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Le chroniqueur Proché, documents inédits/Réponse de la Communauté de Gontaud

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de Gontaud, choisi par la communauté, approuvé par Votre Grandeur, et par M. l’eveque d’Agen, a l’honneur de vous supplier d’ordonner que la délibération du quatorze fevrier qui fixe ses gages a deux cens quarante livres sera executée, en consequence enjoindre aux maire et consuls de lui faire payer laditte somme quartier par quartier, ainsi qu’ils l’ont fait précédemment, leur ordonner en outre de faire expedier au suppliant une copie des deux délibérations : le suppliant, dont les vœux sont unis à ceux de toute la province ravie de la sagesse et de l’équité de votre administration, les redoublera pour la santé et la prosperité de Votre Grandeur.

N. Proché, suppliant.

Soit la presente requette communiquée aux officiers municipaux de Gontaud pour y repondre dans huitaine par devant nous, pour par M. l’Intendant y être estatüé ce qu’il appartiendra.

Fait à Marmande, le 8 février 1781.

En l’absence de M. Lavau de Fayon
Foucaud, chargé des affaires de la subon.

(Arch. deples de la Gironde, C. 603).


Réponse de la Communauté de Gontaud

Envoyée à M. Lavau de Fayon, le 22 Février 1781.

Les maire et consuls de Gontaud réfutent point par point la requête de Proché. Trouvant que 200 l. n’étaient pas des gages suffisants, « le sr Proché se retira à la véritté dans la ville d’Agen, sa patrie, pour y passer les vacquances, et voulant se faire augmenter des gages, il écrivit au sr Mayonnade[1], lors second consul de ce lieu, chez qui il prenoit sa subsistance, et trouvoit d’ailleurs bien d’autres douceurs, attendu que le sr Mayonnade a cinq enfents males auxquels il donnoit toute son attention en leur montrant les principes de la latinitté, qu’il ne vouloit plus régenter à Gontaud ; mais que sy le dit sr Mayonnade vouloit luy envoyer ses enfents à Agen, il les prendroit en pension… » Le sr Mayonnade, pour éviter les frais de pension à Agen, offrit alors à Proché une augmentation de 40 livres par an. Une délibération en ce sens fut prise dans la maison de ville, et signée des consuls et d’un ou deux jurats tout au plus. Le registre fut ensuite porté chez d’autres jurats, qui signèrent sans lire. « Cette convention n’est pas une loy à laquelle il ne peut être dérogé. »

Si la communauté a payé un quartier des gages au régent, à raison de 240 l. par an, c’est qu’elle ne pouvait faire autrement, jusqu’au jour où fut votée la suppression des 40 l. En votant cette suppression, les exposants n’ont agi qu’en vue du bien public. L’assemblée qui l’a votée ne fut pas composée de huit paysans, mais des maire, consuls, procureur-syndic, « assistés de quelques jurats, notables et adjoints ou agrégés au corps de ville pour la validité des délibérations Ces adjoints[2] sont au nombre de 12 ou 13, choisis « tant chez les commerçants que chez les meilleurs artizants ou autres personnes de la campagne des plus notables. » — Le sr Proché allègue que pas un jurat n’a été convoqué à cette assemblée : c’est là un « trait révoltant, » qui lui a été inspiré par certains jurats, « quy la rage dans le cœur a la veue du désordre quy s’est comis dans cette ville, et quy peut estre subsistera des siècles entiers[3], menagent ny mensonge pour détruire les exposants, ny animosité pour les perdre s’ils le pouvoient. » Tous avaient, d’ailleurs, reçu leur billet d’invitation pour l’assemblée, mais ils n’ont pas voulu s’y trouver.

