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Le chroniqueur Proché, documents inédits/Lettres de J. N. Proché/3

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III


Agen, 1 frimaire ’an XII (23 novembre 1803).

Monsieur,

Il est vrai que j’étais très inquiet de n’avoir pas de vos nouvelles, mais j’étais bien éloigné d’attribuer votre silence à aucun effet qui put diminuer mon extrême attachement pour vous. Je l’attribuais à quelque dérangement ou à des grandes occupations. Je vois avec peine que vous avez été malade. Vous devez imputer cette incommodité aux fatigues des vendanges[1] et vous ménager plus que vous ne faites[2]. La santé est un des plus grands biens de ce monde ; sans elle on ne jouit d’aucun plaisir. Mettez donc moins d’ardeur dans votre travail, et tâchez de vous conserver pour vous et pour vos amis[3].

J’ai différé moi-même de vous répondre dans l’espoir que je verrois quelqu’un du pays, mais personne n’a paru. Il y a plus, j’ai écrit plusieurs lettres à Gontaud ou aux environs, il y a plus d’un mois, je n’ai reçu aucune nouvelle ; je ne sais qu’en penser. Je vous prie de vouloir m’expliquer cela, et de me dire pourquoi Madame Ricaud n’envoie pas son fils[4], non plus que Mr Dariscon. Le fils de M. Lucinet est encore à arriver[5].

Je doute beaucoup que l’abbé Geraud aille à Grateloup. Les habitants de la paroisse d’Unet l’ont demandé à l’évêque ; il est venu lui-même ici à ce sujet ; il se plait beaucoup à l’endroit où il est ; je crois qu’il y restera.

Vous avez donc un curé. Je vous en féliciterais si l’on ne m’avait assuré qu’il n’y resterait pas un an[6]. J’ignore comment on l’entendait. M. l’évêque est très embarrassé, il pleut chez lui un déluge de démissions, de pétitions, de réclamations, etc. Il est vrai que son premier travail n’a pas été au gré de tout le monde, mais aussi il est bien difficile de satisfaire tous les esprits.

Je vous salue bien affectueusement.

P.-S. Nous avons depuis quelques jours un superbe régiment de Hussards, beaux hommes bien montés, bien équipés. Le colonel est un jeune homme grand ami de Bonaparte qui a fait avec lui le voyage d’Egypte. On voit ici ce corps avec plaisir, mais comme la caserne ne peut contenir que 500 hommes, le reste loge chez des particuliers. J’ai chez moi le chirurgien major, ce qui me dispensera d’avoir des Hussards. Le corps des officiers est composé de jeunes gens d’élite ; je crois que nos dames s’apprivoiseront peu à peu à leurs énormes moustaches. Au reste la troupe est très bien disciplinée[7].

  1. Mon grand-père soignait avec une véritable passion son vignoble de Larroque qui lui donnait en abondance un vin très renommé. Que les temps sont changés ! Le vignoble actuel ne produit qu’une quantité de vin dérisoire, vin qui n’a pas la moindre ressemblance avec le nectar classique.
  2. Le correspondant de Proché se garda bien de suivre d’aussi excellents conseils et il ne se ménagea jamais. Dans la belle saison il se levait régulièrement à trois heures du matin et, devançant l’aurore, partait aussitôt pour Larroque (son petit-fils dégénéré s’accuse de s’être rarement levé avant quatre heures !) Si l’on me permettait de rappeler ici une petite anecdote, je dirais que mon grand-père, qui était très lié avec son curé, l’abbé Descures, ne manquait pas, en passant devant le presbytère, de frapper de sa canne (au risque d’être accusé du délit de tapage nocturne) les contrevents de la chambre à coucher de son vieil ami, en lui criant : Surge, piger ! c’est le moment de dire Matines ! La chronique ajoute que le vénérable curé, furieux d’être ainsi brusquement réveillé, ripostait à l’interpellation quotidienne par une malédiction non moins quotidienne. Mais la chronique est-elle bien informée ?
  3. Mon grand-père survécut 24 ans à ce souhait affectueux. On voit dans l’acte de décès (Etat Civil de la commune de Gontaud) que Jean Pierre Tamizey de Larroque, propriétaire, ancien officier de cavalerie, fils d’Antoine et de dame Marie-Anne de Massoneau, veut de dame Anne-Germaine Traversat de Montardy (sic), mourut à l’âge de 76 ans dans la nuit du 25 au 26 décembre 1827, vers minuit.
  4. C’était Marguerite Chausenque, laquelle avait épousé, en septembre 1788, Pierre Laurent de Ricaud, conseiller à la Cour des Aides de Guyenne, mort le 19 juin 1803, et en avait eu Thomas Laurent, condisciple de mon père et son grand ami. Dans une lettre non datée, mais de la fin de juin ou du commencement de juillet 1803, Proché disait : « Nous avons perdu vous et moi un ami, en perdant M. Ricaut. Je le regrette sincèrement par rapport à lui et par rapport à sa famille qui avait besoin qu’il vécut plus longtemps, au moins jusqu’à ce qu’il eut terminé sa grande affaire (un long et grave procès). Le ciel en a disposé autrement ; cela est bien fâcheux… »
  5. C’est un appel presque désespéré que fait entendre le malheureux chef d’institution. La famille Lucinet habitait Puymiclan et la famille Dariscon habitait Gontaud. Plusieurs membres de cette dernière famille (de très vieille noblesse) seront mentionnés dans le Recueil de documents inédits Gontaudais annoncé plus haut.
  6. L’abbé Bernard-Alexandre Courrège fut nommé curé de Gontaud en octobre 1803. Il occupa ce poste jusqu’à sa mort (7 janvier 1817). Il eut pour successeur l’abbé Alexandre Descures, dont la famille avait habité Gontand pendant presque tout le xviiiie siècle. On retrouvera plusieurs fois le père et le grand-père de l’abbé Descures dans le recueil cité en la note précédente.
  7. J’ai négligé deux lettres de novembre 1803 et de janvier 1804 qui ne m’ont pas paru mériter l’honneur de l’impression. Je tire seulement de chacune de ces lettres deux petits passages relatifs à un incident que j’appellerai l’incident du miroir : « La dernière fois que j’étais à Gontaud, je fus prié par M. Flottard de Lubersac (sic pour Libersac) de retirer un miroir qu’il avait laissé ici chez une demoiselle. Je l’ai retiré, en effet, mais je ne sais comment le lui faire passer. Ni patron, ni voiturier ne veulent en répondre. M. Flottard me proposa de me le céder pour 12 livres. C’est là toute sa valeur. Si cela lui convient, je vous prie d’avoir la bonté de lui compter cette somme de laquelle je vous tiendrai compte. » La commission fut faite et l’arrangement conclu, comme nous l’apprend la lettre suivante « Je vous remercie des soins que vous avez bien voulu vous donner envers M. Flottard dans l’affaire du miroir ; il a bien fait d’accepter la proposition, car le miroir peut avoir perdu de sa valeur ; il sert à la toilette de mes filles depuis qu’il est dans la maison. Cette année-là, Proché n’acheta pas seulement le miroir, mais bien une prairie. On lit dans la lettre du 30 janvier 1804 Nous venons d’achetter une pièce de pré d’environ deux journaux, qui est entièrement enclavé (sic) dans nos possessions ; elle nous coute tout compris deux mille trois cens livres. »