Le cow-boy renégat/03

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Éditions Police Journal (Aventures de cow-boys No. 5p. 10-13).

CHAPITRE III

LOUISETTE


Fred et le vieux Couturier galopaient dans la plaine.

— Où allons-nous ?

Malette répondit :

— Espèce de curieux, va…

— Écoute, mon jeune, je sais que tu me caches quelque chose… Pourquoi ?

— Parce que, le père, mes inquiétudes sont à moi tout seul. À votre âge, voyez-vous…

Piqué, Elphège s’écria :

— Qu’est-ce que mon âge a à voir dans ça ?

Fred dit :

— À votre âge l’inquiétude fait viser mal et manquer son homme.

— Tu peux toujours me dire où nous allons.

— Pour ça oui.

— Chez Louisette.

— À sa grange ?

— Oui.

— Tu sais le chemin ?

— Oui.

— Comment ?

— Parce que je suis déjà venu par ici.

— Ouais…

Couturier cracha sa chique :

— Et pourquoi es-tu venu la première fois ? fit-il, en mordant à une briquette de tabac macdonald-le-tabac-avec-un-cœur.

— Pour voir Sam Lortier sans qu’il me voie, lui…

— Du diable si je comprend un traître mot…

Fred s’impatienta :

— Comment aurais-je pu me grimer et me faire une binette à la Lortie sans connaître le visage de cet outlaw ?

— Tu connais Louisette ?

— Oui.

Il ajouta :

— Mais elle ne me connaît pas.

— Hein ? Comment ça ?

— Mais, vieil idiot, parce que je l’ai épiée à son insu…

— Pourquoi

— Ça c’est mon secret.

De dégoût, Couturier cracha de nouveau sa chique :

— Tu vas me coûter cher en macdonald, toi, avec tes secrets. Je t’avise par les présentes que c’est toi qui payes ma prochaine torquette…

Ils approchaient des décombres calcinés et de la grange.

D’un commun accord ils mirent les chevaux au petit pas…

Descendirent.

Et entrèrent silencieusement dans la grange.

Ils regardèrent autour d’eux.

Il n’y avait que du foin.

Et du foin.

Partout.

Puis soudain…

Il se fit dans le foin un mouvement étrange.

Mallette s’approcha.

Et vit Louisette qui dormait.

Ses traits détendus par le sommeil avaient quelque chose de charmant, éthéré, pur comme un ave ou un chant de Noël.

Fred décida de l’éveiller afin de constater sa première réaction à la vue de son visage grimé, altéré par 3 boulettes de cire.

Il prit un brin de foin et lui chatouilla le bout du nez.

Elle s’agita.

Chassa de la main la mouche imaginaire.

Par 3 fois le jeune homme répéta le même manège.

À la quatrième, Louisette saisit le brin de foin.

Ouvrit les yeux.

Leva la tête.

Vit Mallette.

S’assit d’un coup sec.

Et demanda anxieusement :

— Qu’y a-t-il, Sam ?

Alors elle posa ses yeux longuement sur Fred.

De terreur.

D’épouvante.

Sa bouche s’ouvrit, grande, prête à lancer le cri hystérique…

Au moment où elle allait crier, Louisette réussit à se reconquérir.

Elle murmura à voix basse.

— Vous n’êtes pas Sam Lortie…

— Mais non.

— Qui êtes vous ?

— Un ami.

Un silence.

Un silence long.

— Très long.

Puis soudain les yeux de Louisette se remplirent d’une espèce de message mystérieux, imprécis.

Leurs 2 regards se joignirent.

Tout à coup elle cria :

— À terre vite !

Il obéit instantanément

Comme son corps atteignait le foin, une balle siffla au dessus de lui.

Il roula.

Roula.

Hors d’atteinte.

Alors il entendit le bruit de pas qui fuyaient.

Un silence.

Encore !

Puis un cheval s’éloigna au galop.

Louisette dit à voix haute :

— Vous pouvez vous montrer, il est parti.

Ce fut le vieil Elphège qui parla :

— Qui IL ? Est-ce un autre secret et dois je de nouveau cracher ma chique ?

Fred sourit :

— Le coup de feu ne te l’a pas fait avaler par hasard ?

Le gorgoton de Couturier s’agita :

— Ça parle au diable, je l’ai avalée, c’est bien trop vrai !

Mallette répéta :

— Qui IL ?

Louisette fit :

— Mais Sam Lortie…

— Comment ? Êtes vous associée avec l’assassin de votre père ?

Les yeux de Louisette se remplirent de larmes :

— Je suis forcée, dit-elle.

— Forcée ?

— Oui, j’ai un petit frère de 12 ans qui est au pensionnat des sœurs grises à St-Boniface.

— Et… ?

— Et Lortie va le tuer si je ne fais pas à ses 36 volontés.

— Ah, le misérable…

Couturier fit des efforts.

Et restitua sa chique.

Fred cracha son mépris :

— Un assassin, passe encore ; mais un maître-chanteur, c’est pire qu’une sale bête puante…

— Si je vous promets que votre petit frère sera bien gardé jour et nuit au pensionnat…

— Gardé… ?

— Oui, et protégé constamment par deux policiers, vous sentirez-vous libérée entièrement de ce chantage ?

— OH OUI !

Primesautière Louisette sauta au cou de son nouveau bienfaiteur et lui appliqua deux becs.

Un sur chaque joue.

Se tournant vers son vieux copain, Fred dit :

— Elphège ?

— Oui, boss ?

— Pars immédiatement pour St-Boniface et vois à ce que le petit gas soit toujours sous bonne garde.

— Correct, patron.

— Et reviens au plus vite ; car j’ai besoin de toi.

— Correct, correct…

— Tiens, voici deux écus pour te payer des torquettes…

— Merci bien…