La délibération des exposants n’a rien d’injuste ni de vexatoire : « Que le sr Proché envisage l’état ou il estoit quand il est venu à Gontaud, et celuy ou il est a presant, s’il sçait se rendre justice, il verra qu’il a eu tort de demander d’augmantation. Il ettoit en arrivant très mal agencé, et, a présent, c’est un jeune homme à qui on doneroit par ces habits, mille ecus de revenu. Il a donc eu tort, Monseigneur, d’exposer qu’il ne pouvoit pas se soutenir icy avec deux cens livres de gages. Le sr d’Osté son predecesseur quy a regenté plus de vingt cinq ans dans ce lieu, sous les memes gages, dans un temps meme plus critique que celuy cy a raison de la cherté des denrées, trouva le moyen d’y acquerir du bien, et de s’y marier avec une fille d’un de nos jurats. C’ettoit d’ailleurs un bien autre sujet que le sr Proché. »

Les exposants ont trouvé un régent qui se charge pour 200 l. par an de l’école ; il enseigne très bien le latin « et peint au mieux, et a d’autres talents au moyen desquels il peut se rendre utile au public ; sa femme qui élève des jeunes filles, ne trouvera pas moins de quoy s’occupper dans ce lieu » ; enfin il tiendra la charge de secrétaire-greffier, car celui qui a été nommé par le roi se refuse à prêter serment.

Les exposants protestent contre les reproches du sr Proché : « de pareils traitements sont ordinairement susceptibles de reprehention, surtout partant d’une personne gagée d’une communauté. » Ils ne conviennent pas que les délibérations doivent être rendues publiques, mais se déclarent prêts à communiquer au sr Proché les deux qui l’intéressent, si l’intendant l’ordonne.

« Nous observerons de plus, Monseigneur, à Votre Grandeur, que le sr Proché, outre les deux cens livres que la communauté luy donne, il a au moins quatre cens livres des mois des écoliers, soit latinistes, arithméticiens, écrivains ou commençants, et que d’ailleurs il a augmenté le payement de chaque écolier par mois d’un cinq sols au dessus de ce que le sr Dosté son predecesseur prenoit. »

En conséquence, les exposants demandent l’autorisation de choisir un autre régent, vu la pauvreté de la communauté.

La pièce est signée :

Guiron Dephicquepal maire, Lamothe Tamizey[4] premer consul[5].


  1. Sic pour Maysonnade, nom d’une ancienne et nombreuse famille de Gontaud dont plusieurs membres reliaient un nom de terre au leur par la particule de.
  2. La jurade venait en effet de se démocratiser avant la Révolution en adjoignant aux familles de vieilles bourgeoisie consulaire qui l’administraient héréditairement un un peu de sang nouveau. La délibération très curieuse qui la constate, sera publiée un jour.
  3. On ne pourrait guère comprendre cette emphase et en ne se souvenait que l’on est au lendemain de l’émeute du cimetière de Gontaud, un des rares évènements dignes d’être enregistré, dans l’histoire de l’Agenais au xviii{{e]] siècle.
  4. Joseph Tamizey de Lamothe, volontaire d’abord puis officier au régiment de la reine en 1740, est l’auteur ou le principal rédacteur de cette réponse assez mordante, car on y retrouve les mêmes irascibilités que dans d’autres factums de lui. Mon vénéré père se proposait de publier sous le titre : Les Colères de mon arrière-grand-oncle, le récit de trois ou quatre altercations de ce terrible sabreur. Son différend avec M. de Cours, premier consul, qu’il poursuivit l’épée à la main en lui offrant d’en découdre et faillit le faire traduire au Tribunal des Maréchaux, ses relations avec la famille de M. de Duchoissy, son futur beau-père qu’il bâtonnait parce que celui-ci ajournait trop ses projets de mariage ; enfin une dispute plus prosaïque pour un tas de terreau, pour lequel il avait cassé bras et jambes à une famille de quatre personnes, acte des conséquences duquel, un autre de ses beaux-frères, M. de Séovaud de Lourmade le sauva, en rachetant à beaux deniers, la procédure criminelle contre lui. En 1781, il était plus calme en action, mais la plume restait vive.
    (H. T. de L. ).
  5. Aux deux pièces citées est jointe une lettre (9 mars 1781) du chargé d’affaires de la subdélégation de Marmande à l’Intendant pour lui faire savoir qu’il n’y a pas lieu de donner d’autre suite à l’affaire, la communauté de Gontaud ayant décidément choisi un autre régent. Dans cette lettre est exprimée la crainte que les magistrats de Gontaud n’arrivent pas à remplacer Proché, dont ils n’ont pas su apprécier le mérite. On lit en haut de la lettre cette note : Affaire finie.