regrets que j’éprouve à ne pouvoir te féliciter de vive voix. Accepte tout de même de mon coeur enthousiasmé et sincère, ce bouquet de roses qui, une deuxième fois sert à rendre hommage à ton art. C’est encore mon devoir de soldat qui m’oblige à me priver du bonheur d’être auprès de toi. Puisse-t-elle finir cette affreuse tourmente ! Je t’assure que dans cette attaque qui se déclenchera bientôt, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vaincre l’ennemi, et par conséquent pour obtenir la paix, gage assuré de notre parfait bonheur…

À bientôt…

Jean


— Ô France, ma patrie, se dit Rita lorsqu’elle eut achevé la lecture de cette courte lettre, je devine maintenant que c’est pour te sauver que le hasard m’a fait découvrir le secret qu’il me cache. Je comprends qu’il faudra à tout prix que je lui rende sa liberté, afin que, pour te défendre, il retrouve son courage et, son énergie… Oui, je m’aperçois que mon silence deviendra aussi lâche, que son mensonge est héroïque… Il est bien cruel, va, le sacrifice que tu exiges de moi, mais qu’importe : ie sort en est maintenant jeté ; comme un devoir sacré, il me faut à tout prix l’accomplir…

Maintenant tout se prêtait à merveille à la réussite du plan qu’avait projeté Rita. L’absence de la baronne lui permettait de faire venir Jean au château, sans qu’il y eût que son secret fût découvert. Elle lui écrivit donc un court billet qu’elle confia à un domestique en lui disant :

— Portez ceci aux quartiers généraux français et rapportez la réponse. J’y attache une extrême Importance. Alors anxieuse elle attendit. Après une heure, qui lui parut un siècle, le domestique revint.

— Avez-vous la réponse à ma lettre ? lui demanda-t-elle vivement.

— Je le regrette beaucoup, on m’a fait savoir qu’il était très difficile de transmettre avant l’heure fixée ce message au commandant Desgrives.

— Très bien, fit Rita désappointée ; mais ne vous a-t-on pas dit à quelle heure la consigne permet de remettre au commandant Desgrives les lettres qui lui sont destinées ?

— C’est à sept heures précises que le commandant Desgrives quitte son travail, et par conséquent reçoit les lettres qui lui sont adressées. Il se peut fort bien qu’on les lui remette plus tôt, mais je vous le répète, on ne peut me le certifier.

— Alors si le commandant Desgrives se présente au château cet après-midi ou ce soir, conduisez-le au grand salon, c’est là que je le recevrai.

— À vos ordres, mademoiselle, répondit le domestique.