Le coquillage (RDDM)

La bibliothèque libre.

Pour les autres éditions de ce texte, voir Le coquillage au bord de la mer.

Le coquillage (RDDM)
Revue des Deux Mondes, période initialetome 30 (p. 134-135).

LE COQUILLAGE.

Quand tes beaux pieds distraits errent, ô jeune fille !
Sur ce sable mouillé, frange d’or de la mer,
Baisse-toi, mon amour, vers la blonde coquille
Que Vénus fait, dit-on, polir au flot amer.


L’écrin de l’Océan n’en a point de pareille !
Les roses de ta joue ont peine à l’égaler,
Et quand de sa volute on approche l’oreille
On entend mille bruits qu’on ne peut démêler :


Tantôt c’est la tempête, avec ses lourdes vagues,
Qui viennent en tonnant se briser sur tes pas ;
Tantôt c’est la forêt avec ses frissons vagues ;
Tantôt ce sont des voix qui chuchottent tout bas.


Oh ! ne dirais-tu pas, à ce confus murmure
Que rend le coquillage aux lèvres de carmin,
Un écho merveilleux où l’immense nature
Résume tous ses bruits dans le creux de ta main ?


Emporte-la, mon ange, et quand ton esprit joue
Avec lui-même, oisif, pour charmer tes ennuis

Sur ce bijou des mers penche en riant ta joue,
Et fermant tes beaux yeux recueilles-en les bruits.


Si dans les mille accens dont sa conque fourmille
Il en est un plus doux qui vienne te frapper
Et qui s’élève à peine au bord de la coquille
Comme un aveu d’amour qui n’ose s’échapper ;


S’il a pour ta candeur des terreurs et des charmes,
S’il renaît en mourant presque éternellement,
S’il semble au fond d’un cœur rouler avec des larmes,
S’il tient de l’espérance et du gémissement,


Ne te consume pas à chercher le mystère !
Ce mélodieux souffle, ô mon ange ! c’est moi.
Quel bruit plus éternel et plus doux sur la terre
Qu’un écho de mon cœur qui m’entretient de toi ?

Paris, 23 mars 1842.


Alphonse de Lamartine.